II.1.3- L'énonciateur
C'est l'instance qui accomplit l'acte illocutoire,
c'est-à-dire qui prend la responsabilité de l'intention
exprimée par cet acte. Ducrot (1984 :204) donne une
définition plus précise du rôle des énonciateurs
lorsqu'il déclare que ce sont des
êtres qui sont censés s'exprimer
à travers l'énonciation, sans que pour autant on leur attribue
des mots précis ; s'ils « parlent », c'est
seulement en ce sens que l'énonciation est vue comme exprimant leur
point de vue, leur position, leur attitude, mais non pas, au sens
matériel du terme leurs paroles.
Ducrot (1984) définit donc solidairement
l'énonciateur et le point de vue. Néanmoins, il convient de
préciser que ces deux termes ne sont pas consubstantiels, ils ne
fonctionnent pas au même niveau. La notion de point de vue n'étant
pas aussi fondamentale que le concept d'énonciateur, mais jouant
plutôt un rôle secondaire dans la définition de
l'énonciateur. A cet effet, les points de vue ne sont pas des
réactions à propos des faits, mais des façons de voir les
faits. Sur un tout autre plan, Charaudeau et Maingueneau (2002 :226)
relèvent le fait que tout énonciateur n'est pas
nécessairement locuteur : ainsi des points de vue
véhiculés dans un énoncé doxique, ou un point de
vue narratif dans un récit
hétérodiégétique.
C'est dire que lorsque le locuteur présente dans un
énoncé un point de vue qui n'est pas à sa charge, l'on
note obligatoirement la présence d'un énonciateur.
Néanmoins, si le locuteur assume le contenu propositionnel d'un
énoncé, cela signifie que ce locuteur en est également
l'énonciateur. Dans Michel Strogoff, l'énonciateur est
surtout considéré, selon Rabatel (2005 :1), comme
l'instance à la source d'un point de vue exprimé dans
un contenu propositionnel. Cela du fait que les évènements
passent rarement par le regard d'un personnage, mais très souvent par
celui du narrateur. Les énoncés suivants sont assez
éloquents à ce sujet :
(7) Alcide Jolivet, optimiste par nature, semblait
d'ailleurs, trouver que tout se passait convenablement. (p.63)
(8) Nadia ne pouvait plus se traîner, mais
elle pouvait voir pour lui. (p.287)
(9) Michel Strogoff ne le savait et ne pouvait rien
décider sans être fixé à cet égard.
(p.164)
Les personnages Alcide Jolivet, Nadia, Michel Strogoff
cités ci-dessus sont énonciateurs sans être
locuteurs ; la voix du narrateur accueille dans un récit,
l'expression d'une subjectivité qui n'est pas celle des locuteurs
premiers. Plus concrètement, ce sont les attitudes et les comportements
des différents énonciateurs qui permettent de modaliser les
énoncés même si c'est grâce à la voix du
narrateur que le locuteur a accès à ces points de vue. Dès
lors, les énonciateurs sont réduits à des porteurs de
contenus propositionnels dont les attitudes sont reparties selon la
volonté, selon le gré du locuteur.
On s'aperçoit donc qu'il y a une nette distinction
entre le sujet parlant, le locuteur et l'énonciateur, même si on a
souvent l'impression que cette distinction n'est pas perceptible. Le sujet
parlant, être empirique, produit effectivement l'énoncé. Le
locuteur, quant à lui, parle dans le même sens que le narrateur
raconte ; mais il ne présente pas toujours les
événements, les attitudes de son point de vue à lui, il a
souvent recours à l'énonciateur dont il présente le point
de vue. Toutes ces instances se superposent et expriment soit le sujet modal,
soit le support modal.
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