CHAPITRE 2
LA THEORIE DE LA GOUVERNANCE : UN NOUVEAU CADRE
D'ANALYSE DE LA RELATION P/P
La représentation classique de la firme, qui la
considère comme une "boîte noire", reconnaît
à celle-ci un seul objectif, la maximisation de la richesse de
l'actionnaire. Cette conception réductrice de la firme et ses
conséquences sur la mesure
de la performance est de moins en moins acceptée
aujourd'hui. En effet, le consensus semble se dégager autour de la
pluralité de l'entreprise et de la reconnaissance de l'homme
comme étant sa richesse essentielle (Caby et Hirigoyen, 2001).
Ainsi, la firme est considérée aujourd'hui comme un
noeud de contrats au centre duquel se trouve le dirigeant. Au
primat des shareholders, succède celui des stakeholders, et la
maximisation de la valeur actionnariale de la firme, on observe un
déplacement théorique vers la maximisation de la
stakeholder value, préconisée par la TGP. Le renouvellement
de l'analyse de la relation P/P étant recherché, nous
nous posons la question de savoir comment est-il possible à partir de
cette théorie ? En privilégiant la mesure de
l'efficacité organisationnelle, synonyme de performance
partenariale, la TGP semble mieux éclairer cette relation. Nous
trouvons nécessaire de revenir dans une première section
sur les origines de la TGP. Ensuite nous analyserons dans la
deuxième section les changements que la privatisation
entraîne dans le système de gouvernance dont dépend la
performance organisationnelle.
Section 1 : Origines et Implications de la TGP
Il faudrait remonter en 1776 avec la publication de l'Essai
sur la Richesse des Nations pour trouver les premières
appréhensions formulées sur le conflit d'intérêt
qui existe entre mandants et mandatés. Adam Smith estimait
déjà à cette époque que « l'on
ne peut guère s'attendre à ce que les
régisseurs de l'argent d'autrui y apportent la même
vigilance exacte et soucieuse que les associés d'une
société apportent souvent dans le maniement de leurs fonds
propres ». Ce débat va véritablement émerger avec
Berle et Means (1932) qui s'interrogent sur les
conséquences de la séparation des
fonctions de propriété et de décision dans
les grandes sociétés (firmes managériales).
Plus de quarante années après quand Jensen et
Meckling (1976) parlent de « relation d'agence » pour qualifier la
relation entre le dirigeant (agent) d'une part et le
propriétaire (principal) d'autre part, on se rend compte que les
appréhensions de leurs prédécesseurs sues-cités
étaient justifiées. En effet Jensen et Meckling qualifient
toute
« relation d'agence », comme source de
conflits et par conséquent de coûts d'agence.
A l'origine la corporate governance va donc se
concentrer sur la seule relation dirigeants/ actionnaires, en cherchant
à trouver les mécanismes visant à faire coïncider
les intérêts de ces derniers. Mais compte tenu de la
relative impuissance des solutions proposées par la théorie
(Cohen, 2002)9, les auteurs ont été amenés
à élargir le champ
de la GE à toutes les questions liées
à la répartition du pouvoir dans l'entreprise. Aujourd'hui,
elle se définit comme étant l'ensemble des
mécanismes (spontanés comme les marchés, intentionnels
comme le CA, le système d'information comptable,
ou le système de rémunération) qui
contrôle et contraignent le processus décisionnel.
La TAG étant considérée comme la
racine de cette nouvelle conception de la gouvernance, nous l'analysons
avant d'évoquer les implications de la TGP.
1.1 La Théorie de l'Agence
Généralisée de Hill et Jones
La TAG de Hill et Jones est une représentation
séduisante de la firme pluraliste qui vient rompre avec le cadre
traditionnel de la théorie de l'agence. En effet, cette
représentation place le dirigeant au centre des liens contractuels et
lui attribue le rôle
de médiateur actif exerçant une influence sur le
processus de création et de répartition
de la valeur. Les points suivant consacrent
particulièrement cette nouvelle vision :
- tous les stakeholders sont explicitement pris en compte
: ici tous les groupes ou agents qui ont une "créance
légitime" sur la firme sont considérés comme
stakeholders. Cette "créance légitime" peut être
liée à l'apport d'une ressource financière,
matérielle, humaine, infrastructurelle etc.... Dans cette
vision, les dirigeants qui sont en relation avec toutes les autres parties
sont considérées comme
leur agent. Leur rôle est donc d'assurer les
intérêts de l'ensemble des stakeholders.
9 Cohen affirme qu'on était persuadé
d'avoir trouvé un système faisant coïncider les
intérêts des actionnaires et ceux des dirigeants. Mais ces
derniers manipulent le CA et le mécanisme de stock-option n'a rien
arrangé.
- Les phénomènes de pouvoir réglementent les
relations dans cette représentation.
En effet, ses auteurs expliquent la notion de dépendance
qui caractérise une relation entre deux agents par le
différentiel de pouvoir. Il y a dépendance de B vis à vis
de A
si le différentiel de pouvoir entre A et B est en faveur
de A, c'est à dire que B dépend plus fortement de A que de B.
- Ces phénomènes de pouvoir qui
réglementent la répartition de la rente et de la quasi-rente
peuvent aboutir à des situations de déséquilibre dans
lesquelles on observe des hold up (situations dans lesquelles un
partenaire s'accapare d'une partie de la rente
qui revient à l'autre), de renforcement du pouvoir
discrétionnaire des dirigeants, ainsi que l'acquisition des positions
dominantes. Dans ce dernier cas par exemple, un agent peut investir pour
acquérir un différentiel de pouvoir afin d'accroître la
dépendance des autres stakeholders par rapport à lui et ainsi
s'approprier les rentes.
Cette théorie représente donc l'entreprise
comme un ensemble de relation où chaque partenaire, y compris les
dirigeants exploite les inégalités qui existent entre les
transactions avec l'autre pour s'approprier une plus grande part de la valeur
crée. Ainsi cette théorie est considérée
à juste titre comme étant à l'origine d la TGP
dans la mesure où tous les stakeholders sont pris en compte. Egalement,
la valeur crée et sa répartition entre les différents
partenaires résulte du processus décisionnel dont le
caractère optimal conditionne l'efficacité organisationnelle dans
la TGP.
1.2. Les implications de la TGP
La TAG étant considérée comme à
l'origine de la TGP, nous nous interrogeons actuellement sur la notion
même de créancier résiduel, directement liée
à la mesure
de la performance. Nous tentons également à
la suite de certains auteurs de donner quelques caractéristiques
de la TGP.
1.2.1. La révision du statut de
créancier résiduel
Selon la théorie des contrats incomplets, la
véritable propriété est celle qui rassemble le «
control right » et le cash flow right. Le créancier résiduel
en référence à cette considération est donc le
véritable propriétaire. Il est le seul bénéficiaire
du droit
et assume toutes les altérations possibles. C'est
donc à juste titre que ce statut
privilégier est attribué à
l'actionnaire, faisant de lui l'unique propriétaire de
l'entreprise. Ceci se justifie non seulement dans les
études relatives à la théorie de l'agence, mais
également dans celles sur la GE. Les premières font de
l'actionnaire pratiquement l'unique « principal » et les secondes
accordent un rôle primordial dans
la recherche des mécanismes de protections de leurs
intérêts. Une autre perspective de cette gouvernance actionnariale
qui fait de l'actionnaire l'unique créancier résiduel est celle
qui insiste particulièrement sur la préservation de la
propriété du capital financier (Shleifer et Vishny, 1997).
Au-delà de cette vision, et en ne s'éloignant pas
du contenu initialement donné
au concept de créancier résiduel, on peut
se rendre compte justement que ceux qui assument les pertes
résiduelles et bénéficient des gains de
même nature sont nombreux. En effet, aussi bien les salariés
que les autres bailleurs de fonds, les clients
et l'Etat pour ne citer que ceux là, subissent les
conséquences des décisions prises et des choix faits par
l'entreprise. L'entreprise étant une coalition
d'intérêts, le retrait d'un maillon pour une raison ou une autre
peut causer de lourds préjudices et aboutir même au
dénouement du noeud. Et parce que détenteurs d'information
spécifiques,
ces partenaires devraient participer dans le meilleur des cas
à la ratification et même à
la surveillance des décisions prises dans l'entreprise.
Et quand on sait que la fonction
de contrôle regroupe la ratification et la surveillance des
décisions, on déduit en toute logique que le statut de
créancier résiduel devrait leur être attribué. La
figure suivante
nous montre comment a évolué le statut de
créancier résiduel depuis 1930.
Créanciers résiduels
Gouvernance élargie
Autres
groupes d'intérêts, gouvernement
Fournisseurs
Clients
Hill
Jones
92
Zigales
98
Char reaux Desb rières
98
ZIGA LES
00
Salariés
Dirigeants
Créanciers
Financiers
Actionnaires
Jensen Meckli ng
76
Castani as Helfat
91
Blair 95
Shleife r Vishny
97
1930 source : Chatelin, Trebucq (2003) 2000's
Figure 2.1 : le statut du créancier
résiduel et l'élargissement de la gouvernance chez certains
auteurs
1.2.2. Les caractéristiques de la
GP
La révision du statut de créancier
résiduel vient donner à la théorie positive de l'agence
son sens initial tel qu'attribué par Jensen et Meckling (1976).
En effet, ces auteurs appréhendent l'organisation comme une
coalition d'intérêts divergents qui interagissent sur la
coopération entre différents partenaires. C'est ce qui
justifie le paradigme de « noeud de contrats ». Les travaux
sur la GP ne s `éloignent pas de cette logique. Ils considèrent
l'entreprise comme un ensemble de relations au centre duquel
se trouve le dirigeant. Le système de
gouvernance permet à chaque partenaire d'exercer une influence sur
le comportement de ce dernier. L'approche de la GP est alors à l'origine
d'une série complexe de conflits tant contractuels que
cognitifs10. Le
tableau suivant nous fait ressortir ces conflits potentiels.
10 Un conflit contractuel est fondé sur
l'asymétrie d'information alors qu'un conflit cognitif est fondé
sur une interprétation des informations existantes construites à
partir du modèle cognitif propre à l'individu (Charreaux
2002).
TABLEAU 2.1. Exemples de conflits cognitifs et
contractuels entre partenaires
de l'organisation
|
|
|
Dirigeants
|
Actionnaires
|
Salariés
|
Clients
|
Fournisseurs
|
Environnement
|
Dirigeants
|
Conflits
cognitifs entre dirigeants généraux
intermédiaires inférieurs Opportunité/cho ix
d'investissement
|
Type
d'investissement politique de financement
Conflits
Contractuels et cognitifs
|
Gestion des
ressources humaines (rémunération, recrute-ment,
conditions de travail, choix d'investissement en recherche et
développement production... conflits contractuels et cognitifs
|
Qualité globale
coût
Conflits
contractuels et cognitifs
|
Coût qualité
industrielle conflits contractuels et cognitifs
|
Rentabilité Engagement
éthique, Pollution, développement local... Conflits
cognitifs
|
Action
naires
|
|
Conflits cognitifs :
minoritaires/majorita ires individuels, collectifs
Dividende, choix d'investissement prix de cession
|
Conflits sur les
choix de rationalisation des coûts, répartition
de valeur Dissonance cognitive et conflits contractuels
|
Conflits indirects
en fonction des arbitrages opérés entre
rentabilité et qualité des produits
|
Conflits contractuels
et cognitifs
Coûts
|
Rentabilité
Engagement éthique, pollution,
développement local... Conflits cognitifs
|
Salariés
|
|
|
Concurrence
interne, surveillance mutuelle
Conflits cognitifs et contractuels verticaux et
horizontaux
|
SAV , qualité de la
prestation conflits et contractuels
|
Qualité, coût de la
prestation, coopération conflits cognitifs et
contractuels
|
Rentabilité Engagement
éthique,
Pollution ,développemen t local...
Conflits cognitifs
|
Clients
|
|
|
|
Conflits cognitif
Comportement du consommateur et critère de choix
|
Conflits cognitifs sur,
le produit, matière première
|
Engagement éthique,
Pollution ,développemen t local...
Conflits cognitifs
|
Fournis
seurs
|
|
|
|
|
Conflits cognitifs sur
produit organisation
|
Engagement éthique,
Pollution ,développemen t local...
Conflits cognitifs
|
Environnement
|
|
|
|
|
|
Conflits cognitifs entre
groupes d'intérêts
|
Source : Chatelin et Trebucq 2003
Williamson (1985) en analysant les différents
mécanismes qui permettent de
gérer les différentes transactions entre la
firme et les stakeholders, donne une autre caractéristique
à la GP. En retenant le concept de coûts de
transaction comme fondamental (au lieu de conflit
d'intérêt), il définit l'objectif de la GP comme
étant la minimisation des coûts de transactions dans toute
relation avec un partenaire. Il analyse particulièrement les
relations de la firme avec les salariés, les créanciers
financiers, les actionnaires, et oppose les mécanismes intentionnels
aux mécanismes spontanés11. En caractérisant
les actifs par leurs spécificités, il arrive à la
conclusion
que les mécanismes intentionnels sont appropriés
pour la gestion des actifs fortement
spécifique, alors que les actifs facilement
redéployables sont mieux protégés par les
mécanismes spontanés.
Cette première section nous a permis de savoir les
origines les caractéristiques
et les implications de la TGP dans l'étude de
la performance. Toutes ces analyses resteraient sans objet pour notre
étude si nous nous arrêtons là. Afin de les rentabiliser
nous les intégrons dans l'examen des privatisations, car
elles permettent un renouvellement de la lecture du
phénomène. Ce nouvelle aidera plus tard dans l'étude
de la performance partenariale des privatisations.
|