C. Ouverture commerciale et environnement :
Afin de clarifier la relation entre ces deux variables, il est
utile de distinguer trois mécanismes qui surviennent suite à une
ouverture, soit les effets d'échelle, de composition et technique
[Grossman et Krueger (1993)].
Premièrement, l'effet d'échelle
(scale effect) capture la relation entre l'augmentation du
commerce et l'expansion de l'activité économique. Les
hypothèses sous-jacentes à cette relation sont que si la nature
des intrants à la production et la composition du panier de biens
produits demeurent inchangées, alors la quantité totale de
pollution générée devrait augmenter suite à
l'ouverture qui cause une augmentation de l'activité économique.
Ce mécanisme se rapproche de l'intuition des environnementalistes qui
plaident qu'une hausse du commerce accroît la pollution.
En second lieu, l'effet de composition
(composition effect) se base sur une approche Heckscher-Ohlin
conventionnelle selon laquelle une libéralisation du commerce
amène chaque pays à se spécialiser dans les secteurs
où il a un avantage comparatif. Le commerce
affecte alors la composition de la production. Ainsi, si nous
considérons l'environnement comme intrant dans le processus de
production, un pays avec une abondance relative en environnement va augmenter
sa spécialisation dans les biens intensifs en pollution suite à
une ouverture du commerce. À l'opposé, un pays qui importe un
bien polluant va voir la production de ce bien diminuer suite à la
libéralisation. Cette théorie fait référence
à l'appellation anglaise «pollution haven hypothesis
», selon laquelle les pays ayant des normes environnementales peu
contraignantes verront les firmes polluantes migrer vers leur territoire.
Toutefois, il est possible que les sources d'avantages comparatifs soient plus
« traditionnelles », c'est-à-dire les différences
relatives d'abondance en capital et travail. Low (1992) indique que la moyenne
pondérée des dépenses en contrôle et
réduction de la pollution dans les secteurs industriels aux
États-Unis n'est que de 0,54% des coûts totaux de production. Ceci
laisse présager que les firmes pourraient ne pas être
guidées en premier lieu par ce type d'avantage comparatif pour se
localiser. L'impact du commerce via l'effet de composition serait alors plus
ambigu, les dotations en facteurs telles que le capital et le travail seraient
alors les forces qui dictent le commerce international. Cette théorie
est connue sous le vocable de dotation en facteurs (factor endowment
hypothesis). En général, les pays en voie de
développement ont une abondance relative en travail par rapport au
capital. Ainsi,
une dégradation de l'environnement suite à
l'ouverture au commerce dans ces pays serait plus probable si les secteurs
intensifs en main-d'Suvre étaient polluants. En étudiant cinq
industries polluantes3, Tobey (1990) a démontré que
l'abondance relative en main-d'Suvre non-qualifiée a un impact
significatif sur les exportations nettes de biens polluants que pour une seule
industrie, soit celle des métaux non ferreux. Ce résultat nous
amène donc à croire que via l'effet de composition, les PVD n'ont
pas nécessairement un avantage comparatif pour la production de biens
polluants.
Le dernier mécanisme qui associe la mondialisation des
échanges à l'environnement est l'effet technique
(technique effect). Cet effet permet de prendre en
considération que l'extrant n'a pas besoin d'être produit par les
mêmes technologies suite à la libéralisation. Dans notre
cas, l'extrant de pollution par unité de production devrait diminuer et
ce, spécialement dans les PVD.
3Les industries polluantes sont définies comme
celles où les coûts de réduction de la pollution sont
supérieurs à 1,85% des coûts totaux. Tobey se base sur la
situation américaine où les secteurs qui correspondent à
ce critère sont l'industrie chimique, minière, des pâtes et
papiers, des métaux non ferreux et de l'acier.
Premièrement, les firmes étrangères
devraient transférer des technologies plus modernes dans
l'économie locale lorsque les restrictions sur l'investissement
étranger sont relâchées. Suite au courant de
sensibilisation environnemental et à la diminution des coûts, les
nouvelles technologies sont conçues de manière à
émettre moins d'émissions polluantes que les
précédentes. Ainsi, le degré de pollution par unité
de production est réduit. En second lieu, la théorie du commerce
international indique qu'une libéralisation engendre une hausse dans les
niveaux de revenus des différents pays participants. Si tel est le cas,
les électeurs vont demander une amélioration des normes
environnementales comme expression de la hausse de la richesse nationale.
L'hypothèse derrière ce raisonnement est qu'un
environnement sain est considéré comme un bien normal. Par
l'interaction de ces deux éléments, l'effet technique
résultera donc en une diminution de la pollution suite à
l'ouverture. Les résultats indiquent que peu de liens significatifs sont
trouvés entre une plus grande ouverture au commerce international et le
niveau de pollution. Pour expliquer la relation entre l'augmentation du
commerce et l'environnement, notre étude considérera ces trois
mécanismes.
Antweiler, Copeland et Taylor (2001) étudient les effets
du commerce sur l'environnement et sont les premiers ayant séparé
et testé économétriquement l'ampleur des trois effets :
d'échelle, de composition et technique. Ils concluent que la
libéralisation des échanges, en élevant l'échelle
de l'activité économique de 1%, contribue à l'augmentation
des concentrations de SO2 de 0,25 à 0,5% par l'intermédiaire de
l'effet d'échelle, mais son effet technique accompagnateur réduit
les concentrations de 1,25 à 1,5% de telle sorte que l'effet total est
finalement bénéfique.
Dean (1998) explique la non robustesse sur la relation entre
l'ouverture commerciale et l'environnement présentée dans la
littérature s'explique par une mauvaise spécification du
modèle. Elle avance la possibilité que la croissance du revenu et
la dégradation de l'environnement soient déterminées
conjointement. Dean estime donc un modèle à équations
simultanées pour permettre la présence d'effets dynamiques entre
la croissance du revenu et des émissions. Elle conclut que l'ouverture
aggrave directement l'environnement via l'influence de la
spécialisation, mais que cet impact négatif est
atténué par l'effet technique.
Dean (2002) développe un système de deux
équations simultanées pour estimer les effets de l'ouverture
économique sur la croissance des revenus et de l'augmentation des
derniers sur la pollution de l'eau dans les provinces chinoises entre
1987-1995. L'auteur trouve que
l'ouverture commerciale aggrave directement la pollution de
l'eau, mais l'atténue indirectement par l'intermédiaire de son
effet sur l'augmentation des revenus.
Frankel et Rose (2005) cherchent à déterminer
l'effet du commerce extérieur sur l'environnement pour le cas de
plusieurs pays. Ils considèrent trois types d'émissions
polluantes le SO2, le NO2 (le dioxyde d'azote) et les particules suspendues.
Ces variables endogènes sont expliquées par le revenu par
tête, le taux d'ouverture au commerce extérieur, ainsi que deux
autres variables non économiques: le régime politique et la
surface du terrain par habitant. Les résultats dégagés des
estimations économétriques, pour un grand nombre de pays,
montrent que le commerce tend à réduire les trois mesures
d'émissions polluantes : d'une manière plus significative pour le
SO2, moyennement pour le NO2 et plus faiblement pour les particules. Les
auteurs affirment, ainsi, que l'hypothèse des havres de pollution
n'existe pas, et que l'hypothèse de spécialisation de certains
pays dans la production sale se révèle incorrecte.
Saviotti et Pyka (2004) montrent qu'une prise en compte des
conditions environnementales dans un pays donné conduit à une
dynamique industrielle au niveau des entrées et des sorties des firmes.
Ces pressions environnementales augmenteraient l'innovation au niveau des
entreprises en matière de réduction de pollution à travers
l'amélioration de leur technologie productive. Collins et Harris (2005)
trouvent que les entreprises qui dépensent dans les activités
réductrices de pollution suite à l'ouverture, réduisent
probablement leur efficience technique. Ils expliquent cela du fait que ces
entreprises en Suvrant pour un environnement sain, baissent du coup leurs
investissements en matières intermédiaires, en capital toutes
choses égales par ailleurs.
Pour l'OCDE (1994), les échanges renforcent la
discipline du marché, laquelle réduit ellemême le
gaspillage et l'utilisation inefficiente des ressources
énergétiques. Les pressions commerciales peuvent donc contribuer
à la réduction de l'émission de certains effluents induite
par la croissance grâce à une spécialisation internationale
plus efficiente. La discipline qu'impose le marché international et les
signaux de prix non déformés accroissent l'efficience de
l'allocation des ressources et diminuent la pollution par
l'intermédiaire d'une tarification et d'une utilisation plus
économiques des ressources énergétiques (Lucas, Wheeler et
Hettige, 1992; Ten Kate et Draaisma, 1994). II s'agit d'une situation
«doublement gagnante ou ne laissant « aucun regret », puisque
l'environnement est
amélioré et le gâteau agrandi (Banque
mondiale, 1992).
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