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L'art de la bifurcation : dichotomie, mythomanie et uchronie dans l'oeuvre d'Emmanuel Carrère

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par Mario Touzin
Université du Québec à Montréal - Maîtrise en Etudes Littéraires 2007
  

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1.4 Le mythomane : entre réalité et fiction.

Fragilité, hyperémotivité, grande dépendance au regard d'autrui et exaltation des facultés de l'imagination : ainsi se dévoile, esquissé par la psychiatrie contemporaine, le portrait-robot du mythomane. La mythomanie, en effet, peut aussi bien servir de mécanisme de défense pour un sujet angoissé en quête d'affection que d'outil visant à servir un projet qui peut, par exemple, être lucratif.

Nous employons bien souvent le terme de « mythomanie » dès que nous rencontrons une personne qui ne dit pas la vérité, qui amplifie les faits au gré de son imagination, mais cela ne veut pas dire systématiquement que nous ayons à faire à un mythomane. Selon Odile Dot, le mythomane relève d'un « trouble de la personnalité impliqu[ant] la création [...] de scénarios imaginaires développés et structurés.32(*) » Dot poursuit en précisant que « le mythomane [à la différence du simple menteur] a besoin d'un public, non pour le distraire [...], mais pour se persuader de la réalité du monde qu'il se crée33(*) ».

Jean M. Sutter affirme que « le mythomane vit pleinement son travail d'invention ; il s'y engage tout entier, sans réserver comme le menteur une part de lui-même pour jouer le rôle du juge et de spectateur. Aussi, dans ses fables, mêle-t-il intimement le réel et la fiction, ce qui l'aide d'ailleurs à les faire croire plus facilement.34(*) » En fait, le mythomane vit constamment entre la réalité et la fiction ; il passe d'un monde à l'autre sans s'en rendre compte. Il se base toutefois sur le réel pour forger son monde imaginaire.

1.4.1 Le mythomane et son auditoire

Si la réalité, pour le petit enfant, est ce qu'il croit ; pour le mythomane, c'est ce que l'on croit. Car il se doit d'être cru, sinon tout s'écroule et son monde imaginaire n'a plus raison d'être. Le mythomane se doit également d'être le plus précis possible. Voilà pourquoi « il s'alimente au réel, y puise des fragments de vérité35(*) ». Il ne laisse rien au hasard. Il pense à tout. Chaque détail se doit d'être le plus près de la vérité, pour que l'on puisse croire à sa fabulation.

Pour Marcel Eck, « le véritable mythomane construit une histoire cohérente, pour lui tout au moins, histoire qu'il s'efforce de rendre crédible pour autrui. Il finit par croire à sa fabulation et cela dans la mesure où l'entourage le croit.36(*) » Et dans la plupart des cas, cela s'élabore dans un long processus qui tend à s'étendre considérablement dans le temps. Pour Guy Durandin, « le mythomane [...] ne se contente pas de prendre ses désirs pour des réalités, ou de nier une réalité pénible. [Le mythomane] cherche [...] à modifier le monde réel à son profit, par l'intermédiaire de la croyance d'autrui.37(*) »

Tous profils confondus, le mythomane apparaît souvent comme la première victime de ses mensonges, qu'il peine lui-même à distinguer de la vérité.

Il est intéressant de noter que l'individu mythomane ne se sert pas de ses mensonges pour arriver à des fins pratiques, tel que l'escroc le ferait par exemple pour extorquer des fonds. Il est souvent recommandé de ne pas écouter les mensonges du mythomane, au risque de l'ancrer plus encore dans cette fausse réalité qu'il a choisie par confort. Cela va donc à l'encontre des principes de neutralité et d'écoute bienveillante accompagnant la thérapie psychanalytique. De même, il est peu utile d'argumenter avec un individu mythomane sur la véracité de ses propos, au risque de provoquer une obstination qui ne pourrait qu'aggraver le problème. Une solution recommandée par nombre de psychiatres consiste à placer le mythomane en face de la situation déniée afin de l'aider à prendre conscience de sa fausseté.

Il ne faut surtout pas oublier que les mensonges sont l'oxygène du mythomane. Il a besoin d'eux pour exister. Il ne peut s'empêcher de mentir. C'est cet automatisme irrépressible, fonctionnant en roue libre, qui fait de la mythomanie une maladie grave, et des mythomanes, des êtres fascinants et angoissants.

Nous avons tous des fantasmes qui nous permettent de protéger notre narcissisme, notre amour propre, face aux coups durs. Mais généralement, nous savons que nos fantasmes ne sont que des fantasmes, et nous les gardons pour nous (sauf, ponctuellement, quand nous avons envie de bien paraître, face à une personne dont nous cherchons l'admiration). Ce n'est pas le cas du mythomane, qui, lui, les vit sans recul.

Ainsi, le mythomane, par une sorte de décision de l'inconscient, et pour éviter les frustrations, s'enfermera dans un univers factice. Le psychiatre Michel Neyraut compare d'ailleurs son existence à une partie de poker, dans laquelle le mythomane ne connaîtrait même pas son jeu. Il abat ses cartes, ses affabulations, « et si personne ne s'est récrié, c'est peut-être que cette carte était la bonne. Au fond, toute carte peut être la bonne38(*) ».

* 32 Dot, op. cit., p. 152-153.

* 33 Ibid., p. 153.

* 34 Sutter, op, cit., p. 78.

* 35 Cyrulnik, op. cit., p. 12.

* 36 Eck, op. cit., p. 114.

* 37 Durandin, op. cit., p. 348.

* 38 Michel Neyraut, Le transfert : Étude psychanalytique, Paris, PUF, p. 198.

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