Les implications juridiques du transfert des affaires du tribunal pénal international pour le Rwanda devant les juridictions rwandaises (article 11bis rpp-tpir)( Télécharger le fichier original )par Jean Maurice MUGABONABANDI Université Nationale du Rwanda - Licence en Droit 2008 |
CHAPITRE II. LES DÉFIS DU TRANSFERT DES AFFAIRES DU TPIR DEVANT LES JURIDICTIONS RWANDAISESCe chapitre se concentre sur l'analyse des conditions du transfert des affaires vers le Rwanda. Avant de nous concentrer sur le procès équitable et la non application de la peine de mort, nous examinerons en profondeur la condition implicite du transfert vers le Rwanda telle que la compétence du Rwanda de recevoir les actes d'accusation du TPIR. Nous examinerons enfin les conditions de détentions posées par la jurisprudence ainsi que la surveillance des procès délégués aux États. Section I : La compétence du Rwanda de juger les affaires du TPIR§I. Définition de la compétence
La compétence est définie comme le pouvoir ou l'aptitude d'une juridiction d'instruction ou de jugement déterminé à connaître le procès59(*). Les règles de compétences sont réparties en la compétence territoriale, la compétence matérielle et la compétence personnelle. L'Article 11 bis (A) mentionne les États pouvant recevoir les affaires60(*). Avant de renvoyer un acte d'accusation devant une juridiction nationale, la chambre désignée doit d'abord examiner si la législation de l'État de renvoi criminalise les faits allégués contre l'accusé et y prévoit les peines adéquates61(*). § II. La compétence territoriale du RwandaLe génocide rwandais a été commis sur le territoire rwandais et d'États voisins. Le TPIR est habilité à juger les présumés responsables de ces crimes62(*). Les juridictions nationales sont aussi compétentes pour les juger en vertu de la compétence concurrente, mais sous la primauté du TPIR63(*). Étant un pays où les crimes ont été commis, le Rwanda est désireux de juger les présumés génocidaires détenus par le TPIR. Ayant examiné les requêtes du Procureur à cet effet, les différentes chambres du TPIR notent unanimement que personne ne conteste la compétence territoriale du Rwanda pour juger les affaires transférées64(*). Cette juste décision est motivée par le fait que les actes d'accusation dirigés contre Youssuff Munyakazi, Gaspard Kanyarukiga, et Ildelphonse Hategekimana révèlent que les crimes qui sont allégués contre ces derniers ont tous été commis sur le territoire rwandais65(*). §III. La compétence matérielleContrairement à la compétence territoriale, la question de la compétence matérielle du Rwanda a été sujette à discussion. À la lumière de sa législation, le Rwanda, soutenu par le procureur du TPIR, a voulu prouver sa capacité de juger les affaires du TPIR66(*). Néanmoins, l'organisation non gouvernementale Human Rights Watch a mis en cause cette compétence sous prétexte que la législation rwandaise ne définit pas le crime de génocide67(*). Or, même si aucune loi ne définit le génocide, le Rwanda a ratifié la Convention sur la prévention et la punition du génocide de 194868(*). Cette Convention, comme les quatre Conventions de Genève de 1949 et leurs protocoles additionnels, étaient en vigueur au Rwanda en 199469(*). La Constitution de la République du Rwanda en vigueur prévoit que les traités ratifiés ont une valeur supérieure à celles des lois ordinaires70(*). À la lumière de cette législation, ces conventions sont incorporées dans la législation rwandaise avec une force considérable71(*) et ont eu un impact dans les procès du génocide au Rwanda72(*). En adoptant certaines lois criminalisant le génocide et autres crimes contre l'Humanité, le législateur rwandais fait référence aux différentes conventions internationales relatives à la répression et à la prévention du génocide73(*). Par conséquent, le Rwanda est matériellement compétent pour traiter les affaires du génocide74(*). Néanmoins, dans l'affaire Hategekimana, la Chambre part du silence des mémoires du procureur et de l'amicus curiae (Rwanda) sur la responsabilité du supérieur hiérarchique qui fait parties des accusations dirigées contre l'accusé, et en déduit que la législation rwandaise ne criminalise pas la responsabilité du supérieur hiérarchique ; et alors, ce vide juridique fut l'un de motifs de refuser le transfert 75(*). Le procureur a interjeté appel de cette décision et fait observer différentes lois incriminant la responsabilité du supérieur hiérarchique76(*). Il montre que la chambre devrait demander des éclaircissements sur ce point, au lieu de baser sur les suppositions erronées77(*). Sur ce point, le procureur avance que la jurisprudence du TPIR requiert que la chambre doive d'abord s'assurer que l'État de renvoi incrimine les faits allégués contre l'accusé78(*). Enfin et selon le Procureur, la chambre devrait se souvenir que le Rwanda a ratifié la Conventions sur le génocide de 1948, les quatre Conventions de Genève de 1949 et les protocoles additionnels de 1977, qui tous incriminent le supérieur hiérarchique79(*). Ainsi, comme prévue par la Loi Organique relative au renvoi d'affaires au Rwanda par le TPIR et autre États, et autorisé par la jurisprudence du TPIR et du TPIY, l'état de renvoi peut adapter l'acte d'accusation à la législation nationale80(*). Ces questions ont été posées en appel des décisions des chambres de premières instances. Les décisions de la Chambre d'appel sont pendantes. * 59 J. PRADEL, Procédure pénale, 10ème éditions., Paris, Cujas, 2000, p.76. * 60 Voy. art. 11 bis du RPP- TPIR déjà cité. * 61 Procureur c. Michel Bagaragaza, op.cit., note 5, par.9. Procureur c. Rahim Ademi et Mirko Norac, op.cit., note 40 pars. 32 et 46 : « la formation doit être convaincue que, dans l'éventualité d'un renvoi de l'espèce à la Croatie, il existerait un cadre juridique qui, d'une part, érige en crimes les actes reprochés à l'Accusé pour qu'il puisse être statué correctement sur les faits et, d'autre part, qui édicte des peines adéquates. Aussi la Formation de renvoi doit-elle examiner si les lois applicables aux débats devant la juridiction compétente en Croatie permettraient de poursuivre et de juger les Accusés et, s'ils sont déclarés coupables, de prononcer à leur encontre une peine adaptée aux types de crimes qui leur sont actuellement reprochés devant le Tribunal ». * 62 Voy. art 1 du Statut du TPIR déjà cité. * 63 Idem. art. 8. * 64 Procureur c. Yussuf Munyakazi, op.ci.t, note 6, par.16 ; Procureur c. Ildefonse hategekimana, op.cit., note 6, par. 14 ; Procureur c Kanyarukiga, op.cit., note 6, par. 9. Dans cette dernière affaires le Rwanda a indiqué l'article 6 al.1 du code pénal rwandais qui stipule que : « Toute infraction commise sur le territoire Rwandais par les Rwandais ou des étrangers est punie conformément à la loi Rwandaise, sous réserve de l'immunité Diplomatique consacrée par les conventions ou les usages internationaux ». * 65 Procureur c. Yussuf Munyakazi, op.cit., note 6, par.1; Procureur c. Gaspard Kanyarukiga, Affaire n° TPIR-2002-78-R11bis, Decision on confirmation of indictement against Gaspard Kanyarukia, 4 Mars 2002, Procureur c. Tharcisse Muvunyi et al. Affaire n°TPIR/OO/55/1, Decision to confirm the indictement against Tharicisse Muvunyi et al. 2 Février 2OOO. Signalons ici que l'acte d' »accusation contre Ildelphonse Hategekimana a été confirmé conjointement avec celui de Tharcisse Muvunyi et consorts car, ils étaient préalablement supposés d'être examinés dans la même affaire. * 66Procureur c. Gaspard Kanyarukiga, Affaire n° TPIR-2002-78-R11bis, Mémoire du procureur, par. 16 ; Procureur c. Gaspard Kanyarukiga, Affaire no TPIR-2002-78-R11bis, Amicus curiae, Mémoire de la République du Rwanda, paras. 11-16. * 67Procureur c. Ildelphonse Hategekimana, Affaire n°TPIR-00-55B-R11bis, Mémoire de Human Right Watch, paras. 18-24. * 68 Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948, ratifiée par le décret-loi n° 8/75 du 12 février 1975 in J.O.R.R. n°1975. * 69 Procureur c. Kanyarukiga, op.cit., note 6, par.16. * 70 Voy.art.190 de la Constitution de la République du Rwanda du 04/6/2003 telle que modifiée a nos jours, in J.O.R.R. n° spécial du 04/06/2003. * 71 Procureur c. Kanyarukiga, op.cit., note 6, par.16. * 72 Id. par.17. * 73 Loi Organique n°8/96 du 30/8/1996 sur l'organisation des poursuites des infractions constitutive du crime de génocide ou de crime contre l'Humanité, commise à partir de 1990 : « Considérant que le crime de génocide et les crimes contre l'humanité sont prévus notamment par la convention du 9 décembre 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, par la convention de Genève du 12 août 1949 relative à la protection des personnes civiles en en temps de guerre et les protocoles additionnels, ainsi que par la convention du 26 novembre 1968 sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité., considérant que le Rwanda a ratifiée tous ces trois traitées, et les a faits publiés au Journal Officiel sans toutefois prévoir les sanctions de ce crime ». * 74 Procureur c. Kanyarukiga, op.cit., note 6, par. 19; Procureur c. Ildelphonse Hategekimana, op.cit., note 6, par. 17 : «the Chamber is satisfied that Rwandan courts have subject matter jurisdiction over genocide and crimes against humanity». * 75Procureur c. Ildelphonse Hategekimana, op.cit., note 6, par.19: «Given the importance of command responsibility to the Amended Indictment, the Chamber is not satisfied that there is an adequate legal framework under Rwandan law which criminalizes Mr. Hategekimana's alleged conduct». * 76 Procureur c. Ildelphonse Hategekimana, Affaire n° 00/55B-R11bis, Mémoire du procureur en appel, 14 Juillet 2008 : le procureur montre que la loi Organique n°8/96 du 30/8/1996 sur l'organisation des poursuites des infractions constitutive du crime de génocide ou de crime contre l'Humanité, commise à partir de 1990, la loi Organique n° 16/2004 19/6/2004 du portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions gacaca chargées des poursuites et du jugement des infractions constitutives du crime de génocide et d'autres crimes contre l'humanité commis entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994. De ce fait, le TPIR a constaté la compétence du Rwanda de juger les affaires du génocide, l'article 18 de la loi Organique n°33Bis/2003 du 6 Septembre 2003 relative à la répression du crime de génocide, crime contre l'humanité et crime de guerre. * 77 Idem, par.18. * 78 Procureur c. Michel Bagaragaza, op.cit. , note 5, pars. 9, 17-18. * 79 Procureur c. Ildephonse Hategekimana,op.cit., note 76, pars.21-22. * 80 Idem,pars. 23-25. |
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