Paragraphe1 : L'interprétation restrictive de la
Charte
Soutenue par d'éminents juristes tels que
Brownlie, Zanardi et Roling1, cette interprétation
limite le champ de l'article 51. Elle se fonde sur l'esprit de la Charte
(A) dont le
but étant de réduire l'usage de la force,
n'autoriserait la LD sous aucune autre condition qu'une agression
armée préalable (B).
A- Le fondement : l'esprit de la
Charte
La Charte des Nations Unies a pour but, tout comme l'Organisation
qu'elle régit, de
veiller à la limitation scrupuleuse de
l'insécurité internationale. Cette attitude se justifie par la
longue évolution juridique observée depuis la Convention
Drago-Porter en 1907 et par les horreurs suscitées par la
deuxième guerre mondiale. Par cette Charte les Etats ont alors
convenu de rendre presque inaccessible, le droit de faire la guerre. C'est
à défaut de supprimer définitivement ce droit qu'ils ont
autorisé à une fin exceptionnelle, la légitime
défense. Cette dernière se situe donc dans le restreint sillage
des exceptions à l'interdiction de recourir à la force.
Ainsi, depuis l'entrée en vigueur de la Charte,
le principe majeur des relations internationales semble désormais
être l'obligation de règlement pacifique des conflits. A ce titre,
l'article 33 de la Charte dispose comme suit : « Les parties
à tout différend dont la prolongation est susceptible
de menacer le maintien de la paix et de la
sécurité internationales doivent en rechercher la solution,
avant tout, par voie de négociation, d'enquête, de
médiation, de conciliation, d'arbitrage, de règlement judiciaire,
de recours aux organismes ou accords régionaux, ou par d'autres
moyens pacifiques de leur choix. » L'article 33 est
renchéri par l'article 2 paragraphe 4 qui stipule que :
« Les Membres de l'Organisation s'abstiennent, dans leurs relations
internationales, de recourir à la menace ou
à l'emploi de la force, soit contre
l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de
tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des
Nations Unies. » La lecture cumulée de ces deux dispositions
prouve que non seulement la Charte interdit strictement le
recours à la force, mais impose également aux Etats
une obligation de règlement pacifique.
1 Chacun de ces auteurs a exposé ses
idées dans les ouvrages suivants: Brownlie. International law
and the use of force by
states. Oxford : Clarendon Press, 1963 ;
Zanardi. La legitima difesa nel diritto internazionale.
Milan: A. Giuffré, 1972 ; Roling. On the prohibition of the
use of Force (essays in honour of J. STONE). Londres:
Légal changes, 1983 (Cité par Jean-
Pierre Cot et Alain Pellet. La Charte des Nations Unies:
commentaire article par article. Paris: Economica, 1985, p. 770)
L'esprit de la Charte semble donc très précis : il
entend régir très solidement le recours
à la force sur la scène internationale. Par
conséquent, la légitime défense qui a été
reconnue dans la Charte comme un droit naturel, ne doit s'appliquer que si une
agression armée a eu lieu au préalable.
B- Le problème de la condition : une agression
armée préalable
Nous ne saurions commencer sans rappeler encore une fois
l'énoncé de l'article 51 :
« Aucune disposition de la présente Charte
ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense
[...] dans le cas où un membre des Nations Unies est l'objet
d'une agression armée
[...] »
A la première lecture, le texte semble clair : la
légitime défense doit être postérieure à une
agression militaire. Mais pour une lecture interprétative, il n'est pas
aisé d'apporter une appréciation. On pourrait lire le texte des
deux façons suivantes : 1-``Aucune disposition de la présente
Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense
[...] dans le cas où un membre des Nations Unies est l'objet
d'une agression armée en cours d'exécution [...] ''
2- ``Aucune disposition de la présente Charte ne
porte atteinte au droit naturel de légitime défense [...]
dans le cas où un membre des Nations Unies est l'objet d'une
agression armée
en cours de préparation [...] ''.
Dans l'un ou dans l'autre des cas, la suite de l'article
coïncide très bien. Mais un certain nombre de raisons permettent de
penser que la condition exigée est l'agression en cours
d'exécution et non l'agression en cours de préparation.
Tout d'abord, comme nous venons de l'indiquer, à
une première lecture, nous ne pourrions penser innocemment à
autre chose qu'à une agression dont l'Etat est déjà
victime. C'est d'ailleurs pourquoi cette interprétation fait
office d'interprétation restrictive : elle restreint la condition
posée à la première pensée que suscite la lecture
de l'article.
Ensuite lorsqu'on se réfère à l'un des
domaines du droit où la notion de légitime défense
est très bien quadrillée, en l'occurrence le droit
pénal interne1, parler de légitime
défense en l'absence d'une agression
exécutée paraît absurde.
1 Certes, le droit international et le droit interne
ne sont pas d'égale comparaison. Ils n'ont pas les mêmes origines,
les mêmes sujets ni les mêmes objectifs. Mais toute comparaison
n'est pas pour autant exclue car bien des notions sont nées du
droit
interne et ont malgré tout inspiré le droit
international. Il s'agit entre autres de la notion de responsabilité, de
la notion de coutume et même, dans une moindre mesure, de la notion de
légitime défense.
En effet, l'admission de la légitime
défense en droit pénal est soumise à un certain
nombre de conditions. Il faut en général pour cela: une violence
grave en cours d'exécution, l'impossibilité de recourir
à un autre moyen en dehors de la violence pour répondre
à la violence subie et enfin la proportionnalité des
moyens utilisés. Il s'agit d'une notion très
étroitement quadrillée en droit interne et qui n'a nul
intérêt à être étendue, car cet
élargissement comporte un énorme facteur de risques pour la
société. Ainsi, tout individu qui
se sentirait menacé par un autre pourrait se
prévaloir d'une LDP pour attaquer en premier son prochain.
Vu les évolutions du milieu international sur le
plan sécuritaire, il est possible que l'article 51 de la
Charte se prévale de l'étroitesse conférée
à la légitime défense en droit interne. En
admettant que la LD est dotée de la même
étroitesse, il sera difficile de comprendre l'érection par
certains sur le plan international, d'une thèse stipulant la
possibilité pour les Etats de recourir à une LD de type
préventif. Sous cet angle, la légitime défense,
aussi bien sur le plan interne que sur le plan international, semble être
vidée de son contenu juridique. Elle a plutôt un sens purement
littéraire et fictif. Une défense qui se veut préventive
n'est plus une défense : elle est tout sauf une défense. Pour
demeurer légitime, la défense doit forcément intervenir
après qu'une attaque ait eu lieu et non lorsque l'attaque est
inexistante.
La notion de guerre préventive semble donc être un
flou jeté sur le droit. La légitime défense
ne peut être valablement invoquée que
lorsqu'une agression a eu lieu au préalable. En
conséquence, la guerre préventive est illégale. Mais, ce
n'est point l'avis de ceux qui prônent l'interprétation extensive
de la Charte.
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