Ordre Public et Arbitrage International en Droit du Commerce International( Télécharger le fichier original )par Rathvisal THARA Université Lumière Lyon 2 - Master 1, Droit des activités de l'entreprise 2005 |
§ II. Modalités du contrôleL'essentiel est de savoir en quoi une sentence est contraire à l'ordre public. Dans le but d'éviter la révision au fond de la sentence et de trouver l'équilibre entre le respect de l'indépendance de l'arbitre et l'exigence d'un contrôle efficace, les pouvoirs du juge du contrôle sont strictement définis (B). Cependant, il est nécessaire de passer tout d'abord par une brève étude sur les critères essentiels du contrôle (A). A. Critères du contrôle 1. Caractère relatif de l'ordre public L'évolution jurisprudentielle en la matière est très d'actualité. La contrariété d'une sentence à l'ordre public ne se manifeste jamais de manière absolue. Seule la violation « flagrante, effective et concrète » doit être sanctionnée. En effet, le juge de l'annulation peut certes porter une appréciation en droit et en fait sur les éléments qui sont dans la sentence déférée à son contrôle, mais pas statuer au fond sur un litige complexe qui n'a jamais été ni plaidé, ni jugé devant un arbitre, concernant la simple éventualité de l'illicéité de certaines stipulations contractuelles210(*). Deux conséquences découlent de l'appréciation concrète. Pour la première, la violation d'une règle d'ordre public par l'arbitre n'entraîne pas ipso facto une contrariété à l'ordre public : il faut en outre une violation substantielle de la règle en question. Par exemple, la mauvaise application d'une règle d'ordre public n'est pas sanctionnée en tant que telle211(*). De l'arrêt Thalès, récemment rendu, il faut déduire que le juge devra annuler la sentence ou refuser l'exequatur seulement s'il en résulterait une violation grave des principes fondamentaux ou de base sur lesquels se fonde la loi de police212(*). Pour la deuxième conséquence, l'application abstraite d'une loi de police qui est contraire à l'ordre public ne conduit pas automatiquement à la sanction de nullité de la sentence. Il faut, pour constater la contrariété de la sentence à l'ordre public, que le résultat de l'application de cette loi soit intolérable213(*). Selon M. BROZOLO, la thèse néo-étatique ou maximaliste est critiquable, la thèse à retenir est celle minimaliste du contrôle des sentences. En effet, il faut considérer que, si le juge pouvait toujours contrôler la conformité de la sentence aux lois de police, aucune sentence ne serait à l'abri de l'annulation ou d'un refus d'exequatur214(*). L'arrêt Thalès, selon lui, confirme l'approche minimaliste qui consacre d'abord le caractère restrictif de la définition de l'ordre public international. Au demeurant, ce n'est que la violation « manifeste », autrement dit « flagrante, effective et concrète », qui est contraire à l'ordre public215(*). 2. Caractère national du contrôle Le contrôle de la sentence au regard de l'ordre public présente un caractère national. Cela veut dire par conséquent que le juge de l'Etat d'accueil de la sentence apprécie lui-même la conformité de la sentence à l'ordre public selon les critères du for. Pourtant, la Convention de New York du 10 juin 1958 a donné à la décision d'annulation de la sentence arbitrale prononcée par le juge du siège un effet extraterritorial, c'est-à-dire que le refus d'exequatur vaut dans tous les Etats signataires (article V) 1) e) de la convention). Au demeurant, le contrôle de l'ordre public est exclusivement national en droit comparé. L'Etat dans lequel une sentence arbitrale fait l'objet d'une procédure d'exécution forcée entend être le seul juge de la conformité de celle-ci à l'ordre public216(*). Mais ses pouvoirs du contrôle doivent être strictement délimités. B. Étendue du pouvoir de contrôle étatique Quelle est l'étendue du contrôle que les juges entendent réellement exercer sur le pouvoir aujourd'hui largement reconnu aux arbitres d'appliquer les règles d'ordre public ? Telle est la question posée par M. Seraglini dans sa note sous l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 14 juin 2001217(*). Puisque le juge doit respecter la souveraineté de l'arbitre dans la résolution du litige, et en l'absence de possibilité de réformation de la sentence en matière internationale, l'étendue des pouvoirs est strictement limitée. L'interdiction de réviser au fond implique également l'impossibilité de sanctionner les erreurs de fait ou les erreurs de droit commises par l'arbitre218(*). Par exemple, le mal jugé, résultant de l'erreur de droit, n'est pas un cas d'ouverture du recours en annulation219(*).
Normalement, la contrariété à l'ordre public peut être contrôlé à deux stades : soit au stade de la demande de l'exequatur, soit au stade du recours en annulation de la sentence. 1. Au stade de l'exequatur Selon l'article 1498 NCPC, deux conditions de reconnaissance et d'exécution forcée de la sentence rendue à l'étranger ou en matière internationale ont été posées. Premièrement, il faut que la sentence existe et deuxièmement, il faut que sa reconnaissance ou son exécution ne soit pas `manifestement contraire à l'ordre public international'. Pour cette raison, les refus d'exequatur sont rares puisque le juge ne contrôle que l'existence formelle de la sentence et l'absence manifeste à l'ordre public international. Quant à la prescription de l'action, Il résulte de l'arrêt de la Cour de cassation220(*) qu' « en refusant l'exequatur d'une sentence arbitrale rendue à l'étranger, l'arrêt qui a retenu que la décision arbitrale a méconnu l'ordre public international en ce qu'elle juge prescrite l'action d'une partie bien qu'elle ait été introduite dans le délai devant une juridiction incompétente, méconnaît l'article 1502 °5 NCPC ». En effet, « la règle qui donne effet interruptif de la prescription à la saisine d'un juge incompétent ne relève pas de la conception française de l'ordre public international ; la convention d'arbitrage déroge nécessairement à cette règle, de sorte que la saisine d'un tribunal de commerce qui n'avait pas pourvoir de juger, n'avait aucun effet sur la prescription de l'action ». Un autre exemple a été donné par un jugement du tribunal de grande instance de Paris, dans lequel le juge parisien a jugé qu' « est manifestement contraire à l'ordre public international au sens de l'article 1498 NCPC l'exécution d'une sentence rendue à l'étranger condamnant une partie soumise à une procédure de redressement judiciaire en France à payer diverses sommes d'argent, et méconnaissant ainsi la règle de la suspension des poursuites individuelles. Doit donc être rejetée la demande d'exequatur de cette sentence en France221(*) ». 2. Au stade des voies de recours Les voies de recours peuvent se présenter sous deux formes : soit il s'agit de l'appel formé à l'encontre de la décision qui accorde ou qui refuse l'exequatur dans le cadre de l'article 1502 NCPC, soit il s'agit du recours en annulation formé à l'encontre de la sentence arbitrale dans le cadre de l'article 1504 NCPC. L'important est qu'en matière d'arbitrage international, la jurisprudence se réfère à la solution du litige pour apprécier la conformité ou la contrariété de la sentence à l'ordre public et qu'elle refuse à apprécier l'interprétation du contrat faite par l'arbitre. Plus précisément, certains auteurs expriment qu'il est nécessaire pour le juge d'effectuer un contrôle à la fois en droit et en fait portant sur la solution du litige car c'est cette solution qui constitue le siège principal de l'atteinte à l'ordre public222(*). La jurisprudence223(*) est donc généralement critiquée par une grande partie de la doctrine en ce qu'elle contenterait d'un contrôle minimaliste de l'ordre public. Mais selon certains d'autres auteurs, comme par exemple M. Yves DERAINS, l'approche de la jurisprudence est justifiée parce qu'à partir du moment où « l'on a admis qu'une matière d'ordre public est arbitrable, on a présumé qu'un arbitre avait les compétences nécessaires pour appliquer correctement des règles d'ordre public et respecter les valeurs dont l'ordre juridique français ne peut souffrir la méconnaissance. Il lui fait donc confiance a priori.224(*) * 210 Luca G. RADICATI di BROZOLO, « L'illicéité ``qui crève les yeux'' : critère de contrôle des sentences au regard de l'ordre public international (à propos de l'arrêt THALèS de la Cour d'appel de Paris) », Rev. Arb. 2005. p. 535. * 211 Jean-Baptiste Racine, L'arbitrage commercial international et l'ordre public, LGDJ, 1999. p. 527. * 212 Luca G. RADICATI di BROZOLO, « L'illicéité ``qui crève les yeux'' : critère de contrôle des sentences au regard de l'ordre public international (à propos de l'arrêt THALèS de la Cour d'appel de Paris) », Rev. Arb. 2005. p. 558. * 213 Jean-Baptiste Racine, L'arbitrage commercial international et l'ordre public, LGDJ, 1999. p. 527. * 214 Luca G. RADICATI di BROZOLO, « L'illicéité ``qui crève les yeux'' : critère de contrôle des sentences au regard de l'ordre public international (à propos de l'arrêt THALèS de la Cour d'appel de Paris) », Rev. Arb. 2005. p. 543. * 215 Luca G. RADICATI di BROZOLO, « L'illicéité ``qui crève les yeux'' : critère de contrôle des sentences au regard de l'ordre public international (à propos de l'arrêt THALèS de la Cour d'appel de Paris) », Rev. Arb. 2005. p. 550. * 216 Jean-Baptiste Racine, L'arbitrage commercial international et l'ordre public, LGDJ, 1999. p. 563. * 217 C.A Paris, 14 juin 2001 : Rev. Arb. 2001, 773, note Seraglini. * 218 Jean-Baptiste Racine, L'arbitrage commercial international et l'ordre public, LGDJ, 1999. p. 535. * 219 Jean-Claude DUBARRY, Eric LOQUIN, « Arbitrage international », RTD. Com. 2004. p. 260. * 220 Cass. 1re Civ., 30 juin 1998 : Rev. Arb. 1999. p. 80, note Marie-Laure NIBOYET. * 221 TGI Paris 2 févr. 1996 : Rev. Arb. 1998. p. 577. * 222 Jean-Baptiste Racine, L'arbitrage commercial international et l'ordre public, LGDJ, 1999. pp. 538 - 539. * 223 C.A Paris, 18 novembre 2004, Thalès C. Euromissile : JCP, éd. G, 2005II10038, note Chabot. * 224 Yves DERAINS, notes sous des arrêts de la Cour de cassation et de la Cour d'appel, Rev. Arb. 2001. p. 805. |
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