Le régime juridique de l'arbitrage commercial international( Télécharger le fichier original )par S. T. Abdel- Kader FADAZ Université de Lomé - DESS Droit des Affaires et Fiscalité 2006 |
§1er L'applicabilité de la lex mercatoria au contentieux arbitral internationalLa lex mercatoria peut-elle s'appliquer au litige au même titre qu'une loi ordinaire et en permettre le règlement ou faut-il lui dénier toute valeur normative réelle et la réduire au simple rang de clause contractuelle ? La question de la reconnaissance de la lex mercatoria en tant que corps de règles capable de fixer des normes juridiques applicables au litige soumis à l'arbitrage commercial international et aux transactions du commerce international en général, fait l'objet d'une grande controverse en doctrine. Des auteurs se sont très tôt exprimés en faveur de la reconnaissance d'une valeur normative à la lex mercatoria. Une école de pensée s'est même constituée autour de cette position avec l'élaboration d'une théorie relative à la normativité de la lex mercatoria dans les rapports et l'arbitrage commerciaux internationaux41(*). Mais la normativité des règles de la lex mercatoria fait l'objet d'une vive contestation de la part d'un autre courant doctrinal42(*). Avant de nous prononcer sur l'opportunité de l'application de la loi mercatique au litige (B), il importe d'exposer chacune des argumentations doctrinales relatives respectivement à l'admission et à la négation de sa normativité dans l'arbitrage commercial international (A). A- La controverse doctrinale autour de la normativité de la lex mercatoria La controverse sur la normativité de la lex mercatoria dans l'arbitrage commercial international est alimentée par deux courants doctrinaux, l'un reconnaissant une valeur normative à la lex mercatoria (1) et l'autre lui déniant cette qualité (2). 1) Reconnaissance de la valeur normative de la lex mercatoria. La théorie de la normativité de la lex mercatoria repose sur l'idée de l'existence d'un ordre juridique autonome composé de règles spécifiques du commerce international, indépendant de tout ordre juridique étatique et capable de régir les transactions du commerce international ainsi que les litiges qui en découlent. La synthèse des arguments avancés par le professeur Berthold GOLDMAN et les autres thuriféraires de la normativité de lex mercatoria pour justifier leur position se ramène à deux constatations essentielles43(*). La première concerne l'inadéquation des règles étatiques avec les besoins du commerce international tandis que la seconde s'appuie sur l'existence de règles adéquates élaborées par des institutions indépendantes de tout système juridique étatique. Les adeptes de la normativité de la lex mercatoria font remarquer d'une part que les systèmes juridiques étatiques ne sont pas entièrement adaptés pour régir les rapports juridiques et les conflits issus des transactions du commerce international. Selon eux, l'insuffisance des règles émanant des systèmes juridiques étatiques résulte généralement de la rigidité et de la lenteur qui les caractérisent, des problèmes de conflits qu'elles engendrent et de la complexité qui s'attache à leur mise en oeuvre. D'autre part, ces auteurs font état de l'existence de règles adéquates élaborées par des institutions internationales indépendantes et par la jurisprudence arbitrale pour pallier à l'insuffisance des droits nationaux. Les règles ainsi relevées résulteraient tout d'abord d'un processus d'autorégulation initié par des corporations internationales de commerçants44(*). Ensuite l'oeuvre de régulation proviendrait d'institutions comme la Chambre de commerce internationale (CCI)45(*), l'Institut international pour l'unification du droit privé (Unidroit)46(*) et la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international. A ces initiatives, s'ajouteraient les principes élaborés par la jurisprudence arbitrale47(*). Les divers arguments développés par les auteurs favorables à l'émergence d'une nouvelle lex mercatoria et à sa valeur normative dans l'arbitrage commercial international n'emportent malheureusement par la conviction de ses pourfendeurs. 2) Négation de la valeur normative de la lex mercatoria Pour dénier toute valeur normative à la lex mercatoria, ses fossoyeurs allèguent qu'il est impossible de fixer le contenu et les objectifs de ses sources et qu'elle est dépourvue des attributs fondamentaux d'un ordre juridique véritable. Dans son célèbre article intitulé « Approche critique de la lex mercatoria 48(*)», le Professeur LAGARDE par exemple, nie l'existence d'un tiers ordre juridique représentatif de la lex mercatoria en raison d'une part du défaut d'unité de la communauté internationale dans lequel l'ordre mercatique trouve sa source 49(*) et d'autre part, en raison de l'absence d'une autorité sanctionnatrice unique et indépendante des ordres juridiques concurrents50(*). En définitive, les auteurs hostiles à la reconnaissance d'une valeur normative à la lex mercatoria, en guise de renfort aux arguments déjà relevés allèguent souvent son inaptitude intrinsèque à fournir les solutions pour l'ensemble des aspects d'un différend commercial international51(*). Toutefois, même si au regard des arguments avancés par les négationnistes, on peut être porté à croire avec M. BEGUIN qu' « en terme de théorie juridique, la lex mercatoria n'a pas la cohérence absolue pour la qualifier d'ordre juridique 52(*)», on est fondé à en douter en terme d'effectivité, rien qu'a juger l'opportunité de l'application de la lex mercatoria au litige. B- L'opportunité de l'application de la loi mercatique au litige. Toutes proportions gardées relativement à l'extrémisme des deux courants doctrinaux sur la normativité de la lex mercatoria, il paraît impossible aujourd'hui selon nous, de nier la capacité des règles, de la lex mercatoria à s'appliquer au contentieux arbitral international en tant que règles de droit et ceci pour deux raisons essentielles. D'une part, la normativité de la lex mercatoria bénéficie d'une consécration quasi universelle ne serait-ce que dans le domaine de l'arbitrage commercial international (1). D'autre part, la tendance vers l'émergence d'un ordre juridique propre au commerce international semble irréversiblement amorcée (2). 1) La consécration quasi-universelle de la normativité de la lex mercatoria dans l'arbitrage commercial international. L'admission de la lex mercatoria en tant que règle de droit applicable au litige soumis à l'arbitrage commercial international est aujourd'hui quasi universellement acquise. La meilleure illustration de cette consécration nous est donnée par la plupart des législations sur l'arbitrage commercial international qui dans leurs dispositions relatives au choix du droit applicable au fond du litige admettent explicitement on implicitement le recours aux règles de la lex mercatoria.53(*). Une autre illustration non moins importante de cette consécration nous est donnée par l'arrêt Compania Valenciana de Cenestos Portland SA rendue par la 1ère chambre civile de la Cour de Cassation française le 22 Octobre 199154(*). En l'espèce la Haute Juridiction devait se prononcer sur un pourvoi dirigé contre un arrêt de la Cour d'appel de Paris qui avait jugé que l'arbitre, tenu de rechercher le droit applicable au fond du litige, avait statué conformément à sa mission « en décidant d'appliquer l'ensemble des principes et usages du commerce international dénommé Lex Mercatoria 55(*) (...) ». Au soutien du pourvoi, le demandeur alléguait que l'arbitre ne s'était pas conformé à sa mission « qui était de statuer, à défaut de choix des parties, selon la loi désignée par la règle de conflit qu'il jugeait appropriée ». La haute cour rejeta le pourvoi au motif : « qu'en se référant à l'ensemble des règles du commerce international dégagées par la pratique et ayant reçu la sanction des jurisprudences nationales, l'arbitre a statué en droit ainsi qu'il en avait l'obligation conformément à l'acte de mission, et que dès lors, il n'appartenait pas à la cour d'appel saisie du recours en annulation ouvert par les articles 1504 et 1502-3 du NCPC, de contrôler les conditions de détermination et de mise en oeuvre par l'arbitre de la règle de droit retenue ». La Cour d'appel de Paris et la Cour de Cassation française avaient déjà admis par le passé la normativité de certains principes appartenant à la lex mercatoria56(*). Mais dans l'affaire Compania Valenciana, c'était la première fois que ces juridictions étaient appelées à apprécier la valeur normative de l'ensemble du système juridique formé par la lex mercatoria. Il faut préciser qu'antérieurement à cette jurisprudence favorable et constante, les règles de la lex mercatoria n'étaient pas reconnues comme règles de droit. Ainsi elles ne pouvaient s'appliquer au litige qu'en cas de stipulation d'une clause d'amiable composition par les parties. En vertu de celle-ci le tribunal arbitral pouvait juger en équité et appliquer la loi des marchands dont la normativité n'était pas encore reconnue57(*) . 2) La tendance vers l'émergence d'un ordre juridique propre au commerce international. Depuis deux décennies, prenant conscience de l'inefficience réelle de leurs législations, la plupart des Etats dans le monde procèdent à l'adaptation de celles-ci en adhérant de plus en plus aux règles de la lex mercatoria issues du processus de codification privé initié par des institutions de renom composées d'éminents juristes comparatistes. La plupart des règles et principes généraux du droit de l'arbitrage commercial international universellement admis aujourd'hui sont une création de la lex mercatoria. La loi type sur l'arbitrage commercial international élaborée par la CNUDCI en 1985 par exemple a reçu l'assentiment de beaucoup de pays qui l'ont complètement intégrée dans leur ordonnancement juridique interne.58(*) Le succès grandissant des principes d'Unidroit, s'inscrit également dans cette donne. Le nombre d'Etats qui s'en inspirent pour réformer leurs droits des contrats internationaux ne cesse de croître. 59(*) L'oeuvre d'uniformisation du droit commercial international semble donc bien en marche grâce à ce processus législatif informel apparemment plus efficace. Manifestant un appui solide au développement de la lex mercatoria dans la mesure où elle permettrait de mieux faire accepter l'arbitrage international dans les pays non industrialisés, M. KRISHNAMURTHI, un auteur indien fait les observations suivantes : « Dans les affaires et le commerce internationaux, les habitudes familières aux parties et acceptées par elles doivent jouir d'une primauté... Ce qui est nécessaire en matière de commerce international n'est pas un nombre de droits liés à des systèmes de droits nationaux différents, mais un système juridique fondé sur les lois du commerce international et les usages, coutumes et pratiques favorables au développement d'une lex mercatoria acceptée et mise en oeuvre universellement 60(*) ». L'espoir d'un consensus sur la lex mercatoria est somme toute permis dans l'avenir. La question de l'applicabilité de la lex mercatoria au contentieux arbitral international étant résolue, examinons à présent les hypothèses de son application au litige. * 41 Cf. B. GOLDMAN, « Frontières du droit et Lex Mercatoria », Archives de Philosophie du Droit, 1964, p.177 et s. ; « La Lex Mercatoria dans les contrats et l'arbitrage internationaux », JDI 1979 747 ; Ph. KAHN, « L'essor du non-droit dans les relations commerciales internationales », L'hypothèse du non -droit, Liège 1977, p.231 ; E. LOQUIN, « L'application des règles anationales dans l'arbitrage commercial international , l'apport de la jurisprudence arbitrale », CCI, 1986, p. 67 et s. ; « La réalité des usages du commerce international » Rev. Internat. Dr. Econ. 1989, t 2, p. 163 et s. * 42 Cf. en part. P. LAGARDE, « Approche critique de la Lex Mercatoria », Le droit des relations commerciales internationales, Litec, Paris 1982 p.125 ; Théorie générale des usages du commerce, LGDJ, 1984 ; Lord Justice Michael MUSTILL, « The New Lex Mercatoria : the first twenty five years » in Bos &Browlie, eds, Liber Amicorum for Lord Qilberforce 149 (1987) ; in 4 Arbitration International 86 (1988) ; J. PAULSSON « La lex mercatoria dans l'arbitrage CCI », Rev. Arb., 1990 p. 55 et s, V.L.D WILKINSON, « the New Lex Mercatoria : Reality or Academic Fantasy », 12 JIA 107, 108 (1995) ; K. HIGHET, « The enigma of the Lex Mercatoria », 63 Tulane L .Rev. 613, 617 (1989). * 43 Le Pr. GOLDMAN est considéré comme le chef de file des théoriciens de la lex mercatoria et de sa normativité. Pour les essais publiés à ce propos et les autres adeptes de cette école v. supra page 10. * 44 On peut entre autres citer à ce propos, les conditions générales élaborées dans le domaine du commerce du café et du coton par la Coffee Importers and Exporters Association et l'International Wool textile Organization. * 45 Entre autres normes élaborées par la CCI, on peut relever les Incoterms, les Règles et usances relatives au crédit documentaire, les Règles et usances uniformes pour les garanties contractuelles et les Règles CNUCED/CCI applicables aux documents de transport multimodal. * 46Parmi les plus importantes réalisations d'Unidroit on note la codification d'un recueil de normes intitulé « Principes relatifs aux contrats du commerce international » publié en 1994 et en 2004. * 47 Au nombre des principes résultant des sentences arbitrales publiées on peut entre autres citer : celui de la nécessité de minimiser les dommages [v. les sentences citées in Derains, « L'obligation de minimiser le dommage dans la jurisprudence arbitrale », RDAI 1987 ; aff. CCI n° 4761(1987), Clunet 1987.1012]; celui de la libre détermination par l'arbitre d'un taux d'intérêt raisonnable [sent. CCI n°6219(1990), JDI 1990]; et celui de l'option d'un taux de référence international à l'instar du taux LIBOR -London Interbank Offered Rate-[sent.CCI n°7331(1994), JDI 1995.1001]. * 48 Paru dans Le droit des relations économiques internationales, un recueil d'essais liber amicorum en l'honneur du Professeur Goldman publié en 1982, pp. 125 etc. * 49 Idem op. cit. p. 135 * 50 Idem op. cit. p. 137 * 51 Cf en ce sens PAULSSON, op. cit. p. 64 et s. * 52 BEGUIN, « Le développement de la lex mercatoria menace-t-il l'ordre juridique international ? » Mc Gill L.J. 1985 pp. 478 et ss. p. 502. * 53 Cf. notamment art. 15 AUA-OHADA ; art. VII Conv. euro. sur l'arb. com. internat ; art 3 Conv. Interaméric. sur l'arb. com. international . * 54 Civ. 22 Oct. 1991, Compania Valenciana de Cenestos Portland SA, inédit cf. chron. RTDCom., Janv-mars 1992. p 171 et s. * 55 Paris, 13 Juillet 1989, Rev.arb 1990. 663. note Lagarde, JDI 1990, 430 note Goldman. * 56 Cf en ce sens Aff. Norsolor, CA Paris 19 nov. 1982, Rev arb, 1983. 466 et Cass. 9 oct 1984 Rev. crit DIP. 1985. 551 note B. Dutoit ; JDI -1985. 679, note Kahn, Rev. arb. 1985. 431, note Goldman ; Aff. Fougerolle : Paris, 12 Juin 1980, JDI 1982. 931 9 déc 1981, JDI 1982. 931 note Oppetit. * 57 V. Eric Loquin, L'amiable composition en doit comparé et international : contribution à l'étude du non droit dans l'arbitrage commercial international ; Librairies techniques, Paris 1980, p. 522 et ss. p. 319 et s. * 58 Le Canada, l'Allemagne, etc. en font partie ainsi que le Japon assez récemment (loi N° 138 / 2003). Dans l'espace OHADA, l'Acte uniforme sur le droit de l'arbitrage est fortement inspiré des dispositions de la Loi type de la CNUDCI sur l'arbitrage commercial international. Dans le même sens, le Règlement d'arbitrage de la CCJA s'inspire considérablement de celui-ci de la CCI. * 59 V. notam. Fédération de Russie, Cambodge, Chine, Estonie, Indonésie, Lituanie et pays de l'OHADA rien qu'en 1997 d'après M.J. BONELL, (« The Unidroit Principles of international contracts », RDAI/ IBLJ 1997. 145 spéc. p. 152 ) * 60 N. KRISHNAMURTHI, « Some Thoughts on a New Convention on International Arbitration », in The art of Arbitration (Liber amicorum Pieter Sanders) 207, p. 210 (1982). |
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