Déroulement des séances
Monsieur N. se présente à l'atelier de
musicothérapie à la fin du mois de janvier 2007. Après un
premier entretien, il s'avère que sa personnalité timide et ses
difficultés relationnelles imposent à la musicothérapeute
une prise en charge en individuel. Il suit les séances de manière
régulière et spontanée, fait immédiatement preuve
d'intérêt et de bonnes capacités d'apprentissage. Il
s'initie au ukulélé, petite guitare hawaïenne à
quatre cordes, dont il retient trois accords fondamentaux qu'il est apte
à reproduire d'une semaine à l'autre. La musicothérapeute
remarque des compétences certaines d'imitation, d'assimilation et de
restitution. Souhaitant poursuivre son initiation au ukulélé en
développant une technicité instrumentale, et dans l'espoir de
pouvoir accompagner des chansons, il fait l'acquisition d'une petite guitare
hawaïenne. On relève alors dans le cadre de l'activité
musicothérapeutique des possibilités de
persévérance et une amélioration de l'estime de soi. Par
l'utilisation de son propre instrument de musique en dehors des temps de
séance, la musicothérapeute note une progression harmonieuse et
homogène.
A la suite de quelques mois de séances, en ayant pour
objectif de gagner davantage d'assurance en soi et de contenance face aux
autres, monsieur N. accepte de participer également à des
séances collectives. Il apprend à partager un moment
d'improvisation musicale ou de jeux musicaux avec ses pairs sans que quiconque
n'émette de jugement de valeur. Mis en confiance, il extériorise
ses sentiments et exprime ses émotions, dans un premier temps de
manière non-verbale. Des jeux d'expression de sentiments tels que le
bonheur, la tristesse ou la colère par l'intermédiaire d'un
carillon, d'une petite harpe celtique ou d'une timbale l'aident aussi à
émerger de son repli sur soi. Dans un second temps, l'émulation
du groupe contribue également à soutenir monsieur N. dans ses
efforts de communication et de transmission orale. Il émet ses propres
opinions et prend position lors de choix de musiques, s'intéresse
à toutes sortes de percussions ethniques: conga, bongo, surdo ou
djembé. Durant cette année 2007, et ce de manière globale,
sa sensibilité musicale, ses facilités d'apprentissage, et son
excellent sens du rythme lui permettent d'obtenir rapidement des
résultats valorisants.
L'année suivante, monsieur N. se résout à
montrer publiquement ses capacités musicales en se produisant en duo
(ukulélé-voix ou ukulélé-guitare) lors de diverses
animations intra muros tels que le noël des résidants ou la
kermesse annuelle et extra muros telle une représentation dans un foyer
pour personnes âgées. Ses débuts sont fébriles, ses
jambes et ses mains tremblent, mais l'accueil d'un public chaleureux tend
à le rassurer quelque peu. Ses « performances musicales » sont
plus qu'honorables, et le bénéfice qu'il semble en retirer sur le
moment s'avère très encourageant. Cependant, avec le recul, il se
plaint de ne pas s'habituer à ce stress, dit se sentir mal à
l'aise dans un corps étriqué et craint constamment de ne pas
être à la hauteur. Il se montre par ailleurs fort critique envers
lui-même, voire très sévère, et se rabaisse.
Néanmoins, il propose spontanément de créer des duos ou
des ensembles avec d'autres personnes en vue de préparer une
pièce musicale. D'abord d'aspect improvisé, elle prend ensuite
une forme plus cadrée, est travaillée et
répétée inlassablement jusqu'à ce qu'elle prenne un
sens esthétique commun à tous. Alors la musicothérapeute
trouve une opportunité à ce que l'oeuvre naisse publiquement. La
synthèse de cette période met en avant le courage et la
persévérance dont fait preuve monsieur N., malgré quelques
périodes d'abattement, des signes de fatigue corporelle et psychique.
Durant l'année 2009, monsieur N. poursuit des
séances de groupe. La musicothérapeute relève une
meilleure analyse des sensations éprouvées ainsi qu'une meilleure
expression des sentiments. Monsieur N. explique aisément les sensations
ressenties lors de la représentation publique : sur le mode physique par
des tremblements, d'un point de vue psychologique par le sentiment
d'appréhension éprouvé avant la représentation, le
soulagement perçu après celle-ci, ainsi que le stress ressenti
lors de la représentation elle-même. Il admet que ces
phénomènes le renvoient à l'estime qu'il a de lui ainsi
qu'à la crainte du jugement de l'autre. Le stress qui le gagne encore
incite la musicothérapeute à remettre en question
l'intérêt et l'impact de ce type d'exercice pour monsieur N.,
lequel, malgré de nombreux encouragements, ne peut améliorer
l'image qu'il a de lui-même. Lorsqu'il joue en public, elle remarque sa
position prostrée et souffre avec lui de son mal-être. Aussi
décide-t-elle de mettre entre parenthèses cette activité.
C'est sans compter sur la volonté du résidant qui réclame
à faire partie du spectacle. Par conséquent, ce
processus créatif destiné à émerger au reste du
monde est maintenu, et monsieur N. poursuit les séances collectives dans
ce contexte marqué également par la mort de son père. En
séance individuelle, une transition instrumentale s'opère.
Découragé par une forte sensation de stagnation et un sentiment
d'avoir atteint ses limites quant à l'apprentissage du
ukulélé, il délaisse cet instrument au profit du
djembé. La musicothérapeute décide de lui donner
l'opportunité de revenir à la source : au rythme, à la
pulsation de vie et de lui offrir la possibilité de se réinventer
musicalement, de se re-créer.
Ils abandonnent ensemble une période plus
mélodique, davantage harmonique et monsieur N. s'initie au
djembé. De par son tempérament, l'approche se fait douce et les
sons feutrés. L'instrument est plus imposant, et nécessite, pour
se faire entendre, de plus d'affirmation de soi que le petit
ukulélé, discret et peu sonore. Paradoxalement, le djembé
protège davantage celui qui en joue que le ukulélé qui
couvre à peine la largeur d'un bras. Peut-être mis à
nouveau en confiance, caché derrière le djembé, monsieur
N. « se lâche plus facilement », selon ses mots.
Néanmoins, l'apprivoisement est intellectuel, et il tient à
comprendre et à apprendre des rythmes à partir desquels, avec le
temps, de petites improvisations apparaissent. Cette période marque un
renouveau qui ne tarde pas à laisser la place à de nouvelles
expériences musicales. D'autres projets de vie pointent le bout de leur
nez, et la préparation d'un départ possible de l'institution
remet en question le temps imparti à la
musicothérapie au profit d'un travail en imprimerie.
Depuis 2010, monsieur N. ne participe plus qu'à une
séance collective de musicothérapie pendant laquelle il met
à profit l'apprentissage effectué du ukulélé et du
djembé. Avec sa petite guitare, il est apte à accompagner
certaines chansons françaises passant sur les ondes des radios (Toi
plus Moi, de Grégoire) et aime à accompagner la chorale au
djembé. Comme il s'intéresse également au piano et au
xylophone, la musicothérapeute lui propose d'improviser sur des
standards jazz (My baby just cares of me de Nina Simone). Le
violoncelle ne le laisse pas non plus indifférent, et les basses
résonnent sous ses doigts telle celles d'une contrebasse.
En synthèse des séances de monsieur N., la
musicothérapeute tient à relever qu'elle voit poindre le
processus suivant : par l'apprentissage advient une petite maîtrise de la
technique instrumentale, avec elle apparaît un peu plus d'assurance, avec
l'assurance et l'estime de soi se dessine le lâcher prise, avec le
lâcher prise surgit l'improvisation, et de l'improvisation naît la
créativité musicale.
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