CHAPITRE 2 : QUELLE LEGITIMITE POUR LE CONCEPT DE LA
GUERRE
PREVENTIVE AU REGARD DE LA CROISADE IRAKIENNE ?
La guerre d'Irak nous a inspiré plusieurs
idées concernant la légitimité de la notion de
l'action préventive1. Nous dégagerons d'elle
d'une façon très générale, quelques
facteurs pouvant légitimer une guerre préventive et quelques
autres qui ne la légitiment point. Ce
n'est que de là, après comparaison des
deux groupes de facteurs, que nous pouvons dire à la fin si le
concept de la guerre préventive est légitime et à
quelles conditions elle l'est.
D'une part nous verrons les facteurs de légitimité
du concept (section 1) et d'autre part les facteurs
qui tendent à le désavouer (section
2).
1 Mais toutes ces idées ne sont pas tout
à fait nouvelles en soi. La plupart d'elles sont inhérentes au
concept de la guerre préventive. La guerre d'Irak n'a suscité
que l'émergence de quelques rares facteurs tels que : la mobilisation
de la masse
internationale contre le concept, la reconnaissante tacite de
l'ONU et quelque part le terrorisme international.
Section 1 : Les facteurs favorables à la
légitimité du concept de la guerre préventive
Au regard de l'intervention américaine en Irak, les
facteurs qui contribuent à légitimer
la doctrine de la guerre préventive sont au nombre de
deux : primo, l'insécurité internationale (paragraphe 1)
due à l'émergence des groupes terroristes de renom et
à la menace nucléaire ; secundo, la reconnaissance
apportée au concept par l'ONU (paragraphe 2).
Paragraphe 1 : L'insécurité
internationale
Pour envahir l'Irak, les Etats-Unis ont
présumé que celui-ci détenait des ADM et comptait
acquérir des armes nucléaires en vue de les transmettre à
des groupes terroristes. De
ces motifs, en admettant qu'ils sont avérés, on
peut déduire comme facteurs légitimant une guerre
préventive, non seulement le terrorisme international, mais
également l'insécurité des Etats vis-à-vis de la
menace nucléaire et chimique. Face à ces deux menaces, n'importe
quel Etat serait tenté d'invoquer cette doctrine, s'il en avait
les moyens. Il est difficilement acceptable pour tout Etat soucieux de
sécurité, de se laisser souffrir une attaque terroriste
avant de l'inhiber.
Pour ce faire nous expliquerons premièrement en quoi le
terrorisme international peut s'avérer être une agression et
mériter en tant que tel une répression de type
préventif au moyen même d'une guerre (A).
Deuxièmement nous montrerons le danger que peut constituer une menace
nucléaire, chimique, ou biologique pour l'humanité
entière. C'est après avoir dévoilé les risques
d'une telle menace, que nous dirons sous quelle condition la guerre
préventive est légitime lorsqu'il s'agit de
l'insécurité nucléaire (B).
A- Le terrorisme international : une menace à
la défense nationale des Etats
Nous montrerons dans ce sous paragraphe, en quoi le terrorisme
peut constituer une
menace de défense et plus
précisément une agression de sorte à justifier
légitimement une guerre de défense préventive. Mais
d'abord nous essayerons de donner une définition de ce
phénomène.
Il ressort du rapport du Secrétaire
Général des Nations Unies, « Dans une liberté
plus grande : développement, sécurité et respect des
droits de l'homme pour tous », une définition
intéressante du terrorisme international. Celui-ci est
défini comme « tout acte commis dans l'intention de causer
la mort ou des blessures graves à des civils ou à des
non-combattants,
dans le dessein d'intimider une population ou de
contraindre un gouvernement ou une
Organisation internationale à accomplir un
acte ou à s'abstenir de le faire »1. Ce
rapport rejette en outre, toute idée de l'existence d'un terrorisme
d'Etat mais n'exclut pas pour autant que le terrorisme, dans sa forme globale,
soit une menace à la défense des Etats.
Reconnaître en effet que le terrorisme est une
menace de défense, reviendrait à lui attribuer la
qualification d'une véritable agression, au sens le plus grave
du terme. Cela reviendrait aussi à dire qu'en tant que tel, les
groupes terroristes sont des armées potentielles
et que la réponse militaire serait une option de
défense contre ces supposées armées.
La plupart des Etats ont érigé en
principe, l'approche guerrière et militaire du
phénomène terroriste2 compte tenu de l'ampleur
et de la gravité de certaines opérations terroristes qui
prennent la forme d'une réelle déclaration de guerre. Les
exemples d'Israël et
des Etats-Unis d'Amérique peuvent être donnés
parmi les Etats qui ont fait cette option3. De
plus, on peut lire dans le livre blanc de la défense
nationale française de l'année 1994 que :
« certaines formes d'agression comme le terrorisme ou,
dans plusieurs de ses conséquences,
le trafic de drogue, prennent des dimensions telles
qu'elles peuvent menacer la sécurité ou l'intégrité
du pays ; la vie de la population ou contrarier le respect de ses
engagements internationaux. Elles relèvent dès lors de la
défense au sens de l'article 1er de l'ordonnance
du 7 janvier 1959»4. Le terrorisme
est donc considéré comme une menace pour la
défense
nationale ; ce qui implique qu'il laisse le champ ouvert
à une réponse de type militaire. C'est d'ailleurs l'exemple
concret de l'intervention américaine en Afghanistan qui a
été revêtue d'une légitimité consensuelle.
Cependant, la voie ouverte à l'option militaire de la guerre au
terrorisme, justifie t-elle pour autant une action militaire préventive
?
Certains Etats, et plus principalement les E-U, estiment
que oui. Car les nouvelles caractéristiques du terrorisme de masse
ne laissent guère le choix à l'Etat qui ne peut attendre
1 Précisons que cette définition quoi
que pertinente, n'a pas fait l'objet d'unanimité au sein des Etats
à cause de certaines tares qu'elle comporte. Au nombre de ces tares,
nous pouvons aisément remarquer qu'elle ne différencie pas le
terrorisme
d'une prise d'otages par exemple ; la prise d'otages peut ne pas
être du terrorisme mais peut consister pourtant à faire du
chantage à un gouvernement ou à une Organisation internationale.
En réalité, seul le contexte peut permettre de savoir si c'est
du terrorisme.
2 L'approche guerrière et militaire du
terrorisme signifie que les terroristes ne sont plus considérés
comme des civils. On leur attribue le statut de combattants militaires. Par
conséquent, ils sont traités comme tels. C'est pour cette raison
que certains prisonniers terroristes sont envoyés par l'armée
américaine à la prison militaire de Guantanamo.
3 Le cas d'Israël se justifie à deux
égards : l'exiguïté de son territoire et la nature
continuelle des attentats terroristes. Tandis que celui des E-U se justifie
assez largement par le 11 septembre qui a révélé au monde
entier les pires faces du terrorisme international.
4 Didier Bigo, Sophie Body-Gendrot, Philippe
Bonditti, et al. Défense et identités : un contexte
sécuritaire global ? Paris : L'harmattan, 1989, p. 19
de subir des pertes aveugles avant de réagir. En effet
ce nouveau type de terrorisme est celui illustré par les attentats du 11
septembre 2001 où les groupes terroristes cherchent à infliger le
plus de victimes possibles. Ils planifient les attaques sur plusieurs
années (formation de pilotes d'avions de lignes dans des écoles
occidentales, entraînement sur la stratégie d'attaque dans des
camps militaires sur une longue durée). Ils s'organisent en
branches dans tout le monde entier et capables de sévir
n'importe quand (exemple des attentats de Madrid et de Londres...).
Enfin, ils disposent d'une surface financière assez large et du soutien
de certains Etats. Surtout en fonction de cette dernière
caractéristique qui rend leur traque plus difficile,
les Etats peuvent estimer avoir le droit d'agir par la force
préventive pour se protéger.
Si toutefois ce droit ne leur est pas reconnu, il appartient
au minimum au Conseil de Sécurité des NU d'en faire usage
pour les protéger, surtout si la menace en question
était combinée à l'usage d'une arme biotechnologique.
B- L'insécurité nucléaire et
biotechnologique
Aujourd'hui, nombreux sont ceux qui pensent que le risque
de développement des
ADM par les Etats ou par les groupes terroristes, de
manière clandestine, est de plus en plus élevé.
«Les agents biologiques possèdent des
caractéristiques propres qui les rendent particulièrement
attractifs à des fins terroristes ». Au nombre de ces
caractéristiques, nous avons : la relative facilité de
production de ces substances, la difficulté à les
détecter, leur terrible impact psychologique, en plus ils ne
coûtent pas aussi chers que la fabrication d'armes
nucléaires.1 Les armes biologiques, moins chères que
les engins nucléaires, sont donc
à la portée de tous les Etats et groupes
terroristes. Toutefois, « si la probabilité qu'un engin
nucléaire tombe dans les mains de terroristes est
réduite, on ne peut l'écarter totalement, et
les conséquences en seraient catastrophiques
».
De cela on peut déduire que la menace, qu'elle soit
nucléaire, chimique, biologique ou même radiologique, existe
réellement et peut être mise en oeuvre de deux
différentes manières : soit par le biais d'un « Etat
voyou », soit par le biais d'un groupe terroriste agissant seul ou
agissant en collaboration avec un « Etat voyou ». Si il
arrivait que cette menace se réalise, plus personne n'en ignore les
conséquences. Il ne suffira qu'à jeter un regard sur les
effets encore actuel du largage des deux bombes atomiques sur
Hiroshima et Nagasaki2. (Voir
1Cf Dominique LEGLU. La menace, Bioterrorisme :
la guerre à venir. Paris : Robert Laffont, 2002, p. 171
en annexe l'image des ravages orchestrés par cette
bombe à Hiroshima). Pour empêcher que
ces conséquences redoutables ne se reproduisent sous
une forme terroriste ou agressive, la guerre préventive est-elle
envisageable ?
Quelque part, il est possible de répondre par la
négative, en donnant comme argument
la primauté de la prévention pacifique. Cette
prévention pacifique passe indiscutablement par
la politique de non prolifération dont l'axe
central est le traité de non prolifération (TNP). Sous un
certain angle, le traité a fonctionné. Depuis les années
1960, plus de vingt pays ont
tiré un trait sur des programmes d'armement
nucléaire, tout comme récemment la Libye.
Mais, paradoxalement, ce traité n'a pu
empêcher certains pays de développer leur armement. Certains
Etats refusent d'y adhérer (Israël, Inde, Pakistan), et d'autres
après y avoir adhéré, se retirent en le
dénonçant (Corée du Nord).1 La
prolifération nucléaire observée malgré la
prévention pacifique, démontre que cette seule voie ne suffit pas
pour empêcher les Etats de développer ces armes (voir en
annexe carte des pays disposant d'armes ou de programmes
nucléaires). Certes, il faudra la privilégier. Mais en cas
d'échec, que faire pour qu'une arme aussi dangereuse ne tombe en de
mauvaises mains ?
C'est à ce niveau que nous admettons le droit
de recourir à la force de manière préventive.
Toutefois, précisons que pour être légitime, ce droit ne
devrait être reconnu qu'au Conseil de Sécurité. Son
usage ne doit intervenir que si toutes les voies pacifiques ont
été épuisées en vain. Le Conseil de
Sécurité des Nations Unies pourra peut être le
déléguer à un Etat agissant seul, s'il le juge opportun. A
défaut d'une telle délégation, aucun Etat ne devrait
se prévaloir du droit à une guerre
préventive s'il s'agit du cas précis d'une menace due à la
prolifération nucléaire illicite. L'intervention du Conseil
doit être considérée comme le prolongement de l'action
de l'AIEA (agence internationale de l'énergie atomique). Elle doit donc
être le dernier recours. Mais ce recours se doit d'être
préventif. Son but est d' épargner l'humanité
entière des risques de l'utilisation malencontreuse, par des
groupes ou Etats
malintentionnés, des ADM.
2Les bombes larguées sur ces deux villes
japonaises ont causé respectivement sur place, 140 000 morts à
Hiroshima et 74 000
à Nagasaki. Soixante ans après, le nombre
d'irradiés (les survivants et leurs descendants atteints de
diverses séquelles)
s'élève à 266 600 selon les
autorités japonaises. (Cf. Yoshibumi Wakamiya. Pesantes
leçons de Hiroshima, Courrier international, N° 770 du
4 au 24 août 2005, p. 11)
1 En 1986, l'affaire Vanunu a pu
révéler au monde entier qu'Israël possédait un stock
de 200 bombes. Puis, en 1998, l'Inde a procédé à cinq
essais nucléaires. Deux semaines plus tard, le Pakistan en effectuait
six. (Cf. Bob Edwards. Elle court, elle
court la bombe.Courrier international, N°
770 du 4 au 24 août 2005, p. 9)
Sans avoir à le répéter encore, il
semble que l'insécurité internationale légitime
très bien le concept de la guerre préventive. Mais si
cela laisse encore douter quelques-uns, il faudra qu'on se
réfère à la reconnaissance apportée par
l'Organisation des Nations Unies à la notion.
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