Première alternance politique au Sénégal en 2000: Regard sur la démocratie sénégalaise( Télécharger le fichier original )par Abdou Khadre LO Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - DEA Science Politique (Sociologie Politique) 2001 |
INTRODUCTION« On devrait, par exemple, pouvoir comprendre que les choses sont sans espoir et cependant être décidé à les changer." Francis Scott Fitgerald. La démocratisation en Afrique noire. Voici un thème qui dans le cadre d'un mémoire de DEA peut relever d'un manque d'originalité certain. Un étudiant africain de plus qui travaille sur le thème de la démocratie en Afrique. Nous avions le sentiment et la conviction, au moment où nous arrêtions ce thème de ne pas sortir des sentiers battus. Comment éviter les risques de répétitions, de redondances et de reformulations des pensées de beaucoup d'africanistes ? En vérité cette question importe très peu dans la mesure où (avouons le d'entrée) cette étude toute objective et rigoureuse qu'elle se voudra, peut être en définitive (tout du moins pour nous) une thérapie. Pourquoi cette propension des étudiants africains à travailler sur l'Afrique ? Sans essayer d'avancer une quelconque explication de type analytique, relevons tout simplement que une grande partie de nos amis étudiants, en sciences sociales, oriente son champs de recherche vers l'articulation Afrique-Démocratie et Développement. Cela peut donc effectivement ressembler à de l'obsession. Mais pour nous, il s'agit aussi et surtout de bon sens. Comme le dit un proverbe africain : « lorsque tu vas au marigot et que quelqu'un te laves le dos, tu peux au moins te frotter le ventre. » En fait, c'est de cela qu'il s'agit ; un intéressement et une prise en charge de l'Afrique par les africains. Si ce sont les hommes qui font leur histoire (ce dont nous sommes convaincus) alors les africains doivent prendre en charge, de façon responsable, la leur. Ici, il faut préciser, dès à présent, qu'il n'est nullement question d'une prise de position néo-panafricaniste, si ce terme signifie : repli sur soi, appel à une gestion des affaires africaines exclusivement par les africains, rejet de toute tentative étrangère de compréhension de certains problèmes spécifiques à l'Afrique, ou encore l'assimilation de toute production théorique occidentale sur l'Afrique à du néo-impérialisme. Il s'agit ici de nous frotter le ventre nous-mêmes, c'est-à-dire en tant qu'étudiant d'essayer de mener une réflexion sur l'Afrique. Même si, comme nous le soulignions plus haut, cela peut relever du « déjà vu », nous pensons qu'une multitude d'études et de réflexions sur l'Afrique peut être tout sauf nuisible à ce continent. Tenter de comprendre les maux de l'Afrique, c'est déjà essayer de les résoudre en partie. Aussi, nous essayons à travers ce mémoire de contribuer très modestement à la compréhension de ce continent incontestablement souffrant, pour ne pas dire malade. C'est parce que nous ne croyons pas que le sort de l'Afrique soit définitivement scellé que nous nous y intéressons encore. Ce n'est pas prendre l'afro-pessimisme à contre-pied, par pur formalisme, ni faire de l'optimisme une sorte de devoir qui s'impose à nous que de croire que le sort n'en est pas jeté. Nous pensons que si l'Afrique était mal partie1(*), elle peut toujours se ressaisir. En effet, si nous vivons à une époque où la situation politique du continent noir semble caractérisée par les guerres, les coups d'Etat, les révoltes, les emprisonnements plus que par la volonté et le désir de garantir aux peuples la démocratie et la liberté politique, des pays donnent de plus en plus des signes de volonté de sortie de ces impasses pour s'inscrire dans le giron de la démocratie. Cette démocratie produite par l'Occident mais à vocation universaliste. Des volontés mais aussi et surtout des passages effectifs à la démocratie (au moins à la démocratie formelle, institutionnelle) ont été noté dans un cercle croissant de pays africains (Bénin, Cap-Vert, Ghana, Afrique du Sud, Sénégal...) Chacune de ses nations ayant eu son processus qui lui est propre car il y a autant de moyens et de manière de passer à la démocratie qu'il y a de pays. Comme l'écrit Sémou Pathé Guèye, « (...) Si la démocratie peut et doit être considérée comme une exigence universelle tant par ses principes et les valeurs qui l'inspirent que par sa finalité qui est l'affirmation pleine et entière de la liberté et de la dignité de l'homme en tant qu'homme, elle ne se « vit » cependant, et ne se pratique que dans le contexte de sociétés concrètes culturellement et historiquement spécifiées, par des hommes concrets se ressentant, dans leurs comportements comme dans leurs mentalités, de ces déterminations culturelles et historiques. »2(*) Une fois cette précision apportée, il nous faut aussi souligner que l'homme est certainement un « animal politique » mais pas forcément « un animal démocratique ». En effet, nous croyons que chaque société produit des valeurs en fonction de son histoire spécifique dont découle une socialisation formant des régimes politiques différents. Ces valeurs s'incarnent dans les règles devenant des formes de régulation des systèmes normatifs et influent sur les aspirations et les désirs des individus conformément au régime dans lequel ils évoluent. Nous nous attacherons donc dans ce travail, à chercher la particularité du Sénégal et surtout les mécanismes qui lui ont permis de réaliser une alternance politique démocratique. Qu'est-ce qui a fait que le Sénégal qui a été longtemps cité en modèle de démocratie, dans le continent noir, n'ait réussi une alternance politique que lors des élections présidentielles de février et mars 2000, c'est-à-dire quarante ans après son accession à l'indépendance ? Pourquoi les élections présidentielles de 1974, de 1978, de 1983 et de 1988 ou encore celles de 1993 n'ont jamais abouti à une alternance malgré que les observateurs internationaux et les partenaires économiques et politiques du pays aient toujours vanté « le modèle sénégalais » de démocratie? Qu'est-ce qui en 2000, a été déterminant à l'heure où les sénégalais devaient confier les rênes du pays à l'homme qui doit les amener vers le troisième millénaire ? Au seuil du troisième millénaire où l'on s'accorde à admettre que les Etats africains sont, dans leur grande majorité, confrontés à des situations de blocage politique nées d'une lente mais inexorable perversion du pluralisme, l'alternance politique survenue au Sénégal, après quarante années de règne socialiste de facto monopartite, est assurément un événement qui mérite réflexion. La victoire de Abdoulaye Wade au second tour du scrutin présidentiel du 19 mars 2000, est souvent comparée par certains observateurs, à ce qui s'est passé en France il y a vingt ans, lors de la présidentielle qui a conduit François Mitterrand au pouvoir après qu'il eut battu Valéry Giscard d'Estaing. Que cette comparaison soit naïve ou non, une analyse des vicissitudes électorales qui ont marqué l'histoire post-coloniale du Sénégal nous permettra, d'une part, de mesurer l'état de la démocratie dans ce pays dont l'expérience pluraliste a longtemps été considérée comme une exception, et d'autre part, d'évaluer tout justement la portée de la victoire de Wade. Certes, l'histoire politique du Sénégal, même si elle se confond étroitement avec de nombreux bouleversements sociaux, s'inscrit dans une tradition de pluralisme fortement enracinée dans le pays. Autrement dit, avec la récente alternance réussie dans des conditions apparemment normales et démocratiques, le Sénégal remet à l'honneur son modèle politique. Mais cela suffit-il à ériger cette « démocratie sénégalaise » en modèle à suivre pour tous les autres Etats africains, malgré toutes les controverses électorales qui ont empoisonné la vie publique et terni l'image du pays pendant quarante ans ? Nous pensons que l'alternance politique au sommet de l'Etat sénégalais a été possible grâce d'une part à un jeu politique ouvert assez tôt et d'autre part à la volonté de la population sénégalaise de participer activement à ce jeu, pour améliorer son quotidien. Nous soutenons comme hypothèse de départ que les mécanismes de la première alternance politique au Sénégal sont d'une part d'ordre politique et institutionnel, d'autre part d'ordre social. L'évolution politico-institutionnelle du pays et la volonté des populations sénégalaises de peser sur le cours de la vie politique et par voie de conséquence sur la leur sont, à notre avis, les soubassements de ce qui a été salué comme un véritable acte démocratique dans le continent africain. Cependant, nous nous garderons bien de préjuger de l'avenir de ce pays. L'alternance réalisée en mars 2000 l'a-t-elle placé à jamais dans le wagon des pays dits de véritable démocratie ? L'histoire récente du Sénégal (les législatives d'avril 2001) plaide pour une réponse affirmative mais la prudence serait ici la vertu conseillée. En effet, l'Afrique après avoir donné des signes de progression vers la démocratie et la stabilité, déçoit les espoirs qui ont été placés dans les mouvements du début des années 1990. Mais là ne somme nous pas déjà entrés dans le vif du sujet ? Précisons d'abord que dans notre étude, nous avons préféré recourir à l'entretien qui est de plus en plus utilisé dans les sciences sociales. En effet, depuis une cinquantaine d'années, différentes disciplines des sciences ont constamment recouru à l'entretien pour étudier des faits dont la parole est le vecteur principal. Ainsi pour avoir le point de vue des témoins privilégiés de l'alternance démocratique au Sénégal que sont les journalistes, nous avons voulu utiliser l'outil que Alain Blanchet3(*) considérait comme étant « le plus évident ». Nous avons préféré le qualitatif au quantitatif dans une étude où la subjectivité des interviewés est inévitablement mise à contribution. L'emploi de l'entretien (semi-directif) nous paraît plus judicieux dans le cas présent que toute méthode quantitative. En effet, utiliser les méthodes quantitatives reviendrait, pour nous, à faire le choix du « eklaren » (expliquer) au détriment du « verstehen » (comprendre) ; or nous ne pouvons pas traiter l'objet de notre étude comme une chose. Ce serait, mettre la sociologie politique dans les « naturwissenschaften », c'est-à-dire les sciences de la nature ou sciences nomothétiques et écarter les « geisteswissenschaften » ou sciences de l'esprit, sciences de l'esprit, sciences idiographiques. Aussi préférons-nous ne pas céder à « l'inhibition méthodologique » dont parle C. Wright-Mills. Nous avons donc interviewé des journalistes au Sénégal car la presse du pays a non seulement assisté à l'alternance mais aussi et surtout y a joué un rôle non négligeable. Nous nous intéresserons dans un premier temps, au cadre politique et institutionnel et à son évolution continuelle qui a conduit au changement opéré au Sénégal en mars 2000. Si beaucoup d'observateurs ont souligné la forte demande sociale qui a amené le changement à la tête de l'Etat sénégalais, il faut souligner les modifications intervenus dans le paysage politique et institutionnel du Sénégal jusqu'à la veille du second tour. Ensuite nous analyserons la très forte demande sociale qui s'est exprimée par la défaite du président Abdou Diouf au soir du 19 mars 2000 au bénéfice de son opposant historique maître Abdoulaye Wade. Pourquoi les sénégalais ont-ils choisi de confier à ce dernier, à sa cinquième tentative et à 74 ans les reines du pays ? Pourquoi celui qui est surnommé « le pape du Sopi » (changement dans la langue Wolof) est-il venu à bout de son adversaire qui était au pouvoir depuis 19 ans et à la tête d'un parti qui a dirigé le Sénégal depuis son indépendance en 1960 ? Quelles sont les significations sociales du « Sopi » ? Enfin, dans la conclusion, nous aurons une réflexion sur la « démocratie sénégalaise ». Une réflexion articulée autour d'axes tels que la personnalisation des campagnes électorales ; la prolifération des partis politiques à la veille des élections au Sénégal et les défections ou phénomènes de « transhumance » en faveur du parti au pouvoir. Ces considérations sur le Sénégal nous amènerons inévitablement à nous interroger sur la nature de la démocratie en général. * 1 En reprenant le célèbre ouvrage de R. Dumont, Démocratie pour l'Afrique, Seuil, Paris, 1991. * 2 Sémou Pathé Guéye, Fin de l'histoire et perspective de développement : l'Afrique dans le temps du monde, in Afrique 2000 (24), août 1996, p.12. * 3 Blanchet. A, L'entretien dans les sciences sociales, Donold, Paris, 1985. |
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