À l'origine, le microcrédit était
destiné aux plus pauvres vivant dans les campagnes du Bangladesh. Il
s'est ensuite développé dans l'ensemble des PED notamment en
Afrique, en Asie du Sud Est et en Amérique du Sud. Dans ce contexte, la
plupart du temps des particuliers souvent agriculteurs qui n'avaient pas les
moyens de développer leur activités faute de moyens.
Aujourd'hui avec l'essor que connaît microfinance dans
de nombreux PED dans un contexte de libéralisation et informatisation
croissante de l'activité, elle recouvre un large éventail de
clients et d'acteurs.
1 -2. Les populations ciblées «
aujourd'hui» par les institutions de microfinance
Les institutions de microfinance ciblent dans les PED, en
particulier les pauvres, les femmes, les ruraux et les micro-entrepreneurs en
besoin de financement notamment pour des opérations d'équipement
et de développement d'activité de revenu.
Les femmes constituent la cible prioritaire des institutions de
microcrédit. Guérin (2001, p.7) explique cet engouement pour la
clientèle féminine par le fait que :
« Aujourd'hui, organismes multilatéraux,
gouvernements, baileurs de fonds et ONG partagent tous la
même conviction : il n'y a pas de développement possible et
durable sans la participation des femmes en qualité d'acteur. On
reconnaît qu'elles sont les premières victimes des plans
d'ajustement structurel, du fait notamment de l'affaiblissement des
infrastructures collectives. On constate également qu'elles affectent
leurs revenus davantage au bien-être familial et on en déduit
qu'il vaut mieux s'adresser à elles. On reconnaît enfin que les
programmes mixtes ont tendance à être détournés et
monopolisés par les hommes ».
Une répartition de la proportion de la clientèle
féminine des institutions par région du monde nous donne le
résultat suivant :
Tableau 1.5 : La proportion de la clientèle
féminine des institutions par région du monde
Source : Microbanking bulletin, 2006, vol.13
Force est de constater qu'en Asie, les pays du
Maghreb et du Moyen Orient, les femmes sont les cibles prioritaires
et qu'en Europe de l'est et en Afrique les résultats sont beaucoup plus
nuancer. Ainsi, si on s'intéresse au cas des institutions les plus
célèbres, on note 74% de femmes dans le cas de la BancoSol
Bolivie, 75% pour Brac-Bangladesh, et 95% pour la Grameen Bank. En Afrique de
l'ouest (UEMOA), la clientèle est majoritairement masculine (60% en
1999). En Asie du sud et de l'Est il y a une clientèle
féminine plutôt normale voire marginale, 50% pour la Bank
Rakyat Indonesia et moins de 10% pour les banques régionales
rurales en Inde.
Pour nuancer ces observations, il convient de noter que de
nombreux programmes prévoient des actions exclusivement destinées
aux les femmes (programmes Accord en Afrique de l'Est).
Il est important de noter que le ratio hommes/femmes peut varier
de façon subite dans le portefeuille d'une IMF.
Le cas du programme du CRENDA en Tunisie en fourni une
parfaite illustration significative. Alors qu'il s'agissait d'un programme
réservé aux femmes lors de sa création, le ciblage s'est
modifié deux fois. En effet, l'accès des microcrédits aux
hommes a été admis en 1996 et deux ans près, ils
obtenaient 48% des crédits. En 2000 à cause de la
dégradation des taux de remboursement, les hommes ne
représentaient plus que 12% de la clientèle de la CRENDA
[Cracknell M.2000].
1.2. Zone urbaine/Zone rurale
Historiquement les programmes de crédits
décentralisés sont apparus dans les zones rurales avec le
développement des banques agricoles. A l'époque, l'objectif
était de pallier l'absence de banque commerciale en zone rurale par la
mise en place de structure généralement étatique. Mais
« les programmes d'ajustement structurel et les mouvements migratoires
internes ont généré des phénomènes de
pauvreté endémique en zone urbaine et
accéléré l'informalisation d'une partie de
l'activité » [Montalieu 2000].
C'est pourquoi les institutions de microfinance les plus
anciennes sont implanté plutôt dans les zones rurales (Grameen
Bank, BDK-indonésie, Banques villageoises FINCA en Amérique du
Sud, FECECAM et Kafo Jiginew en Afrique de L'ouest). Par contre, la
clientèle urbaine est plutôt visée par les programmes
récents, BancoSol-Bolivie, K-REP Kenya, CFCMCongo ou CRENDA Tunisie.
La clientèle des institutions de microfinance est
exclusivement pauvre. On appelle le microcrédit souvent, le
crédit pour les pauvres. Le CGAP définit le marché cible
des institutions de microfinance à l'aide du ratio solde moyen des
crédits/PNB par habitant. Si ce ratio est inférieur à 20%,
alors la cible est une clientèle très pauvre, pour un ratio
supérieur à 150% la cible est une clientèle
aisée.
2. Innovation financière du prêt de groupe
Le succès croissant des IMF est dû aussi
à l'introduction de pratiques bancaires innovantes. On peut retenir cinq
éléments essentiels [Guérin 2001, Ghatak et Guinnane 1999
ou Aghion et Morduch2005].
Les IMF accordent des prêts aux emprunteurs
organisés en groupe. Généralement des femmes,
constituées de groupe de 4 à 6 membres. Chaque membre du groupe
reçoit, un prêt à condition d'accepter la
responsabilité du remboursement des crédits accordés aux
autres membres au cas où ils se relèvent incapables de rembourser
eux-mêmes. L'idée principale est de rendre les individus
co-responsables pour permettre de transférer les coûts d'agence au
niveau du groupe. Alors, la technique du prêt de groupe permet de traiter
l'un des problèmes courant des modèles principal-agent avec
asymétrie d'information à savoir l'anti sélection et
même d'aléa moral. En effet, confronté à des
porteurs de projets de qualité hétérogène et ne
disposant pas
d'information sur leurs caractéristiques, les
institutions financières peuvent être amenées à
sélectionner les mauvais emprunteurs en discriminant par le coût
du crédit.
Du coup, à cause du coût élevé du
crédit, les bons emprunteurs seraient conduits à renoncer au
crédit ou à chercher une autre source de financement. Le
prêt du groupe est un moyen de forcer l'emprunteur à
révéler ses vraies caractéristiques. Alors prêter
à des groupes permet de révéler complètement
l'information qui est socialement optimal26. Ces modèles
reposent sur l'hypothèse que les emprunteurs se connaissent
parfaitement.
Les bons emprunteurs se sélectionnent mutuellement, ce
qui permet de limiter le phénomène d'antisélection. Ainsi,
pour l'institution de microcrédit le fait d'appartenir à un
groupe de crédit solidaire est un signal de qualité qui remplace
le mécanisme de la caution ou de garantie individuelle.
L'autre avantage des prêts de groupe est qu'ils
permettent de réduire le coût de l'aléa moral, et de
générer des meilleures conditions de prêts aux emprunteurs.
Ceci en rendant co-responsable les emprunteurs, les individus choissent
conjointement de faire des efforts, dans le but de diminuer la rente de
l'aléa moral à verser comme le souligne Stiglitz [1990] ou Varian
[1990].
2-1. Dynamique du contrat de crédit de groupe
Source : Extrait de Léandre Bassolé [2003]
26 Comme modélisé par exemple Ghatak
(1999)
Le principe de l'auto sélection utilise l'information
locale privé auquel le préteur n'as pas accès ou du moins
à un coût pour différencier les types
d'emprunteurs. En effet, Hoff et Stiglitz [1990] ont montré que les
emprunteurs détenaient assez d'information sur les partenaires et sur
l'architecture locale du marché du crédit. De fait comme nous
l'avons évoqué cela conduit à la formation de groupes
homogènes où tous les membres ont une parfaite connaissance sur
les caractéristiques de leurs partenaires, ainsi que le risque projet et
le niveau de solvabilité. Si on s'intéresse au prêt, on se
rend compte que le rendement du projet dépend de l'action de
l'emprunteur lorsque celui-ci est octroyé. En somme, cela
dépend du comportement et du niveau d'effort de l'emprunteur. De
manière générale on s'attend à ce que l'emprunteur
choisisse des actions qui égalisent le bénéfice marginal
et le coût marginal. Cependant, en situation
d'asymétrie informationnelle se résultat ne se
réalise pas nécessairement et cela dans un contrat sans garantie
car le prêteur et l'emprunteur non pas les même objectif.
De plus, il faut noter que l'emprunteur n'internalise pas
entièrement les coûts d'échec du projet et peut
entreprendre des actions qui conduisent à l'échec du projet
financé. Alors dans la dynamique du contrat de crédit,
on relève deux types de hasard comme le souligne Conning
[2000], le hasard ex-ante et le hasard moral ex-post27.
Le hasard moral ex-post apparaît quand, à
l'échéance, certains acteurs du groupe ne peuvent pas notamment
en cas d'échec du projet ou même refusent carrément de
rembourser le prêt de manière volontaire. Le prêteur est ici
incapable de savoir si l'échec est dû à des raisons
légitimes ou au comportement stratégique de l'emprunteur. Ce que
la coresponsabilité permet de résoudre ou même de
pallier.
2.2. Responsabilité conjointe
De fait, nous pouvons affirmer que ce mécanisme de
prêt de groupe permet de résoudre les problèmes
d'aléa de moral. La responsabilité conjointe assure donc au
créancier que les débiteurs mettront en oeuvre les actions
nécessaires pour rembourser et respecter ainsi leurs engagements.
27 Se référer à la
figure sur la dynamique du contrat de
groupe
2.3. Les incitations dynamiques
Les mécanismes d'incitations dynamiques
permettent d'obtenir des taux de remboursement élevés sur des
populations dites à risques. La méthode utilisée est celle
du prêt progressif ou par pallier. Ainsi, le remboursement sans incident
d'un prêt permet le déblocage d'un second prêt plus
important et ainsi de suite.....
Cette action répétée permet au
créancier de réduire ses coûts de recherche d'informations
et de sélectionner les meilleurs risques pour les opérations plus
importantes. D'autre part, ces prêts par pallier ou progressifs
permettent de nouer des relations de long terme entre institutions et leurs
clients. De plus, le fait de proposer un prêt plus élevé en
cas de remboursement dissuade les mauvais emprunteurs d'opter pour une
défaillance stratégique. C'est donc un moyen pour
l'emprunteur pour réduire ses coûts de transaction ex ante et de
bénéficier de meilleures conditions de crédit. Cependant,
la portée de ce mécanisme incitatif est limitée par la
concurrence que peuvent se livrer les IMF et le degré de mobilité
spatiale des emprunteurs [Montalieu 2002].
Les IMF sont reconnues pour leur exploitation des incitations
dynamiques. Toutefois dans le cas de crédits individuels, les
emprunteurs sont à priori assurés de pouvoir
bénéficier assez facilement de crédit d'un montant plus
élevé s'ils respectent leur échéancier.
2.4. Calendriers de remboursement
Les calendriers de remboursement sont réguliers et
commencent presque immédiatement après l'octroi du prêt.
Toutefois, les IMF ont des délais de grâce très
élevés et aussi une fréquence élevée des
remboursements. Le but est d'évincer les emprunteurs
indisciplinés lorsqu'un problème survient. De plus, les avantages
de cette méthode sont nombreux et indéniables pour l'IMF. D'une
part, comme nous l'avons souligné, il permet de détecter
très tôt les problèmes éventuels d'un emprunteur et
de l'amener à se corriger avant l'échec total. Et d'autre part,
cela confère à l'IMF une liquidité plus forte ceci dans la
mesure où les IMF peuvent collecter les rentrées d'argent avant
qu'elles ne soient dépensées ou mal utilisées. Cependant,
ce système peut être pénalisant pour les
emprunteurs dont les revenus sont marqués par la saisonnalité
(cas des agriculteurs). Toutefois, il faut préciser que les
fréquences des remboursements varient en fonction de la taille du
prêt. Ainsi, les échéances à une semaine sont
réclamées pour les plus petits prêts tandis que pour les
prêts les plus importants, le remboursement peut être
effectué de façon bimensuelle ou mensuelle.
2 .5. Les garanties auxiliaires
Bien que nous admettons que la technique du prêt
à groupe solidaire avec responsabilité conjointent assure des
remboursement très honorable, l'octroi de crédit sans garantie
demeure une activité risquée. Face à ce risque, les IMF
ont développée des systèmes de substitutions.
En effet, ces institutions obligent leurs clients à constituer des fonds
d'épargne gérés par l'institution. Chaque emprunteur
alimente ce fonds par une cotisation proportionnelle au montant
emprunté. En cas de défaut de l'emprunteur l'IMF saisir son
épargne. Toutefois, en pratique, bon nombre d'institutions telles que la
BRI en Indonésie exigent quand même des garanties traditionnelles
surtout lorsque le client est en situation de les offrir. Cependant, cette
exigence est souple sauf que l'absence de garantie n'est pas cause d'exclusion
du marché du crédit puisque des exceptions aux garanties restent
à la discrétion de l'institution.
De même, cette exigence d'épargne a pour
objectif aussi de construire une relation de confiance entre le prêteur
(IMF) et l'emprunteur (les clients) afin d'évaluer leur capacité
de remboursement. Donc, comme la plupart des clients ne disposent pas de
garanties bancaires courantes, ce sont souvent les biens matériels qui
sont utilisés comme garanties de substitution. Cependant, les groupes de
«caution solidaire » demeurent la forme de garantie très
courante utilisée par les IMF. De plus, les praticiens accordent une
grande importance à la formation des groupes. L'écrémage
(screening) est l'une des fonctions les plus importantes de la formation de
groupe, et plusieurs études empiriques l'ont souligné. Par
exemple, Wenner [1995 pp 270-272] a remarqué que les groupes de la
Fundacion Integral Compesina (FINCA). Cette méthode a permis de
réduire de façon significative les
impayés.
Toutefois, ils existent des programmes dans lesquels les
groupes ne s'étaient jamais rencontrés auparavant. C'est le cas
du programme crédit et éducation mis en place par le
Réseau des Caisses Populaires au Burkina Faso [Kevane, 1996 p 26].