Amoralité et immoralité chez Aristote et Guyau. Une herméneutique du sujet anéthique( Télécharger le fichier original )par Hans EMANE Université Omar Bongo - Maitrise 2009 |
TROISIEME PARTIE :AMORALITE ET IMMORALITE CHEZ GUYAUIII.1. ELEMENTS BIOGRAPHIQUESVoilà un philosophe étrange, singulier, inclassable, presque inconnu du grand public et même des philosophes qui le lisent et ne le convoquent que rarement. Tombé de nos jours dans l'oubli, Jean-Marie Guyau est l'un des philosophes français les plus originaux de la seconde moitié du XIX siècle comme en témoigne Georges Edward Moore dans ses Principia Ethica en 1907, et assurément l'un de ceux qui méritent d'être redécouvert. Jean-Marie Guyau est né à Laval, en France en 1854. Il est le fils de la romancière Augustine Tuillerie qui, à la mort de son époux, se remaria avec le philosophe français Alfred Fouillée. C'est en ces termes élogieux qu'il décrit l'adolescent Guyau de l'époque : «Il avait quinze ans lorsque je faillis perdre la vue après l'excès de travail occasionné par des mémoires successifs sur Socrate et Platon ; je fus pendant de long mois, condamné à ne rien lire, à ne rien écrire. C'est alors que le jeune Guyau me prêta ses yeux ; fit pour moi recherche et lecture, écrivit sous ma dictée, ajouta dans mon travail ses réflexions aux miennes, parfois ses phrases aux miennes. Il platonisait déjà avec une élévation d'esprit et une pénétration incroyable chez un adolescent. Aussi ai-je dédié à sa mémoire mon livre sur La Philosophie Platon268(*) ». Passionné de poésie et de philosophie, il lit la plupart des grands textes avec une préférence pour Epicure, Epictète, Corneille, Kant, Hugo, Lamartine, Chateaubriand, De Musset, Von Hartmann et Spencer. Licencié es Philosophie-Lettres à 18 ans, il traduit durant cette période le Manuel d'Epictète ; il est séduit, conquis par le Stoïcisme impériale ou romain, par l'image stoïque, impassible voire héroïque du sage stoïcien, qui lui inspire ce qu'il appellera « sa résistance souriante » à la phtisie (tuberculose) qui allait l'emporté à l'age de 33ans. Il fit précédé sa traduction d'une pénétrante et éloquente analyse de la philosophie stoïcienne. A 19 ans, il fut couronné par l'Académie des Sciences morales et Politique, pour un mémoire sur la morale utilitaire depuis Epicure jusqu'à l'école utilitariste anglaise contemporaine, dans un concours exceptionnel au niveau extrêmement relevé. L'année suivante, il était chargé de cours au Lycée Condorcet à Paris, où il enseignait la Philosophie et la Littérature. Cela ne dura qu'un court moment, car suite aux premières atteintes de sa maladie, il va dans le Midi où il écrit de nombreux ouvrages sociologiques, poétiques et philosophiques.
Ses deux premier ouvrages, La Morale d'Epicure publié en 1878 et La Morale anglaise contemporaine publiée l'année suivante, qui ne sont en fait que les deux parties très largement remanié de son manuscrit de 1300 pages couronné en 1874, sont deux études très approfondies des théories matérialistes et des doctrines anglaises, par un jeune esprit qui n'avait pas entièrement rompu avec les philosophies spiritualistes traditionnelles. Mais son oeuvre majeur, Esquisse d'une morale sans obligation ni sanction (1884), fut en son temps un livre célèbre qui attira l'attention de philosophe illustre comme Bergson, Moore, Nietzsche et Gide. Nietzsche (qui le rencontra probablement vers 1887) lut et annota « ce livre raffiné, mélancoliquement courageux » ; reconnaissant en « ce brave Guyau » l'un de ses libres penseurs (comme Erasme et Voltaire) qui avaient compris que les sentiments moraux, et les valeurs morales ont leur siège dans la vie. Et que la fin la plus élevée que nous pouvons nous fixer consiste dans la maximisation de la puissance vitale. Toujours est- il que Nietzsche avait dans sa bibliothèque un exemplaire de l'Esquisse mais aussi de L'Irréligion de l'avenir (1886). Il en parle dans Ecce homo. Ces exemplaires sont couverts de notes marginales, de traits, de points d'exclamation, de marques d'approbation ou de désapprobation. Les jugements de Nietzsche sur Guyau offrent le plus grand intérêt, car ils nous montrent à quel point divergent en sens opposés, malgré les évidentes similitudes que gardent parfois leur système, deux esprits partis d'une même intuition ou conception philosophique fondamentale : celle de la vie intense et extensive, la tendance de la vie à plus d'expansion et à plus d'intensité. Ce qui pose des valeurs, ce qui a besoin de valeurs pour s'affirmer c'est ce que Nietzsche appelle la vie. « La vie, qui est pour nous la forme la mieux connue de l'être, est spécifiquement la volonté d'accumulation de force. La vie tend à la sensation d'un maximum de puissance ; elle est essentiellement l'effort vers plus de puissance ; sa réalité la plus profonde, la plus intime, c'est le vouloir269(*) ».
Plus tard, Bergson comparera le style philosophique de Nietzsche à celui de Guyau qui selon lui a su soutenir « avant le philosophe allemand, en termes plus mesurés et sous une forme plus acceptable que l'idéal moral doit être cherché dans la plus haute expansion de la vie». Les oeuvres de Guyau, profondément novatrices, qui abondent de commentaires et d'observations de Nietzsche impressionné, témoignent par ailleurs, d'une réelle sympathie pour leur auteur, et une profonde estime qui va même jusqu' à l'admiration. * 268 Alfred Fouillée, « Note biographique », La Morale, l'art et la religion selon Guyau, Paris, F. Alcan, 1913, pp. 7-10 * 269 Friedrich Nietzsche, La volonté de puissance, Gallimard, Tel, 2009, I, II, §41, p. 212. |
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