Paragraphe 4 : La crise centrafricaine de 1996 à 2003
La crise centrafricaine de 1996 à 2003 a pour fondement
des revendications ethnico- corporatistes ayant fait l'objet d'une
récupération politique. En effet, l'élection
d'Ange-Félix Patassé à la présidence de la
République Centrafricaine en 1993 n'a fait que reproduire la trajectoire
politique habituelle en Afrique, par laquelle des groupes sociaux
définis principalement sur une base ethnique ou régionale se
succèdent au pouvoir (Zongola, 2003 : 03).
La première manifestation de cette crise est la
mutinerie du 18 au 22 avril 1996 au Camp Kassaï à Bangui.
Même si la raison avouée de cette mutinerie est le retard dans le
paiement des arriérés de solde des soldats, il faut y lire la
grogne des soldats d'origine Yokoma, l'ethnie de l'ancien président
Kolingba qui jouissaient, du fait de leur appartenance ethnique, d'un
traitement de faveur au sein de l'armée et qui sont
délaissés par le président Patassé. Ce dernier
leur préfère des soldats de sa propre tribu, les Saras, à
qui il octroie toutes sorte d'avantages. La mutinerie prit fin à la
suite d'un accord entre les mutins et les autorités du pays relatif au
règlement du problème des soldes impayés.
Les revendications des soldats n'ayant pas été
prises en compte, on assistera, un mois plus tard, c'est-à-dire le 18
Mai 1996, à une nouvelle mutinerie. Comme la première, cette
mutinerie est, en toute vraisemblance, liée à
l'irrésolution du problème des soldes et à celui de la
discrimination dont les soldats Yakomas se sentaient victimes. Mais, aux
revendications d'ordre corporatiste est venue s'ajouter une dimension
politique, les mutins et une grande partie de l'opposition réclamant la
démission du président Patassé. Contrairement à la
première, cette mutinerie sera plus dévastatrice causant
notamment des centaines de morts même parmi les civils et la destruction
de plusieurs entreprises économiques. La mutinerie prit fin le 5 juin
1996, suite à l'adoption d'un protocole d'accord politique (PAP)
prévoyant, entre autres, une loi d'amnistie générale pour
les mutins, la formation d'un gouvernement d'union nationale et un programme
minimum commun (PMC) de gouvernement. Malgré quelques marques de bonne
foi de la part du Président Patassé, perceptibles notamment dans
la nomination de Jean Paul Ngoupandé au poste de Premier Ministre et la
tenue des Etats Généraux de la Défense Nationale (EGDN) du
19 août au 9 septembre 1996, la situation ne s'améliore pas
à cause des réticences de certains barons du régime
Patassé déterminés à sauvegarder leurs
privilèges.
Cet atavisme dans la négociation et le processus de
sortie de la crise sera à l'origine d'une troisième mutinerie le
15 novembre 1996. Cette mutinerie sera caractérisée par une
généralisation et une radicalisation de l'ethnicisation
marquée par la constitution de blocs sur une base ethnique tant au sein
de l'armée qu'au milieu de la population elle-même. Suivant leurs
régions d'origine, les résidents de Bangui se regroupent en deux
zones antagonistes et font recours aux langues ethniques pour communiquer en
lieu et place du Sango, la langue nationale. L'armée elle-même est
divisée entre « loyalistes » et
« mutins ». Cette scission au sein de la population et de
l'armée perdurera jusqu'à la signature le 25 janvier 1997, des
«Accords de Bangui», signature qui marque en outre la fin de
la troisième mutinerie des FACA et constituaient un préalable
à la tenue des Conférences de Réconciliation Nationale
(CRN).
Mais, une fois politisée, la grogne des militaires
deviendra un conflit ouvert sur le partage du pouvoir entre le régime
Patassé et l'ensemble de l'opposition politique. Car les mutineries ne
furent qu'une manifestation, quoique brutale, de la crise de l'Etat en
général et de la résistance des détenteurs du
pouvoir à la démocratisation en particulier. (Zongola,
2003 :5). Le président Patassé et son entourage se sont en
effet rendus coupables du blocage du processus de réconciliation
nationale depuis les mutineries de 1996-1997. Qu'il s'agisse du partage du
pouvoir, du processus électoral, ou de la restructuration des forces
armées, le pouvoir usait de toutes sortes d'astuces pour rendre vains
les gains réalisés par l'opposition dans les négociations
sous la médiation internationale. Cet état de chose a rendu le
terrain propice à une nouvelle rébellion, celle du
Général François Bozizé qui, à la faveur du
coup d'Etat du 15 mars 2003 prendra le pouvoir à Bangui. Mais ce
changement à la tête de l'Etat a-t-il suffit pour apporter une
solution définitive à l'insécurité en
Centrafrique ? Quel fut l'impact de ce changement dans la
résurgence de groupes rebelles dans ce pays ?
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