2.2.2. La réhabilitation
psychosociale
Le plan Santé Mentale 2005-2008, publié en 2005,
met l'accent sur la réhabilitation ce qui constitue une évolution
notable dans le champ de la psychiatrie.
Cette évolution se fait au moment où la notion
de réhabilitation se développe et fait peu à peu son
chemin dans les établissements.
Cette technique de soins vise à restaurer l'autonomie
des patients et à renforcer leur capacité de participation
active. Il s'agit en fait de considérer les capacités
préservées là où l'on avait tendance à
cibler plutôt les déficits.
« La réhabilitation psychiatrique -
pratiquée par des psychiatres, des psychologues, des travailleurs
sociaux, des infirmiers, des rééducateurs et les patients
eux-mêmes et leurs familles - vise à améliorer autant que
possible les capacités des personnes présentant un handicap dans
la vie, l'apprentissage, le travail, les relations sociales et l'adaptation.
Son postulat est que, si les usagers reçoivent suffisamment de soins et
d'accompagnement dans la communauté, ils peuvent vivre librement avec
des conditions de vie suffisamment satisfaisantes, l'hospitalisation
psychiatrique ne prenant plus qu'une place minime dans leur existence (au
moment des périodes de crise...). »10(*)
La Réhabilitation Psychiatrique est une tentative
d'intégration de deux approches : l'approche sociale de la
Réhabilitation Psychosociale et l'approche médicale de la
Psychiatrie
La Réhabilitation Psychosociale, qui s'est
développée aux USA après la 2ème guerre mondiale
comme une alternative sociale au modèle médical dominant dans le
traitement des patients psychiatriques, met l'accent sur
l'intégrité et les forces de l'individu plutôt que sur sa
maladie et propose une approche globale incluant la réadaptation au
travail, le logement, les loisirs sociaux, l'éducation et l'adaptation
personnelle (Cnaan et al.11(*)).
Même si le concept de réhabilitation est
désormais reconnu, son utilisation reste encore très marginale
dans de nombreux services de psychiatrie.
Pour beaucoup de patients la prise en charge se limite encore
à la gestion de la crise. Dans certaines structures
extra-hospitalières (CMP, CATTP, HDJ), les activités
proposées tiennent parfois de l'occupationnel, d'autant que les moyens
en personnel et en budget sont souvent très limités.
Les patients ayant entendu parler de réhabilitation
sont vraisemblablement une minorité.
« Si sont maintenant reconnus et acceptés
les objectifs de la réhabilitation psychosociale, permettre à la
personne souffrant de troubles psychiatriques d'accéder au meilleur
fonctionnement possible dans le milieu de son choix, ainsi que les moyens d'y
parvenir (psychoéducation, entraînement aux habiletés
sociales, remédiation cognitive, militantisme, soutien social et
familial, emploi et logement aidés), le consensus n'est pas atteint sur
une question essentielle : la délimitation du champ de cette
pratique au sein de la santé mentale. Et tout se passe comme si
l'émergence de la réhabilitation psychosociale devait être
plus difficile en France qu'ailleurs.»12(*)
Si la préoccupation de réadapter et de
réinsérer les patients atteints de troubles psychiatriques a
été énoncée dès l'avènement du
secteur en France (1960), la pratique de la réhabilitation psychosociale
a des difficultés en France à émerger des soins
« généralistes ».
R. Cnaan propose en 1988
treize grands principes de la réhabilitation
psychosociale1 :
1) « L'utilisation maximale des
capacités humaines (Full Human Capacity) Chaque personne est capable
d'améliorer son niveau de fonctionnement. La vie est un processus de
croissance et de changement et chaque individu, même
sévèrement handicapé, est capable de croissance et de
changement. C'est de la responsabilité des professionnels de
développer le niveau d'attentes que les patients ont pour
eux-mêmes, de les aider à se percevoir comme capable de
progrès et de les soutenir dans ce processus de croissance. Il convient
pour cela d'exploiter les forces de la personne, de travailler avec les parties
saines de son Moi.
2) Doter les personnes d'habiletés
(Equipping People with Skills) C'est la présence ou l'absence
d'habiletés (sociales et instrumentales), et non la disparition des
symptômes cliniques, qui est le facteur déterminant dans le
succès de la réhabilitation. Apprendre ou réapprendre les
habiletés élémentaires pour agir dans un environnement
social, vivre de façon indépendante, garder un emploi, etc., vont
être les objectifs du traitement. Les difficultés sont dès
lors appréhendées sous l'angle comportemental, en terme de
déficits ou d'excès comportementaux.
3) L'auto-détermination (Self-Determination)
Les personnes ont le droit et la capacité de participer à la
prise de décisions concernant leur vie. Il ne s'agit donc pas de faire
les choses dans le meilleur intérêt de la personne, mais de lui
permettre de prendre ses décisions et d'apprendre au travers des
conséquences de ses choix. L'autodétermination des personnes
devrait concerner également la gestion des programmes de
réhabilitation auxquels elles participent. L'autodétermination
implique également que la personne soit pleinement informée sur
sa maladie, ses conséquences et sur les possibilités de
traitement.
4) La normalisation (Normalization) Il s'agit de
permettre aux personnes souffrant de maladie mentale de vivre et de fonctionner
dans les mêmes lieux que les autres (logements, loisirs,
éducation, travail) ou en tout cas dans les lieux les moins restrictifs
possibles. Ce principe s'oppose à la ségrégation.
L'objectif idéal de la réhabilitation psychosociale est une vie
indépendante dans la communauté avec le minimum de soutien
professionnel.
5) L'individualisation des besoins et des services
(Differential Needs and Care) Chaque personne a des besoins propres. En
conséquence, le processus de réhabilitation doit être
individualisé pour ce qui est des services, de leur durée, de
leur fréquence, etc. C'est du sur-mesure et non pas une action
globalisante pour l'ensemble des patients au long court.
6) L'engagement des intervenants (Commitment of
Staff) Engagement personnel des intervenants qui sont soucieux du
bien-être de la personne et qui ont foi dans ses capacités de
progresser. Les intervenants prennent l'initiative de garder le contact avec
les personnes (coup de téléphone, visite à domicile) pour
limiter les abandons et montrer qu'ils se soucient d'elles.
7) La déprofessionnalisation de la relation
d'aide (Deprofessionnalization of Service) Les intervenants ne doivent pas
se cacher derrière une couverture professionnelle. Les barrières
artificielles doivent être enlevées. L'élément
humain de la personne de l'intervenant est crucial dans le processus de
réhabilitation. De même les intervenants doivent
appréhender la personne comme un être humain avec toutes ses
dimensions plutôt que sous l'angle d'un seul type de service. Une
attitude de "neutralité" ne convient pas. L'intervenant répond,
de façon positive ou négative, à ce que la personne dit ou
fait, même au sujet de problèmes
non-thérapeutiques.
8) Intervenir précocement (Early
Intervention) Il est essentiel d'intervenir le plus précocement possible
dès les premiers signes avant-coureurs de rechute ou de
dysfonctionnement. Le but est d'éviter les rechutes et les
réhospitalisations et de préserver les acquis en
compétences et en liens sociaux (travail, logement, contacts
sociaux,...).
9) Structurer l'environnement immédiat
(Environnemental Approach) Les interventions doivent viser à structurer
l'environnement immédiat de la personne (la famille, réseau
social, milieu de vie, de travail,...) pour qu'elle puisse en obtenir un
maximum de soutien.
10) Changer l'environnement plus large (Changing
the Environment) Une partie des interventions doit viser à changer
l'environnement plus large de la personne, c'est-à-dire les attitudes et
les modes de fonctionnement d'une société qui peuvent nuire
à l'adaptation de personnes souffrant de maladie mentale
sévère (informer le public, modifier les services
médicaux, les structures d'accueil,...).
11) Pas de limite à la participation (No
limits on participation)
La réhabilitation psychosociale est un processus
continue qui nécessite continuité des soins et du soutien et qui
doit être constamment revu en fonction de l'évolution. Il importe
de ne pas suspendre les services de réhabilitation en cas
d'hospitalisation. S'il n'y a pas de limite de temps, il convient aussi de
mettre le moins possible de critères de sélection pour
l'entrée dans un programme.
12) La valeur du travail (Work-Centered Process) La
Réhabilitation Psychiatrique soutient la conviction que le travail, et
spécialement l'opportunité d'aspirer et de se réaliser
dans un emploi rémunéré, est un besoin et une force
d'intégration pour tout être humain. Il faut garder une foi dans
le potentiel de productivité des personnes même lourdement
handicapée par la maladie mentale. Il s'agit d'envisager un travail
intégré dans la réalité sociale, pas
forcément un emploi temps plein, mais des emplois souples,
diversifiés tout en restant compatibles avec les besoins des
employeurs.
13) Priorité au social par rapport au
médical (Social Rather Than Medical Supremacy) Il s'agit de
dépasser le modèle médical traditionnel: maladie,
diagnostic, réduction des symptômes par les médicaments, le
savoir médical qui sait ce qui est juste pour le patient, etc, pour
favoriser une approche globale de la personne centrée sur son
autodétermination, sur ses capacités, sur l'apprentissage
d'habiletés, sur la mobilisation de son environnement social propre.
Dans cette dynamique, le médical doit pouvoir s'effacer tout en restant
disponible, pour laisser la place à d'autres acteurs
sociaux. »
13
Extrait du séminaire de réhabilitation
psychiatrique niveau théorique, " Généralités sur
la réhabilitation psychiatrique ", sept 98, Guy M. Deleu,
Socrate-Réhabilitation, Belgique
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* 10 ANTHONY W.A.,
LIBERMAN R.P. / The practice of psychiatric rehabilitation :
historical, conceptual, and research base. Schizophr Bull. 1986 ;
12 : 542-59
* 11 CNAAN R.A. et
al./ Psychosocial Rehabilitation: Toward a Definition.
Psychosocial Rehabilitation Journal. 1988. 11: 4, p.61-77.
* 12 Giraud-Baro E., Vidon G.,
Leguay D. / Le mouvement de réhabilitation psychosociale
aujourd'hui / l'Information Psychiatrique. Vol 82, N° 4, 281-6, Avril
2006
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