Première alternance politique au Sénégal en 2000: Regard sur la démocratie sénégalaise( Télécharger le fichier original )par Abdou Khadre LO Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - DEA Science Politique (Sociologie Politique) 2001 |
2. Les radios et les langues nationalesLa presse privée s'est enrichie de l'arrivée des radios à partir de juillet 1994. Ces médias sont jeunes de par leur âge mais aussi et surtout de par l'âge des personnels qu'ils emploient. Il faut signaler qu'aucune radio privée n'avait couvert une élection présidentielle auparavant. La doyenne des radios privées, Sud FM, est née en 1994, c'est-à-dire plus de six mois après la dernière élection présidentielle. Elle n'a connu que les élections locales de 1996 et les législatives de 1998. Les radios privées à l'image de la presse écrite privée sont un phénomène urbain pour l'essentiel. Elles ont des périmètres de couvertures autour des villes. Certaines se contentant d'une station unique installée à Dakar avec des émetteurs-relais dans une ou plusieurs villes. D'autres, comme Sud FM et Dunya FM disposent à l'instar de la RadioTélévision Sénégalaise de stations régionales installées dans la capitale administrative ou dans des villes telles que M'Bour (sur le littoral) et M'Backé (à proximité de Touba la ville sainte de la confrérie mouride) qui polarisent un certain nombre d'activités. Cette occupation géographique est importante car elle définit des zones privilégiées de couverture radiophonique. Avec la possibilité de faire une campagne de proximité là où existent des stations décentralisées. Sud FM et Téranga FM, par exemple, disposent sous cet angle d'une certaine expérience. Dans certaines villes comme Dakar, Thies ou Saint-Louis il y a une concentration intéressante de radios privées, auxquelles s'ajoutent le service public et les radios internationales RFI et Africa N°1. Maintenant, il est primordial de noter l'usage généralisé des langues nationales, particulièrement le wolof, qui a profondément transformé l'attente du public en matière d'information et de prise de parole. D'après les chiffres officiels moins de 20% de la population parle français alors que le wolof serait parlé par plus de 80% des sénégalais. Pendant que le français continue à dominer à la télévision, les radios privées accordent une large part au Wolof. Aujourd'hui cette langue est certainement la plus utilisée dans les radios. Selon nos interlocuteurs, au moins 70% des émissions sont transmises en Wolof. Avec l'avènement de ces radios privées, de nombreux débats publics se passent en Wolof. Ceci est normal compte tenu du fait que pour être écouté il faut être compris par la majorité de la population. En effet, les radios privées ont réalisé qu'il ne s'agit pas seulement de se soucier de la diffusion des émissions, mais d'assurer que les auditeurs comprennent la langue dans la quelle ces émissions sont diffusées. La majorité de la population sénégalaise a été privée d'information et avec ces radios privées, ce sont de larges secteurs de cette population, longtemps sous-informés qui ont basculé dans des processus de communication. Ils accédaient pour une fois à des informations très actuelles sur la campagne électorale. Ceci a été sans aucun doute déterminant dans l'issue des élections. Biens informés, dans une langue qu'ils maîtrisent parfaitement, les sénégalais ont accompli massivement leur devoir civique. Cette nouvelle donne dans les élections présidentielles sénégalaises rappelle les propos d'Alain Touraine lorsqu'il écrit « le champs du libre choix politique n'existe pas si l'existence d'un espace public, et, plus largement d'une société politique n'est pas reconnue. L'isolement des personnes, la segmentation de la société, la faiblesse des communications entre les catégories sociales sont des obstacles presque incontournables à la démocratie. »40(*) Par ailleurs, ces millions d'électeurs se contentaient, avant, des résultats officiels annoncés par les médias d'Etat plusieurs jours après le scrutin. Or en 2000, les radios privées divulguaient, en temps réel, les résultats des dépouillements de chaque bureau de vote du pays ; ce qui changeait considérablement la donne. Dans la mesure ou ces résultats étaient connus de tous, il devenait impossible de les falsifier. Toute tentative de fraude post-électorale se trouvait du coup anéantie par cette connaissance des résultats par le plus grand nombre d'électeurs. * 40Touraine. A, « Qu'est-ce que la démocratie aujourd'hui ? » in R.I.S.S, N°. 128, mai 1991, p. 277. |
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