3. Les salaires
Nous avons vu que le travail salarié est très
important et que les hauts revenus agricoles sont en fait une ponction sur la
valeur ajoutée produite par les salariés. C'est ce rapport de
force entre le propriétaire de la terre et le travailleur qui
apparaît aujourd'hui assurer la prospérité de l'agriculture
d'Almeria, bien que qu'historiquement, ce sont au contraire la diminution des
rapports sociaux injustes et l'agriculture familiale qui a permis le
développement de la région.
L'absence d'organisation syndicale et le renouvellement
très rapide de la main d'oeuvre (la plupart des immigrés quittent
la province d'Almeria dès qu'ils sont régularisés et ils
sont remplacés par de nouveaux arrivants) sont des freins à des
revendications sociales qui permettraient de mettre à jour les tensions
sociales et d'établir un équilibre acceptable entre la
rémunération du travail salarié et du travail familial.
Il existe plusieurs types de travailleurs salariés :
les journaliers, les travailleurs temporaires (plusieurs mois sur la même
exploitation) et les salariés permanents (plusieurs années sur la
même exploitation) qui ont en général de meilleures
conditions de travail (partage du temps de travail entre la récolte sous
serre et le calibrage) et de meilleure conditions de vie (contrat de travail
avec une rémunération fixée, sécurité
sociale, logement, retour annuel dans leur pays d'origine). En échange
ils doivent, à l'instar de la main d'oeuvre familiale, allonger leurs
journées pendant les pointes de travail, sans recevoir de
rémunération supérieure, voire sans recevoir de
rémunération. Mais la plupart des salariés (journaliers et
temporaires) sont des clandestins obligés d'accepter une
rémunération très faible : les salaires reçus par
les salariés clandestins tournent autour de 30 € par jour alors le
salaire agricole minimum légal est de 40 € par jour (5 € par
heure), auxquels s'ajoutent les charges sociales de 6 €, ce qui
élève le cout du travail à 46 € par jour.
L'emploi de salariés permanents peut amener les
agriculteurs à faire des choix différents, par exemple à
continuer à produire quand les prix baissent à la fin de la
campagne, même si ça ne lui rapporte rien et lui permet juste de
payer les salariés. Mais c'est une façon de «
fidéliser » des travailleurs qu'il a formé et à qui
il a permis d'obtenir un contrat de travail. Dans le choix des travailleurs
permanents, les agriculteurs vont aussi effectuer une forme de discrimination
puisqu'ils préfèrent des salariés avec qui il y a peu de
risque qu'ils partent dès qu'ils auront obtenu un contrat de travail,
typiquement les familles ou les femmes avec des enfants. Il arrive que certains
salariés qui travaillent pendant une dizaine d'année avec le
même propriétaire obtiennent des terres en métayage, cela
concerne un nombre infime de personnes en regard du flux de migration qui passe
par Almería mais représente un nombre non négligeable de
métayers et a tendance à s'accentuer. Dans certains cas, l'espoir
d'obtenir des terres en métayage peut également participer
à une forme de « fidélisation » et faire taire les
revendications.
Nous allons étudier comment les salaires influencent le
revenu agricole. Les salaires utilisés jusque là sont moyens (35
€/heure). Nous allons voir ce qui se passe si une pression très
forte fait descendre les salaires jusqu'à 25 € par heure, ce qui
arrive parfois, et si au contraire, les salaires augmentent jusqu'à 45
€ par heure (ce qui correspond au cout légal du travail).
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-10000
-15000
30000
25000
20000
15000
10000
-5000
5000
0
RA/actifsF
agriculture familiale
salaires faibles
salaires élevés
petite agriculture patronale salaire moyens
m2/actifsF
Figure 40 : effet d'une variation de salaires sur le
revenu pour la petite agriculture patronale
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120000
100000
-20000
40000
80000
60000
20000
0
RA/actifsF
salaires faibles
salaires élevés
grande agriculture patronale salaire moyens
m2/actifsF
Figure 41 : effet d'une variation de salaires sur le
revenu pour la grande agriculture patronale
Dans le cas de l'agriculture familiale, la variation de revenu
tient seulement à l'emploi de journaliers quelques jours par an, elle
est de l'ordre de 1%, en ce qui concerne la petite agriculture patronale, la
variation de revenu liée à une variation de salaire est de
l'ordre de 12 % et dans la grande agriculture patronale, de l'ordre de 18 %.
Ces calculs, comme précédemment, ne tiennent pas compte des
incitations, dans le cas d'une augmentation des salaires, les agriculteurs
peuvent réagir en décidant de diminuer la production et
d'employer moins de main d'oeuvre salariée pour limiter leur baisse de
revenu, si cette baisse est structurelle, cela peut les amener à changer
le système de production.
Les variations de revenu dues aux salaires sont assez faibles
si on les compare avec l'impact d'une baisse du produit brut (rendement*prix).
La viabilité des exploitations agricoles ne dépend pas
directement des salaires mais la flexibilité des salariés permet
de gérer la prise de risque due aux variations de prix et à
l'endettement. Face aux risques liés à la variabilité des
prix et aux emprunts, les salaires sont le seul facteur sur lequel les
agriculteurs peuvent réellement influer. Une grande part de
l'incertitude de la culture de tomates à Almería se reporte donc
sur les salariés. La flexibilité de la main d'oeuvre est
nécessaire aux agriculteurs car elle permet de gérer le risque :
ils peuvent employer ou au contraire renvoyer les salariés en suivant au
plus près les fluctuations de prix imposées par le
marché.
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