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Le Jouet ancien au musée - idole d'un nouveau lieu


par Cécile Bricault
Université Lille 3
Traductions: Original: fr Source:

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3.3 Vers un devoir de mémoire ?

Cependant la mémoire du jouet est vivante, parce que, de par sa proximité temporelle et spatiale, elle touche encore le visiteur. Le jouet ancien et le visiteur actuel appartiennent à la même culture, à la même civilisation.

La mémoire transmise par le jouet ancien apporte une stabilité et une confiance face au jouet actuel, ou face aux futurs jouets. Il existe entre eux un lien invisible de transmission des connaissances, des missions, une connexion, qui fait du jouet actuel l'héritier du patrimoine et le dépositaire de la mémoire du jouet ancien. Selon Jacques Legoff qui explore l'aspect identitaire de la mémoire, « la mémoire est un élément essentiel de ce que l'on appelle désormais l'identité individuelle ou collective, dont la quête est une des activités fondamentales des individus et des sociétés d'aujourd'hui, dans la fièvre et l'angoisse »54(*). La mémoire permet de retenir le passé dans le présent. Elle amène ainsi à accepter le présent et à faire face à l'avenir, à s'attaquer « aux maux du monde moderne »55(*).

Cette société actuelle en perte de vitesse, en pleine crise intellectuelle et identitaire, cherche à se rassurer en pénétrant dans l'espace sacré dévolu au jouet. Elle pense pendant un court instant avoir prise sur le temps et effectuer un retour en arrière. « La mémoire, où puise l'histoire qui l'alimente à son tour, ne cherche à sauver le passé que pour servir au présent et à l'avenir »56(*). Le visiteur cherche donc à travers le jouet à retrouver des marqueurs temporels stables et compréhensibles. Il vient quérir des repères, qui l'amènent en assumant le passé historique à assumer sa propre histoire, son propre passé, en le plongeant dans cette mémoire offerte par le jouet à se connaitre soi-même, à reconnaitre ce qu'il est et qui il est. Paul Ricoeur insiste par analogie du labeur de traduction, sur cet effort que constitue la transmission des savoirs dans l'équilibre d'un être : « le travail de mémoire ne va pas sans un travail de deuil »57(*)

Cependant cette conscience que le jouet et le visiteur ont l'un de l'autre, se risque à disparaitre avec le temps. En effet, sur l'axe temporel, le curseur « présent » avance perpétuellement, tandis que le point « passé » reste toujours fixe. Le passé s'éloigne inexorablement de nous. Les jouets anciens deviendront de plus en plus « anciens », tandis que nos jouets actuels deviendront eux des jouets « anciens ». Allons-nous, en même temps qu'une perte toujours accrue des témoins du passé et partant de nos connaissances, perdre aussi notre conscience vivante du jouet ? Rattraper la culture du passé est la finalité de la mémoire, son leitmotiv. Le jouet ancien est un jalon dans la course contre le temps. La peur d'une perte de cet héritage et de sa signification, de la perte de ses souvenirs d'enfance, amène le visiteur à fréquenter assidûment les musées de jouets. Ce lieu accorde au visiteur la paix avec sa mémoire individuelle de l'âge d'or de l'enfance, monde qui appartient dorénavant au passé. Un monde révolu, fini, que le visiteur espère faire revivre. Comme une prière exaucée, la mémoire conduit les générations dans ces reconstructions imaginaires du passé.

Mais cette acceptation de soi-même, ce « travail de deuil » décrit par Paul Ricoeur58(*), amène peu à peu les générations futures à accomplir un effort de plus en plus considérable pour se souvenir du jouet, de ce qu'il est dans son essence même. Nous dirigeons-nous alors inexorablement vers un « devoir de mémoire »59(*) du jouet ? Le jouet importe car il est un des fondements de la culture enfantine, il contribue à l'équilibre de l'homme. Le jouet est même un des éléments constructeurs de sa mémoire. Il convient de prendre garde à ne pas l'oublier. L'enfant ou l'adulte se raccrochent au jouet dans leur découverte du monde, aussi bien passé que présent et surtout futur. Le jouet anticipe leurs angoisses et leur permet de les surmonter. Ce qu'effectue également en parallèle la mémoire du jouet préservé dans le musée.

Pour l'instant, le jouet au sein du monde muséal reconstitue par lui-même son univers et offre une vision globale et partielle de l'Histoire, dont la mémoire s'empare dans des desseins divers. Mais la possibilité qu'un jour ce jouet ancien risque l'incompréhension des générations qui fréquenteront le musée existe, et n'est pas à exclure. Comment le jouet opérera alors la transmission de Mémoire ? Exigera-t-il un « devoir de mémoire »60(*) ? Rien n'est moins sûr. Même si sa mémoire contextuelle et historique s'érode peu à peu, le jouet garde son aura personnelle et intrinsèque61(*). La mémoire du jouet évolue en fonction des contacts avec les visiteurs. Elle s'adapte aux connaissances et aux souhaits des visiteurs du musée. En conséquence, le jouet sera toujours compréhensible à l'esprit d'un visiteur et accessible à son imaginaire. En ce sens, le jouet demeurera toujours un médiateur privilégié de la Mémoire.

* 54 Jacques LEGOFF, Histoire et Mémoire, p. 174.

* 55 Dominique POULOT, Musées, nation, patrimoine, p. 36.

* 56 Jacques LEGOFF, Histoire et Mémoire, p. 177.

* 57 Paul RICoeUR, « Cultures, du deuil à la traduction », Le Monde, 25 mars 2004.

* 58 Cf. note 57.

* 59 Au sens d'un effort considérable à effectuer pour se souvenir.

* 60 Au sens actuel, d'une obligation de se souvenir d'un fait, ou de quelque chose.

* 61 André MALRAUX, Le Musée Imaginaire.

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