1.3 LA CONSTRUCTION COMMUNAUTAIRE
1.3.1 Question de place et de rôle
A Madagascar, on constate que les institutions religieuses ont
tenu des rôles divers dans l'histoire nationale. Elles ont eu des
implications politiques dans la création de la nation malgache :
l'histoire de la royauté Merina et de la résistance au
régime colonial sont des exemples avérés. C'est à
travers la Bible que les Malgaches ont appris à lire. C'est avec les
missions chrétiennes que les premiers écoliers ont vu
naître les premières écoles tout comme les premières
architectures occidentales. Cette fonction « civilisatrice » est
perçue comme un des premiers rôles des institutions
chrétiennes à Madagascar. Aujourd'hui encore les institutions
religieuses se lancent dans des activités humanitaires et plus encore
dans des projets divers de développement.
A travers l'histoire aussi, on peut remarquer que ces
institutions ont eu pour mission de gérer ses propres ressources dans le
but de regrouper toute une communauté autour d'elles. L'appellation
générique de l'église en malgache « fiangonana »
rappelle que ces institutions se manifestent par des « réunions
», comme si le fait de se réunir est premier avant tout.
Le premier rôle des institutions religieuses est de
réunir et de renforcer les communautés locales. Elles offrent des
lieux (Temples, églises, « stations »,...) pour que ces
réunions puissent se réaliser. Par ce fait, les institutions
religieuses n'offrent-elles pas des lieux d'interaction pour la construction
d'une nouvelle communauté ou du moins pour raviver les anciennes
interactions sociales ?
On peut penser que le religieux est un élément
qui renforce le communautaire mais en tout cas il n'est jamais tout seul. Il y
a aussi des liens linguistiques, des liens de proximité territoriale et
des liens d'appartenance, d'identification « ethniques ». Comment ces
liens se reproduisent-ils en France et comment la religion,
particulièrement la religion protestante, organise et renforce- t-elle
la communauté malgache en situation de migration en France ? Quels sont
les indicateurs visibles de cette volonté d'organisation communautaire
de la part des institutions religieuses ?
Les immigrés malgaches en France ne peuvent pas tous
être cadrés dans une quelconque matrice religieuse. Mais le
passage du fait d'être immigré au fait d'être présent
dans les Temples pour certains (le cinquième des immigrés en
France78) est intéressant dans la mesure où les
communautés territoriales, ou ethniques, des migrants ont fini par se
donner une religion.
78 Source : le discours du fondateur de la fpma,
« 40e anniversaire ».
La religion qu'elles se donnent est l'expression de leur
culture et les institutions religieuses sont là pour faire vivre cette
religion. Comment les institutions renvoient-elles la religion à la
communauté? Et comment elles voient se créer une religion et une
communauté en même temps?
Si les migrants malgaches que j'ai rencontré dans les
Temples constituent a priori une communauté, je me demande sur
quelle base est structurée cette communauté : est-ce une
communauté nationale ou une communauté basée sur un
modèle ethnique? Est-ce une communauté sur une base religieuse ou
une base générationnelle? En sachant que l'ancestralité
est un des premiers facteurs de l'identité collective à
Madagascar? Quelle place tient-elle en situation de migration pour les
Malgaches de France et en particulier pour les individus que j'ai
rencontré dans les Temples?
Quels sont les vecteurs de cette structuration, est-ce
uniquement politique? Est-ce économique ou est-ce typiquement religieux?
Quelle est la place de l'économie dans cette migration? Ces «
travailleurs-étudiants »79 dont une partie sont des
travailleurs clandestins, sont-ils vraiment dans cette migration
alternante80 où c'est le marché mondial qui
régule tout avant toute autre chose?
Quelles sont les tendances ou orientations qui guident la
structuration? S'agit-il d'une reproduction d'un modèle communautaire?
Lequel? Ou est ce que la communauté à observer est une migration
ancienne et importante en nombre qui pourrait se structurer sur un
modèle communautaire, le sien.
Quelles sont les conséquences de cette structuration?
Est-ce un nouveau calquage, une répétition, une reproduction
sociale? Quelles sont les conséquences des rapports interethniques, du
processus d'éthnicisation? Quels sont les rapports mis en jeu : les
rapports entre gens de la campagne et gens de la ville?, entre gens « plus
occidentalisés » et gens « moins occidentalisés »?
ou entre gens à capital économique élevé et les
gens pauvres? Ou s'agit-il d'un décalquage, dans le cas d'une migration
ancienne, avec des problèmes et des problématiques de leur
regroupement propre à la France?
Toutes ces interrogations m'ont amené à expliquer
mon objectif : comment s'organise le religieux à travers les
institutions religieuses et en même temps comment le regroupement d'
une communauté d'un
79 Terme utilisé par CRENN pour désigner
les Malgaches migrants arrivés en France à partir des
années quatre vingt dix.
80 La migration alternante est
caractérisée par l'idée selon laquelle le monde est
caractérisé comme un immense marché sans
frontières, régulé par la loi de l'offre et de la demande
de travail. Elle suppose une mobilité totale des travailleurs. Voir
TRIPIER in « l'immigration de la classe ouvrière en France »,
Eds L'Harmattan, 1990, p310.
pays -Madagascar- participent-ils à la
structuration plus ou moins d'un groupe? Ce groupement qui est
réel, dynamique, visible et que je vais rencontrer lors de mon
terrain.
Pour pouvoir mesurer concrètement l'organisation du
religieux à travers les institutions religieuses et le regroupement des
fidèles à ces institutions, les lieux de cultes constituent un
terrain d'observation intéressant. Mais les observations seules des
lieux de cultes -Temples- sont insuffisantes, il faut avoir un discours qui
témoigne les pratiques, les attitudes et les croyances des individus
concernés. Des entretiens seront menés sur les deux faces, d'une
part un recueil de discours des leaders81 des institutions
religieuses protestantes de la FPMA et d'une autre part, un recueil de discours
des individus que j'ai rencontrés dans ces Temples, le discours des
jeunes présents dans ces Temples. A travers ces discours se
révéleraient les choix identitaires des immigrés.
L'observation lente de la liturgie et la volonté de
savoir une partie de l'histoire individuelle des enquêtés m'ont
permis de voir ce qu'il en est de mes hypothèses. Cette observation et
ces entretiens constituent une expérience en elle-même, une
expérience d'intégration qui mérite à son tour
d'être élucidée et racontée.
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