à‰thique et pratiques communicationnelles de l' Eglise catholique pour la pacification de l'espace public au Burkina Faso( Télécharger le fichier original )par Anicet Laurent QUENUM Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Maà®trise en sciences de l'information et de la communication 2003 |
2.2 Les enjeux étiques de la réconciliationSelon le Petit Larousse, se réconcilier reviendrait à faire cesser le désaccord qui existait avec quelqu'un. Or, l'un des moyens d'y accéder passe par la vérité, la justice et le pardon. Difficile en effet de passer l'éponge sur un crime politique et d'amorcer une quelconque réconciliation tant qu'un dialogue ne s'est pas instauré entre criminels et victimes. De part et d'autre, cela requiert un dépassement, une grandeur d'âme. Plus précisément, l'humilité de l'aveu, du remords et du repentir chez le coupable et la sagesse de la magnanimité et de la tolérance chez la victime. Au plan éthique, la réconciliation est une nécessité. Et la grandeur d'un peuple réside aussi dans sa capacité à faire une croix sur le passé et à dépasser ses contradictions internes (quelle que soit leur gravité !) par des voies pacifiques. En tout état de cause, le pardon demeure la pièce maîtresse de la réconciliation. Ainsi, par delà toutes considérations, il faut pouvoir pardonner, selon cette recommandation de la sociologue Allemand Hannah ARENDT : « celui qui ne peut pardonner, se contraint de ressentir chaque fois le même sentiment vide de sens qu'est la vengeance »64(*). On retiendra que le but ultime de la réconciliation est de restaurer les relations brisées entre l'offenseur et l'offensé. 2.3 Le pardon en questionPour démontrer la complexité de la notion du Pardon qui, selon lui, est d'essence divine et donc au delà des capacités humaines, l'archevêque de Bobo-Dioulasso, Mgr Anselme T. SANON a pu déclarer ceci : « L'homme dans son état actuel ne peut pardonner. Ou bien, il baisse l'échine par peur du pire ; ou bien, il attend comme un faucon pour se venger à son tour. Mais dire que tout est fini, l'homme à lui seul ne peut pas le faire ; le pardon est divin ». Et poursuit en distinguant trois possibilités de réaction dans les situations spécifiques de crise et de conflits : - La première est de rester dans l'attitude de vengeance ; ce qui veut dire que vous ajoutez la vengeance à la vengeance ; - La deuxième possibilité qui paraît la plus humine, est d'approcher le tribunal et de demander un jugement ; - La troisième qui est l'aboutissement des deux premières est qu'on finira par s'asseoir pour se parler. De cette approche de pacification de l'espace public, il ressort sans ambages que l'impunité et le pardon ne sauraient faire bon ménage. Pour garantir une réelle volonté de réconciliation, le Collège des Sages a recommandé que l'application de la catharsis commence par le premier responsable, le président du Faso lui suggérant de prononcer devant la nation un bref discours solennel dans lequel, en tant que premier responsable, il : - Assume l'entière responsabilité de ce qui s'est passé et qui traumatise le peuple ; - Demande pardon ; - Promet que de telles pratiques n'auront plus cours ; - S'engage à travailler à l'avènement d'une société plus humanisée et plus consensuelle. 2.3.1 L'acte de contrition du « chef »Contre toute attente, l'exécutif burkinabè a décidé de donner une suite favorable à cette recommandation en annonçant l'organisation officielle d'une journée de Pardon, le 30 mars 2001. La cérémonie a été officiée au stade du 04 Aout de Ouagadougou par l'archevêque de Bobo-Dioulasso, Mgr Anselme T. SANON. Ce jour là, devant le peuple tout entier, le président du Faso annonce : « Peuple du Burkina, en cet instant solennel, en notre qualité de président du Faso assurant la conduite de l'Etat65(*), nous demandons pardon et exprimons nos regrets pour les tortures, les crimes, brimades et touts les autres torts commis sur des Burkinabè par d'autres Burkinabè agissant au nom et sous couvert de l'Etat, de 1960 à nos jours » Cette confession, n'est pas tombée dans des oreilles de sourds. A la limite, elle a inspiré chez les plus sensibles uns sentiment d'émotion et de pitié, tant la symbolique de la cérémonie de cette journée du pardon était forte et c'est avec une sorte d'unanimité que la presse nationale l'a reconnue à travers ses titres et ses articles enchanteurs dont l'esprit se résume à peu près en ces termes ; « ...d'un coté, les représentants des trois principales confessions religieuses66(*) et ceux des autorités coutumières, soit douze personnes pour concélébrer cet office du pardon ; de l'autre, les 3 anciens chefs d'Etats et celui en exercice d'un blanc immaculé, la couleur de l'innocence et de la pureté pour quelqu'un qui a pourtant pas mal de choses à se reprocher et à se faire pardonner... ... Et c'est en véritable maître de cérémonie, en modérateur avisé, que le prélat distribuait la parole et faisait des commentaires d'une voix pastorale. Si l'on ajoute à cela le lâcher des pigeons blancs à défaut de colombes de la paix en fin de cérémonie, l'hymne aux morts de la fanfare militaire et la minute de silence à la mémoire des disparus, tous confondus sans être confondus (Mgr SANON dixit), la poignée de mains, accolades en sus entre les chefs d'Etats et les familles des victimes, l'on se rend compte que les concepteurs de ce cérémonial n'ont pas négligé l'enveloppe au détriment du contenu ». Que dire par ailleurs de l'acte de contrition du président du Faso qui, de l'avis général, fut un moment à forte charge émotionnelle. Et pour cause : il n'est pas dans les usages des sociétés africaines de voir le chef courber ainsi l'échine et se faire si petit. Un détail qui, aux yeux de M. Edouard OUEDRAOGO, directeur de publication du quotidien burkinabè l'Observateur, a également valeur de symbole : « vu ce que représente le chef en Afrique, l'opinion publique a été sensible à ce geste d'humilité »67(*). Cet exemple de la Journée de pardon est choisi ici à dessein parce qu'il constitue un fait inédit dans l'histoire politique du Burkina Faso où un pouvoir tout puissant s'amende publiquement, Blaise COMPAORE aura été précédé onze ans plus tôt dans cet effort d'auto flagellation par Mathieu KEREKOU du Bénin à qui la demande de pardon au peuple béninois au coeur des travaux de la Conférence nationale de février 1990 aura valu une amnistie politique. Au delà des spécificités nationales, ces cultes du pardon témoignent peu ou prou de la capacité des sociétés démocratiques africaines ou en voie de l'être, d'inventer des formes originales et endogènes d'exorcisme de la violence politique et de régulation de l'espace public en dehors, sinon en appoint aux modèles classiques hérités de la colonisation (parlement conseil économique et social, cour suprême, etc.). Explicitement ou implicitement, le coupable (le pouvoir) venait ainsi de se plier à la logique de vérité, justice et réconciliation en acceptant : - D'avouer et d'assumer publiquement son tort ; - De demander pardon à ses victimes ; - D'exprimer ses regrets ; - D'annoncer des réparations. * 64 http://home.planet.nl * 65 Le président Blaise COMPAORE avait à ses cotés trois anciens chefs d'Etat * 66 Catholiques, protestants et musulmans * 67 Propos recueillis lors d'un entretien avec M.E. OUEDRAOGO au siège du quotidien à Ouagadougou, le 21 mars 2003 |
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