Les apports de la loi n°1598-2007 du 13 novembre 2007 en matière de corruption d'agents publics nationaux et internationaux( Télécharger le fichier original )par Mouzayan ALKHATIB Université Nancy 2 - M2 droit pénal et sciences criminelles 2007 |
Les apports de la loi n°1598-2007 du 13 novembre 2007 en matière de corruption d'agents publics nationaux et internationaux Introduction « La corruption, ce peut être l'aptitude à goûter l'avantage de la liberté, a nécessairement sa source dans une extrême inégalité » Machiavel (1469-1527)1(*) « La corruption sans doute paraît dans la République plus grande que dans les monarchies, cela tient au nombre et à la diversité des gents qui sont portés au pouvoir » ANATOLE France2(*). La corruption est une maladie sociale, mal endémique, fléau répandu de par le monde entier, ne se limitant pas aux pays particulièrement exposés que sont la Côte d'Ivoire, l'Irak ou Haïti, mais se manifestant à toutes les époques et sous tous les régimes politiques. C'est un cancer qui ronge le corps social des pays en particulier et la communauté internationale en général. La corruption existe quel que soit le niveau économique des pays. Il s'agit d'un phénomène, dont l'ampleur et le développement constituent une cause légitime d'inquiétude pour les Etats, vu son coût économique et social et ses atteintes aux principes de la démocratie. Selon la Banque mondiale, 1.000 milliards de dollars sont versés en pots-de-vin chaque année dans le monde. Une enquête menée par cette banque auprès de 3600 firmes de 69 pays portant sur les nuisances rencontrées dans leurs environnements de travail a fait apparaître que la corruption était considérer comme la nuisance la plus importante en Amérique Latine, dans les Caraïbes et en Afrique Noire. Elle était classée au deuxième rang en Afrique du Nord et au Moyen Orient et en troisième position en Europe de l'Est. L'Organisation pour la Coopération et le Développement Economique (L'OCDE) explique ainsi que « les pots-de-vin versés dans le cadre des transactions internationales peuvent aller de 5 % à 25 % du montant du contrat, voire davantage. Il semblerait que pour les fournitures militaires, ils puissent atteindre 30 % dans la région du Golfe, 10 % en Afrique, 5 % à 20 % en Amérique latine et 5 % à Taïwan. Les commissions occultes [...] semblent également monnaie courante dans les grands projets d'infrastructures civiles comme les centrales nucléaires, les raffineries, le traitement de l'eau, le recyclage des déchets, le transport. »3(*) Définition de la notion corruption Le mot « corruption » vient du mot latin « corruptio » qui signifie altération, séduction ou tentative de débauche. Ce mot dérivant du verbe « corrumpo, corrompre » qui a les sens de : 1) détruire, anéantir ; 2) gâter, détériorer physiquement ou moralement. Ainsi la corruption apparaît comme un « germe de mort physique ou morale »4(*). Appréhendée comme un phénomène juridique, la corruption désigne l'acte par lequel deux personnes détournent de son objet le pouvoir conféré à l'une d'elle ou par lequel l'une d'elles tente de le détourner. Le prix de ce détournement peut être versé en argent mais consiste généralement en un avantage quelconque5(*). Pour la Commission des communautés européennes « la corruption est liée à tout abus de pouvoir ou toute irrégularité commis dans un processus de décision en échange d'une incitation ou d'un avantage indu »6(*). Ainsi, la définition donnée par le groupe multidisciplinaire sur la corruption du Conseil de l'Europe est plus précise « la corruption est une rétribution illicite, ou tout autre comportement à l'égard des personnes investies de responsabilité dans le secteur public ou le secteur privé, qui contrevient aux devoirs qu'elles ont en vertu de leur statut d'agent d'Etat, d'employé du secteur privé, d'agent indépendant ou d'un autre rapport de cette nature, et qui vise à procurer des avantages indus de quelque nature qu'ils soient pour eux même ou pour un tiers »7(*). La corruption prend pour nom plusieurs expressions comme « pot-de-vin, dessous-de-table, détournement de fond ». C'est le délit de pouvoir, un pacte entre un corrupteur et un corrompu, entre celui qui a le pouvoir pour monnayer des avantages qu'il concède par faveur, à celui qui lui verse un pot de vin ou lui procure un avantage d'une autre nature. Cette définition a conduit presque tous les systèmes de droit à instaurer deux délits de corruption : Celui commis par le corrompu qui réside dans le fait de solliciter une récompense ou dans le fait de céder aux offres ou aux promesses, qualifié comme corruption passive, et celui commis par le corrupteur qui réside dans le fait d'offrir des avantages quelconques ou de céder aux sollicitations du corrompu. A dire vrai, cette terminologie n'est pas parfaite car la corruption ne paraît pas active, lorsque le corrupteur cède aux sollicitations du corrompu, ni vraiment passive lorsque ce dernier prend l'initiative de solliciter une « enveloppe »8(*). L'histoire de l'infraction de corruptionLa corruption est un vice vieux comme le monde, bien identifié comme la prostitution, elle est apparue dès la plus Haute Antiquité et elle a toujours été considérée comme l'une des plus répandues et l'une des pires formes de comportements qui pervertit l'administration des affaires publiques lorsqu'elle est le fait d'agents publics ou élus. C'est ce qu'affirme Cicéron quand il écrit : « Il y a des hommes à qui tout sens de la mesure est inconnu : argent, honneur, pouvoirs, plaisir de toutes sortes enfin, ils n'ont jamais assez de rien. Leur malhonnête butin, loin de diminuer leur avidité, l'excite, plutôt hommes irrécupérables à enfermer plutôt qu'à former »9(*). Aristote parlait aussi déjà longuement de la corruption dans ses réflexions sur la tyrannie du livre V de la Politique dans l'ancienne époque romaine et selon lui : « la corruption remonte au moins au moment où une société organisée pour la première fois crée des institutions publiques pour se préserver et se développer »10(*). La corruption et la concussion étaient confondues et englobées dans une même et unique répression sévère. En effet, elles étaient tenues pour des crimes graves, surtout s'ils étaient le fait de magistrats. Ces derniers pouvaient encourir jusqu'à la peine de mort selon la loi des XII tables, de plus le coupable était puni d'une amende du quadruple des choses reçues11(*). Historiquement en France, l'un des premiers textes officiels dans lequel il est clairement fait référence à la lutte contre la corruption est l'ordonnance sur la réforme du royaume, prise par Philipe Le BEL le 23 mars 1302, il y indique à ses baillis sénéchaux et prévôts les règles à respecter pour que leurs décisions ne puissent être entachées d'irrégularité ou de favoritisme12(*). Le concept juridique de corruption n'est vraiment devenu autonome qu'à partir du code pénal de 1791 étant auparavant confondu avec la concussion. Cette dernière fut prévue en tant que crime et on édicta des règles particulières relatives à l'instruction et au jugement. Elle fut finalement proposée par l'article 174 du code pénal qui précisa que l'infraction était commise « en ordonnant de percevoir ou en exigeant ou en recevant ce qu'on n'avait pas être dû ou excéder ce qui était dû pour droits, taxes contributions, revus, ou pour salaires et traitements13(*). Le code pénal du 1791 avait prévu des peines sévères jusqu'à la peine capitale à l'époque, la peine de mort. Le code pénal de 1810 a suivi l'exemple du législateur révolutionnaire, en maintenant les distinctions entre la corruption et la concussion. Il punissait de la peine du carcan et d'une amende tout fonctionnaire ayant commis des faits de corruption. Depuis la loi du 13 mai 1863, des réformes successives ont profondément affecté les articles de l'ancien code pénal relatifs à la corruption (les lois de 1863, 1889, 1928, 1943, 1945). Ces textes ont reflété la révolution de la politique criminelle française en matière de corruption sur deux points : d'une part, il y a eu une extension de la répression de la corruption résultant de l'élargissement du champ de l'incrimination de cette infraction, quant aux personnes visées et quant aux actes de fonction et, d'autre part, à partir de la loi du 13 mai 1943, il y a eu une correctionnalisation de l'infraction de corruption. Ces dispositions relatives à la corruption étaient regroupées dans l'ancien code pénal en un ensemble unique formé des articles 177 à 182, mais ce bloc de textes a été séparé par le législateur en plusieurs morceaux distincts, suite à l'application du nouveau code pénal en 1992 dans le livre IV qui réprime les crimes et délits contre la Nation, l'Etat et la Paix publique. Ces atteintes à l'administration publique sont commises par des personnes exerçant une fonction publique (chapitre II) ou par des particuliers (chapitre III) et quelques délits épars se retrouvent dans un autre chapitre (chapitre IV) relatif aux atteintes à l'action et à l'autorité de la justice14(*), et l'infraction de corruption passive d'agent public national est désormais prévue dans l'article 432-11 du code pénal. Malgré ces incriminations en droit interne, la France n'avait pas érigé en infraction la corruption d'agents publics étrangers, estimant que chaque Etat est le garant de la probité de sa propre administration. Cependant, la corruption internationale a pris de telles proportions, en raison du développement du commerce international, de la liberté de circulation des capitaux, que les Etats et les organisations internationales ont pris conscience de la nécessité d'une régulation internationale et coordonnée de ce fléau15(*). Pour ces raisons la loi n°2000-595 du 30 juin 2000 a porté des nouvelles dispositions dans le fond et dans le forme en matière de corruption : · Elle a ajouté avec son 1er article l'expression « à tout moment » aux articles 432-11, 433-1, 434-9 du code pénal pour mettre fin aux exigences jurisprudentielles d'antériorité du pacte de corruption16(*), avant cette loi la cour de cassation soumettait la commission de l'infraction à la preuve de l'antériorité de la conclusion du pacte corrupteur sur la remise ou la sollicitation des dons ou l'accomplissement des actes de la fonction17(*). En effet, si les dons ou les avantages étaient fournis avant l'accomplissement de l'acte souhaité, on pouvait penser qu'on était en présence d'indices de nature à caractériser les faits de corruption18(*). Mais d'un point de vue doctrinal, cette solution jurisprudentielle présentait l'inconvénient de faire échapper à la répression le fonctionnaire, de probité douteuse, qui prenait soin de solliciter un avantage postérieurement à son acte ou omission. Elle rappelait qu'une simple sollicitation, même non suivie d'effet, suffit à caractériser l'infraction. Il serait donc curieux qu'il puisse y avoir corruption sans remise et qu'il n'y ait pas corruption quand il n'y avait pas un accord, surtout si l'on admettait que cette remise puisse difficilement intervenir sans accord ou sollicitation préalable. Cette remise postérieure pourrait être de nature à présumer l'accord préalable, à charge pour le prévenu de rapporter la preuve contraire19(*) · La loi du 30 juin 2000 a créé un chapitre nouveau au sein du livre IV du code pénal, comportant l'ensemble des dispositions relatives à la corruption internationale; 1. Les articles 435-1 et 435-2 nouveaux punissent la corruption passive et active des fonctionnaires de Communautés européennes, des fonctionnaires d'Etat membre de l'Union Européenne, et des membres des institutions des Communautés européennes, en application de la Convention du 26 mai 1997 relative à la lutte contre la corruption impliquant des fonctionnaires des Etats membres à l'Union Européenne. 2. Deux autres articles (435-3 et 435-4) permettent la transposition de la Convention du 17 décembre 1997 signée dans le cadre de l'organisation de coopération et de développement économique (l'OCDE) incriminant la corruption active d'une personne dépositaire de l'autorité publique, chargée d'une mission de service public, ou investie d'un mandat électif public dans un Etat étranger, ou au sein d'une organisation internationale publique dans le cadre de transactions commerciales. · Sont également prévus, le régime des sanctions (peines complémentaires, article 435-5), la compétence des juridictions (article 689-8 nouveau du code de procédure pénale pour la compétence universelle des juridictions françaises, ainsi que l'article 706-7 du même code concernant la compétence des juridictions spécialisés et du tribunal de grande instance da Paris)20(*). * 1 Cité par G. LIPOVETSKY, La corruption : Levez la tête et luttez contre la corruption, http://agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Corruption. * 2 Cité par F. BAILLET, Corruption et trafic d'influence en droit pénal des affaires, Gazette du palais, 25 mars 2006, P.2 * 3 M. HUNAULT, Rapport parlementaire, Assemblé nationale, n°243, p.8. * 4 W. JEANDIDIER, Du délit de corruption et des défauts qui l'affectent, JCP G, 2002, p. 166 * 5 Ch. CUTAJAR, Le droit à réparation des victimes de la corruption, Dalloz, n°16, 2008, p. 1081 * 6 La corruption au coeur de la France, Revue Société civile, Janvier 2001 n°07, http://www.ifrap.org/La-corruption-au-coeur-de-la-France,0050.html. * 7 B. HENRI, Au coeur de la corruption, 1er éd, Paris, 2000, p. 34. * 8 M. VERON, Droit pénal des affaires, 5°édition, Armand Colin, 2004, p.59-60 * 9 Cité par le Service Central de Prévention de la Corruption, Rapport d'activité pour l'année 2001, SCPC Paris, Edition journaux officiels, 2001, p. 11 * 10 Philosophe grec (384 av. J-C - 322 av. J.-C), De la Génération et de la Corruption, http://agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Aristote * 11 A. CHAUVEAU, F. HELIE, Théorie du code pénal, Marchal et Billard, 5éd. 1872, n°831 * 12 Service central de prévention de la corruption, Préc, p. 11, et l'ordonnance est annexé dans la page 23. * 13 P. BEAU, En Dalloz, Concussion, Recueil fonctionnaire publique, Edition Dalloz, Janvier 2008, p. 1. * 14 E. BOIZETTE, Corruption, Rép. Pén. Dalloz, n°7, Août 1997, p. 2 * 15 M. HUNAULT, Rapport, Préc, p.7 * 16 M. SEGONDS, Réécrire les délits de corruption, A.J pénal, n°5, Mai 2006, p. 195 * 17 M. VERON, Droit pénal des affaires, Préc, p. 61. * 18 J-H. ROBERT, H. MATSOPOULOU, Traité du droit pénal des affaires, Presses universitaires de France, 1er édition, 2004, p. 176. * 19 F. STASIAK, Droit pénal des affaires, LGDJ-EJA, 2005, p.67 * 20 JORF, n°151 du 1er juillet 2000, p.9944 |
|