1.5. Schéma pour l'analyse de la
réception
1.6. Explications des schémas de Willmar
Sauter
En menant des études d'audience pour définir les
bases qui permettent aux spectateurs d'apprécier ou non un spectacle et,
après analyse de leurs différents jugements, les nombreux
théoriciens ont constaté que l'évaluation d'une
représentation par un spectateur était toujours liée
à l'appréciation ou non des acteurs, de leurs jeux, même si
d'autres aspects du spectacle (la fable, la mise en scène, la
scénographie, les costumes...) étaient mentionnés de
manière plus ou moins régulière. Les comédiens,
eux, étaient constamment évoqués. Or, ce lien entre
l'appréciation du jeu des acteurs et celle du spectacle est
indépendant du background socioculturel du spectateur ainsi que du type
de représentation. De plus, le spectateur ne « rentre » pas
dans l'histoire, n'en comprend pas le sens, le message, presque
automatiquement, s'il n'apprécie pas l'acteur. La difficulté
était donc de construire une théorie ou un concept de
communication théâtrale qui tienne compte de tous les aspects de
la relation entre le comédien et le spectateur : la création de
sens,
l'appréciation du point de vue artistique au regard des
compétences des acteurs, ainsi que l'évaluation personnelle sur
l'acteur.
Willmar Sauter a combiné les études sur la
réception (menées des points de vue sociologique et
psychologique) avec les théories
herméneutico-sémiologiques.
Il considère le théâtre comme une forme de
jeu et a cherché l'intersection entre le spectacle et l'audience.
Pour la construction de son schéma, W. Sauter a voulu
décrire, d'une part, les caractéristiques communicatives de la
relation artiste de spectacle vivant - spectateur ; d'autre part, les
structures des contextes essentiels dans lesquels cette communication
particulière prend place. Car, comme nous l'avons déjà
évoqué, si la présentation d'un événement
théâtral dépend des conditions de production et du contexte
général, il en va de même pour les conditions de
réception qui sont influencées par les conditions de production
de l'oeuvre, les stratégies de marketing, la réputation des
participants....et les dispositions individuelles du spectateur.
L'événement théâtral est
décrit comme une forme de « jeu de théâtre ». Il
est en relation avec la « culture du jeu » et le concept dynamique de
« théâtralité en contexte ». Tous ces
éléments sont imbriqués l'un dans l'autre et fonctionnent
à travers le « contexte culturel ».
Le « contexte culturel » se compose de «
théâtralité en contexte » et de « culture du jeu
» qui dépendent évidemment de la législation en
vigueur dans un Etat, des médias et de supports financiers. Inversement,
la « culture du jeu » et la « théâtralité en
contexte » déterminent le « contexte culturel » : seuls
les projets les plus prestigieux, les activités les plus en vue captent
l'attention et provoquent donc les réactions positives ou
négatives de ceux qui ont le pouvoir d'agir.
Si l'événement théâtral, compris dans
le pôle « jeu théâtral », est influencé par
les trois autres contextes, il les influence également.
Dans les sections suivantes, nous décrirons les
pôles autour desquels s'inscrit l'événement
théâtral. Nous attirons l'attention du lecteur sur le fait que ces
éléments ne sont absolument pas à considérer dans
un quelconque rapport hiérarchique, mais plutôt à
l'intérieur d'une relation d'influences mutuelles et réciproques,
les pôles étant étroitement
entremêlés et les influences simultanées.
Nous écarterons, dans un premier temps, l'événement
théâtral pour nous concentrer tout d'abord sur les trois
pôles d'influences.
Il est important de préciser qu'au chapitre suivant,
nous allons développer les éléments constituant les
pôles introduits ci-dessus, plus particulièrement en rapport avec
les conditions de production et de réception des spectacles
européens. Cette structure peut sembler décousue, mais,
étant donné les imbrications des éléments entre les
différents pôles, il nous a semblé plus clair de
procéder de cette manière.
Le schéma essaie de montrer les multiples fonctions du
théâtre. Entre les quatre pôles se situent d'autres
éléments, des valeurs générées par les
pôles principaux : les valeurs économiques du monde des affaires,
les théories philosophiques et morales, les valeurs esthétiques
moins impérieuses et les valeurs sociales. Toutes ces valeurs sont en
constante interaction et ne peuvent jamais être considérées
isolement. Nous ne les avons pas décrites individuellement, car
c'eût été trop long. Nous avons donc choisi de les
intégrer aux quatre points principaux puisque, de toute façon,
les entrelacements et les interdépendances sont manifestes.
1.6.1 .Culture du jeu.
Pour définir cette section, W. Sauter reprend la
théorie du jeu développée par Hans Georg
Gadamer19. Il considère que dans toutes les
sociétés et depuis la nuit des temps, l'essence de l'art est le
jeu. Le sociologue Erving Goffman20 va plus loin dans cette
affirmation en considérant que toutes les interactions de la vie
quotidienne peuvent être rapprochées du modèle
d'interaction théâtrale et donc du jeu. Ces affirmations
méritent quelques explications.
Dans notre vie, tout serait une forme de jeu. Gadamer
considère que le jeu préexiste aux joueurs, possède ses
propres règles et que ceux qui participent au jeu subordonnent leur
volonté aux règles du jeu. De même, selon Erving Goffman,
nos rapports quotidiens sont essentiellement issus du jeu. Par exemple, nous
jouons le rôle d'étudiant, de professeur, de
19 Une des figures-clés de la théorie
herméneutique qui influence énormément la théorie
de Willmar Sauter.
20 GOFFMAN, Erving Goffman : La mise en
scène de la vie quotidienne, vol 1 : La présentation de soi,
Editions de Minuit, Collection le sens commun, vol 1, Paris, 1973.
docteur, d'avocat, de journaliste, d'homme politique, quand
nous recevons des invités, nous cherchons à donner une certaine
image... Ainsi le théâtre, en tant qu'art mimétique
représente les jeux quotidiens : le comportement des différentes
classes d'individus, les habitudes cérémoniales, alimentaires,
les différentes manières de s'exprimer, de se saluer, de
s'aimer.... au moyen d'une théâtralité plus ou moins
marquée.
Nous jouons ou pratiquons également d'autres formes de
jeux, de manière consciente, par exemple : les jeux d'enfant, de
divertissement, les jeux sportifs et / ou culturels. Certains jeux peuvent se
pratiquer individuellement, par exemple, quand nous regardons la
télévision, quand nous lisons un livre, quand nous visitons une
exposition.... Alfred Gell21 reprend également cette vision
puisqu'il considère que dans toute forme d'art, de nombreuses «
intentions » sont sous-jacentes et que l'observateur ou le lecteur joue
à les retrouver, à les comprendre.
Gadamer considère que la spécificité du jeu
artistique est de jouer/ de créer quelque chose pour quelqu'un : un
observateur, un spectateur.
Cependant, la présence de spectateurs à un match
de foot, par exemple, ne transforme pas forcément le sport en
manifestation artistique. Il fallait donc trouver autre chose pour distinguer
le jeu et le jeu artistique. Gadamer propose de retenir la compétence,
l'aptitude du ou des joueurs qui s'acquiert surtout par la pratique. Mais ce
paramètre n'est pas efficace, tout comme la seconde proposition de
Gadamer qui estime que l'art naît de la conscience que possèdent
les joueurs de pratiquer un art et des spectateurs d'assister à un jeu
artistique. Il semble que la principale différence entre les jeux, en
général, et les jeux artistiques soit la communication d'un
message.
Bien que les jeux soient présents dans toutes les
sociétés, les règles et les manières de jouer
varient d'un lieu et d'une époque à l'autre, d'une forme de jeu
à l'autre. Des conventions comparables se retrouvent dans le jeu de
théâtre dont les pratiques varient également d'un lieu et
d'une époque à l'autre ; elles sont à rapprocher de notre
manière de vivre, de nos croyances, de notre éducation, de notre
manière de penser, de nos structures imaginaires...
Il apparaît donc que les identités ethniques et
les nombreux aspects de la pluralité culturelle, suggérés
de plus en plus souvent lors des représentations
théâtrales, sont essentiels à la compréhension du
contexte culturel des événements théâtraux. Par
ailleurs, comme l'intérêt d'un groupe pour une pièce est
soumis à la visibilité de ce groupe sur scène, il semble
primordial de représenter « l'autre », le groupe
marginalisé, avec nuance et finesse, sans tomber dans les
clichés. Il peut être dangereux de rire d'une caricature. Il faut
que le groupe représenté accepte l'image que l'on donne de
lui.
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