Le « Ndiguël » timoré et
inefficace en 2000.
Aujourd'hui, au sénégal, le
« Ndiguël » ne fonctionne plus comme par le
passé. En dépit de la place importante de la religion dans leur
vie quotidienne, les électeurs ne suivent plus aveuglement les consignes
des marabouts, ce qui renforce inexorablement la laïcité de l'Etat.
Le « Ndiguël » n'est donc plus ce qu'il
était. Par exemple, les mots d'ordres lancés par quelques
marabouts de moindre importance sont resté sans effet.
Néanmoins, Abdoulaye Wade qui a rendu visite au Khalife
général des mourides à Touba (150 km à l'est de
Dakar et ville sainte de la confrérie dont il est un disciple), le 30
Octobre 1999, soit à peine deux jours après son retour de France
où il était resté plus d'une année, pouvait se
féliciter. En effet, à l'issue du premier tour, il est
arrivé en tête à Touba, ville longtemps
considérée comme un bastion du PS alors qu'il n'a obtenu que 31%
des voix dans l'ensemble du pays.
Les hommes politiques, dans leur ensemble, soignent
particulièrement la confrérie mouride qui à l'occasion du
« Magal » (commémoration du départ
en exil du fondateur, Cheikh Ahmadou Bamba M'backé) rassemble chaque
année, dans la ville sainte de Touba, environ deux millions de mourides.
D'ailleurs, Abdoulaye Wade a annoncé en priorité des
priorités du Sénégal, la construction d'un aéroport
et d'un héliport pour la ville de Touba.
Pour sa part, ayant, semble-t-il, jugé que les mourides
étaient décidés à prendre une certaine distance
avec les vicissitudes de la politique politicienne nationale, le candidat Diouf
a rendu visite, au cours de la campagne, à Cheikh Tidjane Sy, le
numéro deux de la confrérie tidjane. Ce dernier s'est abstenu,
lors de élections présidentielles, en disputant le leadership
à son frère Serigne Mansour Sy qui est le khalife
général, de toute consigne de vote. Au sein de la
confrérie, il est le guide des moustarchidines, l'un des mouvements
tidjanes, dirigé par son propre fils.
Cette visite impromptue, en vue d'établir une connexion
avec ce deuxième grand groupe religieux du pays, a fait croire à
un accord électoral entre les deux personnalités. Cependant, il
n'en a rien été : après avoir longtemps tenu en
haleine les sénégalais, les responsables du mouvement des
moustarchidines ont fini par laisser leurs fidèles libres de voter selon
leur conscience. Ce qui n'est pas anodin dans la mesure où le khalife
général des tidjanes, lui-même, a donné un
« Ndiguël » en faveur de Diouf. Une consigne
qui d'après les résultats n'a pas été suivi en
masse par les fidèles.
Du côté de la confrérie des
niassènes, considérée comme la troisième du pays,
deux consignes de vote contradictoires ont été
lancées : l'une, émanant du khalife général,
en faveur de Diouf, l'autre par le frère du khalife pour Moustapha
Niasse (qui est disciple de cette confrérie) en faisant de Kaolack, la
région niassène, le fief de ce dernier.
Lors de l'élection présidentielle, le
Président Diouf a tenté par tous les moyens d'arracher des
consignes de vote en sa faveur de la part des différentes
confréries religieuses (le journal Sud Quotidien a noté qu'en
l'espace de six mois, le Président a rendu visite à près
d'une centaine de marabouts). Cela dénote de toute évidence que
l'on a besoin d'autres relais que les cadres et les militants de son parti pour
séduire l'opinion. Et cela dénote aussi, bien au-delà de
l'échec d'une politique, l'échec même de la pratique
politique.
Aussi un certain cafouillage, les hésitations des
intéressés, qui furent aussi soucieux de ne pas se couper de
leurs disciples, la plupart étant acquis à la cause du changement
de régime, ont fait que le vote religieux n'a pu être
véritablement décisif. De manière générale,
le scrutin présidentiel de 2000 a constitué un désaveu
cinglant pour les chefs religieux, habitués, dans un pays
profondément croyant, à indiquer le « bon
choix » à leurs
« talibés » (fidèles). De
même, les candidats qui avaient choisi de placer leur campagne
« sous le signe de Dieu » ont enregistré de cuisants
revers. Ousseynou Fall, frère du khalife général des
Baye Fall, l'une des composantes de la confrérie
mouride, candidat aux élections présidentielles n'a recueilli que
1,1% des suffrages. On peut aussi citer le cas de Abdoulaye Dièye,
également issu de cette famille maraboutique.
Si auparavant, les « talibés » ou
disciples respectaient davantage les mots d'ordre de leurs guides spirituels
que ceux des partis, l'alternance politique a démontré une
certaine détermination des électeurs de faire la distinction
entre leurs « rôle » de
« talibés » (disciples), à l'écoute de
leurs guides religieux dans leur vie spirituelle et leur
« rôle » de citoyens lorsqu'il s'agit de la gestion
politique du Sénégal.
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