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Introduction :Tout d'abord, quelle est la définition légale de l'eau aromatisée ? Quel est cet engouement actuel pour ces eaux nouvelles ? On souhaite examiner ici ces objets liquides, leur signification. Qui sont ces buveurs d'eaux et comment ces nouvelles boissons s'inscrivent- elles dans nos modes de vie contemporaine (ou, quand, comment et avec qui) ? Avoir de l'eau « aromatisée » sur soi c'est révéler qui l'on est. Un enfant, une femme active...L'eau est une marque de distinction sociale. L'eau minérale ou non1(*), « aromatisée » différencie les jeunes, des vieux ou les femmes gourmandes de celles qui se préoccupent de leur santé, les sportifs, des employés de bureau. En tout cas, divers lieux et différents moments, ce nouvel accessoire montre que nous sommes devenus des porteurs d'eau et que cette bouteille colorée ou limpide, petite ou grande fait partie de notre bagage de route. Plates, gazeuses, minérales ou simples eaux de source, les eaux en bouteille, natures ou aromatisées sont effectivement de plus en plus convoitées au détriment de l'eau du robinet. En France, la consommation d'eaux en bouteille est l'une des plus élevées d'Europe (juste après l'Italie) avec une moyenne de 125 litres par personne et par an. Pas moins de 130 marques se partagent un marché en pleine expansion qui donne lieu à une véritable course à l'innovation.2(*) En France la peur à l'égard de l'eau du robinet peut-être un des moteurs de choix de l'eau en bouteille. Il ressort en effet que la majorité des Français jugent l'eau du robinet comme d'assez bonne qualité. Et si cette eau est souvent critiquée par son côté calcaire, son chlore et son mauvais goût, 19 % des foyers français refusent tout de même absolument de boire l'eau du robinet par crainte de la maladie.3(*) C'est Vittelloise, puis Perrier (avec Perrier Citron), eaux minérales gazeuses qui ont offert en 1986 les premières eaux aromatisées aux consommateurs français. Elles étaient au départ sans sucre et sans édulcorant. Badoit et Salvetat les ont ensuite rejoints. En 1990, Volvic a, à son tour, décliné la première eau plate en version aromatisée.4(*) Lancées dans les années 80, les eaux aromatisées sont toujours sujettes à de nombreuses innovations5(*). Mais qui sont ces nouvelles eaux ? 1. Définition des objetsL'eau « nature » a perdu pour quelques-uns de sa valeur. Et libération n'hésite pas à titrer des octobre 2002 : « L'H2O, c'est rétro » et ainsi un nouveau modèle de boisson va émerger dans les années 80 et évoluer en se rénovant ou en innovant dans les années 2000. Ces nouveaux objets s'inscrivent dans la vogue des années 80 d'une diététique qui se veut gourmande. Claude Fischler dans son livre, l'Homnivore publié en 1990, démontre ces retrouvailles entre régime et cuisine. C'est donc dans l'idéologie contemporaine de la diététique gourmande, que les régimes tristes deviennent obsolètes, et que finalement l'eau plate se retrouve dépassée par l'aromatisée. C'est en effet, dorénavant désuet, pour les jeunes de boire de l'eau neutre, sans goût, inodore, incolore ! Les produits se multiplient et s'exposent avec des couleurs hallucinantes dans les rayons des GMS, la publicité télévisuelle de son côté met en phase ces nouveaux objets avec les codes de notre temps. Les eaux « aros » étanchent bien évidement la soif des « hommes modernes » ! Ces objets liquides alimentaires constituent en apparence une nouvelle famille de boissons. Mais est-ce que cette appellation est une réalité ou une construction sociale ? D'un point de vue réglementaire l'appellation de cette eau est en fait : « boisson aromatisée » même si tout le monde parle d'eaux aromatisés voire parfumées. Il est certain qu'avec ce nom, les minéraliers ont réussi à se démarquer du rayon des BRSA avec leur image négative calorique, sucrée et permis une association avec l'eau qui symbolise le naturel, la pureté, des valeurs actuelles plutôt positives et recherchées. La teneur en minéraux de ces eaux aromatisées va dépendre de leur origine, si elle provient d'une eau de source, d'une eau minérale naturelle ou encore d'une eau de table (c'est-à-dire une eau rendue potable par traitement qui est ensuite préemballée)6(*) -. Ces eaux se confondent7(*) néanmoins de plus en plus facilement avec les boissons dites à base d'arômes et d'extraits végétaux. Ces dernières sont en fait constituées : d'eau, de sucre ou d'édulcorants de synthèse, de gaz carbonique ou non, d'extraits végétaux de plantes ou de fruits, d'acides (citrique, tartrique..), de colorants, de substances diverses (caféine, quinine..).Pour ces boissons à base d'arômes ou d'extrait végétaux, il n'existe pas dans ce cas de réglementation précise mais un code des usages. Elles sont donc dans les normes, proches des eaux aromatisées qui n'ont par ailleurs, elles aussi, aucune appellation légale propre. On peut citer dans cette catégorie, les boissons aromatisées à base de thé qui sont commercialisées depuis déjà une dizaine d'années. En pratique, c'est de l'eau avec de l'extrait de thé et sucrée. Mais il existe maintenant des eaux aromatisées au thé que l'on pourrait qualifier de boisson aromatisée au « thé léger ». Si l'on prend l'exemple d « Aquaé équilibre » de Lipton au thé vert et melon et « Volvic thé vert menthe du Maroc » sont très proches, mais elles se distinguent par le fait que l'une se dit être de l'eau au thé et à l'opposé, l'autre revendique d'être un thé à l'eau. La différence entre ces deux eaux au thé porte aussi sur le taux de sucre (annexe 1). En fait, la classification s'opère sur un continuum qui va d'une boisson-eau à peine anthropomorphisée, très légèrement zestée, à une eau aromatisée, sucrée, colorée, enrichie en minéraux, très travaillée avec un goût marqué. Mais ce qui catégorise ces eaux aromatisées multiples, c'est avant tout, la réponse qu'elle apporte aux consommateurs : les appellations sont évocatrices des attentes des buveurs : « Ice », « délice », « Maroc »...Des mots chargés d'émotion, de sens. Au final, dans cette étendue de choix, au final, on ne sait pas toujours si « Aquaé délice » de Lipton ou « Volvic thé vert » est de l'eau au thé ou simplement du thé (réalisé évidemment avec de l'eau). Mais ce qui compte, c'est avant tout la représentation que les personnes possèdent sur cette boisson. Les industriels l'ont bien compris et en l'absence de normes précises surfent sur la vague de l'imaginaire, de l'émotion et du fantastique. Pour revenir sur l'histoire des eaux aromatisées, n'est-ce pas un objet familier de l'homme ? Il a toujours recherché à aromatiser (anthropomorphiser) son eau. Est-ce que le thé originaire de Chine et consommé depuis environ 4 000 ans ne serait-il pas une des plus anciennes eaux ou boisson aromatisée connue de l'homme8(*)? Il semble qu'autour de l'eau ou boisson aromatisée se construit un public (et inversement) et qu'elle prend de la valeur. En fait même Coca-Cola est victime de cette mode puisqu'il se décline maintenant à la vanille en France (c'est pour les filles), au citron et à la cerise dans les autres pays du monde. On tombe en fait, sur un aspect fonctionnel de la boisson et il paraît légitime avant d'entrer dans le milieu des eaux aromatisées de réfléchir sur l'acte de boire et son sens. Face à cette explosion d'eaux aromatisées, il semble intéressant de regarder aussi les fonctions de ces nouvelles eaux, est ce que ces eaux entrent dans l'univers du luxe ou du quotidien ? Le but est ici de décrire ces objets et est également de saisir les attentes des personnes vis-à-vis de cette prise d'eau aromatisée. On analysera plus particulièrement comment une marque d'eau aromatisée tel Volvic9(*) aujourd'hui est représentative des moeurs de la vie d'un enfant, d'un jeune, d'un adulte, d'une famille, comment elle s'empare des habitudes humaines pour cristalliser sur cet objet liquide, l'eau aromatisée : les normes, les valeurs, les opinions, les attitudes du bien boire, les symboles10(*) des individus à tous les stades de la vie. On aurait pu encore distinguer les eaux aromatisées par une classification nutritionnelle qui va de l'absence de sucre, avec ou sans ajout d'édulcorant, à la présence de peu de sucre, jusqu'à des eaux sucrées comme les jus de fruits ou sodas. Mais cette catégorisation n'est pas envisagée ici . * 1 L'eau utilisée pour la fabrication de l'eau aromatisée n'est pas nécessairement de l'eau minérale. * 2 D'après un reportage de Radio France Internationale du 5 août 2004 sur l'eau réalisé par Karim Lebhour. * 3 Ce sont davantage les foyers parisiens ( 65%) et les foyers avec enfants ( 60%) qui préfèrent consommer l'eau en bouteilles. Ces données sont tirées du mémoire de Master 2 de Marketing de S. Palazzoli publié le 01.06.2005.www. librapport.org/getpdf.php?iddocument=512 * 4 http://cerefia.eco.univ-rennes1.fr/cerefia/Dossiers/Sect/DanoneNestle/synthese1.pdf * 5 En 2005, Nestlé Waters sur le marché français annonce les nouveautés suivantes pour cette année : les extensions de gamme sur le segment dynamique des eaux aromatisées qui voit l'arrivée de parfum Citron Vert/Pamplemousse et Pêche Blanche/Abricot pour Contrex, Framboise Cranberry et Citron Lime chez Vittel et encore Framboise chez Perrier. De son côté, Vittel propose à destination d'une cible enfant une gamme de quatre produits aromatisés intitulés Vitalitos. * 6 Deux textes législatifs régissent l'ensemble de ces eaux : le décret N°2001-1220 du 20 décembre 2001. Il s'applique à l'eau du robinet mais aussi aux eaux de source et eaux de table embouteillées, et le décret N°89-369 du 6 juin 1989 relatif aux eaux minérales naturelles et aux eaux embouteillées modifié par le décret N°98-1090 du 4 décembre 1998. ( Ces décrets font suite aux directives européennes) * 7 Cette confusion est largement entretenue par les minéraliers qui essayent de jouer sur les rives des eaux aromatisées et des softs drinks (coca-cola) dans les linéaires des GMS. La revue RIA, N°656 d'avril 2005, l'explicite ouvertement. * 8 En 2337 avant J.-C., l'empereur Shen Nong, ayant ordonné de faire bouillir de l'eau avant de la boire, aurait par hasard goûté l'infusion de quelques feuilles d'un arbrisseau (le théier) dans une eau frémissante. D'après A.Thouvenin, sur les boissons tirés du fascicule sur l' Alcoologie, Pr Paille et coll., formation continue des diététiciens, faculté de médecine de Nancy, 2002.
* 9 Volvic est numéro 1 en France. * 10 Poulain, J.-P, www.lemangeur-ocha.com., pour observer le fait alimentaire a créé une grille de lecture des représentations de l'alimentation et de ses objets et exposent ces 5 niveaux de pensée : normes, opinions, symboles,valeurs, attitudes. |