Le Droit applicable aux joint-ventures( Télécharger le fichier original )par Tongkin HUOY Université Jean Moulin Lyon 3 - DEA 2006 |
Section 2. La soumission du joint-venture dans la lex mercatoriaConçu dans la pratique du commerce international, le joint-venture devrait être régi par la lex mercatoria. Cette dernière, qui constitue une oeuvre de la construction doctrinale, apporte beaucoup de discussions parmi lesquelles la plus controversée est celle qui porte sur l'existence de l'ordre juridique transnational ou l'ordre juridique mercatique. Pourtant, indépendamment de l'existence de l'ordre juridique de la lex mercatoria, la réalité pratique montre que celle-ci constitue incontestablement une source de règles matérielles importantes dans le domaine du commerce international325(*). La première question se pose donc est de savoir ce que signifie exactement la lex mercatoria et quels sont les arguments favorables à son application au joint-venture (§1). Ensuite, quels sont ses rôles en tant que source normative (§2). §1. La lex mercatoria et la justification de sa compétence dans le cadre de joint-ventureAvant de songer aux arguments en faveur de l'application de la lex mercatoria au joint-venture (B), il est nécessaire de connaître brièvement la signification de la lex mercatoria (A).
En l'absence de la terminologie précise, il n'y a pas de véritable distinction entre les trois termes : lex mercatoria, droit transnationale et droit a-national326(*). Il convient de constater que le terme générique le plus octroyé est celui de la « lex mercatoria ». Cette dernière étant une conception large, plusieurs définitions, plus ou moins convergentes, de celle-ci sont proposées. Pour les uns, la lex mercatoria est « ensemble de normes spécialement adaptées aux besoins du commerce international »327(*). Elle rassemble un certain nombre de principes fondamentaux se dégageant de la pratique commerciale internationale328(*). Par ailleurs, B. Goldman, partisan de la lex mercatoria, a précisé que celle-ci constitue « un ensemble de principes, d'institutions et de règles, qui ont progressivement alimenté et continuent d'alimenter les structures et le fonctionnement juridiques propres à la collectivité des opérateurs du commerce international »329(*). Cet auteur affirme également qu'en tant qu'un ordre juridique anational, la lex mercatoria vise « l'ensemble des relations commerciales internationales, à la seule exception de celles qui ne mettent en présence que les collectivités publiques agissant selon les procédés qui leur sont propres »330(*). Globalement, on trouve à l'intérieur de la lex mercatoria qu'il existe deux grandes catégories de règles. Il s'agit des « principes fédérateurs », dans un côté, et des « règles spontanées » dans un autre. La première catégorie embrasse des droits communs des nations et des principes généraux du droit du commerce international, tandis que la seconde englobe des usages, des montages et des clauses susceptibles d'être relevés par la jurisprudence arbitrale331(*). Face à la pauvreté et à l'imprécision du contenu de la lex mercatoria, É. Loquin a regroupé des principes généraux du droit du commerce international dans une liste, non exhaustive, contenant plusieurs rubriques332(*). Il s'agit d'abord des principes concernant la sécurité des transactions : « la présomption de compétence des opérateurs du commerce international », « l'efficacité de la clause compromissoire », « l'inopposabilité du défaut de pouvoir du négociateur du contrat » et « l'interdiction de se contredire au détriment d'autrui » ; ensuite, des principes relatifs à la mutabilité de la convention : « la présomption d'acquiescement à l'acte d'exécution différent de celui défini par le contrat » et « l'obligation de renégocier » ; puis des principes concernant la coopération entre des parties : « l'obligation de minimiser des dommages subis », « répartition égalitaire de la charge des aléas » et « l'obligation de tout révéler » ; enfin des principes relatifs à la loyauté des affaires : « l'inopposabilité des contrats de corruption ». Quelles sont les justifications de la compétence de ces règles et principes dans le cadre de joint-venture ?
La justification de la compétence de lex mercatoria est principalement celle de l'inadaptation des règles de droits nationaux aux joint-ventures. Il existe deux ordres d'arguments de cette inadaptation. La première série d'arguments porte sur la dimension et la spécificité propre du montage de joint-venture aux yeux des droits nationaux. D'abord, c'est la nature mixte du joint-venture qui conduit éventuellement à l'inadaptation de l'application des règles de droit national d'un État. En effet, dans ce type de joint-venture, il y a un partenaire ayant la qualité d'une personne publique ou d'État. Dans cette hypothèse, dans un souci de la neutralité du droit applicable, les partenaires étrangers (privés) ne souhaitent pas appliquer le droit de cet État, surtout dans le cas où le siège de la société commune s'y situe. De ce fait, rien n'empêche l'État partenaire d'accepter de déroger à des dispositions impératives de sa propre loi, si celles-ci ne paraissent pas convenir aux caractères particuliers et à l'objectif spécifique de l'entreprise commune333(*). D'ailleurs, eu égard à la souveraineté, il est rarissime que l'État accepte d'être lié par le droit d'un autre État. La seule solution qui se trouve plus adaptable à cette situation est de recourir à des principes généraux et des usages du commerce international. Ensuite, indépendamment de la qualité des partenaires, l'inadaptation du droit national provient directement de difficulté de classification du joint-venture aux catégories traditionnelles de contrats existants334(*). En effet, certes, les instruments utilisés pour réaliser l'opération du joint-venture sont connus en droit national, mais leur combinaison au service d'un objectif particulier présente une originalité incontestable. C'est cette originalité qui marque l'inapplicabilité, au sein de l'ensemble de l'opération, des règles de droit commun des contrats et des sociétés. À titre d'illustration, dans un grand nombre de joint-ventures, la forme sociale de la structure de coopération est empruntée à un droit national, mais la mise en place de cette structure sociale n'a que pour objet de gérer le contrôle conjoint de l'entreprise commune335(*). C'est ce contrôle conjoint qui est l'originalité propre du joint-venture. Si l'on méconnaît cette originalité, le droit commun de contrats et/ou celui de société, au milieu desquels se situe le joint-venture, ne se trouvent pas adaptables pour telle opération. C'est par exemple, dans un souci de l'équilibre dans le contrat de société, le droit français prohibe la clause léonine. Pourtant, cette raison d'être du déséquilibre n'existe pas dans le joint-venture puisque les joint-venturers sont égaux et ont conçu un ensemble équilibré dans leurs intérêts communs336(*). De même, en droit des sociétés commerciales, on trouve des développements de règles pour protéger les actionnaires minoritaires ou les créanciers. C'est notamment le principe d'inaliénabilité du droit de vote ou l'hiérarchie des organes sociaux337(*). Dans le joint-venture, ce raisonnement n'est pas utilisable, car il n'existe pas d'actionnaires minoritaires ou de créanciers extérieurs au partenariat338(*). En outre, le raisonnement similaire a été retenu par la sentence no 5587 du la CCI. En l'espèce, le tribunal arbitral applique la lex mercatoria dans un litige entre partenaires d'un joint-venture. L'arbitre unique pose comme règle générale, en cas d'absence de la clause d'electio juris, que « le choix de la lex mercatoria est principalement fondé sur la difficulté, parfois insurmontable, de justifier la compétence d'un droit national plutôt qu'un autre ». Il conclut qu'il s'agit de la situation typique dans laquelle les principes de droit transnational doivent s'appliquer339(*). Quant à la deuxième série d'argument, le recours à la lex mercatoria est justifié par l'incompatibilité fondamentale entre le droit et les nécessités économiques de l'industrie et du commerce340(*). On sait que dans le domaine du commerce international, il existe une présomption selon laquelle les contractants dans l'ordre international seraient des personnes suffisamment compétentes, aguerris dans la négociation, la rédaction et la formation du contrat. Ils ont une parfaite conscience de ceux qui sont leurs intérêts, à savoir des intérêts du commerce international et des intérêts des commerçants341(*). Dans la meure où les parties ont un pouvoir égal de négociation, il ne paraît pas légitime de leur imposer les règles d'ordre public de protection de chacun d'entre eux342(*). En conséquence, « la pratique et les usages du commerce international sont souvent vécus dans le vif de relations intuitus personae dont la propension va fréquemment à contre-courant des rigidités législatives et réglementaires »343(*). Par exemple, on trouve que le principe de « l'extension des délais de réalisation des travaux » et le principe de « coopération entre les parties » sont largement reflétés dans la pratique des contrats de réalisation d'ensembles industriels344(*). Pour finir, on trouve que l'application de la lex mercatoria aux joint-ventures permettrait à unifier le régime juridique de l'ensemble contractuel. Il est également d'écarter l'application du droit national, des contrats et des sociétés, qui amène à ce qui serait considéré part tous comme un déni de justice pour les partenaires. Donc, dire que la lex mercatoria ne joue aucun rôle en tant que source normative dans la résolution de litige n'est plus vrai. * 325 J. Béguin, M. Menjucq, Traité du commerce international, éd. Litec 2005, p. 364. * 326 Traité de l'arbitrage commercial international, Litec, éd. 1996, p. 817, no1446 * 327 L. Matray, « Quelques problèmes de la lex mercatoria », Revue de Droit international et de droit comparé, 1992, p. 333. * 328 B. Goldman, « La lex mercatoria dans les contrats et l'arbitrage internationaux », in Travaux du Comité Français de droit international privé, Dalloz, Paris, 1977-79, p.221. * 329 B. Goldman, « La lex mercatoria dans les contrats et l'arbitrage internationaux : réalité et perspectives », JDI (Clunet) 1979, p. 476, spc., p.487. * 330 B. Goldman, « Frontières du Droit et Lex Mercatoria », A.P.D, 1964 tome 9, p.177-192. * 331 Valérie Pironon, thèse préc., p.360, no 723. * 332 É. Loquin, « La réalité des usages du commerce international », Rev. int. dr. éco. 1989, p.163 (cité par P. Fuchard, E. Gaillard, B. Goldman « Traité de l'arbitrage commercial international », Litec 1996, p. 831. ) * 333 B. Goldman, « Cours de droit du commerce international », 1972-1973, p.253 ; V. Pironon, « Les joint ventures, ... », thèse, préc., no 725, p.361. * 334 Pierrick LE GOFF, « Théorie et pratique du contrat de réalisation d'ensembles industriels en RFA : vers une lex mercatoria germanica ? », RDAI, no 1, 2004, p.15 * 335 V. Pironon, « Les joint ventures, ... », thèse préc., no 726, p.361. * 336 Valérie Pironon, Les joint ventures, ... , thèse préc., no 726, p.362. * 337 Ibid. * 338 Ibid. * 339 Sentence de la CCI, affaire no 5587, 1992 (sentence non publiée, citée par Pironon, thèse préc., p.371) * 340 Daniel DESURVIRE, « Les Joint Ventures pour gagner et enfoncer les barrières de l'économie », Droit et procédure, 1988, p. 537. * 341 M. Nourissat, Cours de droit des contrats internationaux, séance du 13 novembre 2006. * 342 Mémento pratique Francis Lefebvre, « Contrats de coopération interentreprises », préc., no 2907, p. 422. * 343 Daniel DESURVIRE, préc., p. 537. * 344 Pierrick LE GOFF, « Théorie et pratique du contrat de réalisation d'ensembles industriels en RFA : vers une lex mercatoria germanica ? », RDAI, no 1, 2004, p.28. |
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