Les implications juridiques du transfert des affaires du tribunal pénal international pour le Rwanda devant les juridictions rwandaises (article 11bis rpp-tpir)( Télécharger le fichier original )par Jean Maurice MUGABONABANDI Université Nationale du Rwanda - Licence en Droit 2008 |
CHAPITRE I. FONDEMENT ET MISE EN OEUVRE DU TRANSFERT DES AFFAIRES DU TPIR DEVANT LES JURIDICTIONS NATIONALESÉlément substantiel de la stratégie d'achèvement des travaux du TPIR, l'idée du transfert des affaires du TPIR devant les juridictions nationales découle d'un contexte bien précis qui a motivé l'adoption d'un instrument juridique afin de donner une base légale à une procédure non prévue par le Statut du TPIR.. Dans ce premier chapitre, nous essayerons de relever les causes de l'adoption d'un texte prévoyant le transfert (Section I), son fondement juridique (Section II), et sa procédure devant le TPIR (Section III) Section I. Les causes de l'adoption d'un texte prévoyant le transfert
§I. L'achèvement du mandat du TPIRA. Origine de la stratégie d'achèvement du mandat du TPIR Au moment de la création du TPIR en 1994, aucune échéance n'était fixée pour lui permettre de remplir sa mission. Ni le Conseil de Sécurité, ni le Secrétaire Général des Nations Unies ne s'étaient prononcés sur un calendrier à respecter. Le TPIR, comme le TPIY, est un tribunal ad hoc. Ce terme signifie que la fermeture réside dans la nature même de cette institution. À ce propos, plus que des arguments juridiques, ce sont des considérations essentiellement politiques et financières qui ont dicté pour la première fois le débat relatif à la fermeture des tribunaux ad hoc. Plus longtemps ceux-ci fonctionnent, plus le budget ordinaire des Nations Unies est mis à contribution7(*).À la suite de la croissance budgétaire du TPIR et du TPIY, la communauté internationale a commencé à s'inquiéter de ce qui était perçu comme des lenteurs inadmissibles dans la tenue des procès, et de l'absence d'échéance fixée aux deux tribunaux pour achever leur mandat. En 1999, les Nations Unies ont mandaté un groupe d'experts pour évaluer le fonctionnement des deux tribunaux8(*). Celui-ci a mis sur table 46 recommandations visant à améliorer l'efficacité des Tribunaux9(*). Au même moment, le TPIY arrivait à la conclusion que ses travaux, en l'état et en tenant compte de la politique du Procureur, pourraient se prolonger jusqu'en 2016 si aucun changement n'intervenait10(*). Jusqu'ici et à notre connaissance, le TPIR n'avait pas officiellement démontré quand finiraient ses travaux. B. L'adoption de la stratégie d'achèvement du mandat du TPIR
Au mois de juin 2002, le TPIY adoptait la première version de sa stratégie d'achèvement. Le 23 juillet 2002, le Conseil de Sécurité, par une déclaration de son Président, endossait cette stratégie qui pourrait constituer dans la pratique le meilleur moyen de faire en sorte que le Tribunal soit en mesure d'achever ses jugements de première instance à l'horizon 200811(*). C'est l'Assemblée Générale des Nations Unies qui, la première, exigera du TPIR l'adoption d'une véritable stratégie d'achèvement. Au titre des discussions sur le budget du Tribunal, l'Assemblée Générale a invité le 20 décembre 2002 le TPIR à continuer d'agir en consultation étroite avec le TPIY pour élaborer et mettre en oeuvre une stratégie d'achèvement de ses propres travaux12(*).Cette stratégie figurera en annexe au Rapport du Secrétaire Général relatif au projet de budget pour l'exercice biennal 2004-200513(*). En 2004, le Procureur a élaboré un document intitulé « stratégie d'achèvement du mandat de TPIR ». La première version de la stratégie d'achèvement du TPIR prévoyait des délais différents de ceux du TPIY. Le document établissait en effet que les procès des accusés détenus pourraient se tenir jusqu'en 2007, les procès des accusés en fuite jusqu'en 2009, le procès des suspects non encore inculpés intervenant jusqu'en 201114(*). La stratégie d'achèvement prévoit également que le TPIR contribuera à renforcer les institutions judiciaires nationales auxquelles seront confiées les affaires15(*). C. Résolutions du Conseil de Sécurité des Nations Unies La Résolution 1503 du Conseil de Sécurité du 28 août 2003 va unifier le régime de fin de mandat des deux Tribunaux pénaux internationaux. Le Conseil y prie d'abord instamment le TPIR d'arrêter une stratégie détaillée, et de s'inspirer du modèle de la stratégie d'achèvement des travaux du TPIY, en vue de déférer devant les juridictions nationales compétentes, y compris au Rwanda, les accusés de rang intermédiaire ou subalternes pour être en mesure d'achever ses enquêtes au plus tard à la fin de 2004, tous les procès en première instance en 2008 et l'ensemble de ses travaux en 201016(*). Agissant au titre du Chapitre VII de la Charte, le Conseil demande au TPIR de prendre toutes les mesures pour mener à bien les enquêtes à la fin de 2004, achever tous les procès de première instance d'ici à la fin de 2008 et terminer ses travaux en 201017(*). En octobre 2003, le Procureur du TPIR, le Gambien Mr. Hassan Bubacar Jallow a fait observer devant le Conseil de Sécurité que les affaires qui n'étaient pas encore en cours de jugements pourraient raisonnablement être menées à terme dans les délais fixés par le Conseil de Sécurité dans sa Résolution 1503 (2003)18(*).
Cependant, une grande nervosité semble régner quant à la capacité des TPI à respecter les délais impartis19(*). Après avoir entendu les Présidents et Procureurs des deux TPI le 9 octobre 2003, le Conseil de sécurité se déclarait en effet préoccupé dans sa Résolution 1534 du fait qu'il ne sera peut-être pas possible aux Tribunaux de mener à bien les stratégies d'achèvement des travaux arrêtées dans la Résolution 1503 (2003)20(*). Le Conseil de Sécurité demandait alors aux procureurs des TPI de faire le point sur l'ensemble des affaires dont ils sont saisis, en particulier pour déterminer les affaires dont ils continueraient de connaître et celles qui devraient être déférées aux juridictions nationales compétentes, ainsi que les mesures qui devront être prises pour mener à bien les stratégies d'achèvement des travaux visées dans la résolution 1503 (2003)21(*).
Le Conseil de Sécurité par sa Résolution 1503 (2003) et 1534 (mars 2004) a donc entériné la stratégie d'achèvement des travaux du TPIR dans le but d'assurer la clôture progressive et coordonnée de la mission du tribunal en 2010. Selon le Conseil de Sécurité, tous les pays qui ont déjà ratifié la Convention sur le génocide et harmonisé leur législation, pourraient commencer à recevoir les dossiers des génocidaires du TPIR22(*). C'est suite à cette demande que le procureur du TPIR a commencé à requérir transferts de certains accusés vers différents États. Après l'adoption des précédentes Résolutions, on pouvait penser que le cadre temporel du TPIR était défini : les enquêtes devaient prendre fin au 31 décembre 2004 ; les procès de première instance devait être terminés à fin 2008; et les jugements en appel rendus en 2010. Néanmoins et récemment en 2008, les autorités du TPIR ont constaté l'impossibilité de respecter les délais préfixés pour mener à bien la stratégie d'achèvement de ses travaux. C'est ainsi qu'à la suite de la demande du Président du TPIR de prolonger le mandat du Tribunal, le Conseil de Sécurité a décidé de prolonger le mandat des juges permanents et des juges ad litem du TPIR jusqu'au 31 Décembre 2009, où avant cette date, si les affaires à traiter sont terminées23(*). En somme, le respect du calendrier dépend désormais de la capacité des juridictions nationales d'être saisies des cas des accusés de rang intermédiaire ou de moindre rang24(*) transférés par le TPIR. Le TPIR doit se concentrer sur les responsables des crimes les plus graves25(*) et renvoyer les affaires de moindre importance devant les juridictions nationales. C'est certainement dans cette logique que le Conseil de Sécurité a exigé des États qu'ils renforcent leurs législation26(*) afin d'assurer une transition plus souple de l'opération. Partant du calendrier imposé au TPIR, le procureur a juger bon de focaliser sa politique sur la nécessité d'impliquer d'autres États dans la répression des crimes de génocide et d'autres violations graves du droit international humanitaire.
* 7 Voy. Résolution A/RES/58/253 du 13 janvier 2004 de l'Assemblée Générales des Nations Unies: Et les sommes sont importantes et croissantes : Budget TPIY pour 1996 : 35 400 000 millions de dollars US$ (TPIY, rapport annuel 1996, A/51/292 - S/1996/665, § 132) ; budget TPIY pour 2004- 2005 : 298 226 300 US$ (Assemblée générale, Résolution du 23 décembre 2003 ; A/RES/58/255). Budget TPIR pour 1996 : 36 469 700 US$ (TPIR, 2ème rapport annuel, A/52/582-S/1997/868, § 66) ; budget TPIR pour 2004-2005 : 235 324 200 US$. * 8 Voy. Résolution A/RES/53/212 (1998) du 18 décembre 1998 de l'Assemblée Générale des Nations Unies. * 9 Assemblée Générale des Nations Unies, Rapport du groupe d'experts pour mener une étude sur l'efficacité des activités et du fonctionnement du Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie et le Tribunal Pénal International pour la Rwanda, 11 novembre 1999 (A/54/634). * 10 TPIY, 7ème rapport annuel (2000), introduction (A/55/273 - S/2000/777). * 11 Déclaration du Président du Conseil de Sécurité du 23 juillet 2002 (S/PRST/2002/21). * 12 Voy. Résolution A/RES/57/289 (2002) du 20 décembre 2002 de l'Assemblé Générale des Nations Unies. * 13 Rapport du Secrétaire Général des Nations Unies , Projet de budget pour l'exercice biennal 2004-2005 du Tribunal pénal international chargé de juger les personnes accusées d'actes de génocide ou d'autres violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais accusés de tels actes ou violations commis sur le territoire d'États voisins entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994, du 12 août 2003 (A/58/269), annexe A. * 14 Id. Par.3, qui ajoute : « le secrétaire général il manque quelque chose ici nombre de personnes qui pourraient être jugées dans ces deux groupes sera très probablement inférieur à 43. Par conséquent, les procès au Tribunal pénal international pour le Rwanda pourraient prendre fin plus tôt ». * 15Ibid., § 4. dans la (§ 6), les deux TPI étaient par ailleurs encore priés de fournir jusqu'au 31 mai 2004, puis par la suite de tous les six mois, des évaluations détaillant les progrès accomplis dans la mise en oeuvre des stratégies d'achèvement. * 16 Voy. Résolution S/RES/1503 (2003), op. cit., note 2, 8ème considérant. * 17 Ibid., § 7. * 18 Ibid., : « Le Conseil de Sécurité a demandé au Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie et au Tribunal pénal international pour le Rwanda de prendre toutes mesures en leur pouvoir pour mener à bien les enquêtes à la fin de 2004, achever tous les procès en première instance à la fin de 2008 et terminer leurs travaux en 2010 (stratégies d'achèvement des travaux), et a prié les présidents et les procureurs des deux tribunaux pénaux internationaux d'expliquer dans leurs rapports annuels au Conseil comment ils envisagent d'appliquer leurs stratégies d'achèvement des travaux respectives». * 19Pour DOMINIC RAAB, « Evaluating the ICTY and its Completion Strategy », JICJ 2005/1, p. 95, « It now seems probable, on the basis of the ICTY reports, that the ICTY will miss the 2008 deadline by several years ». * 20Voy. Résolution S/RES/1534 (2004) du 26 mars 2004 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, 8ème considérant. * 21 Ibid., par. 4 : Les deux TPI étaient par ailleurs encore priés de fournir jusqu'au 31 mai 2004, puis par la suite tous les six mois, des évaluations détaillant les progrès accomplis dans la mise en oeuvre des stratégies d'achèvement. * 22 Voy. Résolution S/RES/ 1503 (2003), op.cit., note 2. * 23 Voy. Résolution S/RES/1824 (2008) du 18 Juillet 2008du Conseil de Sécurité des Nations Unies. * 24 TPIR, Stratégie d'achèvement du mandat du Tribunal pénal international pour le Rwanda, annexe à la lettre datée du 30 avril 2004 adressée au Président du Conseil de sécurité par le Président du TPIR (S/2004/341), par. 48 : Pour déterminer s'il y a lieu de demander le renvoi d'une affaire devant une juridiction nationale, le Procureur examine, entre autres éléments, le rang social que l'accusé aurait eu à l'époque des faits et l'ampleur de sa participation au génocide, le lien qui le rattacherait à d'autres affaires, la nécessité de couvrir les principales zones géographiques du Rwanda, l'existence d'éléments de preuve tendant à établir la culpabilité de l'accusé, et l'existence d'éléments d'enquête susceptibles d'être communiqués à un État aux fins de poursuites devant les juridictions nationales. * 25 Ibid. * 26 Voy. Résolution 1503(2003), op.cit., note 2 : `Demande à la communauté internationale d'aider les juridictions nationales à renforcer leurs capacités afin qu'elles puissent connaître des affaires que leur auront renvoyées le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie et le Tribunal pénal international pour le Rwanda et invite les Présidents, les Procureurs et les Greffiers des deux Tribunaux à développer et à améliorer leurs programmes de communication'. |
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