Conclusion
L'estive n'est pas seulement symbolique dans le fonctionnement
des élevages de montagne mais le poumon (économique,
assainissement, reproduction) de leur existence, qui contribue à
maintenir un tissu rural vivant ; c'est l'identité territoriale du
berger. Pour les éleveurs ariégeois, la mobilité pastorale
n'est pas simplement une technique avec laquelle ils s'approprient les
ressources ; c'est la source même de leur succès dans le contexte
agricole actuel. Les animaux et les hommes ont progressivement pris l'habitude
de leur environnement et du rythme de vie pratiqué à cet
égard. Ici, la logique de garde est l'adaptation du savoir-faire du
berger aux habitudes animales et à leurs comportements spontanés,
aux conditions biophysiques du milieu, aux objectifs des éleveurs. Elle
est aussi fonction du point de vue du berger à propos de l'entretien de
l'espace, de l'optimisation et de la maximisation de l'utilisation de la
ressource naturelle... Donc, il n'existe pas de norme absolue pour le choix
d'un bon parcours. Ce qui rend le bétail des éleveurs de
certaines régions prospérer pourrait être
préjudiciable à celui des éleveurs d'autres
régions. Ainsi, le choix doit toujours être fait,
conformément à ce dont les animaux sont devenus habitués.
En définitive, les bergers ont une connaissance intime sur les
régions qui leur sont familiers. Aujourd'hui, il est très
difficile de distinguer clairement le savoir-faire de la connaissance. En
Ariège les éleveurs et les bergers ont le plus souvent une
formation agricole de base, mais les conditions du milieu les obligent à
utiliser seulement leur savoir-faire dans la pratique de leur travail. Par
conséquent introduire de nouvelles données techniques suppose
qu'une réhabilitation ait été faite en amont. Par
ailleurs, la façon dont les moutonniers envisagent les pratiques qu'ils
mettent en oeuvre en référence à l'idée qu'ils ont
de leur travail, dépend de leur expérience et des interactions
sociales au sein des groupes professionnels locaux. Pour que les
éleveurs soient plus coopérants aux résolutions
liées aux questions environnementales par un changement de leurs
pratiques, la transformation de leurs connaissances et savoir-faire doit
s'opérer au sein des associations locales en rapport aux attentes et aux
conditions du milieu.
Dans le contexte économique du pastoralisme
aujourd'hui, des frais supplémentaires sont difficilement supportables.
Puisque les mesures d'accompagnements préconisent seulement 50% de
subvention pour la prise en charge du berger lorsque toutes les mesures ne sont
pas mises en place et 80% quand elles le sont toutes, près de 99% des
éleveurs pro-ours enquêtés sont juste des
opportunistes46 parce qu'ils utilisaient
déjà chien Patou et garde serrée dans leur pratique. Ils y
ont inclus les parcs pour bénéficier au maximum de la subvention
lors de l'engagement d'un berger. Pour tous les éleveurs, les mesures
d'accompagnement ne sont applicables ni partout, ni à plein temps, ni
par tous les temps. Le couple Berger - chien Patou réduit la
prédation, mais il ne devrait pas être présenté
comme une panacée pour les problèmes du pastoralisme. Rien n'a
changé dans les exploitations et les systèmes, même la
diversification des exploitations était courante avant le lancement du
plan ours. Afin d'avancer dans le processus de cohabitation, les
autorités devraient revenir en arrière, éliminer la
frustration et les conflits d'intérêts et mettre le
prix47. Pour que le projet soit efficace, il faille diviser par 200
le nombre de moutons qui estivent pour avoir le nombre de bergers, de cabanes,
des parcs et chiens Patou nécessaires. Le système pratiqué
aujourd'hui a fortement évolué s'adaptant aux évolutions
socio-économiques et techniques. De plus, le milieu offre une certaine
capacité d'adaptation, mais l'allégation à une certaine
fierté professionnelle est une pierre d'achoppement pour la mise en
oeuvre des mesures d'accompagnement même si le plan ours présente
le pastoralisme et ses problèmes en tranches de saucisson. Les
agriculteurs peuvent élever autrement, mais ils doivent y penser et le
concevoir eux-mêmes.
Il a peut-être été pensé qu'avec le
retour de l'ours, les éleveurs devraient passer d'un raisonnement
quantitatif à un raisonnement qualitatif. Cela vaut-il la peine dans le
contexte actuel où la variation du prix du marché des intrants
est à l'opposé de celui des produits ? Certains éleveurs
ont fait un produit labellisé, mais son prix a très vite atteint
un prix plafond alors qu'ils étaient encore économiquement
très précaires, gagnant la plus part de temps moins que le
salaire minimum garanti (SMIG). Aujourd'hui, les propos sont assez unanimes
chez les éleveurs : J'aimerais que ça continue après moi,
j'aimerais transmettre mais ne conseille pas ma progéniture de
s'installer. Il semble exister peu d'alternatives aux contraintes actuelles.
Certains éleveurs souhaitent actuellement faire connaître leur
travail et les conditions de sa pratique, afin que toutes les décisions
à leur sujet prennent en compte les contextes du milieu. Peu ou pas
d'éleveurs pensent agrandir l'exploitation. Un certain nombre d'entre
eux pensent qu'ils devraient d'abord rendre stable l'exploitation et la
maintenir à son état de fonctionnement actuel. Pour les
éleveurs ovins, la fromagerie, l'élevage
46 Q : Etant une minorité pro-ours dans une
zone fortement opposante reconnaissez-vous avoir raison dans votre choix et
vous sentez-vous en sécurité ? R : Il ne faut pas mélanger
les choses, j'applique les mesures d'accompagnements mais ne me définis
pas pro-ours ; ça c'est autre chose. Je pense d'abord à mes
bêtes ; j'espère encore pouvoir arriver à les garder et
arriver à transmettre (Entretien 8, 11, 14. Mai, 2008).
Q : Avec l'ours qu'est ce qui a changé dans votre
système de conduite ? R : Peut-être les parcs quoique... l'ours
n'est pas chez moi donc je ne les ai vraiment pas testé même s'ils
existent (Entretien 7, 8, 9. Mai, 2008)
47 Protéger l'environnement coûte cher.
Ne rien faire coûtera beaucoup plus cher (Kofi Annan).
bovin, les cultures
céréalières48 (coup dur pour l'environnement!)
et l'abandon sont leurs seules perspectives imaginables. Ils sont d'accords aux
modèles conceptuels mais avec les composantes locales et des
partenariats. Ils exigent de s'informer auprès des leaders et
gestionnaires en observant voire reconnaissant les succès de leurs
pratiques et actions présentes. Ils sont farouchement opposés aux
modèles préconçus (contrats kit clés en main)
prédisant le comportement du système.
Peut-être la réintroduction de l'ours sera
à court terme bénéfique à la biodiversité et
le pastoralisme, mais pour le moment, il est difficile de suggérer quoi
que ce soit. Seuls les bergers ont bénéficié de quelque
chose de ce projet ; était-ce là l'objectif ? L'avenir du
pastoralisme dépendra fortement des décisions politiques prises
par les gouvernements. Il est improbable de voir une extension significative
des pâturages fermés, les conditions d'existence des pastoralistes
deviendront de plus en plus difficiles puisque agriculteurs et lobbys de
conservation exproprient les terres de pâture. Travailler avec les
pasteurs, et comprendre de façon plus sympathique leurs systèmes
de production, pourrait servir à la fois à protéger leurs
modes de vie et renforcer leur capacité de production sur des terres
marginales et à favoriser la cohabitation d'avec l'ours. L'introduction
de la variabilité, de l'incertitude et de
l'irréversibilité dans les dynamiques des systèmes,
conduit à poser la question du développement en termes de gestion
des interactions entre des variabilités économiques et sociales
et des variabilités naturelles, tant dans l'espace que dans le temps.
48 Pour ceux dont l'âge permet encore d'aller
s'installer ailleurs et pour qui l'agriculture demeure une passion et offre une
certaine qualité de vie.
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