L'émergence d'une culture des droits de l'homme au Cameroun( Télécharger le fichier original )par Cyrille APALA MOIFFO Université de Nantes - Diplôme d'Université de 3è cycle en Droits Fondamentaux 2005 |
Paragraphe 2 : Les insuffisances relatives à la législationBien qu'ayant connu un toilettage et un réajustement dans le sens d'une plus grande libéralisation, la législation sur les droits de l'homme comporte encore quelques insuffisances (A) et nécessite par conséquent un renforcement (B). A- Les insuffisances dans l'aménagement des restrictions des libertés La question de la réglementation sur les restrictions des libertés a été sensiblement améliorée avec le vote de la loi de 2005 portant Code de procédure pénale, dont l'entrée en vigueur sera effective en août 2006. Bien qu'elle régit de nombreux aspects sur lesquels la loi était muette, une préoccupation persiste sur les conditions matérielles de garde à vue, de détention provisoire et d'incarcération des condamnés, dont l'esquisse de réglementation a été faite avec le décret n°92/052 du 27 mars 1992 portant régime pénitentiaire. B- Un nécessaire renforcement de la législation sur les droits de l'homme La législation sur les droits de l'homme au Cameroun reste encore à consolider car, le fait pour la Constitution de les énoncer ne constitue pas en soi une garantie réelle. Dès lors, le législateur est interpellé pour en fixer le cadre d'exercice. C'est précisément le cas de la protection de la famille, de l'assistance aux couches sociales défavorisées, de la protection des minorités et des droits des populations autochtones qui requièrent soit un réajustement des textes en vigueur, soit l'élaboration de nouvelles lois. Les textes à réajuster concernent l'Ordonnance n° 81-02 du 29 juin 1981 sur l'état civil et l'état des personnes physiques qui en certains points ne semble plus coller à la réalité134(*), ainsi que la loi de 1983, relative à la protection des personnes handicapées. Cette loi nous paraît imprécise sur les modalités d'octroi et la nature des aides sociales auxquelles ces derniers doivent prétendre, mais surtout, reste floue sur les mesures de facilitation de leur intégration dans la société, de même que les devoirs des autres citoyens envers ces personnes vulnérables. Même son décret d'application de 1990 n'y a pas songé. Quant aux droits qui nécessitent un encadrement nouveau, nous pensons à une loi sur les minorités et les populations autochtones auxquels fait allusion la Constitution, une loi ou un code qui regrouperait l'ensemble des dispositions concernant la famille (femme, enfant, personnes âgées, état civil, etc.). On relèvera aussi le droit à un environnement sain qui attend que le législateur s'y penche. Si les carences dont la législation sur les droits de l'homme fait preuve peuvent être corrigées, tel n'est pas le cas des coutumes et traditions qui, quant à elles, s'appuient sur des fondements sociologiques et culturels qui semblent avoir encore de beaux jours devant eux. Paragraphe 3 : Le poids des traditions culturelles Dans un pays comme le Cameroun ou plusieurs valeurs et conception des droits coexistent135(*), le respect de la dignité humaine pose parfois des difficultés au regard du poids accordé aux traditions. Aussi, l'Etat et les associations des droits de l'homme se trouvent-ils confrontés au problème de la cohabitation des normes universelles avec les cultures locales. Les attitudes et les comportements quotidiens des individus, surtout dans les contrées éloignées des grandes villes, laissent entrevoir de sérieuses réticences quant à l'intégration de la conception moderne des droits de l'homme, perçue comme déstabilisatrice de l'ordre social établi. Ces « pesanteurs traditionnelles auxquelles les individus sont attachés (...) et qui ne sont pas des facteurs d'encouragement d'une culture des droits de l'homme »136(*), se traduisent dans les faits par le traitement qui est réservé aux femmes137(*), aux enfants (considérés comme main d'oeuvre pour les travaux domestiques et champêtres), aux « sujets » et serviteurs des Chefs traditionnels, Sultans, Rois, « Fon » et Lamibés138(*), qui subissent des traitements à la limite de l'acceptable (portage, recueil des crachats, cession obligatoire de leurs filles parfois mineures, etc.). Face à la persistance de telles pratiques, on peut affirmer avec BOUKONGOU qu'aujourd'hui, « le droit positif ne peut prétendre avoir civilisé les coutumes locales »139(*). En effet, pour parvenir à cet objectif, il faudrait que les exigences modernes relatives aux droits de l'homme intègrent la diversité culturelle de nos sociétés (qui n'ont pas que des aspects négatifs), mais surtout, privilégient une approche pédagogique de proximité, visant à faire comprendre qu'en dépit des différences des cultures, coutumes et traditions, l'être humain a une dignité à préserver qui ne s'accommode pas des positions sociales. La nécessité de consolider les droits de l'homme au Cameroun, au-delà de la prophylaxie à administrer au fonctionnement de la justice, du toilettage et du renforcement des textes juridiques et du dépassement des fondements sociologiques et culturels de la conception traditionnelle de ces droits, suppose également que les pouvoirs publics accordent une marge de manoeuvre suffisante aux institutions nationales de ce secteur. * 134 L'article 74 de l'Ordonnance de 1981 dispose que la femme mariée peut exercer une profession séparée de celle de son mari. Mais, que ce dernier peut s'opposer à l'exercice d'une telle profession dans l'intérêt du mariage et des enfants. Cette disposition constitue un danger pour la femme et une sérieuse entorse à son droit au travail, surtout lorsqu'on sait que dans le contexte africain, certains hommes ont tendance à confiner leurs femmes à la maison pour des raisons inavouées, aidés en cela par certaines traditions. Le législateur a ainsi ouvert une voie à l'arbitraire du mari, en lui laissant l'appréciation du danger que pourrait constituer pour le mariage ou les enfants, la profession de sa femme. * 135 Le Cameroun est un pays multiethnique où plus de deux cent ethnies se côtoient. Chacune a des particularités culturelles et traditionnelles qui accordent aux individus des droits, en fonction de la considération sociale qui leur est octroyée. * 136 OLINGA (A.D), « Les défis de l'émergence d'une culture des droits de l'homme dans les sociétés d'Afrique centrale », op. Cit, p. 299. * 137 Voir à ce sujet, Supra, Première partie, Chapitre 2, Section2, paragraphe2, B, 2, note 100. * 138 Diverses appellations des dignitaires traditionnels, considérés comme les dépositaires du pouvoir, dans les différents groupes ethniques du Cameroun. * 139 BOUKONGOU (J.D), « Dire le droit en Afrique francophone », Cahier de l'UCAC n°7, Anthropologie, foi et développement, Yaoundé, Presses de l'UCAC, 2004, p. 206. |
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