1. INTRODUCTION
Un mémoire d'une étudiante en Lettres modernes
peut-il aborder une problématique sur la bande dessinée et plus
particulièrement sur les manga ? On s'attendrait de prime abord
à un sujet plus universitaire sur la littérature
française, mais les histoires en images sont considérées
depuis leur émergence au 19ème siècle comme une
forme de littérature, une «littérature en estampes»,
suivant Rodolphe Töpffer, inventeur du genre en Europe. Nous avons
préféré tenter d'aborder un thème neuf, en
constante évolution.
Certes, mais pourquoi le manga ? Tout simplement parce
que la bande dessinée est un art à part entière mais que
la production asiatique peine à être reconnue comme tel.
Les manga ont la particularité d'être
liés, pour les jeunes entre vingt et trente ans, à l'enfance.
Bercés par la diffusion à la télévision des dessins
animés japonais tels que «Goldorak»,
«Albator», «Sailor Moon» ou encore
«Dragon Ball», cette génération a enfin pu
connaître le dénouement des aventures de ses héros
préférés.
Peu à peu, avec le développement des
éditeurs publiant du manga, sont apparus des titres destinés
à un public plus âgé, une multiplicité de genres, de
thèmes et d'une originalité de scénarii, ces derniers
étant, dans le traitement, totalement différents de la production
franco-belge. Le manga a également amené quelques uns de ses
lecteurs à s'intéresser au Japon et de fait s'enrichir au contact
d'une culture empreinte de tradition et de modernité.
Avant de poursuivre plus avant notre développement, il
nous semble nécessaire de définir les deux termes qui seront les
plus employés au cours du présent mémoire.
« Bande dessinée - terme
technique. Bande dessinée (ou plus simplement B.D. ou
BD) : l'expression fait aujourd'hui partie du langage courant. Elle
désigne ce que d'aucuns appellent la figuration narrative, cette forme
hybride mêlant le texte et l'image. ... Par ailleurs, il est
intéressant de constater que chaque pays s'est efforcé de trouver
un terme spécifique à cette forme unique d'expression
artistique : la bande dessinée devient l'historieta en
Espagne, la banda desenhada au Portugal, les comics aux
Etats-Unis et dans les pays anglophones, les manga au Japon, le
fumetto (les fumetti) en Italie... »1(*)
« Manga - terme technique : ce
mot désigne la bande dessinée au Japon. On peut employer ce mot
au pluriel, les manga signifiant alors les créations
particulières ou les fascicules publiant ces dernières, ou bien
au singulier, le manga s'interprétant comme un tout
indifférencié (la bande dessinée). A signaler que les
substantifs japonais ne se référant pas à un genre, on
peut aussi bien parler de la manga que du manga ; après avoir
employé le masculin, il arrive parfois qu'on l'utilise au
féminin. ... Après plusieurs essais sans lendemain ..., le (ou
la) manga fait une entrée en force sur le marché francophone
à partir de la fin des années 1980 et s'impose dès lors
comme une composante à part entière du marché de la bande
dessinée, comme l'un de ses éléments les plus dynamiques
aussi. »2(*)
Notre propos n'étant pas une étude approfondie
des différents genres de bandes dessinées, nous nous bornerons au
distinguo entre manga et oeuvres franco-belges. Néanmoins, dans la
mesure où ces dernières ont une longue tradition en France, nous
avons également choisi d'y faire référence sous
l'appellation de bande dessinée traditionnelle, ceci afin
d'éviter les répétitions.
Cette approche de l'édition du manga en France prend
place dans une actualité toujours plus conséquente.
En effet, les chiffres parlent d'eux-mêmes. Le
marché du manga prend de plus en plus d'ampleur dans l'Hexagone. De cinq
ou six éditeurs en 1994, il existe désormais plus de vingt-cinq
maisons d'édition produisant du manga en France. Mieux ! Le
marché de la bande dessinée n'a jamais été plus
prolifique qu'en 2004, neuvième année de croissance
consécutive. Ce secteur totalise un chiffre d'affaires de 240 millions
d'euros soit près de 30 millions d'albums vendus par an. 3.070 livres
appartenant à ce secteur éditorial ont été
publiés en 2004 parmi lesquels 2.120 nouveautés. La bande
dessinée asiatique a également connu une forte croissance :
754 titres3(*) soit 35,56%
de la production totale (contre 30,11% en 2003)4(*). Elle est la bande dessinée la plus traduite en
France ! Au regard de ce succès, on ne peut donc plus actuellement
s'en prendre impunément au manga sans prendre à parti tout un
nouveau pan du lectorat français.
De plus, trois tendances majeures semblent s'affirmer dans le
secteur éditorial manga en 2004, au regard des catalogues des
différentes maisons :
-la valorisation du patrimoine nippon avec la publication des
auteurs «classiques» japonais (Osamu TEZUKA, Jiro TANIGUCHI, Taiyo
MATSUMOTO*(*)...) avec
notamment la création des labels «Sakka» (Casterman) et
«Made in Japan» (Kana) qui privilégient une politique
d'auteurs ;
-le développement des séries destinées
à un public féminin : les titres sont plus variés et
s'adressant à un lectorat plus âgé. Les éditions
Asuka et Delcourt proposent ainsi un panel de la production féminine
nippone ;
-l'apparition de séries pour adultes chez presque tous
les éditeurs.
Si, au regard des records de production de bandes
dessinées en 2004, la France est une grande nation de la
littérature en images qui a de la curiosité à
l'égard des autres productions du monde, elle sait également se
protéger des créations étrangères.
Depuis la loi de 1949 sur la protection des mineurs, visant
à limiter l'importation de comics américains sur le
territoire, une autre bande dessinée tente de prendre pied en France. Le
manga a ainsi connu une étrange destinée. Issue d'une autre
culture, véhiculant d'autres valeurs, mal compris, parfois mal
édité, soutenu par la télévision puis
sacrifié sur l'autel de la morale, le manga est aujourd'hui porté
en triomphe par ceux qui jadis le décriaient.
Il n'y a ainsi pas si longtemps, on pouvait encore lire des
attaques virulentes contre le manga auquel on reprochait « des
histoires si simplistes et violentes, des personnages si peu
attachants », de la « brutalité
gratuite »5(*) et ce surtout à cause de la confusion qui
règne encore entre la bande dessinée nippone (manga) et le dessin
animé japonais (anime).
Actuellement, on publie pléthore d'articles
dithyrambiques sur le sujet : dans les quotidiens nationaux
(Libération, Le Parisien) ; dans les magazines
d'actualité (L'Express, Le Point), dans
Télérama qui, il y a encore de cela un ou deux ans,
regrettait l'invasion des «japoniaiseries», et même dans les
mensuels littéraires (Lire, Topo).
Cependant, la presse occulte encore tout un pan de la
production japonaise grand public pour ne traiter que du manga destiné
aux adultes.
Preuve que la multiplication des éditeurs -
spécialisés ou non - de manga ont su se diversifier et proposer
du manga plus «intelligent» ou réponse à un
phénomène de mode qui entraînera dans la faillite tous ceux
qui ont tenté de se lancer dans l'«aventure manga» ?
Comment les éditeurs ont pu choisir de miser sur une bande
dessinée foncièrement si différente ?
Au regard du bilan dressé par Gilles Ratier6(*), le succès du manga en
France n'est plus à démontrer. Plusieurs facteurs sont à
l'origine de sa réussite : le prix, un lectorat diversifié,
de nouvelles valeurs.
Les amateurs de bandes dessinées franco-belges le
savent : un album coûte cher et ne contient que relativement peu de
pages. Avec l'arrivée du manga, une nouvelle brèche a
été ouverte, suivant un principe simple : offrir un texte
plus abondant pour un prix moins élevé. Ainsi, un album
traditionnel de 48 pages couleurs coûtera en moyenne entre 8 et 14€
tandis qu'un manga d'environ 200 pages noir et blanc sera facturé entre
5 et 8€.
De plus, le manga attire un lectorat plus diversifié
que la production franco-belge. Les deux sexes, quel que soit leur âge,
trouveront dans la bande dessinée nippone un éventail de titres
particulièrement diversifié : shonen* pour les
jeunes garçons, shojo* pour les jeunes filles, seinen*
pour les adultes et josei* (ou ladies*) pour les jeunes
femmes.
Enfin, selon Sébastien Agogué des
éditions Tonkam, l'hégémonie culturelle américaine
commence à disparaître en France. Si certains se tournent vers le
manga, c'est également parce qu'il ne se résume pas à un
combat manichéen, mais qu'il propose des valeurs sociales
privilégiant le bien-être de la communauté.
Même si certaines préoccupations dont traite le
manga sont proches de celles du lectorat français, c'est
également l'expérience de la différence. Comment de si
nombreux éditeurs ont pu prendre le risque d'en publier, à
l'heure où cela n'était encore qu'un genre inexistant sur le
territoire français ? Pour répondre à cette
interrogation, nous nous sommes appuyés sur diverses sources.
Nous avons tout d'abord compulsé les ouvrages de
référence sur la bande dessinée et sur le manga,
particulièrement difficiles à se procurer pour ces derniers.
Nous avons également consulté la presse
généraliste et la presse spécialisée qui s'est
développée dans des proportions impressionnantes avec la
multiplication des sorties de manga.
Nous avons mené des entretiens avec quelques lecteurs
de manga et des professionnels de différentes maisons d'édition.
De même, nous nous sommes consacrés à l'étude des
catalogues de ces dernières. Ceci afin de définir un peu plus
nettement la ou les politique(s) éditoriale(s) de chacune d'elles et de
savoir en quoi leur existence est légitime : se bornent-elles
à s'imiter les unes les autres ou tentent-elles de se démarquer
en proposant chacune une approche différente du manga ?
Nous avons régulièrement mis à jour nos
connaissances grâce aux sites des éditeurs, à des sites sur
l'actualité des manga qui nous ont permis de suivre au jour le jour les
rumeurs de parutions (fondées ou infondées) - qu'il nous a fallu
vérifier - sur les différents éditeurs concernés et
nous avons également visionné un reportage réalisé
par Hervé-Martin Delpierre et diffusé sur France 5 à
l'occasion du 32ème festival de la bande dessinée
d'Angoulême.
Enfin, nous nous sommes basés sur les catalogues des
éditeurs qui sont en constante évolution et qu'il faut donc
suivre de près. Pour des raisons de date, nous nous sommes
arrêtés à leur planning de parution jusqu'à juin
voire septembre 2005 pour certains.
L'édition du manga en France étant
déjà un sujet très vaste, nous avons occulté
certains points ou nous les avons résumés assez
schématiquement.
Ainsi, s'il existe certes vingt-cinq maisons d'édition
qui ont un catalogue proposant des manga, toutes n'ont pas une politique
éditoriale claire ou leur production n'est pas réellement
conséquente pour faire l'objet d'un développement.
Nous avons ainsi fait le choix de sélectionner six
éditeurs illustrant, de par leur politique éditoriale, une partie
du paysage de l'édition de manga en France.
Nous n'aborderons pas non plus l'émergence de la bande
dessinée coréenne (manhwa) en France malgré la
diversité des titres proposés du fait qu'elle est encore
récente dans notre pays et que sa pérennité n'est pas
encore assurée. De plus, le manhwa répond à une
réalité éditoriale différente de celle du manga qui
serait trop longue à développer dans le cadre du présent
mémoire.
Nous nous sommes donc contentés de développer
l'étude de l'édition du manga en France tout en dressant un bref
portrait de ce secteur au Japon à titre de comparaison.
Il nous a également semblé nécessaire
d'aborder rapidement les caractéristiques de l'objet qu'est le manga,
dans le fond et dans la forme, afin de ne pas occulter que l'édition
d'un livre n'a pas qu'un aspect purement intellectuel mais également
matériel.
Après un bref aperçu sur le manga, son histoire
et ses caractéristiques intrinsèques, nous aborderons la
situation éditoriale française dans une présentation
raisonnée des maisons d'édition concernées qui ont chacune
contribué (et contribuent toujours), de différentes
façons, à faire du manga une bande dessinée populaire en
France, et ont, dans un certain sens, oeuvré à son succès
auprès d'un pan du grand public souvent hostile ou réticent
à son encontre.
La bande dessinée étant avant tout au Japon un
produit de presse, nous aborderons la question de la prépublication
à l'échelle hexagonale à travers différents projets
de différents éditeurs tout en prenant comme point de comparaison
la production japonaise.
Mais le manga est avant tout un livre, nécessitant un
travail de fabrication, d'infographie et de mise en page ; et un livre
étranger de surcroît qui demande non seulement d'être
traduit mais aussi adapté car issu d'une culture, d'un mode de vie et
d'une écriture très éloignés des nôtres.
Pour illustrer cela, nous proposerons une étude de cas
permettant de comparer l'édition originale et les versions
françaises d'un manga (dans le cas de la série choisie qui a
bénéficiée de multiples rééditions).
1.1. Conventions
1) Nous utiliserons le genre masculin, genre utilisé
par le plus grand nombre de locuteurs en France, pour désigner le
manga.
2) Nous n'accorderons pas le nom «manga» au pluriel
ni les autres termes issus du japonais, du fait qu'il s'agit d'un emprunt
à une langue étrangère.
3) Le nom des auteurs japonais sera écrit comme
suit : le prénom en minuscules suivi du patronyme en majuscules.
4) Au Japon, certains voyelles sont accentuées
(signalées par un accent circonflexe en français) pour allonger
les voyelles en question. Les voyelles longues n'existant pas en
français, nous avons choisi de ne pas faire figurer de tels accents pour
ne pas surcharger le texte.
5) Les annexes seront regroupées dans un cahier
séparé pour une consultation plus aisée.
6) Les mots suivis d'un astérisque (*) sont
définis dans le lexique que vous trouverez dans le cahier
séparé consacré aux annexes.
2. LE JAPON, TERRE D'ORIGINE DU MANGA
2.1. Des
prémices au succès de la bande dessinée
Le terme manga tel que nous le connaissons
actuellement fut inventé au 19ème siècle par
Katsuhika HOKUSAI pour désigner le croquis, l'esquisse. Mais l'histoire
de la bande dessinée japonaise est bien plus ancienne, car on peut
aisément remonter jusqu'au 7ème siècle. En
effet, c'est à cette époque que furent introduites au Japon les
techniques de fabrication chinoises du papier et de l'encre, ainsi que l'usage
du pinceau : c'est de cette période que datent les premières
caricatures connues retrouvées, détail cocasse, dans les temples
bouddhistes. OEuvres de lettrés facétieux ou des
bâtisseurs, le mystère reste aujourd'hui entier...
Le premier chef d'oeuvre des arts nippons date du
12ème siècle. Ce sont des peintures en
rouleaux7(*)
réalisées par un prêtre nommé TOBA (1053-1140) et
intitulées Chojujiga ou «Rouleaux des animaux». Ils
sont composés de quatre rouleaux qui représentent des animaux,
dessinés sur un mode anthropomorphique, se livrant à des
activités humaines. Ces dessins satiriques se ont imposés comme
un repère significatif de l'histoire du dessin humoristique japonais.
Cette oeuvre peut être admirée dans le temple bouddhiste de
Kozanji, dans la région de Kyoto.
Au 19ème siècle, Katsuhika HOKUSAI
(1760-1849) est un peintre, un dessinateur et un graveur japonais très
célèbre. C'est en effet l'une des figures de l'Ukiyo-e
(«le monde flottant»), terme qui fut appliqué durant
l'époque d'Edo (1605-1868) pour désigner l'estampe ainsi que la
peinture populaire et narrative. D'abord célèbre grâce
à ses portraits d'acteurs, il fait paraître, à partir de
1814 et jusqu'en 1834, ses carnets de croquis, suite de caricatures, en douze
volumes, sous le nom de Hokusai manga 8(*).
Cependant, l'inventeur de la forme actuelle du manga est Osamu
TEZUKA (1928-1989), surnommé affectueusement par les Japonais Manga
no Kamisama («le Dieu des mangas»). D'ailleurs, sa mort inspira
ce commentaire laconique à un journaliste d'un prestigieux quotidien
japonais, Asahi Shimbun, sur la place occupée par TEZUKA dans
la culture japonaise :
« Pourquoi les Japonais aiment-ils autant les
manga ? Cet engouement paraît bizarre aux yeux des étrangers.
Et pourquoi les étrangers sont-ils restés si longtemps sans lire
de bandes dessinées ? Parce que dans leur pays, ils n'ont pas eu
Osamu TEZUKA. » 9(*)
Bien qu'il se soit orienté initialement vers des
études de médecine, TEZUKA sent que sa vocation est ailleurs.
Fervent admirateur des oeuvres de Walt Disney, notamment des Silly
Symphonies, il se dirige vers le dessin faute de moyens financiers
nécessaires pour réaliser des films d'animation.
Parallèlement à son internat, il commence
à dessiner et connaît sa première publication en 1946 (il a
alors 18 ans) avec Ma-chan no Nikkicho (Le Journal de Ma-chan),
un récit quotidien en quatre vignettes narrant les aventures d'un jeune
garçon. Mais il ne rencontre véritablement le succès que
l'année suivante, avec la sortie de Shin Takarajima (La
Nouvelle île au trésor) qui se vend, en quelques mois,
à plus de 400.000 exemplaires. D'autres succès suivront
dont :
-Jungle Tatei (Le Roi Léo) en 1950, saga
écologique plagiée par les studios Disney, auteurs du Roi
Lion, sorti une quarantaine d'années plus tard. Ironie du sort ou
juste retour des choses pour un auteur qui s'est inspiré des dessins de
Walt Disney ?
-Tetsuwan Atom (Astro le petit robot) en
1952 ;
-Ribbon no Kishi (Princesse Saphir) en 1953, qui
pose les codes de l'esthétique shojo* (yeux larges et
travaillés, personnages longilignes, hommes androgynes,
discrétion du décor afin de se focaliser sur l'expression des
sentiments...) ;
-Black Jack en 1972, son manga le plus long (244
épisodes sur 4.093 pages) et sans doute le plus polémique.
Très en avance sur son temps, cette oeuvre aborde les thèmes de
la transplantation d'organes et du clonage.
Au final, Osamu TEZUKA est à la tête d'une oeuvre
monumentale comptabilisant quelques 150.000 pages réparties dans 500
titres avec pas moins de 1.000 personnages différents. L'éditeur
japonais Kodansha a achevé en 1984 la publication de ses oeuvres
complètes soit 300 volumes de poche toutefois amputés de
plusieurs dizaines de milliers de planches !
Mais ce qui est le plus remarquable dans l'oeuvre de TEZUKA
est avant tout le fait qu'il peut être considéré comme le
créateur du manga actuel. TEZUKA a, en effet, tout ou presque tout
inventé : le découpage cinématographique des cases
à la manière des story-boards, le mouvement des personnages
figurés par des lignes, l'esthétique shojo*...
Il se lancera par la suite dans l'animation et adaptera ses
oeuvres à l'écran. L'une des dernières diffusée au
cinéma en France, Metropolis (sortie en 2001), adaptation de
l'oeuvre de Fritz Lang, est l'une des meilleures illustrations de son
talent.
2.2.
Spécificités formelles, graphiques et narratives du manga
Que ce soit pour le regard du néophyte ou de l'amateur,
le manga est immédiatement reconnaissable d'entre tous les autres types
de bandes dessinées, notamment de la production franco-belge. On peut en
effet brièvement présenter le manga comme une bande
dessinée au format de poche, imprimé en noir et blanc,
divisée en plusieurs chapitres et qui se lit de droite à gauche.
Se limiter à cette description serait néanmoins omettre son
originalité intrinsèque. Le manga est en effet une bande
dessinée très codifiée répondant à des
spécificités aussi bien formelles que graphiques ou
narratives.
Le manga est foncièrement différent de ce que
connaissent les lecteurs de bandes dessinées traditionnelles. Ainsi, il
n'est pas prisonnier du grand format cartonné en couleurs de la
production franco-belge qui contient moins d'une centaine de pages. Il existe
trois sortes de formats qui correspondent chacun à un public
spécifique :
- le format de poche traditionnel ou tankobon*
(format 11,5x17,5 cm) : il comprend dix à douze chapitres d'une
quinzaine de pages et quelques planches en couleurs, mais le noir et blanc
reste la norme. C'est sous cette forme que sort la première
édition d'un manga ;
- le format dit «mini-poche» ou bunko*
(format 10,5x11,5 cm) : il contient de 200 à 400 pages soit
l'équivalent de deux volumes traditionnels. Seule la couverture est en
couleurs. Ce format est réservé aux auteurs confirmés car
un bunko* est tiré en moyenne à 50.000 exemplaires.
- l'édition deluxe (dimension 15x21 cm) : le
format est plus grand, le tirage est limité (rarement plus de 8.000
exemplaires dans un pays où les manga se vendent par millions), la
couverture est rigide et elle contient une vingtaine de pages en couleurs.
Cette édition est principalement destinée aux collectionneurs qui
devront débourser trois fois plus de yens que pour un
tankobon* pour l'acquérir.
Le manga est au Japon considéré comme un produit
de grande consommation. Et comme tout produit de grande consommation, on peut
le trouver partout : dans les kiosques de gare, dans les petits
supermarchés, les épiceries, les librairies, voire même
dans des distributeurs automatiques... La France se contente de les distribuer,
avec la production franco-belge, dans les librairies et autres magasins
spécialisés ainsi que dans les grandes surfaces.
Nous avons pu constater, au cours d'entretiens informels,
aussi bien auprès de ceux qui ne lisent pas de manga que des lecteurs
réguliers, que, dès qu'ils ouvraient une bande dessinée
japonaise, ils se focalisaient souvent sur les grands yeux des personnages, qui
semblent leur occuper la quasi-totalité du visage. Au cours de ces
discussions, nous avons en effet pu remarquer que c'était sur cet
élément que se portait l'attention et que ce dernier semblait
être à lui seul emblématique du style nippon.
Pourtant, cette focalisation sur le regard n'est pas une
création japonaise. En effet, si TEZUKA (ses successeurs feront de
même par la suite) le dessine ainsi, c'est en partie dû à
son admiration pour le graphisme des personnages de Walt Disney.
Ainsi, fervents admirateurs de Bambi et autres
Aladin sont parmi les premiers détracteurs des manga pourtant
librement inspirés, à leur origine, par l'esthétique
américaine.
Les grands yeux sont également le reflet de la
pensée nippone puisque, selon les mangaka*, l'essentiel de
l'émotion passe par le regard. En grandissant les yeux, les auteurs
peuvent jouer sur une palette de sentiments plus large.
Tout est subordonné au récit, à son
efficacité et à sa lisibilité. Ainsi, la mise en page des
manga peut dérouter le lecteur de bandes dessinées
traditionnelles, habitué à des cases bien définies,
parfaitement rectilignes et délimitées10(*). La page d'un manga, a
contrario, est complètement déstructurée
(sauf dans certains cas, notamment pour les manga d'auteurs11(*)).
La narration est très découpée et les
scènes sont beaucoup plus étirées que dans la tradition
franco-belge ou américaine. Ceci peut donner l'impression d'une action
lente, très étirée ou au contraire, cela peut figurer la
rapidité de l'action. Le mangaka* n'est en effet pas
limité dans le nombre de pages tant que la série remporte du
succès. Ceci explique en partie pourquoi la parution de certains mangas
s'étire sur des dizaines d'années et sur des milliers de pages.
Le style, cinématographique, cherche à illustrer le mouvement et
ne tolère quasiment pas d'ellipses.
De graphisme fondamentalement noir et blanc, les trames
permettent de multiplier les variations de gris (et un moindre coût
d'impression) mais sont également un moyen de renforcer l'impression de
vitesse, de puissance ou d'accentuer les sentiments exprimés par les
personnages. La vitesse et le mouvement sont aussi représentés
par des traits verticaux ou, par la répétition d'un motif dans
une même case (les coups de poing d'un héros seront, par exemple,
démultipliés).
Le manga est aussi différent de la bande
dessinée traditionnelle dans sa forme. Le récit dans la
production japonaise privilégie la dimension visuelle, notamment
à travers son écriture. Les Japonais utilisent trois alphabets
idéographiques : les kanji (caractères chinois -
Cf. annexe n°2), les hiragana (Cf.
annexe n°3) et les katakana (Cf. annexe
n°4). L'écriture japonaise est en effet le fruit d'un
emprunt. Ne bénéficiant pas d'un système
d'écriture, le peuple nippon a utilisé, à partir du
9ème siècle, les caractères chinois
(kanji) pour créer les kana (noms des deux alphabets
japonais, hiragana et katakana).
Chaque alphabet correspond à un type d'écrit.
Les ouvrages d'érudition ou les textes émanant de l'État
sont rédigés en kanji mais la syntaxe et le vocabulaire
sont fortement japonisés. Le système d'écriture d'usage
quotidien, qui se rapproche de l'écriture phonétique occidentale,
est l'alphabet des hiragana. Ces derniers sont utilisés pour
transcrire les mots d'usage courant ainsi que les terminaisons grammaticales.
Enfin, les katakana sont soit mêlés aux kanji
dans des ouvrages didactiques ou littéraires, soit utilisés
pour les textes non littéraires. Cet alphabet permet également de
transcrire des noms propres étrangers, les emprunts aux autres langues
ainsi que les onomatopées. Néanmoins, tous les sons de la langue
peuvent être retranscrits indifféremment avec les
caractères katakana ou hiragana.
Il est à noter que l'écriture japonaise
mêle à la fois sons et concepts, comme le relève Jean-David
Morvan, dessinateur :
« En discutant au Japon avec TANIGUCHI
[mangaka*], je me suis aperçu qu'un mot revenait souvent dans
les conversations et ce mot c'était «écrire»qui est le
même mot que pour «dessiner». C'est très
représentatif de la manière dont les Japonais ressentent une
oeuvre. Les Japonais écrivent les mots sous forme d'idéogrammes.
Grosso modo, quand on écrit le mot «porte» par exemple,
l'idéogramme utilisé va ressembler à une porte. En
Occident, quand on lit le mot «porte», on est obligé de penser
«porte» et d'intellectualiser le concept (...). Le Japonais ressent
donc les choses avec son ventre, ses émotions brutes, et le
Français va les ressentir avec sa tête, avec son
intellect. »12(*)
Le manga proclame donc, de par son origine culturelle,
l'hégémonie de l'image par rapport au langage verbal.
Il n'a donc pas sans cesse recourt aux récitatifs et
aux commentaires narratifs. A contrario, la bande dessinée
nippone proclame la suprématie de l'image par rapport au langage verbal.
L'image à elle seule matérialise le sens des récitatifs.
L'essentiel de l'histoire est compris à travers l'action des personnages
ou par la «bande-son», figurée par les onomatopées.
Tout y sera sonorisé, même les réactions silencieuses des
personnages (expression de gêne, de surprise, hésitation...).
Héritières modernes de plusieurs siècles d'art
calligraphique, les onomatopées s'apparentent souvent à de grands
moments d'expression graphique. Bien avant d'avoir vocation à être
lues, elles se regardent. Leurs formes, rondes ou tranchantes, suffisent bien
souvent à en saisir le sens. Reflet de la sensibilité de
l'auteur, l'onomatopée nippone renseigne également sur la tension
psychologique non affirmée d'une case. Elle appuie sur la dimension
visuelle du manga : les émotions peuvent se passer de mot. L'image
«matérialise» le sens des récitatifs tandis que la
bande dessinée franco-belge y recourt abondamment (peut-être dans
une moindre mesure à l'heure actuelle).
Benoît Peeters13(*) définit la bande dessinée comme
l'association de l'image et du langage. Il faut donc être
théoriquement capable de lire à la fois l'un et l'autre pour
suivre le cours du récit. Or, beaucoup de Français lisent des
manga en version originale, sans parler le moindre mot de japonais. Comment
est-ce possible ? Parce que l'expressivité est favorisée
dans le manga et que donc la part du récit par les mots est
réduite :
« La BD européenne raconte des histoires avec
une grande influence du théâtre : le sol
représenté par le bas des cases, des personnages en plan large et
une histoire racontée dans les bulles. Une BD japonaise suit une
tradition du gros plan et porte particulièrement d'importance aux yeux,
médiateurs de l'émotion. »14(*)
La représentation du réel vise avant tout, dans
le manga, à l'expressivité. Les visages sont réduits au
minima, lisses, avec des yeux disproportionnés de forme toujours
très ronde. Ils sont encadrés d'une chevelure fournie, la bouche
et le nez sont petits, et ce dernier ne possède souvent pas de narines.
En effet, dessins animés et manga japonais sont tous deux tributaires
d'une tradition picturale privilégiant la ligne et l'aplat (teinte plate
appliquée de façon uniforme) au détriment des jeux d'ombre
et de lumière. A la différence de l'art occidental, l'art nippon
ne tend pas à la représentation vraisemblable du monde. Il lui
préfère une stylisation poétique ou ornementale du
réel. Ainsi, par souci de puissance évocatrice, les artistes
japonais utilisent la ligne pour mieux éveiller l'imagination du
spectateur ou du lecteur. Le volume est suggéré par la
superposition d'aplats de couleurs ou de motifs répétitifs. La
bande dessinée occidentale se veut représentative, le manga se
veut subjectif.
Cette distinction profonde entre les conceptions orientales et
occidentales de l'art explique pourquoi le graphisme est
l'élément déterminant de l'appréciation ou non du
genre manga. En effet, la ligne, la courbe ou l'irrégularité des
formes sont mises à l'honneur. La synthèse et l'esthétique
décorative priment sur la recherche du détail. L'ignorance de
tels éléments de la part du néophyte fait que, par
comparaison avec la bande dessinée traditionnelle, le manga
apparaît moins intéressant car sans volume. Néanmoins, la
bande dessinée nippone recèle une certaine diversité pour
ceux qui s'y intéressent un peu plus avant. Par exemple, Carine L.,
étudiante, remarque :
« On peut reconnaître un dessinateur d'un
autre une fois que l'on commence à lire quelques manga. Le style n'est
pas uniforme et unique... chaque auteur a sa «patte» personnelle.
D'ailleurs, je choisis mes manga non seulement en fonction de l'histoire mais
aussi en fonction du dessin. Si ce dernier ne plaît pas, je
n'achète pas ».
En ce qui concerne le personnage, il faut considérer
qu'il est le principal vecteur d'émotion de l'histoire. Outre les grands
yeux, il est donc très stylisé ce qui lui confère une
valeur universalisante afin qu'une majorité de lecteurs s'y identifie.
Sachant que ce qui compte dans le manga est la suggestion des émotions
ressenties par le personnage, il n'est pas primordial de donner une
représentation fidèle de la réalité. C'est ainsi
que, parfois, le décor disparaît au profit du héros ou de
ses acolytes. L'expressivité graphique est favorisée au
détriment de l'esthétisme car le héros doit être
immédiatement reconnaissable. D'où des personnages principaux
souvent à la limite du stéréotype ou de la caricature.
Le graphisme du manga respecte ainsi à un principe de
proximité : tout est fait pour que les sentiments et les sensations
parviennent directement au lecteur sans obstacles inutiles et c'est cette
facilité à aborder ce produit qui explique l'intérêt
que suscite le manga auprès d'une partie du lectorat originellement non
consommateur de livres.
Dernier point mais non moins essentiel : le manga
obéit à une logique feuilletoniste (liée à la
prépublication dans les mangashi*15(*)) qui fait qu'il suit un
certain nombre de règles plus ou moins implicites :
- chaque chapitre doit le plus souvent faire apparaître
au moins un élément nouveau ;
- chaque chapitre doit au moins comporter un moment
spectaculaire, une case mémorable ;
- chaque chapitre doit se clore par la résolution d'une
situation ou par un élément dramatique pour inciter le lecteur
à poursuivre l'achat de la série en question.
Non seulement fruit d'une culture populaire différente
de l'Occident, le manga est aussi l'un des aboutissements de la tradition
picturale japonaise, ce qui le rend si particulier à nos yeux.
Ne correspondant ni à nos habitudes de lecture ni
à notre mode de vie, le manga nécessite de passer outre nos a
priori, de s'ouvrir sur un nouveau mode de pensée, une nouvelle
façon d'appréhender le réel et une culture autre, ce qui
fait aussi et surtout son intérêt selon tous les adeptes de cette
production asiatique.
3. LA FRANCE, TERRE D'ACCUEIL DU MANGA
3.1. Glénat et
Tonkam : les débuts du manga en France
Avant de commencer à retracer les prémices du
manga en France, il nous semble nécessaire de signaler que l'Hexagone va
à contre-courant du Japon. En effet, au pays du Soleil Levant, le
succès rencontré par un manga engendre la création du
dessin animé, produit dérivé de la série papier.
Au contraire, en France, le succès
phénoménal rencontré par les dessins animés
japonais à la télévision a conduit à
l'émergence d'un nouveau genre de bande dessinée pour le pays, le
manga.
3.1.1. Histoire du manga en France
Comme le dessin animé est à l'origine du manga
en France, nous retracerons ses débuts à la
télévision française et sa réception pour pouvoir
poser les bases du développement de l'édition des manga en
France.
3.1.1.1. 1er stade : les dessins
animés japonais et leur réception en France
Après la dissolution de l'ORTF (Office de Radio
Télévision Française) en 1974 se créent trois
nouvelles chaînes distinctes : TF1, Antenne 2 et FR3, qui vont
développer des unités indépendantes de programmes pour la
jeunesse.
Ces nouveaux moyens mis en place pour proposer plus de
programmes et plus de choix aux enfants doivent trouver matière et
contenus pour nourrir leurs ambitions. Mais la France et l'Europe en produisent
peu, il faut donc les importer de l'étranger. Deux sources apparaissent
alors riches et séduisantes : les Etats-Unis, à qui l'on
faisait déjà beaucoup appel (en témoignent la diffusion et
rediffusion des cartoons), et le Japon.
Les deux pays proposent une production de dessins
animés sur le principe du plus grand nombre d'heures possibles pour le
coût le plus faible. Pour les chaînes françaises, le rapport
entre le coût et l'audience recueillie de ces programmes est plus
intéressant.
Les dessins animés venus d'Orient sont une
découverte bouleversante pour les Français. C'est un nouveau ton,
des scénarii soutenus et un graphisme innovant. Mickey et Casimir
doivent désormais affronter Goldorak, Candy et bien d'autres à
venir.
En 1972, la télévision française diffuse
pour la première fois un court-métrage d'animation nippon. Il
s'agit d'un dessin animé en noir et blanc intitulé «Le
Roi Léo» et produit par Osamu TEZUKA. Le succès n'est
pas au rendez-vous mais une nouvelle tentative est lancée deux ans plus
tard avec la diffusion de «Prince Saphir» produit
également par TEZUKA.
Cependant, le tournant décisif dans l'histoire de la
«japanimation» se produit le 3 juillet 1978. L'émission pour
la jeunesse Récré A2 (diffusée sur Antenne 2) programme
«Goldorak», puis «Candy» en septembre de
la même année. Presque immédiatement, le jeune public est
fasciné. C'est le début de l'âge d'or du dessin
animé japonais en France.
En 1979, TF1 riposte en diffusant «La Bataille des
planètes» dans l'émission des Visiteurs du mercredi. En
parallèle, Antenne 2 retransmet «Albator 78».
Au début des années 1980, «Capitaine
Flam», «Ulysse 31» (fruit d'une collaboration
franco-japonaise) et «Cobra» viendront rejoindre le quatuor,
fer de lance de toute une série de dessins animés japonais.
Les séries diffusées se multiplient alors
à la télévision, principalement sur TF1 et sur La Cinq.
C'est la fameuse époque des «Chevaliers du Zodiaque»,
«Ken le survivant», «Juliette je t'aime»,
«Nicky Larson», «Olive et Tom»,
«Jeanne et Serge», «Max et compagnie»,
«Creamy merveilleuse Creamy», «Emi
magique», «Embrasse-moi Lucille», «Lady
Oscar», pour ne citer que les plus célèbres.
Néanmoins, très peu de dessins animés
arrivent à obtenir une réelle longévité
télévisuelle. Il en existe un cependant qui a su évoluer
en même temps que son public : «Dragon Ball».
L'oeuvre d'Akira TORIYAMA épouse à merveille l'évolution
des téléspectateurs. Là où la première
série s'adresse avant tout à des jeunes, «Dragon Ball
Z» touche les adolescents et les adultes. Pour preuve de sa
réussite, le dessin animé reste près de dix ans sur les
écrans français.
De «Goldorak» à «Jeanne et
Serge», l'animation japonaise domine, en plein milieu des
années 1980, le panorama des émissions destinées à
la jeunesse. Les critiques, le mépris ou la défense qu'elle
génère soulignent sa présence, son existence, mais aussi
l'influence qu'elle peut exercer sur le jeune public.
A cause d'un engouement de plus en plus important pour les
séries japonaises, des parents outrés par le contenu de ces
dessins animés étrangers commencent à faire entendre leurs
voix. Des associations de familles critiquent ce qu'elles jugent violent,
véhiculant des valeurs qu'elles ne partagent pas et responsable d'un
«abrutissement» de leurs enfants. Le Conseil
Supérieur de l'Audiovisuel (CSA) intervient sous la pression et menace
les chaînes de représailles si elles ne répondent pas aux
exigences du grand public. Dès lors, des séries comme
«Ken le Survivant», «Nicky Larson» ou
«Les Chevaliers du Zodiaque» subissent la censure.
Les chaînes considéraient que ces oeuvres
s'adressaient avant tout à des enfants, alors qu'en fait, leurs
qualités graphiques et scénaristiques les destinaient à un
public adulte. Un problème que soulève Benoît Huot,
secrétaire d'édition chez Tonkam :
« Une équation caractérisait les
dessins animés en France : dessin animé = enfant. En effet,
le bouillon culturel dans lequel baignait notre pays était en grande
partie hérité des Etats-Unis et, par voie de conséquence,
de leur conception des dessins animés. En d'autres termes, il existait
deux types de dessins animés : les Tex Avery, destinés
à un public adulte (quoique pouvant être vus par n'importe qui en
raison de la dérision qui accompagne chaque cartoon) et les Disney,
destinés aux enfants. En dehors de ces deux catégories, il
n'existe point de salut. ».
Les coupures et les censures dénaturent
complètement les histoires et l'ordre des séries, qui
désertent progressivement les chaînes hertziennes. Car si le CSA
n'a pas légalement interdit la diffusion des séries japonaises,
ses directives restent des menaces pour le monde de l'animation nippone. La
chaîne Mangas (qui appartient au bouquet satellite du groupe AB) s'est
ainsi vue menacée de devoir payer une amende de 150.000€ pour ne
pas avoir respecté le quota de diffusion d'oeuvres européennes et
françaises. Un comble pour une chaîne nommée Mangas !
Notre législation ne fait rien pour aider l'apparition de
nouveautés, à cause d'un protectionnisme non avoué.
L'engouement pour les manga en France a principalement
été le fait des dessins animés japonais. Ceux-ci
s'étant implantés dans notre pays bien avant la parution des
premières bandes dessinées nippones, ils ont essaimé,
devenant au fur et à mesure des références culturelles.
3.1.1.2. 2ème stade :
l'éclosion du manga - bases et limites
La première apparition du manga en France est
liée à un homme d'origine japonaise résidant en Suisse
dans les années 1970, Atoss TAKEMOTO. Passionné par les
échanges internationaux et interculturels, il décide de faire
découvrir le manga aux lecteurs français par le biais d'un
magazine de sa création, Le Cri qui tue. Financé sur ses
propres deniers, ce journal paraît au début de l'année 1978
à un rythme trimestriel et un tirage ambitieux de 40.000 exemplaires.
Dans ses pages paraîtront notamment une oeuvre d'Osamu TEZUKA, Le
Système des Super Oiseaux.
La volonté première, assez ambitieuse dans un
pays où la bande dessinée est alors plus orientée vers un
lectorat de jeunes enfants, est de cibler un public d'adultes, tout en tenant
compte des goûts européens. L'aventure prend fin en 1982 avec un
bilan plus que mitigé.
Atoss TAKEMOTO a été notamment confronté
à des problèmes liés à la Commission paritaire.
Pour distribuer un périodique en France, il faut en effet que la
Commission lui attribue un numéro. Comme Atoss TAKEMOTO était
basé en Suisse, elle lui a refusé cette attribution. De plus, le
fondateur du Cri qui tue n'avait aucun contrôle sur les ventes,
les invendus étaient détruits ou ne lui étaient pas
retournés. Et la dévaluation du franc français en 1981 a
rendu encore plus difficile l'exportation de la revue suisse dans
l'Hexagone.
En parallèle, Atoss TAKEMOTO, en collaboration avec un
libraire suisse nommé Rolf Kesselring, fait paraître, dès
1979, le premier de bande dessinée japonaise traduite en
français, Le Vent du nord est comme le hennissement d'un cheval
noir, une intrigue médiévale signée ISHIMORI. Il est
publié en grand format par crainte d'un rejet du format de poche par le
lectorat français mais ne rencontre pas le succès.
Il faudra attendre 1990 pour voir naître le premier
véritable succès du manga en France grâce à
l'initiative de Jacques Glénat (à la tête de la maison
d'édition du même nom) qui fait publier Akira de Katsuhiro
OTOMO. Sa première édition est de format classique
(c'est-à-dire en format A4), dans le sens de lecture occidental et en
couleurs. Quatre ans de publication sont nécessaires pour éditer
les 2.200 planches du manga, sur quatorze volumes.
A partir de 1993 commence la déferlante des manga dont
l'adaptation animée est en train d'être diffusée ou a
été diffusée sur les petits écrans
français.
Glénat lance l'offensive avec Dragon Ball, bande
dessinée la plus vendue de son catalogue, toutes séries et toutes
origines confondues, avec plusieurs millions d'exemplaires vendus. L'apport
financier est tel qu'il permettra à l'éditeur de lancer de
nombreux titres.
Le manga commence alors à pénétrer dans
les cours d'école. Après la parution de Dragon Ball
suivront Candy, Ranma 1/2, Sailor Moon, Dr Slump,
Nicky Larson, Fly, Ken le survivant, Olive &
Tom, Cat's eyes, Kimagure Orange Road (diffusée en
France sous le nom de Max et compagnie), Cobra,
Goldorak, Les Chevaliers du Zodiaque, Albator, Juliette
je t'aime...
3.1.2. Glénat : le précurseur
Groupe fondé en 1969 par Jacques Glénat, cette
maison d'édition est divisée en 3 pôles : livres de
mer et de montagne, magazines et bande dessinée. Cette dernière
représente 80% du chiffre d'affaires de Glénat.
Premier éditeur à connaître le
succès avec le manga, Glénat compte, parmi ses plus fortes ventes
de bandes dessinées, trois manga : Dragon Ball d'Akira
TORIYAMA qui comptabilise plus de quatorze millions d'exemplaires vendus sur
l'intégralité de la série, Kenshin le vagabond de
Watsuki NOBUHIRO (plus de 800.000 exemplaires) et Akira de Katsuhiro
OTOMO (700.000 exemplaires).
3.1.2.1. Lorsque le manga rencontra le succès en
France...
Les premières bases du manga en France sont
posées dès 1980, lorsque Jacques Glénat acquiert les
droits d'Akira de Katsuhiro OTOMO (qui comptabilise au total quelques
1.800 pages). En 1988, profitant de la sortie du dessin animé au
cinéma, Glénat lance Akira sous forme de manga.
Malheureusement, seuls 12.000 exemplaires sont vendus pour un tirage de
150.000. C'est un succès d'estime mais certainement pas un succès
populaire : il lui manque le relais télévisuel, si
nécessaire à la promotion du manga.
La seconde tentative est la bonne. En février 1993,
Glénat lance dans les kiosques la série Dragon Ball
d'Akira Toriyama, conjointement à la diffusion du dessin animé
sur les petits écrans français. En deux ans, l'éditeur
vend plus d'un million de volumes de Dragon Ball. Le manga est dans sa
phase de développement et Glénat est le seul sur ce secteur,
avec, à un degré beaucoup moindre, Tonkam. Pour la seule
année 1995, la maison d'édition annonçait 1,2 million
d'exemplaires vendus, pour un chiffre d'affaires de 50 millions de francs, soit
25% de l'activité de la maison.
Aujourd'hui, l'intégralité de la série
Dragon Ball (soit 42 volumes) a été éditée
mais il se vend encore entre 95.000 et 200.000 exemplaires par titre soit
déjà plus de quatorze millions d'exemplaires vendus.
Glénat, toujours leader du marché de
la bande dessinée en 2003, s'est vu ravir sa place par le groupe
Média Participations, avec lequel les éditions Dupuis ont
fusionnées en 200416(*). La réaction du directeur
général de Glénat, Dominique Burdot, ne s'est pas faite
attendre :
« Le groupe Glénat reste le premier acteur
indépendant du secteur. Pour sa part, il n'est pas à vendre. Sa
croissance, liée à une gestion plus patrimoniale, est surtout
interne. Notre réponse à une vision capitalistique sera de nature
éditoriale, certains auteurs préférant sans doute signer
leurs oeuvres avec un éditeur indépendant à taille humaine
et lui garantissant la pérennité éditoriale. »
17(*)
Toutefois, malgré ce bouleversement dans le paysage
éditorial français, Glénat se situe parmi les quinze plus
grands éditeurs français avec un chiffre d'affaires de 55
millions d'euros en 2003 et reste le premier éditeur indépendant
de bandes dessinées. Le secteur manga des éditions Glénat
est en pleine expansion avec une croissance de 19% entre 2002 et 2003.18(*)
Au cours du mois de janvier 2004, les éditeurs du
Syndicat National de l'Edition section Bande Dessinée (SNE-BD)
rencontraient certains membres de l'Association des Critiques et journalistes
de Bandes Dessinées (ACBD). Lors de ce débat, la question de
l'avenir du manga en France fut abordée. Jacques Glénat a
considéré que la bande dessinée traditionnelle avait,
grâce à ce genre, retrouvé des lecteurs qu'elle avait
perdue. Dominique Burdot a précisé qu'avec une culture de l'image
plus proche du cinéma ou du jeu vidéo, le manga correspond
à une attente que les éditeurs français n'ont pas su
satisfaire.19(*)
3.1.2.2. Une politique éditoriale en phase avec le
marché
La politique éditoriale de Glénat est le reflet
de son hégémonie sur le marché du manga en France depuis
plus de 15 ans. L'ambition de l'éditeur est avant tout de maintenir
cette position tout en proposant un catalogue cohérent et
représentatif de la production nippone.
Si le choix des titres étaient à leurs
débuts évidents (des manga en relation avec les dessins
animés japonais principalement), les éditions Glénat, face
au développement de l'offre et de la demande sur le marché
français de la bande dessinée nippone, proposent désormais
un éventail de genres et de thèmes plus étendu.
« Aujourd'hui le manga est solidement
implanté en France, il n'est plus seulement lu par une poignée de
fans irréductibles mais par des amateurs de bande dessinée. Il
est respecté, analysé, plébiscité et reconnu. C'est
pourquoi, aux éditions Glénat, le catalogue manga s'est enrichi
et diversifié. »20(*)
Trois collections ont été créées
en 2003 et sont clairement identifiables sur le dos des différents
volumes publiés depuis, grâce à un code couleur : vert
pour le shonen*, rose pour le shojo* et marron pour le
seinen*.
Les collections shonen* et shojo* mettent
chacune en vedette un mangaka* : Akira TORIYAMA pour la
première (sept titres dont Dragon Ball) et Wataru YOSHIZUMI pour
la seconde dont les quatre séries du catalogue traitent de la
difficulté d'aimer.
Depuis l'année dernière, trois oeuvres de
Mitsuru ADACHI (Niji-iro tohgarashi, Touch et Rough),
auteur à succès au Japon, ont été traduites par
l'éditeur et intégrées dans la collection
shonen*.
De nombreux manga pour garçons ont pour
thématique le fantastique et le sport (notamment les arts martiaux). Les
chroniques de la vie quotidienne trouvent quant à elles plus leur place
dans la collection de shojo* manga, mêlant vie scolaire,
préoccupations adolescentes et humour.
Le catalogue des titres seinen* que tente de
développer Glénat présente d'ores et déjà
des sujets variés. Si le fantastique est très présent, il
n'est néanmoins pas exempt d'une certaine réflexion humaniste,
tout comme les manga psychologiques : questionnement sur l'avenir de
l'humanité et de la Terre, le bien-fondé de la justice, la menace
extra-terrestre, la liberté humaine, les pouvoirs du cerveau...
Depuis 2004, Glénat publie également un manga
qui a eu d'importantes retombées sociales au Japon, Say hello to
Black Jack. Shiho SAITO a épinglé avec ce thriller
médical les carences du système hospitalier nippon et a,
grâce à ce succès d'édition, incité le
gouvernement à prendre des mesures concrètes en faveur des
hôpitaux notamment dans le versement de salaires plus dignes.
Reste à savoir si ce choix est, de la part de
l'éditeur français, le reflet d'un engagement politique ou un
simple plan médiatique destiné à stimuler les ventes.
Enfin, à l'instar des éditions Asuka en 2004,
Glénat lance cette année une collection bunko* qui
regroupe pour le moment deux oeuvres des années 1960 et 1970,
considérées comme des classiques au Japon :
L'École emportée de Kazuo UMEZU et Urusei Yatsura
de Rumiko TAKAHASHI. Vendus un euro de plus qu'un tankobon*
estampillé Glénat, ces deux titres contiendront
l'équivalent de deux tomes en un dans un format plus réduit.
L'éditeur prévoit également de publier
Golgo 13 de Takao SAITO, dont certaines histoires ont été
préalablement traduites dans la première revue à
évoquer le manga en France, Le Cri qui tue. Cependant, bien
qu'ayant le même statut patrimonial au Japon qu'Urusei Yatsura et
L'École emportée, ce titre sortira sous la forme d'un
recueil de 1.300 pages, qui permettra de découvrir les meilleurs
chapitres de cette série longue d'une centaine de volumes, ayant pour
héros un tueur professionnel en lutte contre la mafia.
Toutefois, si le catalogue s'est diversifié au cours
de l'année 2004 en proposant de nouveaux thèmes et de nombreux
titres pour adultes, Glénat a également envisagé de
retravailler la maquette des manga publiés.
« Nous revenons sur des choix qui s'imposaient
d'eux-mêmes il y a quinze ans parce que nous débarquions sur un
marché totalement neuf, mais qui aujourd'hui ont perdu en pertinence.
C'est pour cela que nous avons commencé à publier nos manga sous
jaquettes. [...] Nous avons également pris la décision de
respecter à l'avenir le plus possible le sens de lecture original
lorsque nous publierons de nouveaux titres. »21(*)
One Piece sera par exemple réédité
en sens de lecture japonais à la demande de son auteur Eiichiro ODA
à partir du volume 16. L'éditeur japonais demande de même
pour les quinze premiers numéros.
L'éditeur a également annoncé dans sa
lettre d'informations que les onomatopées des shonen* ne seront
plus traduites mais les titres destinés aux adolescents ne seront
néanmoins pas réédités sous cette nouvelle forme
corrigée.
Certaines onomatopées seront toutefois traduites quand
elles n'apporteront pas de gêne au niveau du dessin et celles
indispensables à la compréhension seront sous-titrées.
Ce revirement de politique est pour le moins étonnant
au regard du communiqué publié dans la FAQ (Foire Aux Questions)
du site de l'éditeur :
« Nos manga sont destinés à un
très large public [...]. En ce qui concerne les onomatopées, nous
les traduisons dans le même souci de lisibilité pour un public de
non-initiés. Il faut savoir que souvent, ce sont les maisons
d'édition japonaises qui exigent que nous traduisions
l'intégralité des manga, ceci incluant bien évidemment les
onomatopées. »
Glénat a su suivre l'évolution du marché
français de la bande dessinée japonaise en développant son
catalogue et notamment en multipliant la sortie de titres pour adultes.
Grâce à des moyens financiers colossaux,
l'éditeur a les moyens de négocier les droits des best-sellers du
manga au Japon.
Cependant, la fusion de Dupuis avec Média
Participations (Dargaud, Le Lombard, Kana, Lucky Comics, Blake et Mortimer,
Fleurus et Mango) en 2004 qui en fait le plus grand groupe de bande
dessinée, risque de mettre à mal sa position de leader du
manga.
De plus, il est regrettable que Glénat ne s'attarde
principalement que sur des titres à gros tirages et n'investisse pas
plus dans des projets de grande envergure à l'image du recueil de 1.300
pages Golgo 13. Du fait de son poids financier, Glénat aurait en
effet les moyens de concurrencer Pika sur le marché de la
prépublication...
3.1.3. Tonkam, éditeur traditionnel et historique
Avant d'être un éditeur reconnu dans le monde de
l'édition de manga pour la qualité de ses traductions et de ses
adaptations ainsi que pour la variété offerte par son catalogue,
les éditions Tonkam ont une histoire, celle de la passion du Japon...
3.1.3.1. Une expansion progressive
Tonkam est, à l'origine, l'histoire d'un lieu, la
librairie Scheffer située à Bastille et créée en
1977, et celle d'une personnalité, Dominique Véret.
3.1.3.1.1. Des «Puces» de Montreuil à
Bastille
Dans les années 1970 et jusqu'au début des
années 1980, Dominique Véret gagne sa vie sur les marchés
en recyclant des bandes dessinées franco-belges invendues. Il se fixe en
créant sa propre boutique aux «Puces» de Montreuil qui propose
toujours des oeuvres européennes. Les jours d'ouverture sont les
mêmes que ceux du marché de Montreuil, c'est-à-dire du
samedi au lundi.
Après avoir voyagé en Thaïlande, il
rebaptise la boutique «Tonkam»22(*) le 1er novembre 1985, date à
laquelle lui et Sylvie Chang, sa compagne, commencent l'importation de manga
traduits aux Etats-Unis par Dark Horse et de comics. Le succès
est tel que le couple est à la recherche d'une succursale à
Paris. Or, les parents de Sylvie, propriétaires d'une librairie rue
Keller à Bastille (la papeterie Scheffer), rencontraient des
difficultés suite à l'expansion de grosses entreprises de vente
de livres et étaient en perte de clientèle. De fait, dès
1988, Dominique en profite pour y mettre en dépôt des bandes
dessinées et y envoyer sa clientèle de Montreuil en semaine,
lorsque la boutique est fermée.
Le rayon bandes dessinées de la librairie Scheffer est
inauguré l'année du dragon. Dominique demande à un
sérigraphiste un logo à cette occasion. Il sera stylisé
par la suite pour donner le logo actuel des éditions Tonkam.
Et c'est seulement au début des années 1990 que
Sylvie et Dominique prennent pleinement en main la boutique de la rue Keller et
ferment la librairie de Montreuil pour la transformer en entrepôt de
stockage et bureau de distribution de produits japonais, à commencer par
le manga.
L'ambition première de la boutique Tonkam fut donc de
faire connaître la production japonaise : les manga, la vidéo
d'animation et la musique.
Aidé par la diffusion des dessins animés nippons
à la télévision, le succès est
immédiat23(*).
Celui-ci est tel que le rayon destiné à la production
européenne disparaît totalement en quelques mois et plusieurs
boutiques de province font appel à Tonkam pour vendre du manga en
version originale.
3.1.3.1.2. Les débuts dans l'édition
La boutique se développant, l'idée de publier
des manga estampillés Tonkam fait petit à petit son chemin dans
l'esprit des gérants, d'autant que Dragon Ball d'Akira TORIYAMA
(publié en 1993 chez Glénat) est un succès
éditorial. Aidé par les résultats des ventes import dans
son commerce, Dominique Véret fait facilement les choix qui s'imposent
en matière de traduction et d'adaptation en français.
En 1994, Tonkam lance son premier manga en français et
une de ses meilleures ventes encore à l'heure actuelle, Video Girl
Aï de Masakazu KATSURA, tiré, en première
édition, à 4.000 exemplaires. Chiffre dérisoire au regard
des ventes totales de la série : 40.000 exemplaires pour chaque
volume (la série en comptant quinze) et une édition
«deluxe» qui vient de s'achever au bout de 9 volumes.
3.1.3.1.3. Le temps du renouveau
L'année 2000 marque un tournant au sein des
éditions Tonkam. Le fondateur historique, Dominique Véret, quitte
l'aventure pour diriger le label Akata en collaboration avec les
éditions Delcourt, suivi peu après par sa compagne, Sylvie
Chang.
Lui succède un nouveau directeur éditorial,
Pascal Lafine. Passionné d'animation japonaise, celui-ci écrit
dès 1991 quelques articles dans le mensuel spécialisé
AnimeLand et participe à l'association Les Pieds dans le PAF.
Il a également publié un article dans le magazine 60 millions
de consommateurs où il dénonçait la programmation
dans sa forme du Club Dorothée. Il déplorait notamment le fait
qu'elle diffusait, sans distinction, des dessins animés pour jeunes
enfants et pour adolescents voire pour adultes. Ceci alimenta la
polémique qui naquit au cours des années 1980 qui
dénonçait la violence et la crudité des scènes
montrées dans les dessins animés japonais et de laquelle
découla une critique plus ou moins sous-jacente des manga.
Depuis 1993, Pascal Lafine travaillait pour Tonkam où
il tenait un rôle de «touche-à-tout» probablement
lié au fait que la maison Tonkam est une petite structure de plus ou
moins vingt personnes. Cette polyvalence lui permet d'occuper à l'heure
actuelle le poste de directeur éditorial et d'importer en France depuis
plus de quatre ans les titres qu'il aime.
Petit à petit, Tonkam est ainsi devenue la
première société de distribution de manga en France avec
quelques 300 points de vente approvisionnés. Leur chiffre d'affaires
annuel avoisine les deux millions d'euros.
Elle a proposé, en 2004, 92 nouveaux titres et
prévoyait, dans son catalogue des nouveautés fin 2004/
début 2005, cinq nouvelles séries :
§ Spirit of the sun de Kaiji KAWAGUCHI (5 volumes,
série en cours au Japon) ;
§ Cinq séries prépubliées dans
Magnolia, le magazine de prépublication des éditions
Tonkam : God Child, Les Princes du thé, Elle et
lui, Parmi eux et Les Descendants des
ténèbres.
Tonkam est également la seule maison d'édition
française à proposer des bandes dessinées traduites du
chinois.
3.1.3.2. Tonkam n'est pas qu'un éditeur, c'est
aussi...
3.1.3.2.1. ... un importateur
Depuis 1991, la boutique de la rue Keller importe et distribue
manga, artbooks*, animation japonaise et musique nippone
contemporaine. Tonkam s'est ainsi convertie aux manga sous toutes leurs formes
mais aussi aux autres produits de la culture asiatique : jeux
vidéos, rock et J-pop*, revues spécialisées
françaises et nippones, goodies*...
3.1.3.2.2. ... un marchand
Non contente de vendre sa production éditoriale, la
maison Tonkam commercialise les manga des autres éditeurs
français dans la librairie située à Bastille ou dans sa
boutique en ligne (
www.tonkamshop.com)
créée en 2001.
Cette dernière propose sensiblement les mêmes
produits que le magasin de la rue Keller, avec un stock plus important. De
plus, elle offre la possibilité à ceux qui ne peuvent se rendre
à Paris de commander ce qu'ils désirent et de recevoir
directement leur commande chez eux.
3.1.3.2.3. ... un distributeur
Tonkam a développé une activité de
distribution à mi-chemin entre la distribution japonaise et
américaine : paiement comptant et pas de retours comme aux
Etats-Unis (système du cash and carry) et remises de 35% sur
les produits importés et 25% pour les titres édités par la
maison elle-même (au Japon, les remises libraires sont plafonnées
à 20%). Du jamais vu dans l'édition française mais qui
continue de fonctionner ! Les autres éditeurs de manga adoptent des
conditions générales de vente similaires aux autres
éditeurs de bandes dessinées, avec un système d'offices,
de facultés de retours et d'échéances.
Cette politique de compte ferme est expliquée dans le
catalogue gratuit Mangavoraces24(*) diffusé par Tonkam (ce projet s'est
arrêté récemment faute de temps et d'argent) :
« On préfère être éditeur
avant tout et privilégier un réseau de petits libraires qui ne
fait pas du livre «une culture de supermarché». On a l'esprit
plus d'«artisans du manga» que de businessmen à la «Nike
Donald»... Et, question d'éthique, cela nous ferait mal de voir nos
auteurs soldés en pile ou de faire pilonner du papier quand on sait que
demain, la Terre est déjà condamnée. »
Une telle affirmation peut évidemment paraître
démagogique mais elle se vérifie néanmoins dans les faits.
En effet, les paiements comptants ont fait fuir les grandes surfaces (leur
principe étant de vendre très vite pour faire fructifier l'argent
en jouant sur les échéances) spécialisées ou non.
On est toutefois en droit de s'interroger sur la pertinence
d'un tel choix. En fait, Dominique Véret a pu constater l'importance des
retours et de leur coût dans l'édition. Pour permettre à
une petite structure comme Tonkam de survivre et de se développer, il a
donc fallu parer à ce problème en interdisant les retours. Quant
au paiement comptant, il résulte d'une logique similaire dans la mesure
où il coupe court à tout montage financier et facilite la gestion
de la trésorerie.
Néanmoins, ces conditions peuvent paraître tout
aussi difficiles pour les petits libraires... Elles le sont toutefois dans une
moindre mesure. D'une part, le libraire y retrouve son compte, à partir
du moment où le titre se vend (ce qui est généralement le
cas des titres édités par Tonkam, sauf pour les titres de Taiyo
MATSUMOTO comme Amer béton). D'autre part, la remise libraire est
de 35% quel que soit le volume des ventes car il est évident qu'une
librairie de 15 m² ne pourra jamais générer autant de
chiffre d'affaires qu'une autre de 150 m². L'éditeur Tonkam
privilégie ainsi les critères qualitatifs aux critères
quantitatifs.
L'année 2000, outre l'arrivée de Pascal Lafine
en tant que directeur éditorial, est marquée par l'arrivée
des oeuvres traduites par Tonkam au sein des réseaux Virgin et Fnac.
Alors que ceux-ci avaient longtemps refusés le système de vente
trop rigide de l'éditeur, mais ont finalement accepté les
conditions de Tonkam au regard du succès de vente de leurs titres.
Pascal Lafine expose sa vision du système de vente instauré par
Dominique Véret :
« Si on travaille de cette façon, c'est parce
qu'on refuse l'idée qu'on nous renvoie des livres en piteux état
sous prétexte, justement, que le libraire a la possibilité de les
retourner. De toute façon, la taille de notre entreprise ne nous le
permet pas. » 25(*)
Les libraires sont donc amenés à faire davantage
attention aux quantités commandées et pour Tonkam, cette vitrine
supplémentaire a permis de maintenir ses ventes au milieu d'une masse de
titres en perpétuelle augmentation.
3.1.3.3. Stratégies éditoriales
Tonkam propose des titres variés grâce à
une politique éditoriale adaptée.
3.1.3.3.1. Composition du catalogue papier (2003)
Généralités
Le catalogue Tonkam propose un large éventail de titres
et de séries aux lecteurs. Pas moins de 78 séries le composent.
Tonkam, ce sont 536 titres pour les séries dont la publication est
terminée, sans compter les titres en cours de parution en France et/ ou
au Japon au nombre de 21, représentant près de 310 titres
supplémentaires.
Le catalogue papier des éditions Tonkam propose une
classification des titres par genre afin que même le novice en manga
puisse s'y retrouver. Au lieu de la classification standard japonaise
(c'est-à-dire shonen*, shojo* et seinen* dans
les grandes lignes), le catalogue propose les thèmes suivants :
«humour», «philosophie», «policier»,
«sport», «Tsuki sélection» (défini par
l'éditeur comme une «sélection des jeunes auteurs
français»), «historique», «suspense»,
«écologie», «action», «poésie
contemplative», «sentimental» et «fantastique».
Une politique d'auteurs
On remarque un certain équilibre dans ce panel de
titres et de séries présentés dans le catalogue 2003 des
éditions Tonkam. Deux thèmes se détachent cependant :
le «sentimental» et le «fantastique» qui regroupent les
auteurs de prédilection de Tonkam et ceux qui ont fait sa
renommée auprès des lecteurs de manga : CLAMP, Masakazu
KATSURA, Yuu WATASE et Kaori YUKI. Ces mangaka* font partis des plus
grands dessinateurs et scénaristes du Japon et leurs titres sont parmi
les plus attendus aussi bien au Japon qu'en France.
Pourtant, Tonkam a surtout fonctionné au coup de coeur
pour ces auteurs et a tout de même pris un risque, car si ces titres ont
rencontré le succès dans l'archipel nippon, il n'était pas
prévisible qu'il en soit de même en France où la culture et
par conséquent les goûts sont complètement
différents.
*CLAMP
CLAMP est un collectif de quatre auteures : Nanase
OKAWA, Mokona APAPA, Mick NEKOI et Satsuki IGARASHI qui se répartissent
les différentes tâches qu'engendrent la création d'un
manga : dessins, scénario...
Elles ont écrit une vingtaine de manga dont plus de
quinze ont été publiés en France. Les thèmes et les
genres de leurs oeuvres sont tout à fait hétéroclites,
naviguant entre récits violents d'inspiration biblique et histoires
d'amour pour adolescentes.
Tonkam propose sept de leurs titres :
§ Celui que j'aime (un volume ; noir &
blanc et couleurs, catégorie «sentimental»)
§ Lawful Drug (série en cours au
Japon ; noir & blanc ; catégorie «policier»)
§ Miyuki chan in Wonderland (un volume ; noir
& blanc et couleurs ; catégorie «humour» et format
particulier 235 x 292 mm)
§ RG Veda (dix volumes ; noir & blanc et
couleurs ; catégorie «fantastique»)
§ Tokyo Babylon (sept volumes ; noir &
blanc et couleurs ; catégorie «policier»)
§ Wish (quatre volumes ; noir & blanc et
couleurs ; catégorie «sentimental»)
§ X (série en cours au Japon ; noir
& blanc, catégorie «fantastique»)
*Masakazu KATSURA
Masakazu KATSURA est en quelque sorte le mangaka*
historique des éditions Tonkam. En effet, le premier manga traduit en
français estampillé Tonkam et leur premier succès est un
des titres de cet auteur, Video Girl Aï, série comptant 15
volumes. La finesse des dessins de cet artiste rivalise avec des
scénario décrivant avec justesse les sentiments - notamment
amoureux - de personnages au sortir de l'adolescence.
Tonkam propose différents titres :
§ DNA² (cinq volumes ; noir &
blanc ; catégorie «fantastique»)
§ I''s (quinze volumes ; noir &
blanc ; catégorie «sentimental»)
§ Shadow Lady (trois volumes ; noir &
blanc ; catégorie «fantastique»)
§ Zetman (un volume ; noir & blanc ;
catégorie «fantastique») et Zetman, la série (en
cours au Japon)
Video Girl Aï a bénéficié
d'une réédition avec une nouvelle jaquette et une meilleure
impression en format de poche (comme la première édition). Tonkam
a également publié le roman Video Girl pour lequel les
dessins de KATSURA côtoient le récit de Sukehiro TOMITA, une
première en France alors que la mise en roman des manga à
succès est très fréquente au Japon. L'histoire du roman
n'est pas la même que celle de la série mais de nouvelles
déclinaisons du thème de la video girl. Enfin, Video Girl
Aï a connu une édition dite «deluxe». Moins de
volumes (9), format plus grand donc plus lisible, nouvelle traduction et
adaptation, le catalogue la présente comme « produit comme
un livre de production, avec un signet, une reliure en tissu et une couverture
rigide ». La maison propose également depuis peu le
coffret permettant de ranger les précieux volumes.
*Yuu WATASE
Yuu WATASE est une mangaka* dont le succès
n'est plus à démontrer en France : la publication et la
traduction de ses titres par plusieurs maisons d'édition ainsi que de
bons chiffres de vente en témoignent (Glénat a récemment
acquis les droits d'Alice 19th au grand dam de Tonkam).
Pourtant, Tonkam a encore joué le rôle de
découvreur. Fushigi Yugi, publié par Tonkam, est en effet
le premier manga de Yuu WATASE paru en France ainsi que le premier
shojo* traduit en français. Fushigi Yugi est une saga de
dix-huit volumes, pour laquelle les couvertures ont été
retravaillées pour la seconde réédition. Désormais
à l'image des couvertures japonaises, Fushigi Yugi a auparavant
eu des couvertures en papier non pelliculé, une véritable
création artistique 100% française. Les droits de la suite de la
série, Fushigi Yugi : la légende de Gembu, en cours
de parution au Japon, viennent d'être acquis par les éditions
Tonkam.
La seconde série (dans l'ordre chronologique) de
WATASE parue chez Tonkam s'intitule Ayashi no Ceres et compte quatorze
volumes.
Enfin, la troisième et avant-dernière
série de WATASE labellisée Tonkam est Imadoki qui totalise
cinq volumes.
*Kaori YUKI
Les titres de cette mangaka* (parmi ceux qui ont
été publiés en France) baignent dans une atmosphère
gothique. Angel Sanctuary, par exemple, fait référence
à la kabbale, à l'angéologie, à la Bible... Tonkam
propose actuellement trois titres de l'auteure :
§ Angel Sanctuary (vingt volumes ; noir &
blanc ; catégorie «fantastique»)
§ Néji (un volume ; noir &
blanc ; catégorie «fantastique»)
§ Comte Cain (cinq volumes ; noir &
blanc ; catégories «policier» et
«fantastique»)
La seconde partie de Comte Cain, intitulée
God Child, a été prépubliée dans le magazine
de prépublication des éditions Tonkam, Magnolia et
paraît au mois de mars 2005. Ces deux séries, qui se
déroulent dans l'Angleterre victorienne, rappellent l'atmosphère
des nouvelles d'Edgar Allan Poe avec ses meurtres sordides...
Les titres «à part»
Certains titres du catalogue sont quelque peu «à
part» dans le sens où ils ne sont pas à l'image des manga
commerciaux publiés par certaines maisons. Ces titres s'apparentent plus
à des coups de coeur qu'à des coups de publicité.
*Les oeuvres de Taiyo MATSUMOTO
Elles sont au nombre de trois chez Tonkam et appartiennent au
thème «poésie contemplative» :
-Amer Béton (trois volumes ; noir &
blanc)
-Frères du Japon (un volume ; noir &
blanc)
-Printemps bleu (un volume ; noir & blanc)
Malheureusement parues lorsque le manga n'était pas
aussi diversifié et populaire (voire à la mode) qu'à
l'heure actuelle, ces trois séries ont été un échec
commercial de telle sorte que les droits n'ont pas été
renouvelés et sont donc introuvables depuis le 31 août 2003 voire
même avant puisque jamais réimprimés. Cependant,
contrairement à certains éditeurs, Tonkam a, malgré
l'échec, publié intégralement ces séries.
Néanmoins, certains se sont interrogés sur le
forum des éditions Tonkam et n'ont pas compris que ces séries
soient arrêtées d'autant que deux autres éditeurs publient
actuellement et avec un relatif succès Ping Pong (Akata/
Delcourt) et Number 5 (Kana) de Taiyo MATSUMOTO.
*Les oeuvres historiques
Le catalogue Tonkam propose deux titres pour le moins
étonnant : Jésus et Jeanne de Yoshikazu
YASUHIKO entièrement colorisés. Ces deux titres font
respectivement le récit de la vie de Jésus de Nazareth et de
Jeanne d'Arc à travers les yeux d'un jeune homme et d'une jeune fille
qui les a suivis. Ces deux albums sont destinés à un plus large
public que celui du manga. En vertu de quoi Tonkam les a publiés en sens
de lecture occidental.
*Les classiques revisités
Auteur japonais réputé, notamment pour son
manga Crying Freeman porté à l'écran par Christophe
Gans il y a une dizaine d'années, Ryoichi IKEGAMI est traduit aux
éditions Tonkam. Les Nouvelles de la littérature japonaise
sont un recueil de quelques classiques nippons mis en images. Une oeuvre qui
milite pour une reconnaissance du manga dont les sujets peuvent être
littéraires et culturels.
Tonkam propose un catalogue varié reposant sur des
titres plus commerciaux et des titres plus intimistes. La maison s'est
illustrée dans ses choix pionniers. Elle fut la première à
publier du shojo* avec Fushigi Yugi de Yuu WATASE, du
yaoi*, du kowai*, du seinen*, des romans
adaptés de manga et de la bande dessinée chinoise.
Les choix de Tonkam n'ont pas été guidés
par la vague nostalgique (publier des oeuvres en relation directe avec les
dessins animés japonais) qui a gagné un certain nombre
d'éditeurs.
« Nous n'avons pas l'ambition de rattraper
d'autres maisons d'édition. C'est trop tard pour ça. Il aurait
fallu prendre de gros titres comme Saint Seiya (connu en France sous
le nom Les Chevaliers du Zodiaque, édité par Kana),
City Hunter (ou Nicky Larson, publié par J'ai lu et
aujourd'hui épuisé) ou Dragon Ball
(édité par Glénat) tout de suite. Mais ce
n'était pas notre volonté. Nous fonctionnons depuis le
début avant tout par passion et avec un esprit de
découverte. »26(*)
3.1.3.3.2. Politique éditoriale actuelle
Pour maintenir son statut sur le marché concurrentiel
du manga, Tonkam doit proposer une politique éditoriale en
adéquation avec les attentes du lectorat et adaptée à sa
petite structure.
3.1.3.3.2.1. Une politique en adéquation avec une
petite structure
Tonkam, rappelons-le, est une petite maison d'édition
qui n'emploie qu'une vingtaine de personnes. Ses faibles moyens financiers (par
rapport, par exemple, à Glénat, leader français du
marché de la bande dessinée) influencent sa politique
éditoriale.
Ainsi, le choix d'un tirage faible a été fait.
Quand d'autres éditeurs sortent quatre titres par mois à 30.000
exemplaires, Tonkam en édite huit à 9.000 exemplaires. Et lorsque
des titres ne sont pas rentables, la maison ne renouvelle pas les droits
lorsque la série prend fin. C'est le cas des oeuvres de Taiyo MATSUMOTO
que nous avons évoquées plus haut ; d'Asatte Dance de
Naoki YAMAMOTO ; de Butsu Zone de Hiroyuki TAKEI ; de
Fever, un ouvrage collectif sur le thème du football ; de
Short program de Mitsuru ADACHI ; du Jeu du hasard de Saki
HIWATARI et de Zetsuai 1989 de Minami OSAKI.
De même, les droits des oeuvres de Tsukasa HOJO ont
été perdus par Tonkam mais indépendamment de leur
volonté et malgré des chiffres de vente non négligeables.
Ce départ est en effet le fait du transfert du mangaka* d'une
maison d'édition japonaise à une autre. Cette dernière a
alors décidé de regrouper tous les titres de HOJO dans une seule
et même maison en France qui a déjà été
désignée. Il s'agit de Génération Comics (qui
appartient à Panini France) qui pourra rééditer les titres
à succès de HOJO notamment City Hunter (proposé en
édition luxe avec des pages en couleurs) qui est déjà
inscrit au calendrier des parutions pour la fin de l'année 2005.
3.1.3.3.2.2. Sélection des titres
La politique de Dominique Véret en ce qui concerne les
titres à traduire était de « proposer des auteurs
de qualité et que le public français ne connaît pas
encore27(*) ».
Son départ pour les éditions Delcourt pour
diriger le label manga Akata n'a pas été suivi de réelles
modifications d'après Benoît Huot :
« Je n'ai pas eu une grande impression de
changement, je dirais que maintenant, le nombre de titres que l'on peut
soumettre pour les traduire en version française est plus important
qu'à l'époque de Dominique. Sans remettre en cause son travail,
il faut bien avouer que certains titres étaient effectivement de son
fait (Stratège, Tough) mais d'autres (comme les HOJO ou
Maison Ikkoku) l'étaient du personnel de Tonkam. Le départ
de Dominique a juste permis que les choix soient encore plus
collégiaux ».
Bien que relativement bien vécu, ce départ a eu
tout de même quelques conséquences fâcheuses note le
secrétaire d'édition.
« Son départ n'a pas changé notre
manière de travailler ni même le planning que nous avions. Le plus
délicat a été les éditeurs japonais pour qui
Dominique = Tonkam alors que cette équation était loin
d'être vraie. Il a donc fallu les rassurer, leur rappeler que Dominique
n'était pas le PDG, préciser certains points de vue... Mais en
dehors de ces relations avec le Japon, le reste s'est passé sans
encombres. »
Actuellement, Pascal Lafine, le nouveau directeur
éditorial des éditions Tonkam depuis le départ de
Dominique Véret en 2000, sort un titre commercial pour financer un titre
marginal. Mais cela ne fonctionne pas toujours parfaitement. Spirale, le
manga horrifique de Junji ITO a eu un succès inespéré et
Hikaru no Go de Takeshi OBATA et Yumi HOTTA est en tête des ventes
de leur catalogue (alors qu'il n'était pas évident qu'un manga
spécifiquement japonais sur le jeu de go rencontre son public en
France). Tandis que Flame of Recca de Nobuyuki ANZAI peine à
démarrer alors que, selon les prévisions, c'est le contraire qui
devait se produire.
3.1.3.3.2.3. Le travail sur l'objet livre
Tonkam a, dès ses débuts, fait le choix de
respecter à la fois le sens de lecture et le fait de ne pas traduire les
onomatopées. Le sens de lecture est donc japonais, c'est-à-dire
de droite à gauche, et les cases (ou du moins ce qui les figure) se
lisent de la même façon. Benoît Huot ajoute :
« les seuls sens français que l'on fait, c'est parce qu'on
estime que les titres en question sont susceptibles de toucher un lectorat
autre que le lectorat manga habituel. C'est le cas des TEZUKA, de Jeanne
et Jésus de YASUHIKO... ».
De même, les manga publiés par Tonkam sont, comme
au Japon, recouverts d'une jaquette que l'on peut enlever et remettre à
loisir. « Le manga a la chance par rapport aux autres oeuvres de
création de disposer d'un modèle sur lequel on peut se fonder.
Autant en profiter quand le modèle en version originale est
bon » affirme le secrétaire d'édition.
Faute de moyens économiques suffisants, les imprimeurs
qui travaillent pour Tonkam font appel à un CAT (Centre d'Aide pour le
Travail qui permet aux handicapés de s'insérer dans la
société par le biais du travail) situé en face des
entrepôts de Tonkam à Montreuil pour plier les jaquettes. Une
poseuse de jaquettes automatiques coûte très cher et par
conséquent, nécessite des gros tirages pour l'amortir et la
rentabiliser.
3.1.3.3.2.4. Les projets
Il n'est pas toujours possible de faire avouer à une
maison d'édition ce qu'elle projette de faire d'une année sur
l'autre de peur que cela ne s'ébruite dans un marché
déjà très concurrentiel.
Tonkam prévoit néanmoins pour l'année
2005 de sortir un coffret de Trigun, la série de Nightow
YASUHIRO, sans plus de détails. Il faut espérer que ce projet
n'avortera pas prématurément comme le coffret collector de
Hikaru no go prévu pour la sortie du numéro 10 qui devait
comprendre, entre autre, un plateau de jeu de go et des pions à
l'effigie des héros... Mais, confesse Benoît Huot,
« nous n'avons pas été en mesure, compte tenu de
tous les intervenants (japonais et autres) de sortir un coffret dans les temps.
Or, un tel objet se doit de coïncider avec des dates-clé (comme
Noël par exemple) ».
Une autre idée en dormance évoqué dans
un article d'AnimeLand daté de novembre 2003 :
rééditer en format de poche à moindre prix de
séries déjà publiées qui seront
épuisées. Le format bunko* a été
évoqué mais sans plus d'avancement à l'heure
actuelle...
Tonkam réunit plusieurs facteurs qui lui confère
un statut bien particulier dans le marché du manga qui s'est
développé de manière quasi tentaculaire :
§ une petite structure qui n'appartient à aucun
groupe de bandes dessinées ou de littérature
générale ;
§ une distribution militante qui a prouvée son
efficacité ;
§ un catalogue original constitué essentiellement
de découvertes mais aussi de paris risqués ;
§ un éditeur qui a su s'imposer dans l'achat des
droits japonais grâce au sérieux (respect de l'édition
originale) et à sa longévité (Tonkam est en effet, avec
Glénat, l'éditeur qui s'est lancé le premier dans la
traduction française de manga) ;
§ une grande visibilité lié à ses
trois vitrines : la boutique de Bastille, le site commercial
Tonkamshop.com et le magazine de prépublication qui permet à
l'éditeur de rivaliser avec les autres grands éditeurs.
Editeur quasi artisanal au regard de la taille de sa structure
et de son indépendance totale, Tonkam a su et sait toujours se frayer
une place parmi les plus grands éditeurs de bandes dessinées.
3.2. Casterman et
Asuka : stratégie seinen
Ces deux éditeurs furent parmi les premiers en France
à proposer des manga à destination des adultes.
3.2.1. Casterman : une politique d'auteurs
élitiste
Maison spécialisée dans la bande dessinée
franco-belge pour adultes et l'édition pour la jeunesse, Casterman offre
désormais depuis dix ans des titres traduits du japonais.
3.2.1.1. Premiers pas dans le manga : la collection
Manga Casterman
La collection Manga Casterman a été
lancée en 1995, en coédition avec l'éditeur nippon
Kodansha. Le marché du manga, à l'époque, traversait une
grave crise au Japon et Kodansha vit dans la bande dessinée franco-belge
un nouveau souffle potentiel. Un partenariat fut donc instauré entre les
deux éditeurs mais cette tentative fut un échec. L'objectif
était de publier des récits de qualité signés par
des grands noms de la bande dessinée française ou japonaise.
L'archipel nippon allait découvrir Crespin, Baru et Beb Deum et la
France Hiroaki SAMURA, Kenji TSURUTA, Jiro TANIGUCHI ou encore Hideji ODA.
Publiées dans un format inhabituel (15 x 21cm), les
oeuvres traduites en français étaient destinées aux
adultes, principal cible du catalogue de bandes dessinées des
éditions Casterman.
La politique de Casterman n'a pas été une
politique d'élargissement du lectorat. Cet éditeur promeut encore
aujourd'hui la bande dessinée d'auteurs et la collection Manga Casterman
ne fit pas exception à la règle. Il ne s'agissait pas de
conquérir un nouveau marché mais d'élargir la production
sur la base d'un même lectorat. En somme, l'amateur de bandes
dessinées aurait lu les manga de l'éditeur comme il lisait les
auteurs franco-belges de son catalogue.
La tentative de Casterman était audacieuse à
cette époque. Elle allait en effet à contre-courant des
préjugés du public sur le manga et proposait des oeuvres
destinées aux adultes, dans un marché dominé par les
shonen* et quelques shojo*.
Cette politique s'est toutefois soldée par un
échec dans la mesure où les adeptes de la bande dessinée
européenne ne se sont donc pas tournés vers le manga et que le
lectorat habituel des manga (à l'époque composé en
majorité de jeunes garçons) ne s'est pas reconnu dans la
production de Casterman.
L'éditeur bruxellois a néanmoins
conservé, lors de la suppression de la collection Manga Casterman,
Gon de Masashi TANAKA et L'Habitant de l'infini de Hiroaki
SAMURA, afin de rester dans l'esprit des lecteurs comme étant
potentiellement intéressé par le manga.
3.2.1.2. Deux labels, deux approches différentes du
manga
Écritures et Sakka ont moins de trois d'existence mais
proposent des titres dont la qualité est exemplaire.
3.2.1.2.1. La «découverte» du manga pour
adultes : la collection Écritures
Collection lancée en septembre 2002, Écritures
regroupe des auteurs d'horizons graphiques et géographiques
différents, de l'Argentine au Japon, du comics américain
au manga.
Pour valoriser l'originalité de ce label, Casterman a
lancé un nouveau format d'ouvrages aussi bien au sens propre qu'au sens
éditorial du terme.
D'un format plus petit (17 x 24 cm), en rupture avec les
habitudes de la bande dessinée traditionnelle (format A4), les
publications du label Écritures bénéficient d'un papier
ivoire, luxueux et épais et de rabats de couvertures
cartonnés.
« J'ai cherché autant que possible, tout en
restant élégant et efficace, à sortir des codes graphiques
de la bande dessinée pour se rapprocher de ceux de la littérature
générale. J'ai voulu par exemple qu'il y ait beaucoup de blanc
sur la couverture de chaque volume, à l'opposé du «tout
image» qu'est d'ordinaire une couverture d'album. [...] L'intention
générale, c'est d'amener Écritures à trouver sa
place ailleurs qu'en librairie spécialisée, et d'attirer sur
cette collection un lectorat qui d'ordinaire s'intéresse peu à la
bande dessinée. »28(*)
Innovation éditoriale, Écritures est une
collection ouverte, hors de toute contrainte de série, de genre ou de
pagination. Récits complets d'un volume, de tous les horizons
géographiques (Argentine, Canada, Etats-Unis, France, Italie, Japon...),
ce label propose également des récits allant de 80 à plus
de 600 pages (Blankets, manteau de neige de Craig Thompson), avec une
prépondérance de noir et blanc.
Réalisant un mémoire sur l'édition des
manga en France, nous avons opté pour une analyse partielle du catalogue
en ne sélectionnant que les traductions de titres japonais, qui sont au
nombre de sept.
La figure de proue du label, tous genres confondus, est Jiro
TANIGUCHI. Quartier lointain, premier titre de la collection
Écritures fut plus qu'un succès d'estime pour l'éditeur
(les deux volumes de cette mini série se sont écoulés
à 40.000 exemplaires chacun). Premier manga primé au Festival
international de la bande dessinée d'Angoulême en 2003 (prix du
meilleur scénario), ce roman graphique a permis à la production
japonaise de pénétrer certaines couches de lecteurs
jusqu'à lors hermétiques aux manga. TANIGUCHI incarne encore
actuellement auprès des médias français le versant
respectable du genre (« le divin TANIGUCHI, «auteur»
par excellence sous nos latitudes... »29(*)).
TANIGUCHI reconnaît que la bande dessinée
européenne, notamment la production éditoriale des
Humanoïdes associés dans les années 1970, a eu une influence
majeure dans son oeuvre, ce qui peut en partie expliquer que TANIGUCHI est
apprécié aussi bien par les lecteurs assidus de manga que par les
détracteurs de celui-ci :
« Je me souviens de mon étonnement face au
réalisme du dessin, notamment dans la manière de dépeindre
les personnages et de représenter les décors avec un luxe de
détails réalistes absolument inimaginable dans le manga de
l'époque. »30(*)
Découvert en France par Casterman, Jiro TANIGUCHI est
devenu un auteur à succès à l'égal de Hergé,
Tardi ou Pratt traduit par de multiples éditeurs (Le Seuil,
Génération Comics, Kana, ...). Le mangaka* a reçu
cette année, toujours à l'occasion du Festival d'Angoulême,
le prix du meilleur dessin pour Le Somment des dieux édité
par Kana.
Les albums de TANIGUCHI publiés dans la collection
Écritures ont tous fait l'objet d'un travail de traduction et
d'adaptation soigné réalisé par Frédéric
Boilet (directeur de la collection Sakka et auteur de bandes dessinées
installé au Japon) en collaboration avec le mangaka lui-même. Dans
le respect le plus total de l'oeuvre et dans un souci de lisibilité,
Frédéric Boilet a soit inversé l'ordre des cases, soit
retourné les pages pour conserver la dynamique d'un mouvement ou la
composition graphique. De même, il a retouché tous les textes
japonais qui le nécessitaient (les enseignes de magasins par exemple)
pour qu'ils apparaissent dans le bon sens, ainsi que tous les détails
qui se retrouvaient inversés par le retournement des planches.
Réalisé à quatre mains, Mariko
Parade de Frédéric Boilet et Kan TAKAHAMA retrace le dernier
voyage d'un mangaka* et de son modèle. Cet album comporte un
cahier de douze pages en couleurs.
Il faut noter que cette oeuvre n'est pas à proprement
parler le fruit d'une collaboration franco-japonaise, du fait que travaillant
et résidant dans l'archipel, les titres de Frédéric Boilet
sont considérés comme des manga à part entière.
La rentrée littéraire de 2004 a vu
l'arrivée d'un nouveau titre japonais au catalogue d'Écritures.
Osamu TEZUKA, biographie relate la vie du père du manga moderne.
Prévue en quatre tomes, elle sera à ce jour la plus longue
série publiée sous ce label.
3.2.1.2.2. Sakka et la manga
Née en octobre 2004, cette collection est l'occasion
pour les éditions Casterman de renouer avec la publication de manga
destinés aux adultes. Grâce au succès populaire de
Quartier lointain de Jiro TANIGUCHI, l'éditeur a jugé
opportun de publier des oeuvres du même esprit mais directement en sens
de lecture japonais pour permettre un rythme de sortie plus soutenu. Louis
Delas, directeur général de Casterman, démontre que Sakka
entre pleinement dans la politique éditoriale générale de
la société.
« Sakka devrait permettre au lecteur de retrouver ce
qui fait l'identité de Casterman : la capacité à
accueillir des ouvrages à la fois grand public et de qualité.
C'est le cas par exemple des oeuvres de Tardi (Le Cri du peuple,
Adèle Blanc-Sec...), Geluck (Le Chat), de la série
Corto Maltese, et de Tintin bien évidemment, qui participent de
l'image de marque de notre maison. Sakka s'inscrira dans cette tradition, tant
par ses choix éditoriaux et la cohérence de la démarche
à long terme que par le soin apporté à la fabrication des
livres. »31(*)
3.2.1.2.2.1. Frédéric Boilet et la Nouvelle
Manga
Le directeur de cette nouvelle collection n'est autre que
Frédéric Boilet, connu dans le milieu de la bande dessinée
comme un auteur français de manga et pour ses positions tranchées
quant à l'édition de la production japonaise en France.
Certes, Frédéric Boilet réside au Japon
depuis près de 15 ans et il connaît aussi bien les
mangaka* que les attentes et les goûts du public
français. Cependant, ce dernier n'apprécie les publications
japonaises qui paraissent en France et a rédigé, en contestation,
le «Manifeste de la Nouvelle Manga»32(*). Terme créé par l'auteur, la nouvelle
manga désignait à l'origine sa propre production de bandes
dessinées, « ni tout à fait BD ni tout
à fait manga ». Ce terme ne peut toutefois pas se
réduire à ses propres oeuvres puisqu'il a lui-même
été inspiré par des mangaka* peu traduits en
France. « Il me semble que le terme Nouvelle manga pourrait aider
à cibler ce manque, dans une stratégie de communication en France
d'une manga adulte au quotidien. » Car, en effet,
Frédéric Boilet n'utilise pas le genre masculin pour
définir le manga. Il oppose même le
manga, « BD japonaise bon marché pour
enfants et adolescents, tout à la fois violente et
pornographique » à la manga,
« une BD japonaise d'auteur, adulte et universelle, parlant des
hommes et des femmes, de leur quotidien ».
Cette vision réductrice et démagogique, faite de
mépris à l'égard du lectorat français risque un
jour ou l'autre de mettre en péril la viabilité de cette jeune
collection. Néanmoins, elle peut aussi apporter un certain bienfait
à l'édition du manga en France en favorisant une
amélioration qualitative de la production française actuelle dans
le choix des titres à traduire.33(*).
3.2.1.2.2.2. Sakka : une nouvelle manga ?
L'éditeur a conservé, pour ce label, le
même format que la précédente collection Manga Casterman,
afin que le traitement de l'image soit optimal mais a opté pour un sens
de lecture japonais, plus proche de l'édition originale. Les couvertures
sont également réalisées sur le même modèle,
une illustration pleine page sur la première de couverture et une
quatrième dont la couleur varie à chaque titre.
Sakka, mot japonais signifiant «auteur», propose un
catalogue de récits courts (publication de un à trois volumes
maximum), de manga dont la publication n'obéit pas exclusivement
à une démarche commerciale. Le but de cette collection est de
faire découvrir au lectorat français des oeuvres personnelles et
humaines pour adultes qui se désintéressent des courants
éditoriaux dominants (à savoir au Japon les deux grands genres
que sont le shonen* et le shojo*). Cette thématique
commune n'est pas un frein à la diversité et le style des titres
du catalogue sont très différents : récits
fantastiques, intimistes (les oeuvres de Kiriko NANANAN), intrigue
policière dans Forget me not de Kenji TSURUTA, chroniques de la
vie quotidienne, conte philosophique dans La Musique de Marie d'Usumaru
FURUYA et vie d'un samouraï dans L'Habitant de l'infini de Hiroaki
SAMURA.
Ce dernier titre a bénéficié d'une
parution directe à partir du volume dix. En effet, publiée sous
le label Manga Casterman, cette série avait pris fin au numéro
neuf. Cependant, les précédents volumes seront
édités par Sakka afin de créer une
homogénéité de présentation et
bénéficieront d'une nouvelle traduction et adaptation.
Le label Sakka sera un gage de qualité au niveau
éditorial. La traduction sera réalisée par des
professionnels chevronnés venant du domaine littéraire.
Frédéric Boilet entend également mettre en place des
tandems franco-japonais, garantissant une meilleure compréhension de
l'oeuvre originale et une adaptation qui fasse véritablement sens en
français.
De même, le directeur de collection veut essayer
d'attacher un traducteur à chaque auteur et de favoriser les relations
entre eux. Reste à savoir si cette idée est réalisable au
vu du nombre d'auteurs qui composent le catalogue (douze pour le moment) et de
l'éloignement géographique (reste le contact par mail ou par
téléphone moins chaleureux qu'une relation directe).
Enfin, favorisé par le fait que Frédéric
Boilet réside au Japon et qu'il est en contact régulier avec les
auteurs et les éditeurs, les planches originales seront scannées
directement pour un rendu d'impression optimal, ce qui est, selon le directeur
de collection, unique dans l'édition de manga en France34(*)
Casterman, malgré la jeunesse de Sakka, prévoit
en 2005 une trentaine de manga sur les 90 nouveautés à
paraître. L'éditeur parie donc sur un succès rapide de
cette nouvelle collection. On peut toutefois s'interroger sur la pertinence
d'un tel choix au vu de nombreux points d'ombre.
Tout d'abord, ce label a-t-il une viabilité au regard
du nombre d'éditeurs et de collections destinées aux adultes sur
le marché de l'édition de manga en France ?
Bien que destinée au grand public, Sakka est en
réalité une collection très élitiste d'un point de
vue financier, les prix s'échelonnant de neuf à douze euros. Au
regard du nombre de titres qui paraissent chaque mois (50 à 80), un tel
prix peut être un obstacle à la réussite de Casterman dans
le secteur du manga d'autant plus que la majorité des acheteurs sont des
adolescents par définition peu fortunés car non entrés
dans la vie active. Seuls les amateurs de bandes dessinées
franco-belges, habitués à dépenser de telles sommes,
incarneraient donc l'espoir de réussite d'une telle collection.
De plus, de par leurs similitudes d'un point de vue
thématique, il existe un risque d'assimilation entre Sakka et les
productions japonaises d'Écritures.
Enfin, la politique éditoriale de
Frédéric Boilet en ce qui concerne les différences
éthiques entre le et la
manga risque à terme d'écarter tout un pan du lectorat de manga,
non adepte d'une intellectualisation à outrance de la bande
dessinée et qui peut s'offusquer qu'on lui impose une
catégorisation manichéenne entre bons et mauvais
récits.
3.2.2. Asuka, un jeune éditeur suivi et à
suivre
Créées en février 2004, les
éditions Asuka ont été lancées dans un
marché qui regorgeait déjà de publications manga.
Union de deux passions pour le manga et le Japon, Asuka est
une maison qui a déjà été par deux fois suivie dans
ses choix éditoriaux. Asuka ne suit pas la tendance, elle la
crée.
3.2.2.1. Des déboires avec Tonkam à
l'autonomie
Asuka est le fruit d'une rencontre, celle de deux hommes au
sein d'une maison d'édition spécialisée dans le manga,
Tonkam.
Raphaël Pennes, directeur commercial chez Tonkam,
rencontre régulièrement dans le cadre de son travail Renaud
Dayen, l'un des principaux fournisseurs de produits d'importation de la
maison.
En juillet 2003, les deux acolytes créent la
société Daïpen qui propose un site de vente de manga en
ligne. Mais ce projet ne les satisfait pas pleinement et ils font le grand saut
dans le monde de l'édition en créant Asuka, prénom d'une
héroïne de manga.
Mais le marché est vaste et ils ont besoin de soutien
pour mettre en place le projet. Ils proposent donc logiquement à leur
ancien employeur avec lequel ils sont restés en bons termes, la maison
Tonkam, d'être le partenaire d'Asuka. Ce partenariat leur permettra de
bénéficier de la structure éditoriale (notamment celle de
diffusion) d'une maison ayant une grande expérience du manga, de
développer des projets différents pour éviter tout
amalgame et de rencontrer des éditeurs japonais. Cette collaboration
doit aussi avoir des avantages pour Tonkam qui peut facturer la fabrication des
livres et rentabiliser ainsi encore plus sa structure.
Mais, du jour au lendemain et sans explications, Tonkam se
retire de l'aventure. Les deux créateurs d'entreprise doivent alors
faire les démarches de tout nouvel éditeur : trouver un
distributeur, un imprimeur, réaliser des ouvrages mais aussi se mettre
en contact avec les éditeurs japonais et leur expliquer le changement
d'organisation éditoriale lié au dédit de Tonkam. Le
projet est un peu retardé par ces aléas et les premiers manga
estampillés Asuka sortent avec six mois de retard, en février
2004.
3.2.2.2. Un catalogue structuré
Jeune éditeur indépendant, Asuka tente de
bâtir un catalogue cohérent. Réunis sous différentes
collections, leurs manga ne sont tirés pour le moment qu'entre 3.000 et
5.000 exemplaires maximum du fait de leur petite structure et de moyens
financiers encore limités ne permettant pas d'assurer une production
à grande échelle, à l'instar de la maison Tonkam à
ses débuts.
3.2.2.2.1. Le choix des titres
L'éventail des titres proposés, malgré
la jeunesse des éditions Asuka, est conséquent. Trente volumes
sont sortis en 2004, année de leur création, soit 4% des sorties
totales de manga en 200435(*).
En tant que maison d'édition indépendante et
nouvelle sur un marché concurrentiel, Asuka a dû établir
son catalogue en fonction de ses moyens financiers limités. Ne pouvant
pas se permettre de surenchérir sur des titres extrêmement
prisés, l'éditeur a bâti son catalogue sur de plus petits
titres, moins commerciaux mais non moins ambitieux.
Pour faire leurs choix parmi une production nippone
pléthorique, les deux fondateurs d'Asuka ont fait appel à leurs
anciens collègues de Tonkam, Takanori UNO, correspondant au Japon pour
l'éditeur et Pascal Lafine, actuel directeur éditorial.
Amateurs de manga, Renaud Dayen et Raphaël Pennes
sélectionnent également les futures publications Asuka
grâce à leurs lectures personnelles et grâce à
l'écoute attentive dont bénéficient leurs lecteurs par le
biais du forum mis en place sur le site de l'éditeur36(*). Ce dernier, très
actif, permet en effet aux internautes férus de manga d'apporter
quelques suggestions quant aux séries qu'ils aimeraient voir traduites
en France.
Enfin, Raphaël Pennes déclare que certains titres
leur sont présentés par les éditeurs japonais avec
lesquels ils collaborent, « qui ont bien compris [leur]
orientation éditoriale dite de découverte d'auteurs pour
adolescents et surtout pour adultes »37(*).
3.2.2.2.2. Les collections
Le catalogue se compose de plusieurs collections. Il reprend
la segmentation éditoriale classique des shonen*,
shojo* et seinen* (également présente chez
Glénat, J'ai lu, etc.) avec toutefois une prédominance de ce
dernier.
« Nous avions constaté en juin 2003 que les
éditeurs avaient littéralement pris d'assaut le marché du
shonen* et du shojo*, c'est pourquoi nous voulions nous
concentrer sur le seinen*, un genre encore assez vaste pour y marquer
notre territoire. »38(*)
La collection «Tezuka» regroupe les oeuvres du
père du manga moderne.
Le yuri* et les ladies* sont toutes deux
destinées à un public féminin mature. La première
rassemble des histoires d'amours lesbiens sans pornographie
affichée ; les ladies* reprennent les thèmes du
shojo* (amour, vie quotidienne, travail...) dans des
problématiques et des situations plus adultes.
Cependant, cette classification n'apparaît pas
clairement sur tous les manga Asuka, bien qu'un logo existe pour chacune de ses
collections.
3.2.2.2.2.1. TEZUKA et le bunko
Premier éditeur à publier des manga dans ce
format particulier appelé bunko* en japonais, Asuka fait office
de précurseur et a d'ailleurs été récemment suivie
par les éditions Glénat (avec L'École
emportée de Kazuo UMEZU et Urusei Yatsura de Rumiko
TAKAHASHI).
Pour le moment, seule l'oeuvre d'Osamu TEZUKA sera
éditée en bunko*. L'éditeur considère en
effet que ce format n'altère en rien le dessin de TEZUKA car son style
ne fourmille pas de détails. La réduction des planches n'a donc
aucune incidence sur la qualité de l'oeuvre.
Éditer des séries d'Osamu TEZUKA a, tout comme
le bunko*, été un pari éditorial ambitieux. En
effet, bien que très populaire au Japon, ce mangaka* n'a,
jusqu'à lors, pas rencontré le succès attendu en France.
Certains éditeurs (Glénat et les séries Black Jack
et Le Roi Léo par exemple) ont dû cesser sa publication
faute de résultats financiers probants.
Les éditions Asuka ont donc permis de
redécouvrir Black Jack mais aussi d'autres séries peu
connues du lectorat français : Nanairo Inko, Vampires
(oeuvre inachevée) et La Légende du garçon aux trois
yeux (titre provisoire).
L'éditeur a bientôt été
imité par Soleil qui a sorti en mars 2005 Princesse Saphir et
Unico la petite licorne.
Les titres d'Osamu TEZUKA publiés par Asuka sont
maquettés de manière identique, à la manière de la
réédition des oeuvres du mangaka* au Japon par les
éditions Akita Shoten : format bunko*, couverture amovible
sur laquelle un bandeau blanc est surmonté d'une illustration. Le titre
qui apparaît sur le bandeau comporte un sous-titre, «Le meilleur
d'Osamu TEZUKA».
Enfin, le format choisi par l'éditeur présente
un certain avantage pour le lecteur car le manga est moins cher. En effet, la
série compte moins de tomes du fait du nombre plus élevé
de pages par volume (de 300 à 400 pages au lieu de 200 pages).
3.2.2.2.2.2. Deux genres mineurs : le shonen
et le shojo
Pourtant succès des ventes de manga en France, le
shonen* et le shojo* n'occupent qu'une petite place dans le
catalogue Asuka. On dénombre cinq séries pour jeunes
garçons et deux pour jeunes filles.
Parmi les shonen*, on peut remarquer la
présence au catalogue du mangaka* Yoichi TAKAHASHI (dont les
droits de toutes ses autres productions sont détenus par les
éditions J'ai lu) et le titre Hungry heart. Dernière
série en date de l'auteur et toujours en cours au Japon (les volumes
sortent au rythme d'un ou deux volumes par an), elle a pour thématique
le football (comme toutes celles publiées chez J'ai lu). Hungry
heart a bénéficié d'une seconde version
retouchée. Les premières éditions souffraient en effet de
nombreuses coquilles, liées au fait que l'éditeur a fait
paraître ce manga moins de deux mois après sa sortie au Japon.
Deux séries d'humour (Ikebukuro West Gate Park
de Sena ARITOU et Ira ISHIDA et Koi Koi 7 de MORISHIGE) ainsi que deux
récits de science-fiction (Alien nine de Hitoshi TOMIZAWA et
Eat-man d'Akihito ASHITOMI) complètent le segment
shonen* de ce catalogue.
Le shojo* est un genre quasi inexistant dans la
production éditoriale d'Asuka. Les deux séries qu'elle propose
sont des comédies tragiques ayant pour thème des amours
malheureuses et mettant en scène des «écorchés
vifs» : X-day de Setona MIZUSHIRO et Cantarella de You
HIGURI (auteure de Seimaden aux éditions Tonkam et de Ludwig
II chez Génération Comics).
3.2.2.2.2.3. Le seinen, le yuri et les
ladies
Les quatre séries orientées seinen*
des éditions Asuka ont pour dénominateur commun un même
thème : la science-fiction qui prend place dans un quotidien plus
ou moins réaliste.
Deux de ces manga sont particulièrement remarquables.
Le premier, RAY d'Akihito YOSHITOMI, met en scène une jeune femme
devenue médecin de l'ombre grâce au docteur... Black Jack
(personnage de TEZUKA et série publiée par Asuka) qui l'a
sauvée étant enfant. À l'instar du héros de TEZUKA,
l'héroïne sauve des orphelins pris dans l'engrenage de la mafia et
du trafic d'organes.
Le second, Leviathan, thriller médical
apocalyptique d'Eiji OTSUKA et Yu KINUTANI, a fait l'objet d'une édition
collector, accompagnée de posters, cartes postales, marque-pages...
Malheureusement, suite à des problèmes de communication et de
diffusion, nombreux étaient les libraires qui n'étaient pas
avertis de cette promotion exceptionnelle. De fait, l'opération
marketing a peu de chances d'être renouvelée un jour.
La collection yuri* et sa mangaka* vedette
Ebine YAMAJI (qui signe cinq titres de la collection sur six) se
caractérise par un trait léger et une narration plus proches de
la bande dessinée franco-belge que du manga. Asuka est le premier
éditeur à faire paraître ce genre de récits.
Les ladies* ne sont arrivées au catalogue
qu'en février 2005 avec Piece of cake de George ASAKURA. Il est
un peu tôt pour présager quel sera l'avenir de ce label. Un
nouveau titre intitulé Body and soul signé de la main de
la même mangaka* et de Takumi TERAKADO est annoncé sur le
site de l'éditeur, mais la date de parution reste pour le moment
inconnue.
3.2.2.2.3. Titres à venir et projets
Trois titres, en sus de Body and soul, sont
annoncés sur le site mangaverse.net dans le courant de l'année
2005 :
- La Légende du garçon aux trois yeux
(titre provisoire) d'Osamu TEZUKA, toujours en format bunko* (date de
sortie inconnue) ;
- Sur la nuit, un nouveau yuri* d'Ebine YAMAJI
(date de sortie inconnue) ;
- Tensai family company de Tomoko NINOMYA qui
paraîtra en version deluxe de six volumes en septembre 2005 (pas de
détails en ce qui concerne l'édition en elle-même).
Asuka projette également de sortir des DVD sous le
label Eye Catch. Toutefois, à l'heure actuelle, ce projet n'a pas fait
l'objet d'une nouvelle annonce de la part de l'éditeur.
Malgré sa petite structure et sa jeunesse sur un
marché du manga en plein essor, Asuka a su faire des choix innovants et,
le succès aidant, s'est vu imitée par d'autres
éditeurs.
Certaines publications ont néanmoins connu quelques
défauts (problèmes d'impression, fautes d'orthographe ou
rigidité des volumes bunko*), mais il faut reconnaître
que l'éditeur y remédie très vite en proposant des
rééditions corrigées assez rapidement.
La cohérence de leur catalogue ainsi qu'une
volonté de privilégier le qualitatif et non le quantitatif en
matière de choix de titres font des éditions Asuka un
éditeur ayant toutes les chances de se développer à
l'avenir sur le marché du manga destinés aux adultes et, pourquoi
pas, de devenir un concurrent sérieux pour Tonkam.
3.3. J'ai lu : le
manga pour tous
Grand éditeur de livres de format de poche, J'ai lu
propose également des manga depuis près de dix ans.
3.3.1. De l'édition de poche au manga
La maison J'ai lu, spécialiste de l'édition de
poche, est apparue en 1958, cinq ans après le lancement du Livre de
poche par Henri Filipacchi, alors secrétaire général de la
librairie Hachette. Créée par Frédéric Ditis et
Jacques Gervais, son ambition n'est pas de concurrencer son
prédécesseur. Elle se spécialise dans une
littérature plus populaire, pour la plupart tout droit sortie du fonds
Flammarion. Le premier numéro, Le Petit monde de Don Camillo est
un succès. J'ai lu exploite les domaines négligés par la
collection concurrente, le Livre de poche : la science-fiction, le
fantastique, les nouvelles...
L'éditeur a également l'idée de diffuser
des romans dans les supermarchés, un concept surprenant pour
l'époque mais qui sera une franche réussite.
Vers 1987 (soit environ trente ans après sa
création), J'ai lu se lance dans la bande dessinée avec une
collection de poche nommée J'ai lu BD. L'idée est là
encore originale : J'ai lu reprend des albums parus en grand format dans
d'autres collections, en acquiert les droits et se livre à un travail de
découpage et de redimensionnement des cases de manière à
tenir dans un format de poche. Malgré ses premiers succès, les
ventes de la collection finissent par péricliter et la collection J'ai
lu BD est abandonnée en 1996.
Non assagi par cet échec, l'éditeur se lance la
même année dans le manga, surfant sur la première vague du
succès lancée principalement par Glénat et Tonkam. J'ai lu
a plusieurs atouts :
- son expérience (près de 40 ans d'existence) en
fait un éditeur ayant une solide réputation ;
- une confortable assise financière ;
- une diffusion large de son catalogue : grandes surfaces
spécialisées (Fnac, Virgin...), petites et moyennes librairies,
hyper et supermarchés...
- une structure qui permet d'éditer des collections
longues ;
Jacques Sadoul, directeur éditorial chez J'ai lu entre
1968 et 1999, n'a pas toléré l'échec de la collection J'ai
lu BD. C'est lui qui sera l'instigateur de la collection proposant des manga.
Séduit par Akira de Katsuhiro OTOMO (Glénat), il se rend
dans une petite librairie japonaise de Paris, Junku, puis dans la librairie
Tonkam, pour y questionner directement les lecteurs de manga en version
originale pour déterminer ce qu'il faut traduire. Certains lui
conseillent City hunter de Tsukasa HOJO et Hokuto no Ken (Ken
le Survivant) de Tetsuo HARA et BURONSON. Ils lui conseillent
également de conserver le sens de lecture japonais. Ce sera chose faite
malgré les doutes de ses collaborateurs quant à la pertinence
d'un tel choix.
En 1996 paraissent donc City hunter et Fly (ou
Dragon hunter) de Riku SANJO et Koji INADA, série proposée
directement à Jacques Sadoul par la maison d'édition japonaise
Shueisha.
Le but de J'ai lu est, à cette époque, de
proposer le meilleur rapport quantité/ prix et d'inonder les points de
vente. Ainsi, les premiers tomes paraîtront au prix de 25 F
l'unité, soit moins de 4 €, ce qui est encore une exception
jusqu'à l'heure actuelle ! Cependant, la qualité du papier
est médiocre et la traduction est plus qu'hasardeuse...
Mais le succès est tout de même au rendez-vous
car les manga que propose J'ai lu sortent parallèlement à la
diffusion des dessins animés japonais dérivés desdites
séries.
Afin de ne pas remettre en cause les habitudes d'un lecteur
non encore familier du sens de lecture japonais, les cases sont, à la
demande du service commercial des éditions Flammarion,
numérotées.
En 1998, J'ai lu lance deux nouveaux titres : Les
Tribulations d'Orange Road d'Izumi MATSUMOTO rendu populaire par la
diffusion du dessin animé (sous le titre «Max et compagnie»)
sur La Cinq, et Tekken Chinmi de Takeshi MAEKAWA. Cette dernière
série ne rencontrant pas le succès est arrêtée au
douzième volume (la série en compte originellement trente-cinq).
Jusqu'à aujourd'hui, ce titre est resté l'exception et J'ai lu
n'a jamais plus abandonné une série en cours.
Après le départ de Jacques Sadoul, Marion
Mazauric, qui travaille chez J'ai lu depuis 1987, prend sa suite. Elle a
travaillé assez longtemps aux côtés de son
prédécesseur pour apprendre les rouages de l'édition de
manga.
Les droits pour Hokuto no Ken (Ken le Survivant)
et Captain Tsubasa («Olive et Tom» à la
télévision) sont acquis. Ces séries ont également
été diffusées sur les petits écrans
français. La première a subi maintes censures à cause de
son caractère violent et les lecteurs sont ravis de découvrir la
version non expurgée de cette série.
En septembre 2000, Marion Mazauric quitte J'ai lu pour
créer sa propre maison d'édition et choisit pour lui
succéder un jeune stagiaire, Benoît Cousin, qui, à ses
débuts, se contente de surveiller le processus de fabrication des deux
séries au long cours que sont Ken le Survivant et Captain
Tsubasa (une trentaine de volumes chacun).
Depuis le lancement de la collection manga par Jacques
Sadoul, le prix a sensiblement augmenté. Les manga J'ai lu se vendent
désormais aux alentours de 30 F, soit environ 4,60 €. Mais la
qualité a également progressé : l'impression est
meilleure et la traduction et l'adaptation sont beaucoup plus rigoureuses.
Voulant s'éloigner des manga dont le succès
n'est lié qu'à la diffusion à la télévision
mais n'en connaissant pas assez, Benoît Cousin fait appel au traducteur
et adaptateur employé par J'ai lu, François Jacques (aujourd'hui
décédé) pour l'aider à choisir des titres inconnus
en France. Ce dernier lui conseille JoJo's bizarre adventure de Hirohiko
ARAKI et Racaille blues de Masamori MORITA. Ces deux titres ont tout de
même du mal à se vendre, n'ayant plus de support
télévisuel et étant, de plus, difficiles
d'accès.
Voyant le manga se développer de plus en plus,
Benoît Cousin, débordé par ses autres
responsabilités au sein des éditions J'ai lu, décide de
passer le flambeau à Vincent Zouzoulkovsky en octobre 2003.
« Si j'ai accepté la proposition de J'ai lu, c'est parce
que pour moi, J'ai lu est une maison qui peut faire de grandes choses mais dont
le potentiel est mal exploité39(*) » explique Vincent Zouzoulkovsky. Il
restera cependant peu de temps et sera remplacé par Benoît Maurer
au cours de l'année 2004, qui est également responsable
éditorial des éditions IMHO. Ce dernier gère le choix des
titres, les propose à la direction, puis, en cas d'accord,
négocie les droits et s'occupe du suivi de la traduction
3.3.2. Un éventail de titres
commerciaux
Très orienté vers les
téléspectateurs nostalgiques, J'ai lu publie un maximum de
séries dont les adaptations animées ont été vues
à la télévision.
On retrouve ainsi Captain Tsubasa (ou Olive &
Tom), City Hunter (rebaptisé Nicky Larson à la
télévision), Fly, Ken le survivant et Les
Tribulations d'Orange Road (également appelé Max et
compagnie). Toutes les cinq ont eu leur heure de succès et, bien que
la qualité des manga édités par J'ai lu frise parfois le
médiocre aussi bien au niveau du papier que de l'impression, toute une
génération s'est plongée dedans pour retrouver les
héros de son enfance.
Fort du succès de Captain Tsubasa (meilleure
vente du catalogue avec un tirage de 20.000 exemplaires pour la trentaine de
tomes que compte la série), l'éditeur a fait paraître tous
les autres manga de Yoichi TAKAHASHI : la suite de Captain Tsubasa,
Captain Tsubasa World Youth et d'un épisode spécial, ainsi
que de courts récits en un ou deux volumes, Le Loup du stade,
Keeper Coach et Moi, Taro Misaki. Les droits de la
troisième série de Captain Tsubasa, Captain Tsubasa
road to 2002, n'ont quant à eux pu être acquis par J'ai lu ni
par aucun autre éditeur, français ou européen. Les volumes
regorgent en effet de références à de grands joueurs
européens et le mangaka* a utilisé le logo de
véritables équipes sans que les droits aient été
négociés avec elles. Pour éviter les procès et les
sanctions financières qui en découlent, la Shueisha (qui
édite les manga de Yoichi TAKAHASHI) a donc décidé de ne
pas vendre les droits en Europe.
En ce qui concerne City Hunter de Tsukasa HOJO, les
tomes sont épuisés, le nouvel éditeur japonais du
mangaka* ayant souhaité voir ses oeuvres n'être
publiées que par un éditeur unique dans chaque pays. En France,
c'est Panini et son label Génération comics qui a remporté
le contrat.
Le catalogue manga J'ai lu, encore très restreint, se
limite à une quinzaine de titres, très orientés
shonen*, proposant des séries sur le football,
l'héroïc-fantasy ou encore la musique.
La production de manga J'ai lu se limite en 2004 à
quatre nouvelles séries débutées en 2004 dont un
shojo*, une première chez cet éditeur, et quarante
volumes sortis soit un peu de plus de 5% des sorties sur
l'année40(*).
L'arrivée de Benoît Maurer va peut-être
redynamiser le catalogue. Le rythme de parution sera plus régulier et
bimestrialisé. Il est également prévu de
réorganiser le catalogue et de le segmenter en quatre sous
collections : shonen*, shojo*, seinen* et
enfant. Ce lectorat est pour le moment oublié des autres
éditeurs, J'ai lu a peut-être un marché à
développer de ce côté-ci...
2005 est aussi l'année d'un pari risqué pour un
éditeur qui jusqu'à lors s'était contenté de titres
très commerciaux avec le lancement de Crayon Shinchan. Ce manga
de Yoshito USUI est en effet d'un style et d'un format très
différents de ce que l'on connaît actuellement en France, d'autant
plus que cette série compte déjà 40 volumes et est
toujours en cours au Japon.
J'ai lu prévoit également de sortir deux autres
titres cette année : un seinen*, Eagle, et un
shojo*, Sous un rayon de lune.
J'ai lu, malgré des moyens financiers confortables,
n'arrive pas à sortir une production qui se démarque des autres
éditeurs. Il viendrait même se situer au plus bas de
l'échelle des éditeurs de manga du fait de la piètre
qualité de ses éditions et de ses choix éditoriaux
desquels tout risque est absent. Il est encore tôt pour juger de l'impact
qu'aura la présence de Benoît Maurer à la tête de la
collection mais ses choix pour le moins originaux chez IMHO, maison pour
laquelle il travaille également, feront peut-être des
éditions J'ai lu un acteur sur lequel il faudra compter dans les
années à venir ou qui auront raison de leur production manga.
Cependant, la politique d'une telle maison peut-elle se
développer si l'on considère qu'elle appartient au même
groupe que Casterman (le groupe Flammarion) qui suit déjà une
politique éditoriale très forte, centrée sur une politique
d'auteurs orientés seinen* ?
3.4. Akata, label
militant au sein des éditions Delcourt
Créées en 1986, les éditions Delcourt se
spécialisées dès leur début dans le domaine de la
bande dessinée. L'association avec Akata complètera un catalogue
ambitieux.
3.4.1. Le manga au coeur de Delcourt
Guy Delcourt, fondateur des éditions du même
nom, ne peut, lorsqu'il créé sa société dans les
années 1980, rivaliser avec les grands noms du secteur. Il ne renonce
cependant pas à publier de la bande dessinée mais s'oriente vers
une jeune génération d'auteurs. Thierry Cailleteau,
scénariste et Olivier Vatine, dessinateur seront les premiers à
signer un contrat chez l'éditeur, notamment pour la série
Aquablue dont le dixième tome est paru en octobre 2004.
Le catalogue prend vite de l'ampleur et, en seize ans, il
passe de 2 à 160 auteurs pour plus de 700 titres.
Très tôt, Guy Delcourt se met en contact avec
les éditions Kodansha au Japon et tâtonne sur le marché du
manga en lançant la collection Contrebande. Composée de
traductions d'oeuvres étrangères, Contrebande propose notamment
deux titres nippons : Silent Mobius de Kia ASAMIYA et Mother
Sarah de Katsuhiro OTOMO et Takumi NAGAYASU. Ces albums se rapprochent plus
du format franco-belge (couverture cartonnée, format A4, prix
élevé, pages couleurs) que du manga proprement dit.
Malheureusement, ces deux titres sont un
demi-échec : la traduction du premier est arrêtée et
les droits sont cédés à un autre éditeur et le
second, bien que figurant toujours dans le catalogue, paraît au
compte-gouttes.
Il faudra attendre l'année 2001 pour que Delcourt
renoue avec le manga grâce à l'intervention de Dominique
Véret, fondateur des éditions Tonkam.
Les choix de ce dernier, une vision plus littéraire du
manga pour un public plus âgé, séduisent Guy Delcourt qui
s'associe avec Akata (qui signifie «union» en sanskrit).
Akata est une SARL (Société à
Responsabilité Limitée) dirigée à ses débuts
par quatre actionnaires dont les fonctions sont les suivantes :
- Dominique Véret s'occupe de l'activité
éditoriale, du suivi de fabrication et de certaines adaptations ;
- Sahé Cibot se vouait à la coordination
(c'est-à-dire la relation avec les éditeurs japonais, la gestion
des équipes de traducteurs et d'adaptateurs et celle du planning de
fabrication), de l'éditorial qu'elle partageait avec Dominique, et de
certaines traductions et adaptations. Marianne Ciaudo a repris les
activités de celle-ci qui travaille désormais pour le label Sakka
des éditions Casterman ;
- Erwan Le Verger gérait les relations publiques,
commerciales et contractuelles ;
- Sylvie Chang assure la gestion d'Akata et a
récupéré les tâches d'Erwan depuis le départ
de ce dernier.
Les six premiers titres sortent en 2002 pour atteindre en 2004
le nombre de 71 l'année dernière soit plus d'un tiers des
parutions de l'éditeur41(*).
3.4.2. Akata : le Japon comme
nouveau modèle culturel
Label dirigé par un homme aux idées
engagées, Dominique Véret, Akata est avant tout une nouvelle
chance de mettre en oeuvre ce qui selon lui a échoué aux
éditions Tonkam : publier des oeuvres fortes destinées
à un public de jeunes adultes.
Dominique Véret a en effet pris conscience que ce qui a
été communément appelé par les médias la
«génération manga» a mûri. Tout ce pan de la
population a désormais entre vingt et trente ans et les oeuvres qu'Akata
souhaite publier s'adressent avant tout cette cible non hostile aux productions
nippones.
Se positionnant en marge des éditeurs opportunistes
qui ont vu dans le manga une manne providentielle, l'équipe d'Akata veut
se rapprocher de la mission traditionnelle de l'éditeur :
élever son lectorat vers le haut en lui proposant des titres
culturellement enrichissants, ne se présentant pas d'emblée comme
des best-sellers potentiels.
Le catalogue Akata est très diversifié,
proposant une variété de genres à travers six collections
avec néanmoins une prédominance de titres destinés aux
jeunes adultes :
- la collection « Také : Initiation de papier au
masculin », sept titres destinés majoritairement aux jeunes
garçons ;
- « Sakura : les desseins du manga... au
féminin », sept publications s'adressant aux jeunes
filles ;
- « Ôbon : Bienvenue dans le monde des
esprits », deux oeuvres d'horreur pour jeunes adultes ;
- « Gingko : La tradition sous l'écorce de la
modernité », quatorze titres destinés aux plus de 20
ans ;
- « Fukei : Paysages intérieurs, une
manière de lire la vie », trois séries basées
sur la réflexion s'adressant au même public que les deux
collections précédentes ;
- « Jôhin : Des femmes se dévoilent... sans
fausse pudeur », sept publications pour un lectorat adulte et
plutôt féminin.
Au lieu de nous attarder sur les diverses collections et de
décrire point par point le catalogue, nous nous sommes penchés
sur celles dont le contenu est véritablement innovant d'un point de vue
thématique, les publications jôhin.
Ces dernières proposent en effet des récits
ayant pour personnage central une héroïne, ce qui est peu courant
dans les manga pour adultes paraissant en France mais également dans la
production franco-belge.
Cette collection est avant tout l'occasion pour
l'éditeur de promouvoir la qualité d'une bande dessinée
produite par et pour les femmes. Elle est également un moyen de
présenter une nouvelle image de la femme japonaise, qui sait revendiquer
à la fois son identité et sa sexualité.
Les titres proposés sont au nombre de sept parmi
lesquels cinq sont l'oeuvre de la mangaka* Mari OKAZAKI. Chacune de
ses nouvelles ont pour thème central l'amour. Cependant, sa
réflexion sur les sentiments est poussée à l'extrême
et invite sa lectrice à découvrir de multiples façons
d'exprimer ses passions.
BX est une histoire d'amour entre deux opposés,
deux manières profondément différentes de concevoir
l'existence. Une aventure compliquée commence, notamment pour Nenohi
l'héroïne qui s'accroche au jeune Usagi qui, lui, ne connaît
que la boxe.
C'est avant tout elle que l'on verra évoluer, car c'est
de son point de vue que l'on perçoit l'histoire. D'une jeune fille
volage, incapable d'aimer, elle deviendra une femme incroyablement patiente et
prête à l'abnégation de ses sentiments pour celui qu'elle
aime.
Dans Déclic amoureux, la passion des personnages
est poussée jusqu'à l'extrême, leur ôtant toute
humanité et toute compassion les uns envers les autres.
12 mois propose un récit d'amour à sens
unique tandis que Le Cocon développe une perspective inhabituelle
de la passion, celle pour un être absent.
Un autre titre de la mangaka est à paraître en
juillet 2005, Sex no ato Otoko no Ase wa hachimitsu no Nioi ga suru
(Après l'amour, la sueur des garçons sent le miel, titre
provisoire). L'incapacité de l'être humain à vivre seul est
au centre de ce recueil de cinq histoires courtes.
Subaru est l'héroïne éponyme du
manga de Masahito SODA, femme déchirée entre drame personnel (son
petit frère est atteint d'une tumeur au cerveau) et ascension sociale
(devenir danseuse professionnelle).
Enfin, Initiation de Haruko KASHIWAGI n'est pas un
manga pornographique bien qu'il peut apparaître comme tel quand on le
feuillette. Fondé sur des recherches de l'auteur notamment sur
l'ère Meiji (1868-1912), cette bande dessinée évoque ce
que la culture japonaise a toujours su aborder sereinement et sans tabou, le
sexe, qui a une fonction à la fois éducative et sociale.
3.4.3. Des noms de collections
japonisants...
Akata s'affranchit des termes d'origine repris par de
nombreux éditeurs (shonen,* shojo*, seinen*,
josei* ou ladies* et kowai*) et propose un catalogue
divisé en plusieurs collections qui portent chacune un nom japonais.
C'est une démarche plus originale puisqu'elle
procède d'une certaine philosophie nippone dans ce rapprochement entre
une division thématique et un ordre naturel ou un pan de la culture
traditionnelle. Ainsi :
- le terme «Také» signifie bambou et est
associé au shonen* manga ;
- «Sakura» désignant la fleur de cerisier est
le nom de la collection destinée aux jeunes filles
(shojo*) ;
- «Ôbon» est un festival annuel au Japon
consacré aux morts et aux esprits. Il définit bien
évidemment les titres kowai* ;
- le «Gingko» est le seul arbre ayant
résisté à la destructrice bombe atomique et symbolise une
des deux collections de seinen* manga. La seconde, «Fukei»,
le paysage, est une invitation à la contemplation et à la
méditation ;
- «Jôhin» est le nom japonais de l'anthurium,
fleur rouge exotique, symbolisant les titres josei* (ou
ladies*).
On peut néanmoins émettre des réserves.
Le lecteur ne va pas nécessairement se repérer au sein de ces
collections dont les noms ne sont pas compréhensibles pour le locuteur
français. Certes, les subdivisions shonen*, shojo* et
seinen* ne le sont pas non plus par une personne ne parlant pas le
japonais, mais celles-ci sont suffisamment employées depuis quelques
années pour qu'un lecteur même occasionnel de manga y trouve ses
repères.
De plus, ces termes employés par Akata sont
extrêmement discrets dans la présentation des différentes
éditions. Ils sont plus particulièrement utilisés dans le
catalogue papier ou sur celui disponible sur Internet (
www.akata.fr).
Les éditions Delcourt, par le biais d'Akata, proposent
désormais depuis près de deux ans un catalogue structuré
et varié de manga principalement à destination d'un lectorat
d'adultes.
Des projets ambitieux (la collection Jôhin ou un CD de
rock japonais vendu avec le numéro 6 de Beck d'Harold SAKUISHI,
manga ayant trait à la musique) et des choix éditoriaux
récompensés et suivis (l'éditeur Asuka a tenté
d'acquérir un des titres de Mari OKAZAKI et Kana publie une des oeuvres
de Aï YAZAWA, mangaka découverte en France par Akata) font du label
manga des éditions Delcourt un acteur incontournable sur le
marché.
Promouvant la philosophie de vie nippone comme alternative
à la culture de masse américaine, Dominique Véret et son
équipe éditoriale agissent avant tout dans l'optique d'une
ouverture des esprits et invitent à la tolérance mutuelle.
Le sexe et la violence sont également présents
dans le catalogue bien que ces deux thématiques ont jeté
l'opprobre sur le manga pendant de longues années. Cependant, cela est
avant tout une façon d'amener une réflexion plus profonde sur les
moeurs et les dérives de la société actuelle, qu'elle soit
nippone ou française.
Les six éditeurs présentés sont
représentatifs du marché français du manga en ce qu'ils
proposent et développent chacun des genres et des thèmes qui leur
sont spécifiques.
Asuka et Casterman offrent une sélection de titres pour
adultes, Tonkam de nombreux shojo* et Glénat majoritairement
des shonen*, J'ai lu des séries destinées aux plus
jeunes et Akata une ouverture sur richesse de la culture asiatique.
Leurs découvertes et leurs paris éditoriaux ont
largement contribué au développement et au succès actuel
de la bande dessinée japonaise en France, et ont dorénavant
permis à cette dernière de rivaliser avec la production
franco-belge.
3. LA PRÉPUBLICATION EN
FRANCE
3.1. Qu'est-ce que la prépublication de
manga (au Japon et en France) ?
Au Japon, toute série qui paraît dans les petits
volumes reliés que nous connaissons en France est d'abord publiée
dans de gros journaux de 300 à 1.000 pages. Ces magazines de
prépublication, appelés mangashi*, ressemblent ni plus
ni moins à des annuaires téléphoniques, très peu
chers (environ 230 yens soit plus ou moins 2 euros) et imprimés sur du
papier recyclé de différentes couleurs : rose, jaune, vert,
bleu, orange... (Cf. annexe n°5).
Aussitôt lus, aussitôt jetés !
Chacun des éditeurs japonais propose un
mangashi* voire plusieurs. Chaque titre cible un lectorat
particulier : les jeunes garçons (shonen*), les jeunes
filles (shojo*) ou les adultes (seinen*).
Pour tous les éditeurs, ces produits permettent de
tester et formater le marché de la bande dessinée. Pour eux, deux
préoccupations : 1/ faire que les lecteurs achètent leur
magazine de prépublication et non celui des concurrents, lutte
harassante s'il en est au regard du nombre de mangashi* publiés
au Japon, et 2/ trouver le best-seller de demain.
La clé de voûte de cet édifice est bien
évidemment le lecteur, et toute la politique des magazines de
prépublication tourne autour de lui. Chaque série est soumise au
vote du lectorat pour savoir si elle mérite ou non de conserver sa place
dans le magazine de prépublication et éventuellement d'être
éditée en tankobon*. Il suffit au lecteur de renvoyer le
coupon-réponse imprimé en fin de magazine. Le vote est
récompensé par des tirages au sort permettant de gagner des
produits dérivés des séries publiées.
Même le mangaka* est soumis aux desiderata des
lecteurs. Il doit avant tout les fidéliser afin de ne pas
disparaître des pages de la revue. À cause de cela, il ne peut se
permettre de diriger son récit comme il l'entend. Par exemple, la
disparition d'un personnage apprécié du public peut
entraîner une sanction immédiate, même si cela se justifie
largement dans le déroulement du récit. Les sondages de
popularité des personnages d'un manga influencent également son
travail qui doit suivre les envies de son lectorat. Si le mangaka*
suit bien toutes ses règles, il a de grandes chances de voir sa
série publiée en volumes reliés.
Les tankobon* sont principalement achetés par
des collectionneurs et sont tous, sans exception, vendus sous cellophane, car
nul n'ignore ce qu'ils contiennent. En effet, tout le monde ou presque lit des
mangashi* au Japon car il y en a pour toutes les classes d'âge
et toutes les classes sociales, de la femme au foyer au col blanc en passant
par les tout-petits.
En France, le système est tout autre. Nous avons connu
les dessins animés avant les manga dont ils sont dérivés,
puis nous avons découvert les magazines de prépublication dont
sont issus originellement les manga.
Shonen Collection (Pika) et Magnolia
(Tonkam) ne sont pas les pionniers en France. Deux projets ont existé et
vite pris fin avant eux. Il y a eu dans un premier temps Glénat qui,
dès juillet 1994, propose Kaméha, magazine de 200 pages
qui propose trois séries jusqu'alors inconnues en France :
Striker, Dirty Pair et Crying Freeman. Puis, en octobre
1995, la maison d'édition Manga Player (qui a fait faillite depuis)
lance le magazine du même nom. Manga Player propose des
séries qui rencontreront le succès par la suite sous le joug de
Pika (qui a racheté le catalogue de l'éditeur) notamment Ghost
in the shell, Ah my goddess, 3x3 Eyes ou encore
GTO.
Malgré tout, le manga n'est pas encore très
implanté en France et les deux entreprises prennent rapidement fin.
Près de dix ans plus tard, Pika se lance de nouveau
dans la prépublication avec Shonen Collection qui ne propose
que du shonen* (comme l'indique son titre), suivi de près par
Tonkam et son magazine Magnolia.
3.2. Shonen Collection
(Pika)
Tiré à 30.000 exemplaires, Shonen
Collection est un mensuel de 292 pages, qui coûte le même prix
qu'un tankobon* (6,95€). Il est disponible dans les boutiques
spécialisées (Album...), les grandes surfaces du livre (Fnac,
Virgin), et dans les supermarchés.
Shonen Collection cible avant tout un public
d'amateurs de manga en refusant d'être distribué dans les kiosques
à journaux ou les librairies, où il serait susceptible de
rencontrer un plus large public. Néanmoins, la diffusion en librairies
est très coûteuse et, si les ventes ne sont pas bonnes, les pertes
financières sont conséquentes pour l'éditeur.
Le lectorat est plutôt masculin, principalement des
adolescents. Pika propose différents genres de séries :
action, aventure, science-fiction, amour, érotisme, fantastique,
ésotérisme... qui, selon l'éditeur, sont toutes des
best-sellers en vente au Japon.
Comme au Japon, les lecteurs peuvent voter sur le site
Internet des éditions Pika (
www.pika.fr). Tous les cinq
numéros, la série la plus mal aimée est remplacée
par une nouvelle. Quant aux plus populaires, elles se verront gratifiées
d'une sortie en volumes reliés.
Pika a opté pour un mangashi*
résolument francisé, qui se refuse à faire de gros
catalogues de papier recyclé. Le papier est ainsi de bonne
qualité, blanc et solide, l'impression est nette, comme dans un manga,
et la reliure est parfaite. Shonen Collection ne se pose pas en
produit de grande consommation comme ses homologues nippons, mais comme un
produit de luxe qui coûte le même prix qu'un tankobon*.
3.3. Magnolia
(Tonkam)
Magnolia est le fruit d'un partenariat
franco-japonais entre Tonkam et l'éditeur japonais Hakusensha auquel
appartiennent toutes les séries qui y étaient publiées,
à savoir :
§ Les Descendants des ténébres de
Yoko MATSUSHITA (onze volumes ; série en cours au Japon)
§ Elle & lui de Masami TSUDA (dix-neuf
volumes ; série en cours au Japon)
§ God child de Kaori YUKI (huit volumes;
série terminée au Japon)
§ Okojo, l'hermine racaille de Ayumi UNO (sept
volumes ; série en cours au Japon)
§ Parmi eux de Hisaya NAKAJO (vingt-trois
volumes ; série terminée au Japon)
§ Les Princes du thé de Nanpei YAMADA
(vingt-cinq volumes ; série terminée au Japon)
Le magazine coûtait 6€, soit environ le prix d'un
manga, et comptait 256 pages. La parution était, comme Shonen
Collection, mensuelle. Le public cible était un lectorat
féminin (le sous-titre est : «Le meilleur de la BD au
féminin») entre 15 et 25 ans.
Tonkam avait, au préalable, annoncé que les
volumes reliés ne seraient disponibles que dans cinq ans, délai
nécessaire, selon l'éditeur, pour que le magazine se vende. De
fait, avec l'arrêt du magazine, les séries sortiront dès
cette année. God Child et Elle & Lui sont parues entre
mars et avril 2005 (l'éditeur espère pouvoir éditer un
coffret en édition limitée proposant les cinq premiers volumes de
ces deux séries), Parmi eux en avril, Les Descendants des
ténèbres et Les Princes du thé sont inscrits au
programme de l'éditeur mais le mois de parution n'est pas encore
fixé. Il est beaucoup moins sûr qu'Okojo, l'hermine
racaille soit publiée dans les mois à venir, bien que cette
série soit justement celle qui se démarque le plus par son
originalité.
La volonté affichée de l'éditeur
était d'attirer un nouveau public féminin, un peu à
l'écart du secteur manga, en lui proposant un magazine uniquement
composé de shojo* manga. Le magazine ne se contentait pas de
reproduire des chapitres de bandes dessinées japonaises mais comportait
également du rédactionnel : des articles sur la culture
japonaise en rapport direct avec les manga du mensuel, des recettes de cuisine
nippones, la mode, la musique, les sorties DVD et une partie littérature
japonaise ou librement inspirée par le Japon (à l'image des
romans d'Amélie Nothomb dans le numéro de décembre
2004).
Le magazine était distribué dans quelques rares
kiosques et dans les boutiques spécialisées (par exemple la
boutique Album spécialisé dans les bandes dessinées et les
produits dérivés).
Magnolia était perçu par
l'éditeur comme une sorte de laboratoire où il testait les
séries et qui permet ainsi de faire des pronostics de vente plus
fiables, forme d'investissement sur l'avenir. Pourquoi alors arrêter une
source de revenus relativement sûre ?
« En fait, Magnolia s'arrête au
volume 13 car, après un an de publication (soit l'équivalent de 3
ou 4 volumes reliés), nous estimons avoir fait suffisamment
connaître ces séries pour pouvoir les sortir en volumes
reliés. Magnolia a donc rempli la fonction première qui
lui était impartie (faire découvrir de nouveaux shojo*) et n'a de
ce fait plus de raison d'être. D'où son arrêt au profit
d'une sortie des volumes reliés. »42(*)
Pascal Lafine, responsable éditorial, ajoute, dans une
interview accordée au magazine AnimeLand, que Magnolia
se vendait correctement et que Tonkam aurait pu continuer la publication plus
longtemps. « Toutefois, les contrats que nous avions
signés avec l'éditeur japonais ne nous permettaient pas de
dégager une marge de bénéfice satisfaisante, d'où
la décision d'arrêter le magazine qui était par ailleurs
lourd à gérer. »43(*)
Certaines rumeurs ont circulé, notamment sur le forum
des éditions Tonkam, concernant l'éventuelle présence de
goodies* avec le numéro 5 de Magnolia. Réponse
de Tonkam : « on n'a pas eu le temps ni le budget pour faire
les goodies*. Ceci dit, le numéro de décembre comporte
un calendrier à l'intérieur ». Détail non
précisé : le calendrier en question est collé et
relié avec le magazine qu'il faut donc découper pour
récupérer les illustrations couleurs faisant office de calendrier
pour l'année 2005 !
Avec la fin du magazine, les espoirs des lecteurs sont
désormais déçus...
Enfin, nous avons pu constater sur le forum des
éditions Tonkam que de nombreux fidèles lecteurs et lectrices de
Magnolia étaient partagés entre le contentement de voir
enfin sortir les volumes reliés des séries qu'ils affectionnent
et la déception voire la colère envers cette duperie de
l'éditeur.
Voici une des réactions que nous avons pu relever, qui
est assez représentative des sentiments des lecteurs du
magazine :
« Dire que Magnolia se termine parce qu'il
a accompli sa mission et conclure sur la sortie en relié d'un air joyeux
sans se justifier par rapport au premier éditorial44(*), c'est inacceptable. [...]. Je
m'excuse de dire cela aussi directement, mais c'est à la mesure de
l'amertume que je ressens. [...] Bilan : je ne veux plus lire ces
séries, pourtant tant attendues, car j'ai l'impression de m'être
fait avoir. Je ne veux plus donner d'argent à Tonkam. Certes, j'adore
les séries, mais je ne suis pas non plus esclave de mon
intérêt pour elles ».45(*)
3.4. Un projet avorté : Chibi
des éditions Soleil
En février 2004, Mourad Boudjellal, fondateur et
directeur des éditions Soleil, annonçait dans le journal Les
Echos que Soleil s'apprêtait à lancer son propre magazine de
prépublication, Chibi. Les chiffres avancés
étaient alors exponentiels : une mise en place de 180.000
exemplaires, trente numéros achetés à l'éditeur
japonais Kodansha et une campagne de promotion de plusieurs millions d'euros.
Il envisageait que les trois premiers numéros sortiraient de
façon bimestrielle, avant de poursuivre une publication
mensualisée.
Magazine prévu pour être une copie du
mangashi* Nakayoshi, il devait cibler un public de jeunes
filles entre 8 et 15 ans, à un prix défiant toute concurrence en
France (entre 3,90€ et 4€) pour 272 pages dont 16 en couleurs.
Proposant cinq séries et deux strips en cours de
parution au Japon dans chaque numéro, Chibi devait
également proposer à ses lectrices de voter pour ses
séries préférées au moyen de coupons-réponse
ou sur le site des éditions Soleil et leur permettre de recevoir des
goodies* en retour. Chaque série serait, de toute façon,
publiée sous forme de volumes reliés.
Suivant le modèle japonais, le magazine devait
être vendu accompagné de produits dérivés aux
couleurs des séries proposées (agenda, cosmétiques...) et
des récits inédits devaient être réalisés par
les mangaka* de Nakayoshi exclusivement pour la France.
Malheureusement, pour des raisons obscures, ce projet a
périclité et les éditions Soleil se refusent de
communiquer sur ce sujet.
3.5. Manga Hits (M6
éditions)
Un seul numéro est sorti au cours du mois de novembre
2004, à l'occasion de la sortie en salles du film de Yu Gi
Oh !, dessin animé japonais diffusé sur M6.
Ce magazine prépublie des manga appartenant à
Kana mais est édité par M6 Editions :
§ Yu Gi Oh ! R de Kazuki TAKAHASHI (trois
pages couleur et deux chapitres)
§ Naruto de Masashi KISHIMOTO
(118ème chapitre, inédit)
§ Shaman King de Hiroyuki TAKEI
(198ème chapitre, inédit)
§ Yu Gi Oh ! le film (anime
comics*)
La cible de ce magazine est un lectorat de jeunes adolescents
entre 10 et 14 ans, déjà consommateurs de ces séries.
Le magazine a peu de viabilité s'il continue à
paraître. Les chapitres publiés ont été
édités en volumes reliés dans le mois qui a suivi. De
plus, il y a très peu de chances d'attirer un nouveau lectorat :
les séries sont en effet très avancées et ne sont pas des
découvertes car elles sont déjà publiées en
tankobon* chez Kana.
La vocation de ce magazine est avant tout commerciale car sa
sortie coïncide avec celle d'un long-métrage d'animation au
cinéma.
3.6. Un tel projet est-il viable en
France ?
Pour pouvoir déterminer la viabilité de la
prépublication en France, nous avons opté pour une
présentation sous forme de tableau qui présente de manière
claire les points forts et les points faibles de la prépublication
à la française.
Points forts
|
Points faibles
|
§ Le lectorat touché est plus large car le tirage est
en moyenne deux fois plus important que pour un manga relié (environ
20.000 exemplaires pour un mangashi* comme Shonen
collection).
§ Ce genre de publication permet de découvrir une ou
des séries que l'on n'aurait pas forcément achetées en
volumes reliés.
§ Certaines séries répondent à une
attente des fans.
§ La prépublication permet de limiter les risques
financiers qui accompagnent la parution d'un manga.
|
§ Les magazines de prépublication ne sont pas
disponibles partout.
§ Le prix est le même qu'un tankobon*.
§ On peut avoir l'impression de payer deux fois pour une
même série.
§ Le rythme de parution est trop lent. Pour chaque
série, il n'y a qu'un ou deux chapitres publiés chaque mois. Il
faut donc entre quatre et sept mois pour pouvoir lire
l'intégralité d'un volume.
§ Ce système de publication risque de
décourager les nouveaux lecteurs qui n'auront pas acheté le
mensuel dès le premier numéro.
§ En ce qui concerne Shonen collection, les
délais sont trop courts entre la parution magazine et la sortie des
volumes reliés. Cela risque de conduire le projet à sa perte.
De plus, il n'y a pas de découverte. La plupart des manga
sont signés d'auteurs déjà présents au catalogue
Pika.
|
Au regard de ce tableau, il est légitime de
s'interroger sur le bien-fondé des magazines de prépublication en
France. De tels journaux ont-ils leur place lorsqu'au même instant
paraissent cinquante à quatre-vingts nouveautés en volumes
reliés par mois ?
4. MODALITÉS D'ADAPTATION D'UN
MANGA
4.1. Étude de cas : différences
et similitudes entre l'édition originale et l'édition
française
Dragon Ball d'Akira TORIYAMA a fêté ses
douze années de présence sur le territoire français cette
année, et son succès ne se dément toujours pas. L'oeuvre
du mangaka* domine la liste des meilleurs ventes de manga et de bandes
dessinées (cette acception désigne toutes les bandes
dessinées, nationalités confondues) depuis ses débuts.
Cette série fleuve de 42 tomes (soit près de
4.800 pages !) ne cesse de faire des émules au fil des
générations. Glénat a su tirer parti de cette manne
commerciale et a proposé trois éditions différentes des
aventures de Sangoku : la première, classique ; la seconde,
double ; la troisième, collector.
Dragon Ball a également subi des modifications
au cours de ses rééditions successives pour se rapprocher au plus
près de la version originale japonaise.
Ce comparatif est un moyen d'analyser les transformations que
subit un manga traduit.
L'édition originale de Dragon Ball est parue
pour la première fois en livre relié en 1985 sous le label
«Jump comics». Ce manga est édité par la Shueisha, un
des quatre plus gros éditeurs japonais. Il ne comporte aucune page en
couleur et est au format tankobon* traditionnel (11x17,5 cm)
(Cf. annexe n°6).
De même, les trois éditions françaises
sont parues chez Glénat, ne comporte pas de pages en couleur et sont
également au format tankobon*, bien qu'un tout petit peu plus
grands que le japonais (11,5x18 cm).
La première édition française date de
1993. Glénat a fait le choix d'une couverture cartonnée et non
d'une jaquette comme dans la version originale. C'est le cas de tous leurs
manga jusqu'à il y a environ deux ou trois ans. De plus, l'illustration
de couverture diffère totalement (Cf. annexe n°7).
Le sens de lecture est français, ce qui induit des planches
retournées. Le coeur du personnage principal dont il est question au
cours du récit se retrouve alors positionné à droite.
Certains éditeurs, pour remédier à ce problème,
n'hésitent pas à remettre certaines cases ou planches dans le
sens original afin de ne pas créer ce genre d'erreurs
grossières.
La traduction englobe celle des onomatopées, qui
parfois n'ont aucun sens, c'est-à-dire qu'elles ne reproduisent aucun
son connu.
Les illustrations à la fin du tome original ainsi que
deux pages consacrées à Akira TORIYAMA ont été
supprimées dans l'édition française et remplacées
par des publicités pour les publications des éditions
Glénat.
La seconde édition française a
débuté en 2001. Celle-ci regroupe deux tomes en un (Cf.
annexe n°8), pour une somme plus modique (9€ le volume
double au lieu de 6,40 €), caractéristique du format
bunko*. Cependant, le format reste le même que le premier,
Glénat n'ayant sans doute pas jugé bon de modifier la taille de
ses manga (à noter que Glénat a lancé ses premiers
bunko* cette année). Les deux tomes ne sont
séparés par aucune démarcation visible (comme une
illustration pleine page), le récit suit son cours sans rien laisser
paraître. Ce sont les seules modifications notables dans cette version
double qui reprend toutes les autres caractéristiques de la
précédente.
La dernière édition de Dragon Ball a
été lancée en 2003. Présentée dans un
coffret cartonné de couleurs noire et rouge soulignées de
doré, elle regroupe deux tomes de la série (Cf. annexe
n°9).
Cette édition a été entièrement
retravaillée à partir de l'original. Les livres
bénéficient désormais de jaquette, qui est semblable
à la japonaise (Cf. annexe n°10), aussi bien au
niveau de la graphie que de l'illustration, ou encore des rabats sur lesquels
figure la traduction des textes japonais des rabats de l'édition
originale.
La traduction a été prise en charge par une
nouvelle personne. Par exemple, les onomatopées sont certes toujours
traduites mais elles sont plus réalistes et, point important, plus
proches de la graphie japonaise.
De plus, les noms des personnages ne sont plus, comme dans les
deux premières éditions, les mêmes que dans le dessin
animé où la traduction laissait parfois à désirer
selon les puristes, mais la traductrice a conservé leurs noms originaux.
Ainsi, «Tortue géniale» redevient «Kamé
Sennin» (Cf. annexes n°11 à 13).
Un travail d'adaptation a été fait. Les
idéogrammes présents dans les décors sont traduits sous
les cases ainsi que les noms japonais des personnages qui ont parfois une
signification à l'image de Kamé Sennin (Cf. annexe
n°14).
Le sens de lecture japonais permet également de
remettre le coeur du héros à sa place !
Les illustrations finales ont été
également reprises mais les deux pages consacrées au
mangaka* n'ont pas été traduites.
Cette réédition, vendue relativement cher, fait
figure d'un ouvrage luxueux et est présenté comme tel. Cependant,
il n'en est rien car ce n'est qu'une réplique de l'édition
classique japonaise.
4.2. Traduction, adaptation et fabrication d'un
manga
Plusieurs étapes sont nécessaires avant la mise
en place des manga dans les rayonnages des librairies.
4.2.1. La traduction/ adaptation
Une bande dessinée japonaise ne nécessite pas
uniquement une traduction ; elle doit aussi être adaptée afin
que le lectorat comprenne les multiples références à la
culture nippone.
4.2.1.1. Les difficultés de la traduction
Tout en amont de la chaîne de production existe le manga
en version originale, en langue japonaise. Les éditeurs français
négocient le montant des droits avec leurs homologues japonais. Prenons
l'exemple des éditions Tonkam.
« Pour un titre donné, on propose un tirage,
un prix de vente, un taux de royalties et le nombre de volumes qu'on
négocie (mettons les trois premiers). On calcule ensuite l'avance des
droits comme suit : nombre de volumes x tirages x royalties x
prix de vente hors taxes. Si on prend, mettons Hikaru no Go volumes 1
à 3, cela donne : 3 x 10.000 x 0,1 x (5/ 1,055) = 42.654 euros. 0,1
correspond à des royalties de 10% du prix de vente hors taxes et comme
la TVA sur le livre est de 5,5%, le prix public hors taxes s'obtient en
divisant le prix TTC par 1,055. »46(*)
En principe, les droits sont négociés sur 5 ans
(et par tranches de 6 titres par an) et renouvelés presque à
chaque fois.
Une fois les droits acquis sur un titre, il faut mettre en
oeuvre la traduction, comme pour n'importe quel autre livre de langue
étrangère. L'éditeur se trouve confronté à
un premier problème : trouver le traducteur idoine.
Avant l'arrivée du manga dans le paysage
éditorial français, les traducteurs de titres japonais
étaient portion congrue. Hormis quelques éditeurs
spécialisés (comme les éditions Philippe Picquier) et des
titres apparaissant sporadiquement au catalogue de certains éditeurs,
les oeuvres asiatiques restaient inaccessibles au profane. Cet ethnocentrisme
occidental dû en grande partie à l'importance et à
l'influence culturelle de la production américaine en France
n'était guère propice au développement de la traduction
d'oeuvres japonaises et impliquait donc un nombre restreint de traducteurs.
Là où les anglicistes pouvaient se compter par dizaines, les
traducteurs de japonais étaient chose rare.
L'apparition du manga dans les années 1990 et
l'engouement des lecteurs qui a suivi ont évidemment
nécessité un recours à des traducteurs en quantité
de plus en plus importante avec le développement de ce secteur
éditorial.
Face à une production qui, aux débuts de la
bande dessinée nippone en France, était dérisoire,
certains lecteurs, parmi les premiers amateurs de manga, se mirent à
apprendre le japonais pour avoir ainsi à leur disposition un catalogue
de titres pléthorique. L'apprentissage de cette langue par les jeunes
Français mis de fait de nouveaux traducteurs potentiels à la
disposition des éditeurs.
La pénurie de personnes capables de traduire le
japonais allant en s'amenuisant, les éditeurs ne furent plus tenu
à des sorties sporadiques et multiplièrent les titres.
À l'heure actuelle, la pénurie de traducteurs
n'est plus d'actualité en ce qui concerne le manga. Il n'est
désormais pas rare que les éditeurs reçoivent des demandes
spontanées de traductions. La multiplication des titres et des maisons
d'édition publiant de la bande dessinée japonaise ainsi que la
pérennité du «phénomène manga» en France
(Akira, premier manga ayant reconnu la popularité en France a
été traduit il y a 15 ans) ont favorisé de telles demandes
spontanées.
Les éditeurs peuvent désormais choisir parmi
plusieurs dizaines de traducteurs spécialisés et opter de
travailler avec l'un d'eux selon sa capacité à rendre une
écriture idéographique intelligible en langage
alphabétique.
La traduction de manga nécessite :
- une parfaite maîtrise du français et du
japonais : la transposition doit en effet être la plus fidèle
possible et restituer les différentes subtilités de la
langue ;
- de connaître le langage spécifique de la bande
dessinée ;
- de posséder une bonne culture
générale ;
- d'aimer, bien évidemment la production graphique
nippone.
4.2.1.2. Les subtilités de l'adaptation
Le Japon est, comme chaque nation du monde, un pays aux
références culturelles très spécifiques. Il a son
économie, ses produits, ses us et coutumes, ses légendes.
Transcrire un manga en français n'est donc pas un simple calque de
l'oeuvre originale. Il faut rendre les références culturelles,
sociales ou économiques intelligibles au public francophone. Ceci est le
travail de l'adaptateur.
La fonction d'adaptation existe à un degré plus
ou moins variable selon les langues traduites, mais elle se
révèle essentielle pour le manga (ou toute bande dessinée
de langue étrangère). La retranscription des dialogues et des
textes, dans le cas du manga, nécessite un certain niveau de
connaissance de la culture nippone. Un grand nombre de détails, de
termes typiquement japonais et ne renvoyant à aucun
référent français désignent des aliments, des
lieux, des comportements qui sont donc mis plus ou moins en conformité
avec la culture du pays du traducteur. Certains éditeurs
préfèrent conserver certains termes dans la langue maternelle du
mangaka* et les traduire en fin de volume, dans un souci, chez
Delcourt par exemple, d'ouverture et d'apprentissage d'une culture et d'une
philosophie de la vie autre qu'occidentale.
De telles modifications sont d'autant plus difficiles
à mettre en oeuvre qu'elles ne doivent pas rajouter de sens au texte
original. Elles doivent aussi cadrer avec le rythme des cases et des
pages : il est inutile de mettre un long texte (même très
explicite) pour une case où l'action est prépondérante, ou
bien si l'ambiance du manga ne s'y prête pas. Une scène de combat
ou une bande dessinée intimiste ne se prête pas à de
longues tirades. De même qu'il faut expliquer les éléments
restant volontairement en japonais dans un souci de respect de l'oeuvre, ou
comme nous l'avons vu ci-dessus, comme moyen d'ouverture à la culture
asiatique. Il est primordial de donner des clés au lecteur. En somme,
l'adaptateur doit naviguer entre le texte original et le lectorat pour proposer
une version qui ne trahisse ni les idées exprimées par l'auteur
ni les attentes du lecteur.
Ce travail de traduction et d'adaptation peut être
aussi bien pris en charge par deux personnes distinctes que par une seule.
Toutefois, même s'il est effectué par deux japonisants, ceux-ci se
contactent régulièrement pour dialoguer de telle ou telle
subtilité linguistique, ce qui peut prendre du temps.
Évidemment, si la tâche est
réalisée par un seul et même spécialiste du Japon,
les délais de retour à l'éditeur sont bien moins
importants mais tout de même variables en fonction du contenu culturel du
manga.
« Certains [manga] vont assez vite, car assez
linéaires, sans références particulières (...) ou
simplement parce qu'on connaissait bien l'original avant de travailler dessus.
Certains, au contraire, demandent beaucoup de temps, de documentations et
d'implications [...]. Disons qu'étalé, ça prend quelques
jours à quelques semaines. »47(*)
4.2.1.3. Des conceptions éditoriales
différentes : quelques exemples
Pour mieux illustrer notre propos, il nous semblait
nécessaire d'étudier le travail effectué par les
éditeurs pour restituer en français toute la richesse et la
subtilité de la langue nippone. Pour ce faire, nous avons
sélectionné trois manga représentatifs de la production
actuelle en terme de traduction/ adaptation : Ranma ½ n°1
de Rumiko TAKAHASHI (Glénat) ; Captain Tsubasa (Olive et
Tom) n°1 de Yoichi TAKAHASHI (J'ai lu) et Black Jack n°1
d'Osamu TEZUKA (Asuka).
Les deux premiers ne bénéficient que d'une
simple traduction (Ranma ½ a été traduit par Kiyoko
Chappe et Captain Tsubasa doit sa version française à
Atsuko SASAKI et Roger Marti) tandis que le dernier a été traduit
puis adapté par une autre personne (traduction de Jacques Lalloz et
adaptation de Renaud Dayen).
Seul les éditions Glénat ont opté pour un
sens de lecture français (Cf. annexe n°15).
Néanmoins, J'ai lu propose certes une édition en sens japonais,
mais les cases sont numérotées afin d'aiguiller le lecteur qui
peut être désorienté par une lecture de droite à
gauche (Cf. annexe n°16). Cependant, cela altère
l'oeuvre du mangaka en empiétant sur ses dessins. En revanche, les
éditions Asuka tentent de respecter au mieux l'édition
originale.
« Note de l'éditeur. Nous
avons tenu à publier les oeuvres d'Osamu TEZUKA, aujourd'hui
décédé, dans le sens de publication original, par respect
pour son travail qui est à juste titre considéré comme un
joyau de la culture japonaise.
De même aucune modification n'a été
opérée sur ses dessins et les onomatopées n'ont pas
été traduites afin de ne pas altérer sa conception
graphique. »48(*)
De même, Glénat traduit les onomatopées
(politique qu'il n'adoptera plus désormais à la demande des
éditeurs japonais qui, mécontents de leur travail sur certains
titres, menaçaient de lui retirer les licences desdites
parutions) (Cf. annexe n°15). Dans Captain
Tsubasa, si les onomatopées en version originale sont certes
conservées, elles côtoient la traduction française, ce qui
rend les planches surchargées et quasiment illisibles (Cf.
annexe n°16). Asuka a opté, dans Black Jack et dans
tous ses autres manga, de conserver les onomatopées en japonais pour ne
pas altérer la conception graphique des différents mangaka qu'il
édite. Cependant, dans le manga d'Osamu TEZUKA, certaines sont
sous-titrées lorsque elles ne sont pas compréhensibles
grâce au contexte, c'est-à-dire lorsqu'elles ne reflètent
pas l'état d'esprit d'un personnage ou qu'elles figurent un son
(Cf. annexe n°17).
Toutefois, si Glénat traduit, dans Ranma ½,
tous les éléments japonisants dans les dialogues,
l'éditeur conserve néanmoins certains textes en langue nippone
dans les éléments du décor et en traduit d'autres
(Cf. annexe n°15). Leur politique éditoriale est,
dans le cas suivant, pour le moins obscure. Il en est de même pour J'ai
lu qui en traduit certains et en sous-titre d'autres. Asuka opte
également pour une traduction directe des éléments du
décor et ajoute parfois une note explicative lorsque la traduction peut
s'apparenter à une erreur d'impression (Cf. annexe
n°18).
Asuka a effectué dans ce premier volume de Black
Jack un travail d'adaptation soigné et détaillé. Par
exemple, Renaud Dayen a tenté de restituer les accents des provinces
japonaises49(*).
« Notes du traducteur et de
l'adaptateur. Dans un souci de respect de l'oeuvre d'Osamu TEZUKA,
nous avons décidé d'adapter les noms de certains personnages pour
essayer de reproduire les jeux de mots originaux.
De même dans l'histoire «Retrouvailles» nous
avons opté pour le tutoiement en vue de leur relation amoureuse
passée [entre le docteur Black Jack et une femme atteinte d'un cancer]
alors que la version japonaise utilisait les formules de politesse
courantes. »
(Cf. annexe n°19)
4.2.2. Le travail des planches
Une fois la traduction et l'adaptation effectuées,
vient le travail des planches (généralement réalisé
en interne chez les éditeurs, contrairement à l'étape
précédente). L'importance de ce travail résulte des
particularités du japonais : c'est une langue se lisant de droite
à gauche et dans un sens vertical. Le français, au contraire, se
lit de gauche à droite et à l'horizontale. Le travail des
planches de manga consiste donc à passer d'une lecture verticale et
japonaise à une lecture horizontale et française.
Une telle retouche suppose de déterminer le sens de
lecture de l'ouvrage français : se lira-t-il de droite à
gauche (sens japonais de lecture) ou de gauche à droite (sens
français de lecture) ?
Le premier choix permet de réaliser des
économies sur les coûts de production et de moins dénaturer
l'oeuvre originale, mais c'est au lecteur de s'adapter au livre. Le second
cadre en revanche plus avec les habitudes de lecture françaises mais
implique des coûts et des délais plus importants. Ici, tout est
fonction des éditeurs. Lorsque Glénat a lancé Dragon
Ball sur le marché, il se lisait à la française.
Tonkam a en revanche choisi de n'éditer ses premiers manga que dans le
sens japonais (certains seront, par la suite, édités en sens de
lecture français). L'essentiel est surtout d'avoir l'aval des auteurs et
des éditeurs japonais. On observe cependant depuis près de deux
ans un ralliement au sens de lecture japonais : il semble que les lecteurs
se soient habitués à ce nouveau mode et que, par
conséquent, cela permette aux éditeurs de réaliser de
sérieuses économies.
Nous nous attacherons à exposer la PAO (Production
Assisté par Ordinateur) pour un ouvrage dans le sens de lecture
français, dans la mesure où certains titres seront toujours
traduits avec ce sens de lecture. Pour les ouvrages imprimés à la
japonaise, il suffit juste de supprimer le stade de l'inversion. Le reste de la
PAO est identique.
Les éditeurs français disposent soit des films
de l'ouvrage (fournis par l'éditeur japonais contre
rémunération) soit du livre japonais imprimé. Dans ce
dernier cas, il leur incombe de «désosser» (le découper
page par page) le livre pour le flashage. Les planches ainsi scannées
seront retouchées par ordinateur (éclaircissement, réglage
des contrastes, etc.) afin que le rendu d'impression soit le meilleur possible.
Dans certains cas extrêmement rares, ils disposent directement d'un
support informatique qui peut même aller jusqu'à la
télétransmission par Internet. La première étape
demeure dans tous les cas la récupération de l'iconographie.
L'opération suivante consiste alors à inverser
les pages. Une telle manipulation n'est ni plus ni moins qu'une symétrie
axiale mais elle crée quelques difficultés d'ordre
éthique. En effet, le principal problème d'une telle adaptation
est que tous les héros se retrouvent ainsi gauchers. Un tel
détail en lui-même ne bloque pas la compréhension de
l'oeuvre mais soulève l'indignation des puristes.
Une telle inversion implique enfin un travail complexe sur
les textes et les enseignes qui peuvent apparaître dans les dessins et
les décors. Il ne s'agit plus ici de simplement adapter les
phylactères mais bel et bien le paratexte du manga. Ceci implique une
recréation graphique. Toutefois, certains éditeurs tels que
Casterman n'inversent pas les cases contenants des éléments
écrits dans le décor.
On comprend alors pourquoi les éditeurs ont
préféré se tourner vers des manga avec un sens de lecture
à la japonaise.
Une fois l'inversion achevée vient le travail des
planches proprement dit. Les cases ont été préalablement
indexées pour éviter les quiproquos de traduction. Il ne s'agit
plus ici de remplacer les textes japonais par des textes d'une autre langue,
mais bel et bien de réadapter les bulles pour une lecture à
l'occidentale (à l'horizontale et non pas à la verticale),
d'effacer les nombreuses onomatopées qui ne manquent pas
d'émailler le texte, et de les remplacer par le bruit adéquat
(quand traduction des onomatopées il y a), de remplacer les trames (qui
permettent les variations de gris sur une planche de manga) ainsi
marquées par le passage de la version retravaillée. Une telle
étape se fait généralement en deux temps : d'abord un
«nettoyage» de l'ensemble des bulles et/ ou onomatopées du
manga (si l'éditeur dispose des films, il lui suffit juste de gratter le
film noir) et ensuite la pose des textes.
Lorsque les éditeurs optent pour une traduction des
onomatopées, il faut, dans un premier temps, trouver la correspondance
sonore en français (klang, bing, tap tap...) puis la mettre en forme
sous un logiciel type Illustrator. L'onomatopée française doit
remplacer la japonaise, et remplir la même fonction. Elle doit donc
être aussi dynamique du point de vue formel que l'originale et pas un
simple collage de traduction. Dans certains cas cependant, l'onomatopée
n'est pas retravaillée. Une traduction est juste parfois ajoutée
en sous-titre ou en parallèle pour le lecteur français.
Après cette nouvelle étape de
réinvention graphique vient le lettrage. Le lettreur doit insérer
les textes, mais souvent, les bulles sont, soit trop grandes, soit trop petites
pour les textes qu'elles doivent contenir, rendant le dessin plus nu dans le
premier cas ou empiétant sur l'image dans le second.
Le lettreur agit donc comme un adaptateur graphique,
augmentant ou rétrécissant les blocs textes pour qu'ils cadrent
avec les phylactères. Parfois, si la manoeuvre est trop délicate,
la bulle est agrandie ou le corps de texte diminué (néanmoins la
diminution ne peut pas être trop importante sous peine d'amoindrir le
confort de lecture). Dans les cas les plus rares, la forme du phylactère
est modifiée et il faut parfois redessiner une part de l'image.
Le lettreur a donc à sa disposition toute une palette
d'outils, à charge pour lui de veiller à
l'homogénéité graphique de la page.
La révision des textes est le dernier stade du travail
sur les planches. Après les corrections orthographiques et grammaticales
d'usage, ces dernières sont généralement soumises à
l'éditeur japonais, car ce dernier réclame souvent de
vérifier avec l'auteur si la traduction est en conformité avec
l'esprit du livre. Une fois les ajustements et les modifications
effectués, le titre peut partir chez l'imprimeur. Au final, il peut donc
se dérouler six à huit mois entre le choix de l'album à
éditer et son impression et sortie en France.
4.2.3. Impératifs de
fabrication
La PAO terminée, la fabrication peut commencer. Il faut
savoir que, même si la fabrication d'un manga s'apparente à
première vue à celle d'un livre de poche, elle revient beaucoup
plus cher. En effet, l'impression réclame minutie et rigueur car
l'éditeur pourrait se voir refuser l'ouvrage par son homologue japonais
si le travail sur le titre traduit n'est pas de bonne qualité.
Les impératifs de fabrication sont en effet draconiens.
Le «trait» du dessinateur japonais doit être respecté
malgré l'inversion du sens de lecture. La finition et le brochage
doivent de plus être irréprochables car ces livres de poche
doivent toujours rester parfaitement reliés, même s'ils subissent
de multiples manipulations. En somme, le produit doit disposer d'une
qualité impeccable.
Il existe aussi une difficulté supplémentaire
par rapport au livre de poche : les jaquettes. En effet, la
quasi-totalité des manga disposent au mieux d'une couverture à
rabats et au pire d'une jaquette. Cela génère de nouvelles
difficultés techniques pour les imprimeurs car les jaquettes en couleurs
impliquent une opération supplémentaire dans le processus de
fabrication. La pose manuelle de telles jaquettes en sortie de ligne
réclame de plus des soins particuliers. Certains éditeurs
demandent l'assistance de CAT (Centres d'Aide au Travail) ou d'autres, ayant
des ressources financières conséquentes, acquièrent une
machine capable d'effectuer mécaniquement cette tâche
fastidieuse.
4. CONCLUSION
Au cours du présent mémoire, nous avons
proposé un panel de l'édition du manga en France, de la
fabrication de ce dernier à sa parution en librairie.
A travers l'exemple de six éditeurs (Glénat,
Tonkam, Casterman, Asuka, J'ai lu et Delcourt), nous avons retracé
l'histoire de la bande dessinée japonaise de la diffusion des premiers
dessins animés nippons à nos jours.
Cependant, par manque de recul nécessaire, nous
n'avons pu étudier les stratégies éditoriales mises en
place par certaines maisons qui n'ont été créées
qu'en 2004. L'évolution du marché français du manga aura
raison d'elles ou celles-ci seront s'y adapter et proposer un éventail
de titres foncièrement différents de la production actuelle.
En effet, au regard de la diversité de la production
nippone, le marché français est loin de présenter un panel
représentatif.
De même, certains éditeurs ne produisant que
sporadiquement du manga n'ont pu être retenus dans cette étude.
Il resterait également à aborder la
problématique des manhwa (nom donné aux bandes
dessinées coréennes) en France. Ces dernières sont en
effet de plus en plus nombreuses mais principalement proposées par un
seul éditeur. Ce marché peu concurrentiel peut-il mettre à
mal celui de la production nipponne en France et a-t-il un réel avenir
à l'instar du manga ?
Cependant, cette histoire est différente du point de
vue de chacune de ses maisons qui proposent leur propre vision de la production
asiatique.
Parmi elles se trouvent trois spécialistes de la bande
dessinée (Glénat, Casterman et Delcourt) qui offrent des
catalogues diamétralement opposés : celui du premier est
relativement commercial, privilégiant des auteurs reconnus et des
séries issues de dessins animés à succès, tandis
que les deux autres militent pour la reconnaissance du (ou de la) manga, de ses
qualités intrinsèques, et au-delà, de la richesse de la
culture nippone.
Asuka et les éditions Tonkam n'éditent que des
manga. Si ces dernières tenaient jusqu'à lors la position de
leader historique avec Glénat, celle-ci est mise à mal
par les paris éditoriaux ambitieux de sa concurrente, la maison Asuka
qui devait originellement dépendre de leur structure.
Enfin, l'éditeur de poche J'ai lu a, malgré sa
santé financière, quelques difficultés à se
maintenir dans le marché concurrentiel du manga. Son manque
d'originalité aura tôt fait de le rattraper et risque de mettre
à mal cette branche de leur activité. La fin de l'année
2005 apportera sûrement quelques réponses quant au sort futur de
la collection J'ai lu manga.
Même si la vitalité éditoriale de la
bande dessinée en général et de la production nippone en
particulier n'est plus à démontrer, la prépublication est
néanmoins un échec en France.
Bien que relancée par deux grands éditeurs (Pika
et Tonkam), celle-ci ne remporte pas le succès escompté dans
l'Hexagone. Magnolia (Tonkam) a pris fin en janvier dernier
après treize mois d'existence et Shonen collection (Pika) ne
trouve pas un lectorat suffisant au regard de l'investissement financier de
l'éditeur.
Ceci tient en partie de la sacralisation de l'objet livre en
France. Au Japon, les mangashi* sont destinés à
être jetés après une lecture rapide. Ils finissent dans des
containers spéciaux prévus pour le recyclage du papier. Dans
notre pays, le destin d'un livre est tout autre et, une fois terminé, ce
dernier est bien souvent remisé dans une bibliothèque.
De plus, les mangashi* français sont bien plus
chers que leurs homologues nippons et bien plus luxueux du point de vue de la
reliure et du papier. Le format japonais (hebdomadaire peu coûteux et de
mauvaise facture) ne peut être appliqué dans notre territoire au
regard du nombre de lecteurs (30.000 à 40.000 pour plusieurs millions au
Japon !).
« Je ne pense pas qu'il y ait un avenir lucratif
à la prépublication en France. Je ne pense pas que ça va
être la nouvelle mine d'or de demain parce que le marché n'est pas
le même, parce que les gens qui aiment le manga préféreront
toujours acheter des séries en volumes reliés que de
collectionner un magazine. »50(*)
Si le manga est un succès éditorial à
l'heure actuelle, on peut toutefois affirmer que la prépublication n'a
aucun avenir dans l'Hexagone.
Cependant, Pika n'envisage pas pour le moment l'abandon de son
mensuel et entrevoit même de publier des auteurs français
inspirés par le style graphique nippon.
D'autres projets sont en cours pour 2005 notamment la
création en septembre d'un nouveau label manga chez un éditeur
spécialisé dans le livre de poche à l'instar de J'ai lu,
Fleuve noir. Baptisée Kurokawa, traduction littérale du nom de la
maison d'édition, cette collection dirigée par Grégoire
Hellot (qui fut journaliste spécialisé dans les jeux
vidéos puis libraire) promet quelques innovations.
Elle proposera ainsi un segment «Humour», genre
encore peu traduit en France et comportant des risques financiers pour
l'éditeur. Le comique est en effet fortement ancré dans la
conscience et la culture collectives de chaque pays et d'autant plus
différent lorsque ceux-ci se trouvent sur deux continents distincts.
Seront également proposés des manga
destinés à un lectorat féminin de tout âge. Le
premier, Kimi wa Pet (littéralement, Tu es mon animal
domestique) de Yayoi OGAWA est numéro un au Japon auprès des
24/ 30 ans, avec plus de trois millions d'exemplaires vendus51(*).
Le projet d'éditer des romans en lien avec des manga et
inversement (à l'instar des adaptations de séries à
succès en romans proposées par l'éditeur) est à
l'étude mais repoussé à une date ultérieure.
Ce succès n'est pourtant pas dénué
d'inquiétudes. En effet, le manga court le risque d'être victime
de sa réussite, rançon déjà payé par
l'éditeur Muteki qui a cessé toute activité après
à peine un an d'existence.
Si la bande dessinée japonaise faisait ses premiers pas
il y a une dizaine d'années sur le territoire français, elle
connaît une situation proche de la surproduction. Les titres inondent le
marché et frôlent les 80 sorties par mois. Dès lors, des
mesures vont certainement s'imposer aux éditeurs.
De fait, les rayonnages des librairies s'engorgent et
celles-ci, souffrant déjà d'un manque de place lié aux
multiples parutions de livres ont face à elles plusieurs
alternatives.
La première est de négliger tout un pan de la
production notamment la moins commerciale ou la moins diffusée au
détriment des petites structures éditoriales.
Il leur est également possible d'effectuer une mise en
place plus faible, leur permettant d'avoir plus de choix mais en accroissant la
difficulté pour les lecteurs de trouver un tome d'une série
déjà ancienne, la priorité étant alors mise sur la
nouveauté du fait d'une vitesse de rotation élevée.
Les éditeurs risquent de surcroît des retours
importants et les conséquences peuvent être diverses et
variées : arrêt de certaines séries, choix commerciaux
au mépris de l'originalité et de la qualité, disparition
de certaines maisons...
Ce risque d'engorgement peut néanmoins être
relativisé. En effet, la France a toujours été un grand
producteur et importateur de livres et de bandes dessinées, et ces
dernières ne se sont jamais aussi bien vendues que depuis
l'entrée du manga dans l'Hexagone.
La diversité de ce dernier permet aux éditeurs
de proposer toujours de nouveaux titres, de nouvelles thématiques, et de
toucher un plus large public, notamment les femmes, grandes oubliées de
la bande dessinée traditionnelle.
Néanmoins, il reste encore au manga à parcourir
un long chemin afin d'être reconnu et étudié comme l'est et
l'a été la production franco-belge, et de faire oublier son lourd
passé de «japoniaiserie».
* 1 Patrick Gaumer, Larousse
de la BD, Larousse (édition 2005), pp. 46 et 47
* 2 Ibid., p. 516
* 3 Pour comparaison, au Japon,
le catalogue des manga disponibles en librairies est de 70.000 titres environ
soit un marché de la bande dessinée qui représente plus de
quatre milliards et demi d'euros (Source : Newsweek Japon,
numéro du 18 juin 2003).
* 4 Source des chiffres :
Gilles Ratier, secrétaire général de l'ACBD (Association
des Critiques et journalistes de Bande Dessinée), « 2004,
l'année de la concentration », bilan disponible sur le site
Internet suivant :
www.bodoi.com.
* * J'aborderai ces
différents auteurs dans la partie sur les éditeurs.
* 5 Pascal Lardellier,
« Ce que nous disent les manga... », Le Monde
diplomatique, décembre 1996.
* 6 Gilles Ratier,
secrétaire général de l'ACBD (Association des Critiques et
journalistes de Bande Dessinée), « 2004, l'année de la
concentration ».
* 7 Appelées
E-makimono, ces peintures se déroulaient au fur et à
mesure, découvrant ainsi progressivement le récit. C'est la
première forme d'art graphique narratif japonais répondant
à certains codes graphiques notamment pour la représentation des
saisons, comme dans les mangas actuels. Longues d'environ trois mètres,
ces oeuvres combinaient des textes calligraphiés, appelés
Kotobagagi et des illustrations.
* 8 HOKUSAI est également
très connu en Occident (il a inspiré, entre autres, Gauguin et
Van Gogh) pour ses Vues du mont Fuji. A sa mort, son oeuvre comprend
plus de 30.000 dessins. Ses derniers mots seront : « Encore
cinq ans et je serais devenu un grand artiste ».
* 9 TEZUKA Productions,
Osamu TEZUKA, biographie 1928-1945, collection Écritures,
Casterman, 2004.
* 10 Toutefois, la production
franco-belge actuelle tend vers une organisation plus libre de la planche
à l'instar de la bande dessinée nippone.
* 11 Je pense notamment aux
collections «Sakka» et «Ecritures» des éditions
Casterman (cf. 2.2.1. - Casterman : une politique d'auteurs
élitiste).
* 12 Anh Hoà Truong
« J-D Morvan : «Le manga peut sauver la bande
dessinée», L'année de la BD n°3.
* 13 Benoît Peeters,
Lire la bande dessinée, «Champs n°530»,
Flammarion, 2002.
* 14 Jean-David Morvan
in Anh Hoà Truong, « J-D Morvan : «Le manga
peut sauver la bande dessinée», L'année de la BD
n°3.
* 15 Cf. 3 - La
prépublication en France
* 16 Glénat reste
néanmoins le premier éditeur français de manga.
* 17 Laurent Turpin,
« D'un leader à l'autre », L'Année de la
BD n°3.
* 18 Tous ces chiffres sont
ceux donnés par l'éditeur lui-même sur son site (cf.
bibliographie).
* 19 Source :
www.actuabd.com
* 20 Source : catalogue
papier des éditions Glénat (2004).
* 21Johan Scipion,
« Glénat, 15 ans déjà », entretien
avec Laurent Muller, directeur du développement éditorial et
audiovisuel, AnimeLand n°93, juillet/ août 2003
* 22 «Tonkam» est une
déformation du mot tongkam, nom donné à Dominique
Véret par un moine thaïlandais en 1984 pendant l'un de ses nombreux
voyages dans ce pays. Cela fait symboliquement référence à
l'or, à la fortune.
* 23 A titre évocateur,
les trois derniers tomes (soit les numéros 40, 41 et 42) de Dragon
Ball en japonais ont été vendus à plus de 5.000
exemplaires pièce, rien qu'en magasin.
* 24 Mangavoraces
n°15 daté du janvier 1999
* 25 Sébastien Kimbergt,
« Portrait Tonkam », AnimeLand n°96, novembre
2003.
* 26 Sébastien Kimbergt,
« Portrait Tonkam », AnimeLand n°96, novembre
2003.
* 27 Benoît Huot
in Sébastien Kimbergt, « Portrait Tonkam »,
AnimeLand n°96, novembre 2003.
* 28 Guillaume Prieur,
directeur artistique des éditions Casterman et concepteur de la ligne
graphique d'Écritures, Castermag n°4.
* 29 Stéphane Jarno,
« Le manga se lève à l'ouest »,
Télérama n°2875, 16 février 2005.
* 30Jiro TANIGUCHI in
Romain Brethes, « Nourri à la BD
européenne », Bang ! n°1, mars 2005.
* 31 Source : Catalogue
papier Sakka de septembre 2004.
* 32
L'intégralité du manifeste est consultable sur le site
personnelle de Frédéric Boilet,
www.boilet.net. Les citations qui
suivent sont extraites de ce texte (sauf indications).
* 33 J'aborderai ce point dans
le paragraphe suivant intitulé Sakka : une nouvelle
manga ?.
* 34 Bien souvent, les
éditeurs français reçoivent le manga relié et
doivent le découper page par page pour le flashage (cf. 4. La
traduction/ adaptation et la fabrication d'un manga).
* 35 Source :
www.mangaverse.net
* 36
www.asuka.fr
* 37 Source :
www.manga-nese.com (interview de
Raphaël Pennes)
* 38 Source : ibid.
* 39 Nicolas Penedo,
« Portrait J'ai lu », AnimeLand n°99, mars
2004.
* 40 Source chiffres :
www.mangaverse.net
* 41 Source :
www.editions-delcourt.fr/historique.php
* 42 Source : Benoît
Huot, secrétaire d'édition chez Tonkam.
* 43 Source :
www.animeland.com
* 44 L'éditorial du
numéro 1 annonçait que la condition principale pour que ce projet
existe était qu'aucun des titres publiés dans Magnolia
ne sorte en volume relié.
* 45 Témoignage de
Tsubaki sur le forum des éditions Tonkam.
* 46 Benoît Huot,
secrétaire d'édition chez Tonkam.
* 47 « Le monde
méconnu de la traduction », interview de Daniel Andreyev,
www.mangagate.com.
* 48 Osamu TEZUKA, Black
Jack n°1 (p. 2), Asuka, 2004.
* 49 Cf. Annexe n°7 -
planche issue de Black Jack d'Osamu TEZUKA (Asuka).
* 50 Sébastien Moricard,
chargé des relations presse aux éditions Tonkam.
* 51 Source :
Stéphane Ferrand, « Bilan du marché manga en
2004 », Le Virus manga n°8, mars/ avril 2005.
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