1.2 DE LA MIGRATION MALGACHE : protestantisme et
rapports avec la France
1.2.1 Quelques traces du protestantisme dans l'Histoire de
Madagascar
La première présence des missionnaires
protestants à Madagascar date de la fin du 18e siècle. Cette
présence était exclusivement anglaise. Le but des Anglais
n'était pas uniquement de faire du commerce avec Madagascar mais c'est
surtout une évangélisation protestante, menée
périphériquement au début dans l'Est de l'île. Cette
évangélisation anglaise a trouvé sa force
stratégique en s'ancrant après au centre de l'île chez les
Merinas5.
Le roi RADAMA I, règnant de 1810 à 1828,
très favorable à une ouverture aux étrangers engagea un
dialogue avec ces derniers. Ce qui a bien arrangé les deux parties car
« Les Anglais, soucieux d'encourager dans l'Océan Indien des
gouvernements hostiles à la traite des esclaves, favorisèrent
l'unification de Madagascar sous l'égide d'une monarchie mérina
avec laquelle ils passèrent un traité en 1817 »6.
En contre partie, les Anglais promettaient aux Merinas de les faire
reconnaître comme Nation « civilisée » et de les aider
à assurer une hégémonie dans toute l'île. Deux fils
de RADAMA I sont envoyés à Londres pour étudier. On trouve
ici un exemple illustrant la doctrine en usage dominant à cette
époque, celle des missionnaires qui pour « traduire dans les faits
l'abolition de la traite, prône la doctrine des « trois
C » : christianisme, commerce, civilisation. C'est par
une initiative économique que le christianisme arrivera à
détruire l'institution économique de l'esclavage ».
(BEAUBEROT, 1987)7. Théoriquement, le commerce d'esclaves
entre Madagascar et les Iles Mascareignes (Réunion, Maurice et
dépendances) cesse en 1817, par ce traité signé entre
RADAMA I et le Général Robert Farquhar. Pratiquement, d'une
manière ou d'une autre, La Réunion continua à importer
illicitement des esclaves venant de Ma d ag asca r8.
L'une des organisations missionnaires anglaises la plus
influente a été la London Missionary Society (LMS), crée
en 1795, qui à travers un traité daté de 1817 a pu
traduire la Bible en langue malgache quelques années après.
« C'est, en effet, le premier janvier 1827 que les missionnaires
protestants purent mettre entre les mains de leurs catéchumènes
le premier Chapitre de l'Evangile de Luc dans leur langue »9
(ESCANDE, 1923)10.
5 Le missionnaire anglais David Jones arrive à
Antananarivo le 3 Octobre 1820. Les Merinas étant des habitants des
Hauts Plateaux de Madagascar, dans la région d'Antananarivo.
6 Crenn 1 p169 (Raison-Jourde)
7 p102
8 Voir COLE Jennifer p305
9 ESCANDE p 15
La présence de la Bible a été
déterminante dans l'Histoire de Madagascar11. «Pour eux
(les Malgaches), elle est plus douce que le miel et plus désirable que
l'or » (ESCANDE, 1923)12. C'est surtout dans la vie politique
malgache que l'utilisation de la Bible semble jusqu'à nos jours, la plus
remarquable10.
Cette présence de la Bible a été
renforcée par des mythes qui assimilaient les Malgaches à une
lignée descendante des Prophètes bibliques. Andrew BURN, un
prébystérien écossais, de cette époque,
évoquait dans son rapport13 que « selon la Bible, les
Malgaches sont des descendants des Cananéens qui ont passé vers
la mer (Genèse, X, 18) mais qui, après une période de
plusieurs années seront réintégrés dans le sein du
peuple de Dieu (Ezechiel, XXVI, 18-21) » (HUYGHUES-BELROSE,
2001)14. L'usage de l'écriture selon l'alphabet dans la
langue malgache s'apprenait de plus en plus vite avec la diffusion de la Bible
en langue malgache.
Après la mort de RADAMA I, la Reine RANAVALONA I
(1828-1861), ferma Madagascar et elle se montra anti-européens et anti-
chrétiens. La Bible a été interdite et elle a
été perçue comme un talisman. Les baptêmes furent
interdits et les missionnaires ont été expulsés.
C'était le temps de la persécution et des premiers martyrs
malgaches15. Ce régime a été suivi
jusqu'à la mort de la Reine.
Après 1861, Madagascar a vécu une période
précoloniale marquée par un retour du christianisme et un nouveau
rapport avec les étrangers16. Le protestantisme voit le
catholicisme prendre et conquérir le terrain avec lui à
Madagascar. Les deux successeurs de la Reine RANAVALONA I, se montraient
favorables au christianisme. Le premier envoya une lettre au Pape PIE IX,
rendit hommage aux architectes étrangers qui apportèrent les
10 Avant fin 1827 : 1500 exemplaires de Saint Luc
étaient tirés. En 1930, c'est le Nouveau Testament tout entier
qui est imprimé et 300O mis en vente. Le 26 juin 1835, La Bible
entière était imprimée, reliée et mise en vente. En
1886, il y a eu 40.335 Bibles, 112..192 Nouveaux Testaments et 276.706
fragments du Livre Saint. En 1904, On était arrivé à
95.858 Bibles. (Source : ESCANDE, 1923)
11 La référence est l'ouvrage de
Françoise RAISON-JOURDE, « Bible et pouvoir à Madagascar au
XIXe siècle. Invention d'une identité chrétienne et
construction de l'Etat (1780-1 880) ». Eds Karthala, 1991.
12 p 26
10 Voir « L'usage de la Bible dans le discours
politique malgache depuis l'indépendance (1960-1990)", in
J.-D.Durand et R. Ladous dirs. Histoire religieuse. Histoire globale -
Histoire ouverte. Mélanges offerts à Jacques Gadille, Paris,
Beauchesne, 1992, p. 199-220.
13 dans Evangelical magazine, « memories of the
life of Maj Gen Andrew Burrn « , Christian's Biography of religion tract
Society. N°22, 1817.
14 p 186
15 Le premier martyr protestant malgache la plus
connue est une femme : Rasalama en 1837. Elle est une figure importante dans le
protestantisme malgache. La commémoration du 150e anniversaire e sa mort
en 1987 a été un évènement historique pour le pays.
La première Bible en malgache a été traduite en 1835, sous
le règne de Ranavalona I, peu de temps avant que son anti-christianisme
a été radical.
16 1865 : un nouveau traité d'amitié
malgacho-anglais
soutiens technologiques à la fabrication des palais, des
écoles, des hôpitaux, des temples et églises.
Tous les écoliers de Madagascar se souviennent encore
de la devise d'ouverture du roi RADAMA II, « tout pour le peuple et pour
les Blancs ». Les écoles missionnaires commencèrent à
fleurir dans toute l'île et principalement dans la Région
d'Antananarivo, « Ce fut alors une poussée, une rage d'enseignement
comme jamais, certes, pays barbare n'en avait vu. Et des temples ou des
églises, qui servaient en même temps d'écoles,
s'élevèrent dans tous les villages des hautes vallées
»17(CAROL, 1908).
La reine RANAVALONA II, dans un contexte de rivalité
franco-anglaise, se convertit au protestantisme. Elle s'est faite baptiser en
186918 et imposa le protestantisme comme religion d'Etat, tout en
tolérant la présence catholique. 19
La stratégie protestante anglaise devançait
largement celle des catholiques soutenues par les Français. «
Pasteur ELLIS aurait touché jusqu'à 1,3 millions de francs de son
gouvernement pour faire progresser la cause anglaise. Le traité
anglo-malgache, conclu en 1865, sous RASOHERINA, comprendrait des clauses
secrètes défavorables au catholicisme. L'afflux des missions
anglaises, puis norvégienne a le don de les exaspérer : Church
Missionary Society, Society for the Propagation of the Gospel, les Friends
Foreign Mission Association et la Norvegian Missionary Society »
20(KOERNER, 1994).
La présence protestante se renforce avec
l'arrivée de nouveaux missionnaires luthériens : le Norvegian
Luthérian Church of America (1888) et le Lutherian Board of Mission
(1890). L'expansion de ces missions à travers l'île a
été globale, les luthériens s'emparent du Sud de
l'île, chez les « Betsileo », à Fort Dauphin et à
Tuléar, les Anglais travaillaient à l'Est de l'île et
à Antananarivo depuis 1875
La Mission Catholique a eu un moindre impact par rapport aux
Anglais, quoique leur progrès a été sensiblement
ressenti21. Les catholiques arrivent à s'installer en
Imerina (Région d'Antananarivo) en 1861. On peut citer
17 p318 « chez les Hovas », Paris 1908
18 D.RALIBERA : « recherche sur la conversion de
RANAVALONA II » in OMALY SY ANIO, N° 5-6, pp303-31 2
19 D'après un traité franco-malgache du
8 août 1868, qui considère la liberté des cultes à
Madagascar
20 p 15
21 En 1871, 5 églises construites à
Antananarivo et une quarantaine de « stations » dans les campagnes
environnant. Un corps missionnaire de 114 personnes qui ont pu formé 700
instituteurs. (Source : KOERNER, 1994)
l'arrivée des soeurs de Saint- Joseph de Cluny suivies
quelques temps après par les frères Jésuites, les soeurs
Franciscaines et bien d'autres encore.
L'aide politique venant de la France pour la Mission
Catholique a été réelle en ce temps là. Des
députés et sénateurs de La Réunion22 en
voulaient à cette tiédeur catholique pour le cas des Missions sur
la Grande Ile. La Réunion s'intéressait déjà
à Madagascar. La région Est de Madagascar abritait des
plantations de colons vazaha23 pendant cette période
précoloniale24.
A partir de 1861, une véritable concurrence
intermissionaire a eu lieu entre les protestants et les catholiques surtout sur
le plan de la scolarisation des nouveaux fidèles. « A travers les
enfants, on visait des objectifs plus lointains et d'abord à former
l'adulte non seulement en tant qu'homme mais surtout en tant que
catholique ou protestant » (RAVELOMANANA,
1985)25. Les journaux périodiques d'obédience
confessionnelle de cette époque s'échangeaient des propos
critiques l'un sur l'autre26. Le premier usage de la notion de
péché mortel a eu lieu en langue malgache (fahotana
mahafaty), il s'agissait des mariages mixtes.
L'annexion de Madagascar est proche, « de 1894 à
1896, certains évêques du Midi de la France sont animés
d'un véritable esprit de croisade »27 (MONDAIN, 1968). L'annexion
de Madagascar par la France a été faite en 189628,
mais cela n'a pas beaucoup aidé la Mission Catholique « très
déçue par la politique de Gallieni qui fait appel à la
Mission Protestante de France pour « protéger » les missions
anglaises et instaure l'école laïque »29 (KOERNER, 1994).
Il est important de rappeler, ici, le congrès
d'Edimbourg (1910) qui est déterminant sur l'évolution du rapport
entre les Français qui détenaient le pouvoir à Madagascar
et les Missions chrétiennes, majoritairement protestantes. Ce
congrès a été le résultat des efforts de
regroupement et de coordination des entreprises missionnaires protestantes
mondiales.
22 L'île de la Réunion dépendait
économiquement des commerces avec l'Est de Madagascar à cette
époque.
23 Le mot vazaha
désigne ici des Réunionnais, des Allemands et des Mauriciens
24 Jennifer COLE rapporte en parlant de son
terrain, la region de Mahanoro à l'Est de Madagascar : « By 1882, a
Réunionais named Fourbon had already built ten buildings « modern
for the time » and had two hundred slaves as laborers. That same year,
Reverend R.P Lacomme wrote that there were as many as one hundred indigenous
Catholics and around fifty whites livings in the area. » (COLE, 2001)
25 p63, La femme et la politique. Recueil de
recherches; Ministère de la culture et de l'art
révolutionnaire
26 « Resaka » (catholiques) et « ny teny soa
», « ny mpanolotsaina », ou « ny mpivahiny »
(protestants)
27 p311, G.MONDAIN, Histoire du protestantisme
28 Voir Virginia THOM PSON et Richard ADOLF (1965),
avec l'ouverture du canal de Suez, les Anglais ont voulu éliminer
l'influence française en Egypte, ils ont accepté que la France
ait main libre sur Madagascar. En 1890, La Grande Bretagne et la France ont
conclu un accord que la France puisse contrôler Madagascar et que
l'île de Zanzibar soit sous contrôle anglaise.
29 p21
Les missions françaises et anglaises qui se
déployaient à Madagascar ont dû accepter l'esprit
oecuménique et les valeurs de laïcité insufflés et
renforcés lors de ce congrès. Le Gouverneur Victor Augagneur qui
gouvernait l'île opta pour une politique anti-religieuse. Comme son
prédécesseur le Général « Gallieni qui
s'appuya sur l'église dissidente Tranozozoro30 comme
ralliement des églises qui rejetaient la tutelle des missions
européens » (KOERNER, 1994)31, il contribue lui aussi,
à faire vivre dans la Grande Ile un Etat laïc. Au début de
la colonisation française, la laïcité de la vie publique, en
particulier, de l'enseignement était prioritaire. L'idéal
républicain pratiqué à Madagascar veut que l'Etat soit le
nouveau missionnaire.
La présence protestante s'est
révélée dans la résistance à
l'administration française colonisatrice. Les intellectuels malgaches
(médecins et pasteurs) du mouvement VVS32 étaient
majoritairement des protestants. Ceci ne signifie pas que les protestants
étaient absents dans le rang des favorables à la naturalisation
française.
Pendant la colonisation deux missions restent très
importantes, la LMS et le FFMA. Elles se sont mises en
confédération deux ans avant l'indépendance en 1960, en
créant la FFPM (Fédération des églises protestantes
de Madagascar) avec la Mission Protestante Française et les Eglises
Luthériennes. Cette période est marquée par le
commencement de l'abandon des missionnaires protestants du terrain malgache.
Les missions catholiques de leur côté s'appliquaient à
organiser politiquement et plus fortement encore ses assises. Elles soutenaient
entre autres actions les premiers syndicats de travailleurs malgaches.
Actuellement, on constate que les écoles protestantes,
vestiges du temps colonial, sont devenues modestes et très peu
entretenues. Il n'y a presque plus de construction de nouvelles écoles
confessionnelles. Les protestants malgaches investissent depuis quelques
années maintenant dans la rénovation des temples33. De
leur côté, les installations catholiques (écoles,
hôpitaux, organisations non gouvernementales, églises) à
Madagascar sont légions et elles sont en progression.
Après l'indépendance, la branche protestante
existe en trois tendances principales, les reformés (FJKM), les
luthériens et les anglicans. L'église
30 Dissidente de la Mission Protestant de France
31 p67, « tant de remous crées autour de
Madagascar depuis 1895 décidèrent les Missions protestantes
à choisir la Grande île comme champs de l'expérience de
« l'esprit d'Edimbourg » »
32 Vy Vato Sakelika, un mouvement nationaliste
malgache, un des plus important. Avant 1920. On peut aussi citer ici le parti
politique indépendantiste MDRM qui existait quelques années
après et comptait dans ces rangs des leaders majoritairement
protestants.
33 De nombreux temples protestants sont centenaires
à Madagascar. Et la décision de rénovation de ces temples
se fait le plus souvent lors des jubilées.
catholique continue à s'étendre sur toute
l'île. Les statistiques avancent des approximations sur la
quasi-égalité des effectifs des fidèles. Et avec les
églises indépendantes, les institutions chrétiennes,
toutes confondues, n'arrivent pas à faire adhérer jusqu'à
maintenant plus de la moitié34 des Malgaches. Une
majorité des Malgaches vivent encore hors des pratiques et croyances
chrétiennes35.
A la fin des années soixante dix, les principales
églises chrétiennes se sont fédérées en une
organisation oecuménique : la FFKM. Une puissante organisation
d'influence politique à Madagascar, qui menait les mouvements populaires
de 1991 dont on a vu la fin du premier régime Ratsiraka36 .
Et cette organisation a été aussi un des lobbies
influents dans l'arrivée au pouvoir du nouveau président de
Madagascar, Ravalomanana37.
Saisir ces quelques traces du protestantisme dans l'Histoire
de Madagascar est important car elle permet de comprendre le contexte et les
dimensions qui sont encore présents dans la migration malgache en France
et contribue à lui donner sens. Je note que mon terrain est
peuplé de protestants « fidèles » de l'Eglise
Protestante Malgache d'« Outre Mer » (ou la FPMA) et dont la
présentation sera faite dans le chapitre II. L'histoire du
protestantisme malgache se sert donc comme une explication des conditions de
l'émigration des migrants malgaches en France.
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