LE COTON ET L'HYPOCRISIE DES PAYS RICHES
Mémoire de Politique
Macroéconomique
Oumar Fakaba SISSOKO Etudiant en Master II à
l'université de Paris X Nanterre
Economie Internationale, Politique
Macroéconomique et Conjoncture(EIPMC)
Pour beaucoup, la conférence interministérielle
de Cancún en septembre 2003 marque un tournant dans les relations
Nord/Sud. C'est à cette occasion que quatre pays africains producteurs
de coton (à savoir le Mali, le Tchad, le Benin, et le Burkina Faso)
déposent un texte devant l'OMC intitulé : "Réduction de la
pauvreté : initiative sectorielle en faveur du coton", où ils y
dénoncent les politiques agricoles des pays riches basées sur les
subventions. En effet, ce texte fait suite à la grave crise du secteur
cotonnier de 2001/02, qui a vu les cours du coton chuter à un prix
historiquement bas : 42$ la livre. Cela a eu pour effet de ruiner nombre de
petits producteurs africains qui, contrairement aux producteurs des pays
riches, ne bénéficient pas d'aides au soutien des prix. Or, c'est
là le problème que dénonce particulièrement ce
texte : les subventions octroyées par les USA et l'UE à leur
secteur cotonnier. En subventionnant leur coton, ces deux pays créent
des distorsions à l'échange : ils provoquent l'effondrement des
prix mondiaux, et ils rendent leurs producteurs compétitifs au niveau
mondial (alors que sans subventions ils ne le seraient pas). C'est pourquoi ces
pays africains ont demandé à l'OMC la réduction
progressive jusqu'à élimination des subventions du secteur
cotonnier aux USA et à l'UE.
Bien qu'à l'époque on ait pu parler de
"révolte des pays pauvres", le Brésil allant même
jusqu'à porter plainte avec l'appui des quatre pays africains, devant le
ORD (organe de règlements des différents), force est de constater
que cinq ans après, les choses n'ont en rien changé : les
subventions continuent à battre des records. Malgré les
déclarations de principes que les USA et l'UE ont formulées, on
comprend aisément que le problème n'est pas le secteur cotonnier
en soi mais l'éventuelle remise en cause des politiques agricoles des
pays développés. Abolir les subventions pour les producteurs de
coton entrainerait indiscutablement certains pays (Brésil, pays de
Cairns) à demander une abolition des subventions dans tous les produits
agricoles, or l'UE et les USA n'y sont absolument pas disposés car
l'autosuffisance alimentaire que leur assurent ces politiques est
stratégique (on le voit encore mieux aujourd'hui avec les
"émeutes de la faim"), et parce que l'agrobusiness dans ces pays est un
secteur très important de l'économie et un lobby très
puissant. On voit ici combien le problème dépasse le simple cadre
du coton, et s'inscrit bien dans le cadre du cycle de Doha et des
problèmes sur la libéralisation agricole.
L'objectif de notre mémoire est multiple. Nous voulons
y mener une étude économique sérieuse qui a pour but de
mettre en lumière un produit particulier : le coton. Toutefois, ce
produit n'est qu'un "prétexte" à l'étude des politiques
économiques qui sont menées au niveau international (même
si leur cadre d'étude reste le celui du coton). Par ailleurs, nous avons
aussi voulu montrer quels impacts ces politiques pouvaient avoir, et plus
particulièrement sur des pays peu développés qui tentent
d'amorcer leur décollage économique par l'insertion dans le
commerce international (dans notre sujet, les pays africains producteurs de
coton). Enfin, la démarche scientifique que nous avons tenté
d'adopter ne nous empêche en aucun cas de formuler des critiques, en
particulier face à l'encontre des politiques économiques
menées par les pays dominant l'économie mondiale (d'où le
titre de notre mémoire).
Notre approche se décomposera en trois parties
distinctes. Dans la première partie, nous mettrons en relief la place du
coton dans l'économie mondiale ainsi que dans l'économie des pays
d'Afrique de l'Ouest. Dans un second temps, nous allons nous intéresser
aux politiques économiques menées en faveur du coton, et plus
particulièrement dans les pays développés. Enfin, pour
terminer nous aborderons les problèmes politiques et économiques
qu'entrainent ces politiques économiques, plus particulièrement
dans les pays d'Afrique de l'Ouest.
I. LE COTON DANS L'ECONOMIE MONDIALE.
Le cotonnier (genre Gossypium, famille des Malvaceae) est un
arbuste originaire de l'Inde. Ce dernier est cultivé dans de nombreux
pays chauds pour les fibres qui entourent les graines lorsque le fruit arrive
à maturité. On dénombre une trentaine d'espèces
sauvages et quatre espèces cultivées : Gossypium arboreum,
Gossypium herbaceum (coton dit indien à fibres épaisses et
courtes), Gossypium barbadense (coton égyptien à fibres longues
et fines), Gossypium hirsutum (espèce la plus couramment cultivée
à fibres de taille moyenne).
Il faut savoir que l'origine du coton est très
ancienne, des scientifiques ont retrouvé au Pakistan des fragments de
tissus datant de 8000 ans avant J.C. Dès le VIIe siècle, les
conquêtes arabes diffusent l'usage du coton en Afrique du Nord et en
Europe. Le commerce entre l'Europe et l'Inde prend une nouvelle dimension
notamment grâce à l'ouverture de la route des Indes par Vasco de
Gama en 1497. Avec l'invention du métier à tisser de Jacquard, le
coton participe à la Révolution industrielle européenne.
La culture du coton commence aux alentours du XVIIe siècle dans le sud
des Etats-Unis. La production américaine augmente rapidement, ce qui
nécessite de plus en plus de main d'oeuvre et qui contribue donc
à l'augmentation du nombre d'esclave jusqu'à l'abolition de ce
dernier en 1865. On perfectionne alors la filature et le tissage.
Période de semis
Période de récolte
De nos jours le coton est utilisé dans des domaines
divers. Les trois principaux débouchés du coton-fibre sont :
l'habillement (la confection) pour environ 60% des utilisations totales de
coton, suivi de l'ameublement (environ le tiers) et des vêtements
professionnels pour environ 5%. En plus de ces domaines d'applications, le
coton se retrouve dans le secteur médical notamment avec la fabrication
des cotons tiges, des compresses de gaz... . Le schéma suivant montre
les différentes applications de la fibre de coton.
Le coton sert aussi à la production d'huile
alimentaire, qui est obtenue à partir des tourteaux de coton. La
consommation d'huile de coton s'est retrouvée au cinquième rang
mondial sur la période 1961-2003, avec une part de marché
d'environ 8%, ce qui équivaut à la part de marché de
l'huile d'arachide. Dans les pays d'Afrique de l'ouest (Mali, Togo, Benin,
Burkina Faso) l'huile de coton représente la première source de
matière grasse consommée. En outre, les cinq premiers producteurs
d'huile de coton sur la période 1995-2003 ont représenté,
de manière agrégée, environ 70% de la production mondiale
(quatre d'entre eux sont des pays en développement et/ou en transition :
:
-la Chine : 27%, - les États-Unis : 12%, -
l'Ex-URSS : 10% (dont : Turkménistan : 10% et Ouzbékistan : 72%,
Tadjikistan : 8%, Kazakhstan : 6%), - l'Inde : 11%, -le Pakistan : 9%.
La production mondiale de coton fibre est d'environ 26
millions de tonnes en 2005 ce qui est plus du double des années 1960.
Cette production mondiale est largement dominée par la Chine, les
Etats-Unis et l'Inde avec respectivement une part de marché de 28%, 17%
et 12%. Ces trois pays représentent environ 60% de la production
mondiale en 2005. Pris séparément, les pays d'Afrique de l'Ouest
n'ont pas une production significative par rapport aux grands producteurs que
sont la Chine et les Etats-Unis. Mais si on les réunit comme une seule
entité, les pays de l'Afrique de l'Ouest représentent 5% de la
production mondiale (environ 1 million de tonne de fibre de coton par an)
et 17% à 22% (selon les années) des exportations. Cela les place
au cinquième rang mondial en termes de production, et la
deuxième ou troisième place en termes d'exportations. Le tableau
ci-dessous nous donne les différents volumes de productions et
d'exportations pour plusieurs grands pays producteurs de coton.
Principaux pays producteurs
Du point de vue de la consommation, la Chine, l'Asie du Sud et
l'Asie de l'Est sont les plus gros consommateurs et importateurs de coton (bien
que produisant 50% du coton mondiale). Ceci peut s'expliquer par la
spécialisation de leur production : en effet après s'être
insérés dans le commerce international, les pays asiatiques se
sont spécialisés dans le textile, ils représentent
d'ailleurs aujourd'hui plus de 50% de la production mondiale et des
exportations mondiales de textiles et d'habillement. Aussi est-il normal que
les flux de fibres textiles (le coton ne faisant pas exception) se dirigent
vers les pays d'Asie. C'est ce que nous montre la carte ci-dessous.
Principaux flux d'exportations de coton dans le
monde
Après avoir abordé la place du coton dans
l'économie mondiale, nous allons maintenant nous intéresser plus
particulièrement à une région productrice de coton,
l'Afrique de l'Ouest.
La culture du coton est très importante dans
l'économie des pays d'Afrique de l'Ouest, et plus
particulièrement au Bénin, au Mali, au Tchad, et au Burkina Faso.
Pour ces pays, le coton est l'une des principales exportations, on remarque
ainsi que selon les années, les revenus du coton représentent 40%
des revenus à l'exportation du Bénin ou du Burkina, alors qu'ils
comptent pour 30% des recettes au Mali et au Tchad. De la même
manière, le coton est essentiel dans la constitution du PIB de ces pays.
Elle varie de 5 à10%. Afin de que le lecteur puisse se faire une
idée des montants et de la part relative du coton dans les
économies africaines, nous avons décidé de
présenter le tableau suivant.
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