II- L'OPPOSITION MODALITÉS
D'ÉNONCIATION/MODALITÉS D'ÉNONCÉ
Il y a généralement une confusion entre les
modalités d'énonciation et les modalités
d'énoncé. C'est pourquoi il importe de présenter les
signes caractéristiques de ces deux types de modalités afin de
voir s'ils sont vraiment semblables.
II.1- Définition
Il est question dans ce point de voir ce que recouvrent
exactement les notions de modalités d'énonciation et de
modalités d'énoncé. A cet effet, pour Le Querler
(1996 :63), les modalités d'énonciation sont la marque du
rapport entre le sujet énonciateur et un autre
sujet. A travers ces modalités, le locuteur ordonne,
conseille, suggère, demande... à quelqu'un d'autre de faire
quelque chose. L'emploi des modalités énonciatives laisse
transparaître la présence d'une communication intersubjective
entre des sujets.
En ce qui concerne les modalités
d'énoncé, Nølke (1993 :143) pense que ce sont les
regards que le locuteur pose sur le contenu de ce qu'il dit. Se servant de ces
éléments, il peut en effet apporter des évaluations
diverses quant aux valeurs de vérité, argumentative, etc. de son
énoncé.
A en croire Nølke (1993), les
modalités d'énoncé expriment le regard porté par le
locuteur sur le contenu de son message. Au regard des définitions
sus-citées, on constate que les modalités d'énonciation et
les modalités d'énoncé s'opposent sur plusieurs plans.
II.2- Deux types d'attitudes distincts
Parler de modalités d'énonciation et
modalités d'énoncé revient à évoquer, d'une
part l'attitude du locuteur dans sa relation interpersonnelle avec le
destinataire de son discours, et d'autre part l'attitude du locuteur face
à son énoncé. Dans le même ordre d'idées,
Riegel et co-auteurs (1994 :580) affirment que
les modalités d'énonciation renvoient
au sujet de l'énonciation en marquant l'attitude énonciative de
celui-ci dans sa relation à son allocutaire, [tandis que
les modalités d'énoncé renvoient au locuteur] en
marquant son attitude vis-à-vis du contenu de
l'énoncé.
C'est dire que les modalités d'énoncé
établissent un lien entre le locuteur et son discours alors que les
modalités énonciatives mettent en relation le locuteur avec son
allocutaire. Les phrases suivantes du corpus nous permettront de mieux
expliquer cette différence faite entre les deux types de
modalités :
(56) Allons, mon ami Korpanoff, reste
tranquille ! (p.85)
(57) En es-tu sûre, ma fille ? (p.210)
(58) Le ciel, sans doute, ne voulut pas le soumettre
à cette épreuve. (p.289)
(59) La jeune fille dut craindre un instant que ce ne
fût un détachement tartare. (p.289)
Les deux premiers énoncés constituent
respectivement des énoncés injonctif et interrogatif et sont
orientés vers le destinataire, l'interpellent. Par contre, les deux
derniers énoncés où l'on décèle la
présence de la modalité aléthique expriment l'attitude du
locuteur face à son énoncé. A l'aide de l'adverbe sans
doute et du semi-auxiliaire modal conjugué dut, les
locuteurs émettent des jugements sur leur propre
énoncé.
Un autre fait marquant la distinction entre les
modalités d'énonciation et les modalités
d'énoncé est qu'une phrase ne peut recevoir qu'une seule
modalité d'énonciation alors qu'elle peut présenter
plusieurs modalités d'énoncé. C'est pourquoi Meunier
(1974 :13) fait remarquer que la modalité d'énonciation
intervient obligatoirement et donne une fois pour toutes à une phrase
sa forme déclarative, interrogative, impérative.
Aussi un énoncé comporte-t-il toujours
une et une seule modalité énonciative. On se demande ainsi si les
modalités énonciatives sont des procédés de
modalisation quand on sait que la modalisation n'est pas un fait linguistique
que l'on rencontre absolument dans tout énoncé.
Les modalités d'énoncé, quant à
elles, d'après Maingueneau (1976 :112),
caractérisent la manière dont le locuteur
situe l'énoncé par rapport à la vérité, la
fausseté, la probabilité, la certitude, la vraisemblance, etc.
(modalités logiques) ou par rapport à des jugements
appréciatifs (l'Heureux, le triste, l'utile, etc., modalités
appréciatives.)
En fait, les modalités d'énoncé
regroupent tous les moyens linguistiques par lesquels le locuteur manifeste une
attitude, exprime ses émotions, ses sentiments par rapport à ce
qu'il dit. Plusieurs éléments linguistiques
référant aux différentes modalités
d'énoncé peuvent se retrouver dans un même
énoncé. Observons les exemples ci-dessous pour mieux cerner
les signes de démarcation entre les modalités
d'énoncé et les modalités d'énonciation :
(60) Eh bien, monsieur Jolivet, que pensez-vous du colonel
Ogareff, général en chef des troupes tartares ? demanda
Harry Blount. (p.205)
(61) Mes yeux seront tes yeux désormais, et c'est moi
qui te conduirai à Irkoutsk. (p.243)
(62) Ils causèrent à voix basse, et l'aveugle,
complétant ce qu'il savait déjà par ce qu'ils
apprirent, put se faire une idée exacte de l'état des
choses. (p.297)
Les deux premiers énoncés ne renferment pas de
modalité d'énoncé, mais constituent respectivement une
interrogation et une assertion. Le troisième exemple, quant à
lui, est une assertion dans laquelle on note la présence de la
modalité épistémique (savait) et de la
modalité aléthique (put). On voit ainsi qu'au sein d'un
même énoncé, deux types de modalités
d'énoncé sont employés par le support modal.
Il était question de l'étude des
modalités énonciatives dans ce chapitre. Plus exactement, il
s'agissait pour nous de voir si ces modalités peuvent être
considérées comme des procédés de modalisation ou
des marques de la communication intersubjective. Ce faisant, à travers
leurs différents fonctionnements dans Michel Strogoff, nous
nous sommes aperçue que les modalités énonciatives ne
sauraient être des procédés de modalisation. Ainsi,
l'assertion vise surtout à convaincre l'autre de la
véracité de ce que l'on affirme. L'interrogation et l'injonction
constituent respectivement des demandes de dire et de faire. Par ailleurs, nous
avons constaté que même si les modalités
d'énonciation et les modalités d'énoncé semblent se
confondre quelques fois, elles sont distinctes les unes des autres. Les
premières privilégient la relation interpersonnelle entre le
locuteur et son allocutaire, alors que les secondes expriment les jugements
qu'un locuteur émet sur son propre énoncé.
Cette partie consacrée à une mise au point
théorique sur la modalisation nous a permis de présenter notre
approche de la notion. A cet effet, nous avons apporté des
précisions terminologiques au niveau des concepts employés dans
les travaux de modalisation. Parmi les typologies de procédés de
modalisation étudiées, nous avons opté pour celle
présentée par Gardes-Tamine et Pelliza (1998) parce qu'elle nous
a semblé plus cohérente et mieux structurée. En ce qui
concerne l'entité à l'origine de la modalisation, nous avons vu
qu'elle porte le nom de support modal. Par ailleurs, nous avons
également étudié les modalités énonciatives
dans le but de voir si elles peuvent être considérées comme
des procédés de modalisation. Nous avons constaté, de ce
fait, que ces modalités s'apparentent plutôt à des marques
de la communication intersubjective car elles impliquent une relation avec un
allocutaire. Les modalités énonciatives ne sauraient donc se
confondre aux modalités d'énoncé puisque celles-ci
expriment plutôt les jugements qu'un locuteur émet sur son propre
énoncé. C'est pourquoi ce sont les modalités
d'énoncé qui seront analysées dans notre travail.
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