« Les problèmes politiques sont les
problèmes de tout le monde ; les problèmes de tout le monde
sont des problèmes politiques "
(Hannah Arendt).
DEDICACE
A vous tous qui luttez, directement ou indirectement, en
public ou en privé, pour l'avènement d'un vivre ensemble heureux
en Afrique ;
A toutes les personnes qui ont tracé la route heureuse
du service toujours plus grand et à celles qui nous suivront sur cette
même route,
Nous dédions ce travail.
0. INTRODUCTION GENERALE
Nous allons introduire succinctement ce travail. Pour ce
faire, nous commencerons par présenter la biographie de Hannah Arendt
mais il nous faudra nous étendre un peu plus largement à cause de
l'influence décisive de la vie de l'auteur sur sa pensée ;
après quoi nous tâcherons d'expliquer le pourquoi de la
réflexion que nous nous proposons de faire dans ce travail. Nous
terminerons cette introduction en énonçant brièvement ce
que nous avons appelé « principe directeur du
travail ».
0.1. Une esquisse biographique de Hannah Arendt
La pensée arendtienne est tributaire de son histoire
singulière d'une part, et de l'histoire générale du peuple
juif d'autre part. Arendt ne dira-t-elle pas elle-même que « la
pensée naît d'événements de l'expérience
vécue et doit leur demeurer liée comme aux seuls guides propres
à l'orienter »_. Hannah Arendt est née des parents modestes.
Arendt est née à Hanovre née le 14 octobre 1906, enfant
unique de Paul et Martha Arendt, elle est allemande d'origine juive et ne
devint citoyenne américaine qu'en 1950. Elle mourra subitement d'une
crise cardiaque, le 4 décembre 1975 à New York. Bien qu'une
grande page s'ouvrait ainsi dans l'histoire de la théorie politique, on
peut dire que la date de sa mort marquait la fin d'une histoire
singulière, parce qu'Arendt mourra veuve et sans enfant.
Sa vie est pleine d'aventures effarantes liées surtout
à son appartenance au peuple juif, qu'elle qualifia de
« damné de la terre ». Dès l'âge de 7
ans, en 1913, son père, atteint de syphilis, meurt fou. Hannah ,
orpheline de père, ne trouvera pas de si tôt l'atmosphère
requise pour surmonter ce premier choc, sa première épreuve. Au
lendemain de la disparition de Paul Arendt, c'est-à-dire l'année
suivante, Martha, sa mère et elle-même furent obligées de
s'enfuir devant l'invasion « cosaque » de la ville de
Königsberg. Tel fut le commencement d'une vie pénible
marquée par de multiples déplacements forcés, des fuites
en quête d'un refuge sûr là où on pourrait le
trouver. Mais les péripéties de l'existence ne seront pas un
obstacle pour l'émergence intellectuelle de cette âme bien
née. En 1928, à l'âge de 22 ans, Hannah Arendt publia sa
thèse de doctorat en philosophie sur «Le concept d'amour chez saint
Augustin » qu'elle rédigea sous la direction de Karl Jaspers
-pour qui elle gardera toujours un très grand respect, une grande estime
scientifique et un souvenir inoubliable- à l'université de
Heidelberg.
Malheureusement, peu après, la chasse aux Juifs que le
mouvement Nazi avait commencée et développait sans relâche
ne laissa pas sauve Hannah Arendt. Elle dut connaître encore la triste
réalité de l'exil : en France d'abord de 1933 à1940,
aux Etats-Unis ensuite, en 1941. Ce n'est qu'en 1951 que les Etats-Unis lui
octroyèrent la nationalité américaine ; entre temps,
c'est-à-dire de 1940 à 1951, Arendt vécut la condition
inconfortable avec la situation d'apatride sans aucune protection juridique.
Cette vie troublée par ces mésaventures
frappèrent aussi sa vie affective : en 1936, elle se
séparera de son époux Günther Stern pour se lier à un
communiste non juif de Berlin, Blücher Heinrich, qui deviendra son second
mari en 1940. Martha, sa mère mourut en 1948.
Force est de constater que ce souvenir douloureux de
l'antisémitisme, de l'exclusion de tout un peuple du droit à la
vie et à la liberté, marqueront fortement toute sa vie, et par le
fait même soutiendront toute la pensée politique de Hannah. Cette
pensée politique sera ainsi une analyse presque systématique de
ces situations difficiles qu'elle avait traversées en vue de redonner
sens, dans la mesure du possible, au politique.
Par ailleurs, ses recherches personnelles dans le domaine de
la théorie politique lui ont assuré une très grande
célébrité particulièrement dans les milieux
universitaires et dans le monde de la pensée en général.
En 1953, par exemple, Hannah Arendt est invitée pour des
conférences à l'université de Princeton, où elle
sera la première femme à occuper une chaire de professeur en
1959. Elle enseignera également à Berkeley en 1955, à
Chicago en 1956 et dans plusieurs autres universités américaines,
notamment dans celle de Californie, d'Aberdeen, de Brooklyn, de Columbia, et de
Wesleyan. Entre autres distinctions, elle a reçu le prix Lessing en
1959, le prix Sigmund Freud en 1967.
Ses divers enseignements et ses conférences sont les
sources majeures de l'abondante oeuvre qu'elle nous a laissée. Nous nous
contentons ici de citer ses principaux écrits. Son livre le plus
célèbre est "The origin of Totalitarianism" publié en
1951. Ce livre comprend trois parties qui ont paru en trois volumes :
1. "Antisemitism", en traduction française "Sur
l'antisémitisme";
2. "Imperialism" traduit en français
"L'impérialisme" ;
3 . "Totalitarianism" en français "Le
système totalitaire".
D'autres ouvrages suivront cette première étude
:
«Condition de l'homme moderne», en 1958 - tel est le
livre qui nous concerne plus
directement dans le présent travail- ; «La crise
de la culture: huit exercices de pensée
politique.», en 1961; «Essai sur la
révolution», en 1963; «Eichmann à
Jérusalem» en
1966, «La vie de l'esprit» qui a aussi paru en trois
volumes :
«Pensée», «Vouloir» et
«Juger»_.
0.2. Le pourquoi de notre réflexion
Tout le monde s'accorde aujourd'hui à dire que Hannah
Arendt a interrogé à
frais nouveaux les concepts politiques fondamentaux et
d'autres qui leur sont liés : la liberté, la démocratie,
le pouvoir, la violence, l'autorité, la domination, le mensonge, etc.
Mais vouloir réduire son oeuvre à cette analyse des concepts
c'est vraiment amputer une pensée qui frappe par son caractère
riche, vaste et -disons-le- complet.
Par ailleurs, si Arendt s'est adonnée à la
réflexion et à la re-définition des mots clés de la
langue politique, c'est non seulement parce qu'elle avait a faire avec des
«monstruosités» politiques (la guerre, la massification des
peuples, le totalitarisme, le génocide juif() dues à une
déformation du sens du politique lui-même et à
l'écart redoutable entre le dire et le faire quant à
l'application des « règles du jeu politique »
dans la société moderne, mais aussi parce qu'elle avait
constaté un déplacement d'un certain nombre d'affaires qui ne
relèvent pas stricto sensu de la politique vers la sphère du
politique, elle était témoins d'un transfert des affaires
extrapolitiques vers le politique,
autrement dit parce qu'elle constatait la disparition du
domaine public qui normalement rassemble, - sans le débordement des uns
sur les autres -, les habitants d'une polis. Puisque cette disparition de
l'espace commun se révélait être la cause efficiente de
l'aliénation de l'individu, réduit dès lors au statut de
membre d'un tout indifférencié, l'entreprise de Hannah Arendt se
proposa de revaloriser l'individu dans son agir et dans son dire au sein de
l'espace de l'inter-esse.
0.3. Le principe directeur du travail
Faut-il vraiment indiquer ici la problématique de ce
travail ? Nous ne pensons pas nécessaire de définir ici
notre problématique, étant donné celle-ci va se
dévoiler tout au long de l'étude qui veut offrir une
réévaluation de l'espace politique sous la conduite de Hannah
Arendt. Nous voulons par contre exprimer la motivation qui a suscité en
nous le désir de nous prononcer sur le politique.
Le problème majeur qui est au principe de ce travail
est la constatation malheureuse que nous faisons de l'horrible
désintéressement de nos contemporains de la vie politique de leur
cité et de leur pays. Un désintéressement causé par
l'exclusion du peuple par le régime en place, ou par une
indifférence que justifieraient des convictions d'ordre religieux,
culturel, personnel, etc. Pourtant, la cité est justement cet espace du
« vivre ensemble », ou de la coexistence des citoyens dont
l'organisation et la gestion nécessitent la participation et le concours
de tous.
« Hannah Arendt, disait Mc Carthy, ne croyait
guère à des notions asservissantes telles que le `devoir', mais
elle était sensible à l'idée d'une vocation, y compris
celle du citoyen à servir la vie commune "_.
Ce travail vise, en dernier ressort, à montrer que la
participation de tous et de chaque personne singulière aux affaires
communes de la polis est le devoir civique le plus important. La politique
n'étant nullement un domaine particulier des personnes qu'on appelle:
les politiciens, mais une exigence imposée aux hommes par la coexistence
liée à leur condition humaine. S'y dérober, c'est se
poster en figurant sur la
scène politique (dès lors s'en exclure), et, par
le fait même, subir la politique. Ce fait de se soustraie du politique
n'est pas le propre d'un acte humain. existence liée à leur
condition humaine. S'y dérober, c'est se poster en figurant sur la
Nous aborderons dans ce travail l'examen ou l'analyse, de la
coexistence humaine,
ainsi que le devoir qui incombe à chaque personne
humaine en tant que détentrice du
bios politikos de participer activement aux affaires de la
res-publica (la chose
publique ou commune).
Pénétrerons alors dans le corps de cette
étude, qui aura, outre de cette intro
duction et de la conclusion, trois chapitres. Le premier
chapitre sera une reprise
synthétique de la ligne générale de la
pensée de Hannah Arendt, en évoquant les
circonstances de la rédaction de ses ouvrages majeurs.
Le deuxième chapitre se
penchera alors sur la coexistence humaine comme fait et
comme une donnée tout à
fait ontologique de la réalité humaine enfin le
dernier chapitre examinera l'obligation
civique ou la nécessité pour les citoyens d'une
participation politique.
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