II / L'IMPLOSITION DU PARTI SOCIALISTE
1. Le PS de Diouf : une nouvelle politique
S'il y a un point sur lequel tous nos interviewés ont
bien voulu insister c'est celui de l'implosion du Parti Socialiste.
En effet, que le PS ait aujourd'hui
irrémédiablement perdu sur le plan électoral, la
ville de Dakar, puis une bonne partie des grands centres urbains du
Sénégal n'étonnera guère. Comme nous l'avons vu,
depuis environ une décennie, un glissement s'était
opéré en faveur de l'opposition, les défections depuis
1997 dans les rangs socialistes ayant rendu plus malaisé le maintien de
fortes positions : « la contestation se déploie dans les
villes, où le brassage social, la proximité des milieux plus
ouverts de la classe moyenne, l'information véhiculée par les
médias sont propices à la désaffection du pouvoir en
place » (Boubacar Seck, rédacteur en chef du quotidien Le
Matin)
C'est d'ailleurs une tradition de longue date :
Léopold Sédar Senghor, au temps de l'Union progressiste
sénégalaise, et même avant, se méfiait
déjà de la volatilité de l'opinion dans la capitale, et
s'appuyait volontiers sur ses « braves paysans », les
campagnes l'ayant toujours soutenu dans ses combats électoraux.
« Tout le monde reconnaissait, encore à la veille des
élections que l'implantation du PS dans le milieu rural lui permettait
d'être une formidable machine de guerre, avec laquelle aucun parti ne
pouvait raisonnablement prétendre rivaliser. » (Alioune Fall,
chef du desk politique du quotidien Le Matin).
En fait de Senghor à Diouf, la transition du pouvoir
s'est faite sur des bases inchangées. Les véritables
alliés du pouvoir sont au niveau des sections du parti, qui quadrillent
le territoire, relayent l'administration, servent de bureaux de
doléances et de lieux de résolution des conflits, et permettent
à Dakar de sentir le « pouls » du pays profond,
concurremment avec les autorités traditionnelles, notamment religieuses,
en mesure de dialoguer directement avec le chef de l'Etat.
Rappelons que le principal souci du successeur de Senghor, en
1981, est de gagner son autonomie par rapport à un parti dominé
par la « vieille garde senghorienne ». Abdou Diouf
lui-même n'est pas issu du parti, il a suivi un parcours technocratique
qui l'a mené aux avant-postes, et c'est le cas pour toute une
génération de nouveaux cadres, promus par Senghor, qui vont aider
le nouveau Président de la République à asseoir son
pouvoir.
Pendant les premières années, le compromis
prévaut. Puis c'est une véritable reprise en main à
laquelle on assiste avec le congrès du PS de 1984 : les
« barons » senghoriens quittent le bureau politique du
parti (certains d'entre eux, devenus ministres, quittent aussi le gouvernement,
en compagnie d'un certain Moustapha Niasse, alors ministre des Affaires
étrangères), et le secrétaire général
s'entoure de ces hommes à lui, accordant cependant comme Senghor sa
confiance à Jean Colin (français d'origine), au poste de
secrétaire politique.
Parallèlement on assiste à l'émergence
d'un nouveau phénomène : ce sont les « mouvements
de soutien » (nous le verrons plus loin) qui permettent à
Abdou Diouf de se constituer un réseau, en partie étranger au
parti. Au sein même du PS, les « groupes de
réflexion » sont animés par de jeunes intellectuels de
sa génération, parfois issus de mouvements gauchistes
(maoïstes notamment), naguère actifs à l'université.
Ce sont donc eux qui reprennent peu à peu les commandes, sans toutefois
qu'il puisse être question d'écarter totalement les
« barons », qui se sont taillés des fiefs
électoraux et dont l'expérience politique est
nécessaire.
Dès 1984, un thème domine la vie du PS :
c'est l'existence de ces « tendances » dont on
dénonce la guérilla incessante et qui, s'il n'est pas question de
leur conférer une reconnaissance officielle, font apparaître de
grandes divergences d'intérêts. Les luttes, en particulier, pour
la reconduction à la tête des organisations de base du parti sont
féroces, et font parfois des victimes.
En 1989-90, après le traumatisme des élections
de 1988 et de la contestation urbaine très violente, Abdou Diouf
s'efforce de parachever son entreprise de conquête du parti. Lors du
nouveau congrès, tous les membres du bureau politique sont en effet
désignés par lui, et ne rendent de comptes qu'au
secrétaire général, mais la houle de mécontentement
et les nombreuses résistances dans la préparation d'un
congrès plusieurs fois reporté l'obligent, encore une fois,
à faire une place aux « anciens ».
L'unanimisme de façade ne permet plus de cacher des
divisions. De plus en plus Abdou Diouf gouverne seul, impose le silence au
parti à l'aide de sa garde rapprochée, tout en faisant des gestes
de compris. La désignation en 1991 d'un
« conservateur » du PS, Habib Thiam, comme Premier
ministre, en est un. Mais cette nomination dans le cadre d'un gouvernement
ouvert à l'opposition a certes pour effet d'apaiser la tension
sociale mais elle a surtout pour effet de déstabiliser encore un
peu plus le parti, qui a perdu en 1990 son stratège, Jean Colin,
« sacrifié au désir de changement émanent aussi
bien des socialistes que de l'opinion. » selon Momar. S. N'diaye.
(Ancien rédacteur en chef du quotidien national Le Soleil)
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