En Afrique de l'Ouest, la pauvreté est connue pour son
impact dans la dégradation de l'environnement dans la mesure où,
une portion importante des populations, surtout en milieu rural dépend
presque exclusivement des ressources naturelles pour leur survie et
essentiellement du bois énergie pour leur besoin en combustible ligneux.
Il avait été reproché aux populations locales de miner
leurs propres conditions d'existence en utilisant abusivement leurs terres et
en coupant les arbres. On se rend à l'évidence aujourd'hui, qu'il
y a habituellement des causes sous-jacentes à cette situation telles que
la pauvreté qui n'offre que peu ou pas du tout d'alternatives à
ces populations. Permettre aux populations de tirer profit des forêts,
tout en garantissant la durabilité de celles-ci dans l'avenir, est une
question qui demeure encore entière. La présente étude,
portant sur « la contribution du bois énergie aux moyens
d'existence durables des ménages riverains de la Réserve de
Biosphère de la Pendjari », examine les possibilités
que peuvent offrir le bois énergie pour relever ce défi.
L'impact du bois énergie sur les moyens d'existence
peut être analysé à travers les stratégies
développées par les ménages pour avoir un impact positif
de l'exploitation de cette ressource sur leurs capitaux (naturel, physique,
financier, humain et social). Cet impact positif se traduira par une
amélioration de leur bien-être, de leur revenu et la
durabilité des ressources naturelles.
Les dimensions du bien-être, telles
qu'identifiées par la Banque Mondiale (Narayan, 2000), qui feront objet
de notre analyse sont le bien-être matériel, le bien-être
physique, et le bien-être social, la sécurité et la
liberté de choix étant des indicateurs difficiles à
mesurer. Ces dimensions du bien-être correspondent aux capitaux dans
l'AMED Le bien-être matériel est relatif au capital physique, le
bien-être physique au capital humain, et le bien-être social au
capital social. Le revenu correspondant au capital financier.
Le bien-être matériel sera évalué
en tenant compte des considérations de Chambers (1995). Ce dernier y
regroupe l'infrastructure de base et les biens de production nécessaires
pour soutenir les moyens d'existence. L'infrastructure est constituée
des changements apportés à l'environnement physique pour aider
les gens à satisfaire leurs besoins élémentaires et
à être plus productifs. Les éléments suivants de
l'infrastructure sont en général essentiels aux moyens
d'existence durables : transports abordables ; habitations et bâtiments
sûrs ; alimentation en eau et services d'assainissement convenables ;
énergie
propre abordable ; accès aux informations
(communications). Les biens de production sont les outils et le matériel
utilisés par les gens. Ils regroupent les équipements de
production et de transformation qui permettent aux ménages d'être
plus productifs. L'infrastructure étant généralement un
bien public utilisé sans paiement direct et bénéficiant
à toute la communauté, l'évaluation de l'utilité
que chacun en tire est peu aisée et souvent sujet à
polémique. C'est pour cette raison que le bien-être
matériel concernera seulement les biens et matériels de
production. L'infrastructure sera décrite dans les
caractéristiques générales du milieu d'étude.
Le bien-être physique désigné dans le
cadre de cette étude par la terminologie « bien- être humain
»comprend la santé, les compétences, les connaissances et la
capacité à travailler qui permettent, ensemble, de suivre
différentes stratégies de moyens d'existence et d'atteindre leurs
objectifs. Au niveau des ménages, le bien-être humain sera
évalué par la contribution du bois énergie aux
dépenses de scolarisation, de santé, d'habillements, de nutrition
et en combustibles.
Quant au bien-être social, sa mesure, aussi, fait
l'objet de plusieurs discussions. Il désigne les ressources sociales (ou
relations) sur lesquelles les personnes s'appuient dans leur quête de
moyens d'existence et qui englobent les réseaux et les inter-relations,
l'adhésion à des groupes plus officiels, les rapports de
confiance, la réciprocité, les échanges et les
réseaux informels de sécurité. Toute la polémique
réside en la mesure des « relations ». Partant du fait que le
bien-être, dans cette dimension, fait référence à la
qualité des relations sociales, familiales, communautaires et qu'il
implique la participation aux rites et coutumes, nous mesurerons cette
dimension par la contribution du bois énergie à réduire
l'humiliation ressentie par les individus à ne pas pouvoir participer
aux cérémonies et fêtes de leur culture et à ne pas
pouvoir échanger des présents. Ainsi donc la contribution du bois
énergie aux dépenses de cérémonies et dots, aux
dons faits à des parents amis et proches sera utilisée à
ce niveau.
Toutefois, du fait de l'existence de plusieurs acteurs dans le
circuit de commercialisation du bois énergie, certains acteurs peuvent
exploiter d'autres. Josserand et Sullivan (1980) postulent par exemple qu'au
Bénin, les éleveurs sont exploités par les
intermédiaires. Les ménages riverains de la RBP étant pour
la plupart pauvres, ils peuvent être défavorisés dans la
fixation des prix et dans la répartition du revenu payé par le
consommateur final. Les intermédiaires profitant de leur position de
faiblesse pour les exploiter, les ménages exploitants le bois
énergie peuvent voir leur marge considérablement réduite
et peuvent même essuyer des pertes. Aussi, l'existence de
barrières à l'entrée ou à la sortie des
marchés de bois énergie pourrait empêcher certains
ménages pauvres d'y avoir
accès. De telles situations ne sont pas de nature
à renforcer la contribution du bois énergie aux moyens
d'existence durables des ménages. L'analyse du système de
commercialisation permettra de se rendre compte des relations entre les
différents acteurs. Une telle analyse se rapporte au quatrième
volet du bien-être qui concerne la liberté de choix et
d'action.
Dans notre étude le ménage a été
choisi comme unité d'analyse. Le concept de ménage a
été discuté précédemment. La
définition du ménage qui sort de cette discussion et qui sera
utilisée dans le cadre de cette étude, est qu'il s'agit d'un
« groupe de personnes avec ou sans lien de parenté, vivant sous le
même toit ou dans la même concession, prenant leur repas ensemble
ou en petits groupes, mettant une partie ou la totalité de leurs revenus
en commun pour la bonne marche du groupe, et dépendant du point de vue
des dépenses d'une même autorité appelée chef
ménage ». Un tel choix est discutable puisqu'on ne tient alors pas
compte des rapports de pouvoir et des spécificités d'allocation
des ressources au sein du ménage. C'est pour répondre à
cette problématique que le modèle unitaire du consensus familial
de Samuelson a été choisi. Il permet aussi d'analyser le
bien-être au sein du ménage. La portée d'un tel
modèle est intéressante à double titre. Outre le fait
qu'il dépasse le problème de l'identité du consommateur et
l'impossibilité de ventilation des consommations entre les
différents membres du ménage, il stipule que si les membres de la
famille mettent leurs revenus en commun et consacrent le total à
maximiser une fonction « objectif » unique, alors, seul le revenu
affecte la demande Cet « objectif » est d'avoir des moyens
d'existence durables (bien-être accru, amélioration du revenu,
meilleure sécurité alimentaire, utilisation durable des
ressources naturelles etc.). Le revenu du ménage en
général et celui issu du bois énergie, en particulier,
pourrait permettre à ce ménage d'améliorer ses moyens
d'existence et les rendre durables.
Au nombre de ces moyens d'existences durables, il y a bien
sûr les ressources naturelles. L'exploitation du bois énergie se
fait aux dépens du capital naturel. Or les ménages
évoluent dans un contexte où le capital naturel, pour sa «
durabilité », est géré par le Centre National de
Gestion des Réserves de Faune (CENAGREF), en collaboration avec les
communautés locales via leurs représentations que sont les
Associations Villageoises de Gestion des Réserves de Faune (AVIGREF).
Mais, pour la gestion durable de la ressource, la participation effective des
populations à la base est nécessaire, car ce sont elles qui sont
supposées dégrader l'environnement. Leur appropriation des
idéaux du CENAGREF est souhaitée pour la durabilité de la
ressource forestière en général, et la gestion durable de
la ressource ligneuse utilisée comme bois énergie en particulier.
Mais qu'est-ce qui pousse ces populations à participer ou non ? Et
comment participent-elles ? Fort des discussions
conceptuelles sur la notion de la participation, nous pouvons
retenir trois niveaux opérationnels de participation
ü Forte participation : quand l'individu est
membre de l'AVIGREF et est prêt à participer aux actions de
gestion telles que faites par le CENAGREF ;
ü Participation moyenne : quand l'individu est
soit membre de l'AVIGREF, soit prêt à participer aux actions de
gestion telles que faites par le CENAGREF ;
ü Faible participation : quand l'individu n'est ni
membre de l'AVIGREF ni prêt à participer aux actions de gestion
telles que faites par le CENAGREF.
La détermination des facteurs qui influencent le
comportement de participation des ménages va permettre dans le cadre de
la gestion de la RBP de repérer les variables sur lesquelles les
autorités peuvent agir en vue de réduire la dégradation de
la ressource forestière et d'assurer la gestion durable du parc.
Or, cette ressource forestière que constitue le bois
énergie est en nette régression. Les politiques et institutions
pour limiter cette régression ont mis en place plusieurs formes de
stratégies de conservation. La conservation dans le milieu
d'étude a pris aujourd'hui la forme de réserve de
biosphère. Cette réserve se propose d'être bien plus qu'une
aire protégée. Elle se veut être un moyen pour permettre
aux populations riveraines de s'épanouir en équilibre avec leur
milieu naturel. Pour remplir sa fonction complémentaire de conservation
et d'utilisation durable des ressources naturelles, la réserve de
biosphère est structurée en trois zones interdépendantes
:
ü une aire centrale à laquelle les populations n'ont
pas accès ;
ü une zone tampon dont certaines sous-zones seulement sont
accessibles aux populations riveraines et ;
ü une aire de transition ou de coopération où
les populations sont autorisées à s'établir et à
exploiter durablement les ressources naturelles.
Or les femmes, les enfants voire les populations rurales
concernées sont en général, traditionalistes, et ne
reconnaissent pas les limites du terroir quand il s'agit du ramassage du bois
de chauffage. Aussi sommes-nous en droit de nous demander si ces limites sont
respectées dans l'exploitation du bois énergie (ce qui pourrait
affecter la durabilité de la ressource) ? Quelles sont les conditions de
la durabilité de cette exploitation ? Les facteurs
socio-économiques, culturels et institutionnels n'expliquent-elles pas
la dépendance des ménages vis-à-vis du bois énergie
? Est-ce-que la pauvreté empêche les ménages de participer
aux actions de gestion de la RBP ? La législation en vigueur
n'affecte-t-elle pas la contribution de cette ressource aux moyens d'existence
de ces populations riveraines ? Autant de questions auxquelles que se propose
de répondre cette étude.
Le cadre théorique de l'AMED nous offre un champ
d'analyse idoine, pour arriver à cette fin. Il nous permettra de voir
comment le bois énergie permet aux ménages riverains de la
Réserve de Biosphère de la Pendjari d'améliorer leurs
moyens d'existence. Il permettra aussi de comprendre comment les processus,
institutions et politiques influent sur la contribution de cette ressource aux
moyens d'existence, en vue d'éclairer les programmes de
développement désireux de réduire la pression des
populations sur cette ressource, sans pour autant augmenter leur
vulnérabilité. Du fait que l'AMED est par nature holistique,
dynamique et participative, les résultats qui en découleront
seront d'autant plus pertinents, pratiques et conformes aux aspirations de la
population cible.