PREMIERE PARTIE :
DE LA LEGALITE DU CONCEPT DE LA GUERRE PREVENTIVE
CHAPITRE 1er : LA LEGALITE DE LA GUERRE PREVENTIVE
AU
REGARD DE LA DOCTRINE
La doctrine est l'un des principaux fondements du droit.
Parler de légalité au regard de la doctrine peut paraître
un peu abusif. Mais il n'en est pas réellement ainsi. La doctrine
sert valablement de source au droit, et plus principalement au droit
international de la
guerre1.
Ainsi, deux doctrines nous serviront de fondements pour
analyser la valeur juridique de la guerre préventive. Il s'agit en
premier, de celle de la guerre juste (section 1) et en second,
de celle
de l'état de nature (section 2).
1 A plus forte raison, c'est de la doctrine qu'est
née l'idée d'un droit international, notamment à partir
des écrits célèbres de plusieurs auteurs tels que Hugo
Grotius ( De jure belli pacis [du droit de la guerre et de la
paix], 1625), Francisco de De Vitoria, Suarez, De Vattel etc. Ainsi
par exemple on va jusqu'à attribuer à Hugo Grotius la
paternité du droit international. Il
en en résulte que sans la doctrine, le droit
serait dépourvu d'une source très importante. Se faisant,
on ne peut parler de légalité en vertu de la loi ou du droit
sans faire allusion à la doctrine.
Section 1 : La doctrine de la guerre juste
Au sens large, l'expression ``guerre juste'' désigne
l'ensemble des considérations et pratiques qui visent à
déterminer les motifs pouvant justifier ou non l'usage de la force. Mais
dans un sens restrictif, elle est utilisée pour désigner la
théorie classique de la guerre juste, élaborée au
Moyen-Age par certains auteurs. Cette théorie instaure certaines
conditions à la guerre et ces conditions valent dans une certaine
proportion pour justifier de la valeur d'une guerre préventive.
Nous ferons d'abord, à toutes fins utiles,
l'exposé de cette célèbre doctrine
(paragraphe 1) et ensuite, nous analyserons ses
implications sur la guerre préventive (paragraphe
2).
Paragraphe 1 : Exposé de la
théorie
Elaborée tout d'abord au Moyen Age par les
ecclésiastiques, cette théorie a été reprise
à partir du XVIIème siècle
par d'autres penseurs qui l'ont laïcisée pour
l'intégrer au droit international. Ainsi, nous avons d'une part,
la version originelle de la théorie qui porte les marques de la
religion chrétienne (A) et d'autre part, la version
laïcisée (B).
A- La thèse chrétienne de la guerre
juste
La thèse chrétienne a été
initiée par un certain nombre de penseurs catholiques dont
l'un des plus importants, reste Saint Augustin. Dans
son ouvrage La Cité de Dieu, Saint Augustin s'était
déjà montré comme le précurseur de la thèse
chrétienne de la guerre juste. Mais, c'est Saint Thomas d'Aquin qui
s'est montré en vrai défenseur de ladite théorie
à travers son ouvrage de renom intitulé, Somme
théologique. Non seulement il rassembla tous
les éléments qui étaient
disséminés chez Saint augustin, mais il y ajouta quelques
autres points très importants qui valent aujourd'hui à la
théorie toute sa pertinence.
Se questionnant si c'était toujours un
péché pour un chrétien de faire la guerre, il
part des principes bibliques suivants pour dégager, dans un
premier temps, la réponse affirmative : Primo, toute peine
infligée est un péché commis. Or, d'après certaines
paroles bibliques, le seigneur inflige en retour une peine à ceux
qui commettent le péché de guerre: « celui
qui
aura pris le glaive, périra par le glaive » (cf.
Evangile selon Matthieu, chapitre XXVI, verset
52)1.Toute guerre est alors illicite.
Secundo, « tout ce qui est contraire au précepte divin
est péché. Or il est contraire au précepte divin de faire
la guerre ; car il est dit dans Matthieu (chapitre V, verset 39) : « Je
vous dis de ne point résister au méchant » et dans
l'Epître de Paul aux Romains (chapitre XII, verset 19) : « ne vous
défendez point, mes très chers frères, mais laissez agir
la colère de Dieu » C'est donc toujours un
péché de faire la guerre ». Tertio, il n'y a
que le péché qui soit contraire à un acte de vertu. La
paix étant un acte de vertu, et la guerre étant contraire
à la paix, donc contraire à la vertu, elle est forcément
un
péché. 2
En vertu de ces principes bibliques, la guerre ne
devrait être autorisée sous aucun prétexte, car elle
constitue un péché absolu. Mais, s'inspirant de certains
arguments de St Augustin3, St thomas admet en revanche quelques
souplesses à ce principe du péché absolu de guerre. C'est
ainsi qu'il fait ressortir certaines conditions sous lesquelles un
chrétien peut exceptionnellement faire la guerre. Il est requis pour
cela trois conditions selon St thomas : le juste titre, la juste cause et
l'intention droite.
Le juste titre suppose que la personne habilitée
à prendre la décision de déclarer la guerre doit
être le prince, car il n'appartient pas à une personne
privée de le faire. Seule celui
qui a la gestion des affaires publiques, donc de
l'intérêt général, peut procéder à
une déclaration de guerre. Selon St thomas, il est le seul
à porter l'épée de Dieu afin de réprimander
aussi bien les méchants du dedans que les ennemis du dehors.
Mais à l'heure actuelle, on peut se demander si le juste titre revient
aux institutions internes (au parlement
par exemple) ou bien au Conseil de Sécurité des
NU.4
1 Notons que les citations bibliques ne sont pas
formulées de la même manière dans toutes les bibles. Elles
varient selon la traduction qui en a été faite. Mais, les
idées de fond restent les mêmes quelque soit la traduction.
2 Thomas d'Aquin. Somme
théologique. In Dominique Colas. La pensée
politique. Paris : Larousse, 1992, p. 136
3 Selon Saint Augustin, « Si la discipline
chrétienne, condamnoit absolument la guerre, l'évangile
conseilleroit à ceux qui
qui demandent à s'éclairer, comme le
meilleur parti, de quitter les armes et de se soustraire complètement au
joug de la milice.Or il leur dit : « n'usez de violence ou de fraude
envers personne ; contentez-vous de votre solde ». Puisqu'il leur
ordonne de se contenter de leur propre solde, il ne leur défend donc pas
de faire la guerre.»
(Cf. Thomas d'Aquin. Op cit, p. 136)
Précisons qu'ici la solde s'entend de la
rémunération versée aux militaires. Avec cette
précision on perce mieux le fond de la pensée de saint
Augustin tel qu'exposée par Saint thomas. Si la guerre
était donc absolument interdite l'évangile ne permettrait
même pas l'existence de milices ou de militaires jusqu'à autoriser
la perception de solde par ces groupes.
4 Par exemple dans la Constitution béninoise,
la déclaration de guerre revient à l'exécutif, une fois
qu'elle est autorisée par le
Parlement (Cf. article 101de la Constitution béninoise).
De même, dans la Constitution américaine, la déclaration de
guerre
est un pouvoir exclusif du Congrès : « le
congrès aura le pouvoir de déclarer la guerre »
dispose l'article 1er section8
paragraphe11 de la Constitution américaine. Ces deux pays
réservent en principe le juste titre aux institutions internes. Mais
La juste cause, quant à elle, impose que ceux
qui sont attaqués l'aient réellement mérité en
se rendant coupable de quelque injustice. Reprenant ainsi Saint Augustin, la
guerre juste est celle qui est sensée punir une injustice. Il n'y a
donc pas de guerre juste sans une injustice commise par l'autre partie.
L'intention droite est la dernière condition
posée. Elle implique pour le prince qui veut déclarer la guerre
de n'avoir pour autre idée que de poursuivre la paix, d'éviter le
mal et de n'avoir aucune intention immorale cachée derrière
cette guerre. Il peut donc arriver qu'une guerre soit
déclarée par une autorité légitime pour une
juste cause, et que cependant elle devienne illicite par la mauvaise
intention de celui qui la fait.
Voilà ainsi résumée la théorie
chrétienne de la guerre juste qui, comme nous l'avons observé,
conserve un aspect purement théologique. Avec l'évolution,
à partir du XVIIème siècle, elle sera
reprise par des théoriciens sous un aspect laïc.
B- La thèse séculière de la
guerre juste
C'est à Grotius que nous devons la laïcisation du
concept de la guerre juste élaboré par
les théologiens chrétiens. Son oeuvre
maîtresse est intitulée De jure belli ac pacis (du droit
de
la guerre et de la paix) et a été publiée en
1625.
Avant d'aboutir à l'analyse de ce droit, Grotius part
du principe de l'inviolabilité de la souveraineté des Etats. Il
en dit, tout comme ses prédécesseurs (De Vitoria et Suarez), que
les actes d'un Etat ne peuvent être annulés au nom de quoi que ce
soit, par une volonté humaine. Cette souveraineté ne peut
être limitée que par le droit, et ce parce que la
souveraineté elle- même découle d'un droit. Ce droit est le
droit naturel. Parlant de ce droit naturel, il l'assimile
à la morale. Laquelle morale, Grotius fonde sur la raison
de l'homme (le rationnel) et non sur
la loi divine (la religion), se distinguant ainsi des
théologiens catholiques. Désormais fondée
sur le rationnel, cette morale se voit laïcisée avec
Grotius. C'est d'une telle morale laïque et non plus religieuse, qu'il
fait ressortir son droit de la guerre.
Sur cette base, il reconnaît la licéité
de la guerre car celle-ci est un acte de souveraineté, et de
plus il n'y a pas d'autorité supérieure aux Etats pour
les départager.
Toutefois, il pose une stricte condition à cette
licéité : il faut que la guerre soit juste.
puisqu'ils ont tous ratifié la Charte des Nations Unies,
pourrait-on dire que le juste titre reviendra de ce fait au Conseil de
Sécurité au détriment de leurs normes
constitutionnelles ?
D'après lui, la guerre est juste quand elle répond
à une injustice et c'est le droit naturel
qui détermine les cas d'injustice. Ces cas
d'injustice surviennent quand il y a atteinte aux droits fondamentaux
que le droit naturel reconnaît aux Etats souverains : droit
à l'égalité, droit à l'indépendance,
droit à la conservation, droit au respect, droit au
commerce international.
Aucun Etat n'est sensé porter atteinte à ces droits
chez un autre Etat. Toute violation
de cette interdiction ouvre le droit de légitime
défense.1
Grotius reprend ainsi à son compte la distinction
canoniste (chrétienne) entre guerres justes et guerre injustes.
Il se différencie néanmoins par son affirmation des
droits fondamentaux des Etats, de telle sorte que nous sommes tentés
d'y voir une symétrie avec les droits fondamentaux de
l'homme2. Son oeuvre sera continuée par Pufendorf et
De Vattel. Mais soulignons que ce dernier, bien que partageant certaines
opinions de Grotius, s'écarte de
lui sur d'autres aspects que nous verrons plus loin.
Retenons pour le reste que cette théorie est d'une
très grande portée. C'est d'ailleurs pourquoi nous l'avons
exposée. Maintenant, il conviendra d'en spécifier la
portée sur la guerre préventive. Autrement dit, la guerre
préventive est-elle une guerre juste ?
|