Après avoir étudié sur un plan
théorique ces différents concepts, je vais me tourner vers les
professionnels et recueillir leurs témoignages concernant ce
sujet.ENTRETIENT AVEC LES PROFESSIONNELS DE SANTE :
I/ METHODOLOGIE :
- Guide d'entretien :
Suite à mes différentes recherches
théoriques, je me tourne à présent vers les professionnels
de santé qui pourront compléter mes recherches car ce sont eux
qui sont au coeur du problème et qui sont confrontés à ces
situations. A travers ces entretiens, l'objectif est de savoir comment les
soignants reconnaissent une situation de violence ? Comment
répondent-ils à une telle situation ? Comment gèrent-ils
une prise en charge psychiatrique en médecine ? Ces entretiens ont pour
but d'étayer et de confronter mes recherches bibliographiques à
l'analyse que je vais réaliser par la suite, afin de faire
évoluer ma réflexion.
Lieu d'enquête et professionnel choisi
:
J'ai choisi de réaliser mes entretiens dans
différents services de médecine sur le Centre Hospitalier
Universitaire d'Angers à savoir dans un service de médecine
interne (S1), un service de pneumologie (S2) et un service
d'hépato-gastroentérologie (S3). Je voulais faire mes recherches
sur la violence des patients envers les soignants dans un milieu que la prise
en charge n'est pas spécialisée dans ce domaine. C'est aussi
parce que c'est une prise en charge sur un moyen-long séjour où
la création de relation "durable" avec le patient semblerait plus
facilement réalisable. Aussi ma situation de départ se trouve en
médecine.
Je me suis entretenu avec différentes
infirmières d'âges et d'années d'expérience
diverses. (cf. Annexe II)
Construction du guide d'entretien :
J'ai décidé de recourir à des questions
ouvertes afin d'obtenir les réponses les plus riches possibles et les
plus personnalisées. (Annexe I)
Construction de l'analyse :
Par peur de jugement ou d'interprétation j'avais
décidé d'enregistrer mes entretiens. Seule une infirmière
n'a pas accepté d'être enregistrée. Chaque entretien a
été retranscrit. Toutes les réponses n'ayant pas
été abordées dans le même ordre, j'ai
décidé de les étudier en mettant en place un tableau
où j'ai regroupé chaque réponse obtenue par thème
correspondant à mon guide (annexe II).
Durant mon analyse je vais utiliser l'écriture en
italique pour citer les réponses des infirmières. Ces
dernières apparaîtront sous les désignations S1, S2 et
S3.
II/ ANALYSE ET CONFRONTATION :
En confrontant la recherche théorique aux
résultats des entretiens avec les professionnels interrogés, nous
constatons de nombreux points communs.
La théorie et la pratique se rejoignent sur le fait que
la violence des soignées sur les soignants est bel et bien
présente et qu'elle fait partie intégrante de l'hôpital.
L'infirmière S2 dit que " l'on reçoit à
l'hôpital tout le panel de ce qu'il y a à l'extérieur, on
est le reflet de la société." "ça appartient au monde des
soignants ". Même si la psychiatrie en elle-même n'est pas la
pathologie la plus évoquée lors de situation de violence, ce sont
tout de même toujours des pathologies associées au psychologique
qui sont retrouvées dans les entretiens, "Les personnes
âgées Démentes" pour la soignant S1. Les autres
soignantes évoquent aussi les pathologies additives relevant bien du
psychologique, "la drogue" pour l'infirmière S1 et les" des
alcoolisations." pour l'infirmière S2.
Après avoir effectué ce tableau je me suis rendu
compte que quelques approches émergeaient particulièrement des
entretiens et du cadre théorique.
A) Représentations sociales et prise en
charge :
Les représentations sociales du patient atteint de
pathologie psychiatrique se trouvant dans la théorie se vérifient
dans la pratique. En effet, les entretiens menés font ressortir les
notions de violence, de peur et d'appréhension. Pour la première
soignante, l'arrivé d'un patient psychiatrique veut dire prise de
précautions et c'est donc l'appréhension d'un tel patient qui se
confirme ici. L'infirmière S1 parle de " ne pas avoir nos objets
dangereux dans les poches car ils peuvent nous les prendre et nous blesser,
c'est arrivé de venir à deux, une fait les soins et l'autre est
spectateur mais reste à surveiller de manière a ce qu'il n'y ait
pas de violence.". A plusieurs reprises, la prise en charge d'un patient
atteint de pathologie psychiatrique fait référence rapidement
à la mise en place de contentions pour se protéger soi-même
et le protéger contre lui-même. Ceci nous montre bien que la
violence est intimement liée à la psychiatrie dans ces
représentations. On retrouve également la peur et la
difficulté de la prise en charge, pour la soignante S3 qui, à
l'arrivée d'un patient psychiatrique, se dit "holalala ça va
être difficile". Cette notion de difficulté est notamment
reliée aux difficultés organisationnelles pour ce genre de prise
en charge. Toutes ces notions peuvent être liées au fait que la
violence subie reste gravée et associée à un type de
patient. L'infirmière S1 dit que " le coup que l'on reçoit
entre en résonnance et se grave dans la mémoire et il dure, donc
après on est un peu plus sur ses gardes avec certains types de
malades".
B) Facteur organisationnel et économique sur
la prise en charge :
La prise en charge de patients atteints de pathologie
psychiatrique parait en général compliquée. Plusieurs
points sont relevés, dont certains non retrouvés dans mes sources
bibliographiques, sont évoqués dans les entretiens, à
savoir le manque de temps pour s'occuper de ce type de patient. En effet, la
soignante S2 nous dit que "Ce sont des gens qui en demandent beaucoup et
parfois on se sent agressé parce que leurs demandes sont incessantes et
du coup c'est pas facile pour nous de gérer." "Ce sont des gens qui
prennent beaucoup de temps" ou encore le manque de personnel.
L'infirmière S1 souligne que "l'on n'a pas assez de personnel pour
les surveiller, on n'a pas les moyens médicaux",
l'infirmière S3 illustre aussi que "l'on a 13 patients donc si
on commence à rester avec un plus particulièrement c'est beaucoup
plus dur." L'historique de la prise en charge des patients psychiatriques
en hôpital «général» nous rappelle que, par le
passé, ces patients étaient accompagnés par des
professionnels spécialisés ; ce qui résolvait le
problème de personnel et de temps. Aujourd'hui, les professionnels se
retrouvent seuls et démunis.
Au niveau de l'organisation, un point nouveau est
rapporté, celui des disparités entre les règles
hospitalières générales et les règles des
hôpitaux psychiatriques. Les infirmières précisent d'autre
part les conséquences de ces hospitalisations en service classique,
comme événements potentiellement déclencheurs de violence,
telles que la durée de l'hospitalisation, le changement d'environnement
: "l'envie de partir qui peut rendre violent"(S2), "c'est le fait de
changer de lieu et puis d'avoir peur et de décompenser en cours de
route."(S1)
Cet aspect parait avoir son importance pour une bonne prise en
charge d'un patient psychiatrique mais je ne pense pas que ce soit le principal
en ce qui concerne la violence du soigné vers le soignant.
C) Maltraitance d'institution à soignant et
prise en charge :
La maltraitance, dans les entretiens apparait sous un point
intéressant, celui de la maltraitance d'institution à soignant.
Parallèlement dans mon cadre théorique c'est plutôt la
notion de violence d'institution à soignant qui prime. Mais la
différence entre violence et maltraitance parait souvent assez
délicate. Cette notion de maltraitance d'institution est soulevée
particulièrement par une soignante et parait être un point non
négligeable pour une bonne prise en charge des patients atteints de
pathologies psychiatriques demandant, comme nous l'avons vu, beaucoup de temps
et de disponibilité. Elle dit à ce sujet que " les soignants
eux mêmes sont maltraités" "on ne respecte plus comme on
respectait avant les soignants et on a moins le temps de se parler, on est plus
à l'ordinateur, on est plus dans un rythme effréné de
soins, d'actes qui doivent être établis et cochés, on est
moins au lit du malade à parler avec le patient et on se parle moins
aussi entre soignants et c'est ça qui entraine de la maltraitance."
(S1) C'est cette maltraitance là qui peut-elle même engendrer une
prise en charge néfaste des patients et entraîner aussi de la
maltraitance du soignant sur le patient, pouvant générer en
retour une violence du patient à l'égard du soignant. C'est un
cercle vicieux. L'infirmière S1 rajoute qu' " il y a quand
même plus de maltraitance entre guillemet aujourd'hui"(S1).
D'après les définitions du cadre théorique, la
maltraitance arriverait après les premières réactions
à la violence. Dans les entretiens, la différenciation entre
violence et maltraitance est beaucoup moins évidente à faire car
pour l'infirmière S3, la maltraitance a une notion de hiérarchie.
Elle dit qu'" il y a la notion où on commence à placer une
hiérarchie, quand on commence à maltraiter ça veut dire
que la personne qu'on a en face de soi commence à se dire qu'on a de
l'emprise sur elle" et pour l'infirmière S2, c'est dans la violence
qu'est en place cette notion de hiérarchie. Selon elle, "la
violence peut aussi être morale, je suis en position dominante par
rapport à la sienne." Tout cela nous permet de confirmer que la
barrière entre maltraitance et violence n'est pas très
élaborée.
D) Communication et prise en charge :
Dans les entretiens, la place de la communication
soignant-soigné est importante dans la gestion de la violence, tout
comme dans mes lectures. De même, la communication semble être un
frein pour la prise en charge des patients atteints de pathologie
psychiatrique. En effet, l'infirmière S3 nous explique qu' "il y a
des situations qui ne sont pas gérables parce- que la personne n'a pas
forcément les capacités mentales et [...] dans ce cas là
je pense que ça ne sert pas à grand chose de rentrer dans cette
communication là"(S3). La communication avec ces patients est
difficile du fait de leur délire, de leur pathologie mais c'est cette
communication, comme nous l'avons vu, qui permet d'établir une relation
soignant-soigné. L'altération de la communication est donc un
frein à la relation soignant soigné et sans cette relation, la
confiance entre le patient et le soignant est difficile à mettre en
place. Sans cette confiance, la gestion de situations compliquées comme
la violence est plus délicate. La difficulté de communication
entre un patient et un soignant peut être une cause de violence qui
devient alors un moyen de communication pour les patients. En effet, elle peut
permettre au patient de faire ressentir sa souffrance et son mal être
comme l'explique l'infirmière S3 qui " pense que l'entrée
aussi en communication avec la personne, comment on rentre, comment on
s'exprime avec le patient ça agit pour beaucoup parce que du coup soit
on va amener un apaisement, soit on va amener une agressivité
supplémentaire". "C'est arrivé, un patient qui était [...]
violent verbalement parce-que c'est un patient qui a mal, qui souffre et qui
sait pas comment le retranscrire donc il est violent."
La communication soignant-soignée même si,
très importante à la mise en place d'une relation de confiance,
n'est pas à l'issue des entretiens menés, le point que je vais
développer dans ma problématique.
Il était possible de dégager d'autres approches
des entretiens et du cadre théorique, seulement, la restriction en page
de ce travail ne me permet pas de toutes les étudier. C'est pour cela
que pour ces approches je vais seulement les aborder et non les
développer.
- Formation infirmière et prise en charge
:
La formation infirmière qui est un point important
dans mon cadre théorique, n'apparaît pas un point essentiel sur le
terrain. Même si les infirmières avouent ne pas être assez
formées en sortant de la formation, comme le dit la soignant S3"
c'est des modules quand on n'a pas pratiqué.... on s'en
éloigne petit à petit", cela n'est pas le problème
principal dans la prise en charge de patient atteint de troubles psychiatriques
en service de soins généraux.
- Expérience et prise en charge :
Même si la formation semble bel et bien insuffisante,
pour les infirmières S1 et S2, l'expérience remplace ces lacunes.
L'expérience professionnelle est une notion absente dans mes lectures,
et pourtant cela peut être une notion importante dans la prise en charge
et dans la gestion de la violence. Comme le dit la soignante S1 " Quand on
est jeune professionnelle on est surement amer car on est activiste et puis
avec le temps " et bien il ne veut pas il en veut pas..."". La soignante
S2 rajoute à ce sujet qu'" on ne ressent pas la même chose
quand on a 25 ans que quand on en a 55 ans comme moi. Je prends beaucoup de
recul moi." On remarque donc que l'expérience a aussi un rôle
dans la prise en charge.
- Maladie et violence :
La notion de maladie apparait dans mes deux
parties. En effet, dans mes entretiens, la maladie est vue comme un
élément déclencheur de la violence irrévocable. La
soignante S2 nous dit bien que la violence peut venir "du fait tout simplement
d'être malade et nous bien portant". A travers cette phrase, la notion
d'infirmière comme rappel incessant de la maladie fait de nouveau son
apparition.
PROBLEMATIQUE:
Face à ces différentes approches
abordées, une en particulier, m'est apparue intéressante à
développer. En effet, on a pu remarquer que les représentations
sociales jouaient un rôle important dans la prise en charge des patients
atteints de pathologies psychiatriques. Ces représentations persistent
depuis des années malgré les changements de formation. Elles
envahissent le soin sans même que le soignant ne s'en aperçoive et
sans qu'il puisse rien y changer, elles sont inconscientes, elles prennent le
dessus sur les grandes théories qui veulent qu'être soignant c'est
n'avoir aucun à priori sur la personne que l'on soigne, c'est ne pas
juger, c'est laisser ses sentiments au pas de la porte. La
réalité est quelque peu différente.
Les représentations sociales ont de dangereux le fait
qu'elles puissent être un élément déclencheur d'une
violence de la part du patient.
C'est pourquoi cette approche me pose différentes
questions. Un soignant est-il capable de soigner avec ses
représentations sociales ? Les patients atteints de pathologies
psychiatriques bénéficient-ils des mêmes égards et
des mêmes soins qu'un patient dit "normal" ? Une prise en charge globale
est-elle possible chez les patients atteints de pathologies psychiatriques
sachant que la relation soignant-soignée est perturbé ? La
violence a t-elle un rapport direct avec les représentations sociales ?
Suite à ce questionnement, plusieurs mots clés
ressortent : prise en charge globale, représentations sociales de la
psychiatrie, violence, sentiments.
Ces interrogations et ces concepts m'amènent à
me poser la question suivante:
EN QUOI LES REPRESENTATIONS SOCIALES DES PATIENTS
ATTEINTS DE PATHOLOGIES PSYCHIATRIQUES PEUVENT- ELLES ENGENDRER DE LA VIOLENCE
DANS UN SOIN ?
En terme d'hypothèse face à cette question
centrale de recherche, je dirais que les représentations sociales
guident notre façon d'être et donc guident le soin. Elles peuvent
alors entrainer un comportement de défense chez le soignant comme une
prise en charge non plus de la personne elle même, mais d'un "malade
objet de soin". C'est ce statut qui peut être traumatisant pour le
patient et susciter à son tour de la violence.
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