Les notions d'identification et d'influence
L'étude portée sur l'influence et
l'identification des leaders d'opinion sur les réseaux sociaux virtuels,
nécessite un approfondissement préliminaire sur la manière
d'identifier les leaders d'opinion. Cette démarche permettra de mettre
en avant les différents aspects qui caractérisent les leaders
d'opinion. Dans un second temps, nous développerons la notion
d'influence que les leaders exercent sur les non leaders dans le cadre de la
consommation. Par ailleurs, nous mettrons en avant les différents
mécanismes précédent la formation de l'influence visuelle
et verbale.
L'identification : un processus complexe
L'identification des leaders d'opinion est un processus
complexe qui trouve son origine dans un ouvrage publié en 1955 par Katz
et Lazarsfeld. Ceux-ci identifient le leader d'opinion selon trois
dimensions : « qui suis-je ? » (traits de
personnalité), « qu'est ce que je connais ? »
(domaine d'expertise) et « quelles personnes je
connais ? » (position et visibilité sociale). Les
recherches étant axées sur l'identification des leaders
d'opinion, sont essentiellement issues des sciences politiques et du marketing.
Ce processus d'identification est considéré comme long et
fastidieux, mais au combien utile dans son champ disciplinaire. Par ailleurs,
les techniques d'identifications peuvent varier selon le contexte. En effet,
qu'on soit en face d'un produit technique ou d'un produit alimentaire, les
caractéristiques propres aux leaders seront différentes. Pour le
premier, l'expertise devrait figurer parmi les caractéristiques du
leader, alors que pour le second cette caractéristique est beaucoup
moins évidente.
A la lecture des différents travaux qui mobilisent la
notion de leader d'opinion, Eric Vernette et Laurent Flores l'identifient en
fonction de son profil de consommation de média (2004). En effet, suite
à une étude empirique réalisée sur 27
catégories de produits, les auteurs montrent que les leaders ont un
profil de consommation de média et de support significativement
différents des non leaders. Le média privilégié des
leaders d'opinion français est la presse magasine qui obtient un score
d'affinité sur la cible des leaders de (117). Juste derrière on
trouve la presse quotidienne avec un score de (112) qui précède
la radio avec un score de 104. En revanche, en ce qui concerne la
télévision, les leaders ne la regardent pas davantage. Les
résultats de cette étude peuvent être comparés
à plusieurs définitions précédemment parues dans la
littérature. Selon King et Summers la définition du leader
d'opinion est la suivante : « La capacité à donner
des informations sur un sujet et le fait d'être sollicité par son
entourage sur ce sujet ». Mowen (1995), donne une définition
relativement proche qui est : « Une personne qui fournit plus
souvent des informations que les autres. Un consommateur qui influence les
décisions d'achat des autres ». Ici, la notion mise en avant
par les deux auteurs, est le fait que les leaders fournissent et donnent des
informations aux non leaders. Cette notion, rapportée à
l'étude d'Eric Vernette et Laurent Flores est intéressante,
puisqu'elle montre que les leaders consomment des médias et transmettent
les informations enregistrés dans ces médias au non leaders.
Certains auteurs parlent également de l'implication des
leaders d'opinion. Selon Venkatraman (1999), le leader s'implique durablement
dans la catégorie de produits. Dans son étude, il obtient des
corrélations entre l'implication et le leadership variant selon les
produits de 0.34 à 0.55. De plus, selon une étude
réalisée par Eric Vernette et Schmutz (2000), 16% des leaders le
sont dans plus de 4 catégories de produits. Ce phénomène a
également été mis en avant au travers d'une étude
empirique de King et Summers (Overlap of Opinion Leadership Across Consumer
Product Categories), dont l'échantillon était composé de
976 personnes. Cette étude révèle que 46% des individus
identifiés comme leader, le sont dans deux catégories de produit
ou plus. Que 28% des leaders, le sont dans trois catégories de produit
ou plus. Et que 13% des leaders, le sont dans quatre catégories de
produits ou plus. Par rapport à ces deux études, on peut conclure
que les leaders d'opinion sont impliqués dans plusieurs
catégories de produits. Par ailleurs, l'étude de King et Summers
nous apporte des informations supplémentaires. Sur les 976 individus que
contenait l'échantillon de base, seul 31% sont identifiés comme
leaders d'opinion. De plus, l'étude montre que lorsque les individus
sont leaders dans plusieurs catégories, celles-ci se chevauchent et
impliquent des intérêts similaires. Qui plus est, l'observation de
certains groupes virtuels montre que certains individus interviennent plus
fréquemment et plus durablement que d'autres, échangent avec un
plus grand nombre d'internautes (Stambouli K et Briones E ; 2002). Cette observation
rejoint les dires de Venkatraman (1999) avec l'implication dans le temps.
Cependant, dans cette observation, la notion de fréquence apparaît
ainsi que la notion de sphère d'échange. Cette notion de
fréquence est particulièrement importante lorsqu'on se place sur
les réseaux sociaux virtuels. En conclusion, l'implication des leaders
d'opinion peut être éclaircie selon trois aspects. Le premier
aspect est d'ordre temporel avec une implication qui dure dans le temps. Le
second aspect, est le nombre de produits dans lesquels les leaders
s'impliquent. Le dernier aspect, concerne la fréquence, mais celui-ci
peut être propre aux réseaux sociaux virtuels.
Une autre dimension à prendre en compte concernant les
leaders d'opinion, c'est le fait qu'ils sont sollicités davantage par
leur entourage. Selon une étude parue dans une revue non
académique (eMarketer), 76% des consommateurs sollicitent l'avis d'un
ami avant d'acheter un nouveau produit, 68% se fient à une
expérience précédente avec l'entreprise, 22% se fient
à des recommandations publiées dans les journaux ou dans les
magasines, 15% se fient à la publicité et 8% se fient aux
informations disponibles sur le site web de l'entreprise. La tendance mise en
avant dans cet article, peut être mise en relation avec la
définition de King et Summers de 1970 : « la
capacité à donner des informations sur un sujet et le fait
d'être sollicité par son entourage sur ce sujet ».
Autrement dit, le leader d'opinion peut être identifié comme une
personne étant sollicitée par son entourage sur un sujet
donné.
Si on met cette définition en relation avec
l'étude d'eMarketer, on peut déduire que parmi les amis
sollicités avant l'achat de bien, il y'aura un nombre important de
leaders d'opinion.
Cette définition de 1970, s'inscrit dans le contexte
de l'époque où le cercle d'amis était relativement proche
géographiquement. Aujourd'hui, cette limite géographique a
disparue avec l'émergence des sociétés de consommation.
Autrement dit, la sphère de sollicitation à fortement
évoluée.
Cet aspect de sollicitation est à mettre en relation
avec les notions de crédibilité et d'impartialité. Selon
Engel, Blackwell et Miniard 1995, le leader d'opinion est une personne
crédible auprès de laquelle un consommateur s'enquiert de
conseils pour des biens et services. Plus la crédibilité est
grande, plus l'influence est forte. Par ailleurs, selon Herr et Al. (1990) les
jugements du leader d'opinion paraissent plus crédibles qu'une
publicité parce qu'ils sont considérés comme impartiaux.
Autrement dit, les leaders d'opinion sont sollicités par leur entourage
parce qu'ils apparaissent comme crédibles et impartiaux. Leurs conseils
sont désintéressés contrairement à la
publicité. Ici, on observe bien le rôle de la
crédibilité et de l'impartialité qui se place en amont de
la sollicitation. De plus, l'aspect d'impartialité sera
particulièrement intéressant à analyser sur les
réseaux sociaux virtuels ou les impostures sont facilitées.
D'autres caractéristiques peuvent être
identifiées chez le leader comme l'expertise. Les recherches montrent
que l'expertise et la confiance sont les deux dimensions qui expliquent le
mieux la crédibilité d'une source. Selon Eric Vernette (2006)
dans son texte intitulé « Une nouvelle vision du leader
d'opinion en marketing : une approche
phénoménologique », la crédibilité ne
s'appuie pas nécessairement sur une expertise technique, mais
plutôt sur une grande familiarité avec les marques et les
produits. Le leader n'est pas, de prime abord, un expert au sens d'Alba et
Hutchinson (1987), car il ne dispose pas d'un savoir procédural
particulier. Il est familier avec les marques car il en a essayé un
grand nombre. De plus, il connaît les nouveautés.
Néanmoins, il se rapproche par d'autre cotés de l'expert, dans la
mesure où il connaît les registres les mieux adaptés
à la consommation des marques. Pour chaque occasion (ou
expérience) de consommation, il saura conseiller la bonne marque. Il
fait découvrir les marques et les replace dans leur domaine
d'expérience. Cependant, cette caractéristique peut être
plus ou moins présente en fonction de la technicité des produits.
En effet, la nature de l'objet est très importante. Pour conclure,
l'expertise est liée à d'autres caractéristiques du leader
d'opinion comme par exemple la crédibilité. C'est d'ailleurs
l'expertise qui rend crédible le leader d'opinion pour une
catégorie de produit donné. Cette expertise cumulée
à la crédibilité va faire en sorte que le leader est
sollicité d'avantage qu'un non leader.
Qui plus est, il existe également d'autres aspects pour
identifier les leaders d'opinion, comme par exemple les traits physiques ou
psychologiques. En effet, selon certains auteurs il serait possible
d'identifier les leaders d'opinion en fonction de leurs traits psychologiques.
En effet, ceux-ci présentent des caractéristiques communes,
telles que la capacité de se différencier des autres, la
volonté d'agir différemment (Chan et Misra,1990). De plus, selon
Weimann (1994) le leader se distingue des autres par une « force de
personnalité » supérieure à son entourage. Ces
aspects sont intéressants lorsqu'on se situe dans un contexte familial
puisque les traits psychologiques sont relativement faciles à
identifier. Donc, de prime abord cela serait facile, mais replacé dans
un contexte de société d'information, la chose se complique. En
effet, avec l'émergence des technologies de l'information et de la
communication, les leaders interviennent sur des forums ou encore des blogs.
Donc, leur identification par ce moyen sera relativement difficile.
Par ailleurs, il est possible d'identifier les leaders
d'opinion en fonction de leur aspect physique. Selon Dion et Al. (1972) les
individus tendent à former des stéréotypes positifs envers
les personnes physiquement attractives. Elles sont jugées plus
chaleureuses, sensibles, empathiques et plus heureuses que les autres. Ici,
nous rencontrons le même problème que précédemment,
puisque cet aspect sera difficile à prendre en compte sur les blogs et
les forums. C'est pourquoi, nous ne prendrons pas en compte cet aspect.
Pour finir, les travaux de psychologie sociale (Valente,
1996 ; Burt, 1999 ; Sempré, 2000) montrent que le leadership
se concrétise par une insertion et une position spécifique dans
plusieurs réseaux qui conduisent à une exposition sociale
marquée. Cet aspect est intéressant dans notre cadre de recherche
puisqu'il sera possible d'identifier les leaders sur la toile en fonction de
leur insertion dans les réseaux et de leur position sociale
marquée.
En conclusion, ces différentes approches mettant en
avant les caractéristiques des leaders d'opinion sont des outils
efficaces permettant de les identifier. Ceux-ci peuvent être
identifiés en fonction de leur implication, de leur expertise, de leur
profil de consommation de média, de leur crédibilité et
des sollicitations dont ils sont l'objet dans leur sphère. Par ailleurs,
il existe également d'autres moyens pour identifier les leaders
d'opinion. Ceux-ci se rapportent aux traits psychologiques, physiques et
à l'exposition sociale. Cependant, il est difficile de prendre en compte
la totalité de ces aspects pour identifier les leaders d'opinion. En
effet, certains aspects seront plus marqués que d'autre en fonction du
contexte. En effet, si on se place sur les réseaux sociaux virtuels,
certaines caractéristiques vont être très difficile
à identifier comme les traits psychologiques ou encore les traits
physiques. Pour la dernière citée, cela est extrêmement
difficile, puisque sur le net les intervenants ne se voient pas. Cette
première partie de la revue de littérature nous informe que
l'identification des leaders d'opinion est toujours d'actualité.
Cependant, cet aspect n'est pas abordé en ce qui concerne les
réseaux sociaux virtuels. Seul Stambouli K et Briones E en 2002
nous indiquent suite à leur observation sur le net que certains
individus interviennent plus fréquemment et plus durablement que les
autres. Ces mêmes individus échangent également avec un
nombre plus important d'internautes. L'observation que nous effectuerons
portera sur la fréquence des interventions. Une fois, le processus
d'identification des leaders éclairé, il convient à
présent de s'intéresser à la manière dont les
leaders influencent sur le net.
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