L'émergence d'une culture des droits de l'homme au Cameroun( Télécharger le fichier original )par Cyrille APALA MOIFFO Université de Nantes - Diplôme d'Université de 3è cycle en Droits Fondamentaux 2005 |
Paragraphe 3 : La création des cadres de promotion et de protection des droits de l'hommeL'action du gouvernement camerounais dans ce sens se décline à travers la création de la Commission nationale des droits de l'homme et des libertés (A) et la mise en place des organes de régulation, de contrôle et de suivi de l'exercice des droits et libertés (B). A- La Commission Nationale des Droits de l'Homme et des Libertés (CNDHL) Un rappel du contexte de la création de la CNDHL (1) est nécessaire pour mieux comprendre ses missions (2). La présentation de quelques unes de ses activités (3) permettra sans doute de saisir la portée de son action. 1- Le contexte historique de la création de la CNDHL Dès la création de la Commission des droits de l'homme67(*), les Nations unies recommandaient à tous les Etats d'instaurer des « comités locaux » chargés de diffuser les droits de l'homme sur le plan interne. Par la suite, la nécessité de mieux encadrer ces droits sur un plan pratique a amené la communauté internationale à encourager les Etats à créer des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l'homme ou à les renforcer s'il en existe déjà. Mais il faut attendre la fin des années 1980 et surtout la décennie 1990 pour voir se créer de part et d'autre, en Afrique subsaharienne, les premières institutions de cette nature68(*), à un moment où la population réclamait plus de démocratie et de libertés. C'est dans ce contexte que le Cameroun voit la création par décret présidentiel en 199069(*), du Comité national des droits de l'homme et des libertés. Cependant, de nombreuses carences et insuffisances ont amené le législateur à réformer cette institution en 200470(*), par le biais de la loi n°2004/016 du 22 juillet 2004 portant création, organisation et fonctionnement de la Commission nationale des droits de l'homme et des libertés. On passe ainsi du « Comité » à la « Commission » dont il importe de préciser les missions. A la faveur de la loi de 2004, la CNDHL devient une institution indépendante de consultation, d'observation, d'évaluation, de dialogue, de concertation, de promotion et protection en matière des droits de l'homme71(*). Il s'agit donc d'une entité dont « le but fondamental est de servir de relais entre l'Etat, les pouvoirs publics et la société civile dans la gestion des droits de l'homme et plus particulièrement sous l'aspect promotion et protection de ces droits ». Cette conception de Hamid GRAHAM72(*) est largement partagée par les dispositions de la loi évoquée ci-dessus. En effet, au terme de l'article 2, la CNDHL « a pour missions la promotion et la protection des droits de l'homme et des libertés ». A ce titre, elle reçoit toutes dénonciations portant sur les cas de violation y relatifs, diligente toutes les enquêtes et procède à toutes investigations nécessaires sur ces cas de violation, vulgarise par tous moyens, les instruments relatifs aux droits de l'homme et aux libertés et veille au développement d'une culture des droits de l'homme au sein du public... Tel qu'il ressort des missions ainsi présentées, la CNDHL a un rôle central et ses activités concourent à l'enracinement des droits de l'homme auprès des différents acteurs sociaux. Afin de permettre un meilleur déploiement des activités de la CNDHL, un décret présidentiel a procédé à l'organisation interne de la structure73(*). Mais il faut dire que bien avant cela, la CNDHL a mené de nombreuses activités sur le terrain de la promotion et de la protection des droits de l'homme dont les plus marquantes sont :
La CNDHL reçoit des requêtes émanant des individus (toutes catégories sociales confondues), des ONG, et même de certaines institutions étatiques74(*), qui donnent lieu à des auditions, des investigations. Ces actions aboutissent à des résultats probants en terme de déclenchement d'actions judiciaires contre les mis en cause, de libération des personnes illégalement gardées à vue ou de paiement de compensations aux victimes ou à leurs familles75(*). La médiation de la CNDHL permet aussi de déboucher sur la conciliation des parties concernées par la violation, de faire des recommandations aux autorités habilitées à mettre fin à la violation76(*).
- C'est ainsi que des responsables administratifs et ceux des forces de maintien de l'ordre ont bénéficié de formations dans diverses localités du pays, à Yaoundé en 1994, Bamenda en mars 1995, Buéa en Mai 1996 et Maroua en 199777(*). - En 1996, des magistrats, avocats, notaires et huissiers ont reçu une formation de trois jours sur les droits de l'homme, organisée par la CNDHL, avec le concours financier du gouvernement des Etats-Unis. - Du 8 au 11 mai 2006, la CNDHL a organisé à Yaoundé, avec le concours du Commonwealth, un séminaire sur le renforcement des capacités d'une trentaine de fonctionnaires de police et des personnels de l'administration pénitentiaire sur la protection des droits de l'homme et des libertés dans les pénitenciers et dans les commissariats de police.
Cette action initiée en juin 2004 s'est poursuivie en février 2005 par l'organisation à Yaoundé, des ateliers de préparation des « Cahiers pédagogiques d'enseignement des droits de l'homme au Cameroun ». Prévus pour être opérationnels dès la rentrée académique 2006-2007, ces Cahiers ont été validé lors d'un atelier qui s'est tenu en février 2006. Les programmes définis comprennent les niveaux d'enseignement primaire, secondaire et universitaire, les grandes écoles ainsi que les corps d'armée.
Il s'agit de la visite des commissariats de police, des brigades de gendarmerie et des établissements pénitentiaires. Cette action est décrite comme étant « l'une des activités courantes » de la CNDHL78(*).
La CNDHL diffuse sur la CRTV, média audio-visuel gouvernemental, une émission radiophonique hebdomadaire intitulée « Tribune des droits et libertés », dans laquelle elle fait passer des messages sur les situations quotidiennes qui occasionnent les atteintes aux droits des individus et sur la conduite à tenir dans de telles situations.
La nécessité d'être en conformité avec les instruments internationaux régissant les droits de l'homme a inspiré la création des organes de régulation, de contrôle et de leur suivi. B - Les organes de régulation, de contrôle et de suivi de l'exercice des droits et libertés Elle s'est opérée à travers la création du Comité technique de suivi des instruments internationaux en matière des droits de l'homme (1), l'institution du Programme National de Gouvernance (2), la création du Conseil national de la communication (3) et de l'Observatoire national des élections (4). 1- Le Comité technique de suivi des instruments internationaux en matière des droits de l'homme Crée par le décret n°98/109 du 8 juin 1998, ce comité a pour mission principale de suivre la jurisprudence des organes de contrôle80(*) des droits de l'homme (aussi bien au plan régional qu'au plan universel) et de veiller à ce que le droit interne s'ajuste et se conforme aux instruments internationaux en la matière. Ce comité n'a malheureusement pas encore été rendu opérationnel, ce qui n'est pas le cas du Programme national de gouvernance. 2- Le Programme national de gouvernance (PNG) Annoncé par le Président de la République en 199581(*), le PNG est mis en place par un arrêté du Premier ministre du 11 août 1998, fixant le cadre institutionnel de son exécution. L'adoption en 1999 du document de stratégie globale de mise en oeuvre de ce programme marque le début de ses activités82(*) qui ont depuis lors contribué à : - déclencher la réforme administrative en vue de la mise en place d'une administration publique plus efficace et plus proche des usagers, à travers la simplification des procédures ; - consolider l'Etat de droit par l'initiation de profondes réformes judiciaires visant à mettre en place un environnement juridique et judiciaire qui garantit la sécurité des personnes, des biens et des investissements ; - renforcer la participation des citoyens et de la société civile dans la gestion des affaires publiques, à travers l'amélioration du système électoral, la mise en place des structures de la décentralisation, la défense et la promotion des droits de l'homme ; - renforcer la transparence dans la gestion des affaires publiques en luttant contre la corruption83(*). La nécessité de réguler le secteur de la communication sociale a également été prise en compte avec la création du Conseil national de la communication. 3- Le Conseil national de la communication (CNC) Le décret n°91/287 du 21 juin 1991 porte création, organisation et fonctionnement du CNC. La création de cet organe de régulation du secteur de la communication se situe dans le cadre de la mise en application des dispositions de la loi de 1990, relative à la liberté de la communication sociale84(*). Le CNC est chargé de promouvoir les actions tendant à l'éducation au respect des règles de déontologie dans son domaine d'action. En effet, avec la libéralisation du champ médiatique intervenue en 1990, il y a eu un véritable « boom » de la presse privée. Cette situation a occasionné de la part de certains organes de presse, de nombreuses dérives dues au non respect de l'éthique et de la déontologie de la profession de journaliste et à la commission d'infractions de droit commun réprimées par le Code pénal85(*). L'importance du rôle du CNC dans la régulation, mais surtout l'encadrement des acteurs du secteur de la communication se trouve ainsi justifiée. En matière électorale, la question de la mise en place d'un organe indépendant a suscité dans la classe politique des débats houleux quant à la dénomination et aux attributions d'un tel organe. La création de l'Observatoire national des élections est venue mettre un terme à ces débats. 4- L'Observatoire national des élections (ONEL) La création de l'ONEL86(*) par la loi n°2000/16 du 19 décembre 2000 participe de la volonté d'améliorer le système électoral et partant de donner une garantie supplémentaire au droit de vote reconnu à tout citoyen qui en a les capacités. En effet, l'ONEL a pour mission de veiller au respect des règles du jeu électoral tout au long du processus. Aux termes de l'article premier de son texte fondateur, il s'agit d' « une structure indépendante chargée de la supervision et du contrôle des opérations électorales et référendaires ». Et l'article 2 précise que « la mission de l'ONEL est de contribuer à faire respecter la loi électorale de manière à assurer la régularité, l'impartialité, l'objectivité, la transparence et la sincérité des scrutins, en garantissant aux électeurs, ainsi qu'aux candidats en présence, le libre exercice de leurs droits ». Bien que selon la loi qui l'institue, l'ONEL n'intervient pas directement dans l'organisation matérielle des scrutins, sa participation n'en est pas moins déterminante pour permettre l'accomplissement des missions qui lui sont dévolues. C'est ainsi que l'article 6 énonce dix huit attributions parmi lesquelles on peut retenir : - La supervision et le contrôle : des opérations d'établissement, de conservation et de révision des listes électorales ; des opérations de distribution des cartes électorales ; de l'impression des documents électoraux ; - Il veille : à la régularité de la composition des membres des bureaux de vote ; au bon déroulement de la campagne électorale afin d'assurer l'égalité entre les candidats ; - Il vérifie la régularité des opérations de vote, de dépouillement du scrutin, des décomptes des suffrages87(*). Une analyse transversale de la loi portant création de l'ONEL et les premières expériences de son fonctionnement permettent de conclure qu'il s'agit d'une avancée non négligeable dans le processus de consolidation des institutions démocratiques au Cameroun, même si un toilettage de ladite loi peut s'avérer nécessaire88(*). Manifestement, l'ère de la condescendance vis-à-vis de tout discours relatif au respect des droits de l'homme semble révolue, au regard de l'engagement perceptible des autorités en leur faveur à travers les discours et les actes concrets. C'est ainsi que la consécration normative des droits de l'homme s'est opérée par le renforcement de leur base constitutionnelle, la rénovation des textes liberticides ainsi que la mise en place d'institutions de consultation, de régulation, de contrôle et de suivi en matière des droits et libertés de la personne humaine. Cette action impulsée par l'Etat ne saurait cependant garantir à elle seule la sécurité juridique des citoyens, sans le concours des acteurs indépendants jouant un rôle de contrepoids, mais surtout de relais dans l'instauration, l'acquisition et la consolidation de cette culture des droits de l'homme. * 67 Aujourd'hui remplacée par le Conseil des droits de l'homme, créé le 15 mars 2006 par une résolution de l'Assemblée Générale des Nations unies n°AG/10449, la Commission des droits de l'homme fut créée le 21 juin 1946 par la Résolution 9 (II) du Conseil économique et social des Nations unies. * 68 Le Togo et le Bénin font partie des pionniers car, leurs Commissions des droits de l'homme ont été créées respectivement en 1987 et 1989. * 69 Décret n°90/1459 du 8 novembre 1990, portant création du Comité national des droits de l'homme et des libertés. * 70 La création du Comité par décret présidentiel s'est avérée non-conforme aux principes de Paris régissant le fonctionnement des institutions nationales de protection des droits de l'homme. * 71 Article 1, paragraphe 2 de la loi du 22 juillet 2004 portant création, organisation et fonctionnement de la CNDHL. * 72 HAMID GRAHAM est ancien fonctionnaire au Haut Commissariat des Nations Unies pour les droits de l'homme. * 73 Le décret n°2005/254 du 7 juillet 2005 dote la CNDHL d'un secrétariat permanent et de services internes. * 74 En 2002 par exemple, elle a été saisie de 286 requêtes dont les plus nombreuses portaient sur la violation des droits à un procès équitable, à la propriété, sur la garde à vue prolongée, le droit au travail, les abus d'autorité et de pouvoir, les tortures et traitements inhumains et dégradants, les arrestations et détentions arbitraires et abusives (Cf. Rapport d'activité 2002 de la CNDHL, pp. 8-13). * 75 NDOH ONDOBO (D), La gestion de l'information relative aux violations des droits de l'homme : le cas de la Commission Nationale des droits de l'homme et des libertés du Cameroun, Mémoire pour l'obtention du Diplôme d'université de 2e cycle Ethique des droits de l'homme, 2004-2005, p. 30. * 76 Le rapport 2002 de la CNDHL (p. 12) fait ressortir la difficulté de ses rapports avec les administrations lorsque ces dernières sont mises en cause dans des cas d'atteinte aux droits des personnes. Très peu répondent à ses correspondances ou à ses convocations, d'autres refusent de rencontrer les délégations qui se présentent à elles. * 77 La CNDHL annonçait cet objectif dans son bilan quinquennal des activités 1992-1997. Les villes citées représentent les chefs lieux de quatre provinces sur les dix que compte le Cameroun. * 78 CNDHL, bilan quinquennal des activités, 1992-1997, p. 16. * 79 La CNDHL publie une revue trimestrielle intitulée Born Free. * 80 Il s'agit de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, du Comité des droits de l'homme des Nations unies, du Comité contre la torture, du Comité pour l'élimination de la discrimination raciale. * 81 Cette annonce intervenait à l'occasion du message à la Nation du Président Paul BIYA, le 31 décembre 1995. * 82 Sur les activités du PNG, voir OYONO (D) et Al, Cameroun : les chantiers de la gouvernance, Yaoundé, Imprimerie Saint Paul, 2004, 144 p. * 83 Il s'agit là d'un volet transversal qui implique tous les secteurs de l'appareil de l'Etat. Il se concrétise par l'élaboration et la mise en oeuvre d'un plan d'action gouvernemental de lutte contre la corruption, la création au sein des administrations des structures de lutte contre ce fléau, l'application des sanctions pénales, administratives et disciplinaires contre les mis en cause, la création toute récente (Décret n°2006/088 du 11 mars 2006) d'une Commission nationale anti-corruption. Dès janvier 2006, la lutte contre la corruption a pris un tournant décisif avec l'application de la phase répressive. Ainsi, des Magistrats convaincus de telles pratiques ont été révoqués, trois Directeurs généraux de sociétés à capitaux publics et un Ministre en fonction ont été limogés, puis interpellés et mis à la disposition des autorités judiciaires. Le 23 mai 2006, 13 fonctionnaires du corps des douanes détenteurs de faux actes de gestion de carrière, ont été révoqués par des arrêtés du Ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative. (Voir Cameroon Tribune n° 8605/4804 du 24 mai 2006). * 84 Supra, Section 1, paragraphe 2, A, 2. * 85 Les infractions les plus courantes de la presse sont entre autres, la diffamation, l'atteinte à l'honneur et à la considération des individus, la propagation de fausses nouvelles, les écrits et propos séditieux, l'atteinte aux moeurs. * 86 Sur l'ONEL, voir OLINGA (A.D) in La Constitution de la République du Cameroun, op. cit, p 227 et s. Voir aussi du même auteur, l'ONEL : Réflexions sur la loi camerounaise du 19 décembre 2000 portant création d'un Observatoire National des Elections, Yaoundé, Presse de l'UCAC, 2002, 74 p. * 87 L'ONEL vient de rendre public, le 12 mai 2006, son rapport général sur le déroulement des opérations de l'élection présidentielle du 11 octobre 2004. Voir Cameroon Tribune n°8598/4797 du 15 mai 2006. * 88 Infra, deuxième partie, chapitre 1, section 2, paragraphe 3. |
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