II- Les justifications :
Pendant la Révolution, l'imprimé devient
aisément accessible pour un nombre croissant de personnes. C'est
l'occasion pour celles-ci de s'exercer à la lecture et à la
réflexion, mais aussi pour les intellectuels de faire connaître
leurs opinions sur tout sujet, d'en débattre, afin de tenter de
répandre leurs idées. A cette occasion, l'imprimé devient
un moyen de se justifier, par rapport à des actes commis ou des propos
prononcés, auprès d'un nombre de personnes largement accru. C'est
une chose d'autant plus facile depuis la promulgation du texte n°
99448 qui assure la liberté de pensée pour tous.
Parmi les textes étudiés, certains montrent une
réelle volonté de justification de la part de leurs auteurs, afin
d'opposer leur vision à celle de leurs détracteurs. Ainsi, les
documents n° 25449, 230450,
612451 et 741452 sont publiés pour expliquer des
situations ou démentir des
446 DAUDIER, Matthieu, Op. Cit., p. 260.
447 KUPIEC, Anne, Le livre-sauveur, la question du livre sous
la Révolution fran çaise, 1789-1799, Paris, Kimé,
1998.
448 Lettres patentes du roi qui déclare qu 'aucun
citoyen ne peut être inquiété à raison de ses
opinions, Mame, 1790.
449 Justification de Gouppil fils, apothicaire à
Angers, Jahyer et Geslin, 1795.
critiques. Le texte n° 25 est une argumentation de
l'action menée par Gouppil. Ce dernier se justifie par rapport aux
accusations << calomnieuses >> qui ont été
portées contre lui et prouve ce qu'il déclare par une liste de 16
pièces justificatives qui sont jointes à la fin de son texte,
signées de Richard, Francastel, Turreau, Esnue-la-Vallée, Hentz,
Bourbotte, (...), tous représentants de l'Etat. Il répond donc
par l'imprimé à des accusations qui ont certainement
été rendues publiques par la même voie. De la même
manière, les trois autres imprimés sont des réponses
à des accusations et des justifications politiques. Le texte n° 230
est une justification de Vigier devant ses commettants, c'est à dire les
personnes qui l'ont élu.
III- Un instrument pour diffuser de la propagande :
Charles-Pierre Mame, dans son prospectus des Affiches
d'Angers du 2 janvier 1790, publie cette déclaration personnelle :
<< Alors que le signe de la liberté vivifie et anime toutes les
âmes, alors que des intérêts puissants et
généraux donnent aux esprits un mouvement et une activité
extraordinaires, tout le monde veut s'instruire, tout le monde veut lire
>>. Par cette déclaration, Mame tente d'encourager ceux qui savent
lire à s'informer et à participer aux débats politiques.
L'imprimé permet donc la diffusion d'idées et de
différentes visions de la société établie par la
Révolution, mais aussi de celle que certains voudraient voir
naître. Ainsi, un certain nombre de critiques envers le gouvernement
émergent, dès 1789 comme après (documents n°
40453, 51 7454) . C'est
pourquoi ce dernier, pendant la période de la Terreur, se
450 Lettre de Louis-Fran çois-Sébastien Vigier
à ses commettants, Angers, Jahyer et Geslin, 1792.
451 Coup d'oeil, ou notes pour servir à la
défense de Pierre Chaux, ..., Jahyer et Geslin, 1795.
452 Mémoire justificatif pour le citoyen P. Foucaud,
jeune, commandant de bataillon, ..., Jahyer et Geslin, s.d.
453 Lettre d'un membre du Tiers-Etat de la province d'Anjou,
à M. le comte de W... S... T..., s.i., 1789.
454 Lettre adressée à la Société
des Défenseurs des droits de l'homme, par un de ses membres, Mame,
1794.
justifie en permanence de ce qu'il fait : dans le texte
n° 83455, l'assemblée nationale explique son
activité, laissant ainsi penser qu'elle est controversée à
ce moment.
L'importante production de documents administratifs durant la
période révolutionnaire est motivée essentiellement par la
volonté de transparence, ainsi que la justification et la
légitimation du pouvoir en place. L'action menée par les pouvoirs
politiques doit être clairement comprise de tous les citoyens
français, afin d'éviter toute révolte contre celui-ci.
C'est donc partiellement pour la stabilité du pouvoir politique que le
gouvernement publie les textes qu'il promulgue, voyant l'intérêt
manifesté par la population. Par ailleurs, c'est en espérant se
faire comprendre par les insurgés, vendéens et autres, que le
pouvoir entend maîtriser la situation. De la même manière
que la monarchie, qui voulait se servir de l'imprimé comme
élément de pouvoir et le craignait pour les mêmes raisons
(c'est pourquoi elle avait pris des mesures contre lui), les différentes
instances de l'Etat se servent donc de l'imprimé.
Néanmoins, ce mobile prétendu cache une raison
non avouée des pouvoirs politiques : ils cherchent à
répandre une propagande voulant faire prendre conscience que l'Etat agit
pour le bien de tous. Les autorités semblent donc se servir de
l'imprimé comme d'une manière de légitimer leur pouvoir.
Ainsi, on peut remarquer un nombre important d'écrits imprimés
sur ordre d'hommes politiques, angevins ou non, et même de chefs
militaires français. L'objectif de ces publications est donc de rassurer
la population. Afin de légitimer et de consolider le pouvoir en place,
les autorités tentent d'amener un consensus relatif au sein de la
population. Ainsi, << le 14 Brumaire [an VI, 4 novembre 1797], le
secrétaire du Directoire rendait compte au ministre de la police de la
nécessité d'établir à Angers un troisième
imprimeur afin de réunir s 'il en est possible les habitants sous la
même opinion et de former l 'opinion
publique >>456.
Pareillement, on voit les autorités
départementales redouter les effets de l'écrit. Ainsi,
<< M. Bourée >>457 annonce qu'un
écrit << très insandiere qui a été
adressé à M. de la Pomeraye, timbré d'Angers >> se
répand dans le département. Il demande donc que la circulation en
soit interrompue, car elle risque de faire beaucoup de mal458. Ce
document est daté de mars 1790. Un autre document de la même
cote459, daté de 1791, est une lettre de Gourdault (colonel),
à
M. Dorme : le sieur d'Arzilly de Brignon vient de
répandre un écrit dont il a été fait
455 Extrait du procès-verbal de l'Assemblée
nationale du 11 février 1790, Mame, 1790.
456 PASQUIER, Emile, DAUPHIN, Victor, Op. Cit.
457 Le texte ne précise pas de qui il s'agit.
458 sous série1 L 354 : Police politique. Fausses
nouvelles. Ecrits clandestins ; document n° 1. 459 Ibid., texte
n° 3.
différentes copies. Ce sieur a dit le tenir de
l'abbé de Chambon, près de Thouars. Cet écrit
prétend que tout le travail de l'assemblée nationale a
été anéanti, que le clergé reviendrait dans tous
ses droits en payant 4 millions, ainsi que la noblesse. Cette lettre dit
ensuite que « M. Delaunay, procureur syndic du département de
Maine-et-Loire, était demandé à la barre de
l'Assemblée nationale pour rendre compte de sa conduite ». L'auteur
se plaint en fait des fausses illusions données à certaines
personnes et des fausses craintes données à d'autres par cette
lettre, parmi ceux qui l'ont lue. Ces communications démontrent la
crainte éprouvée par les autorités des idées que
peut répandre l'imprimé.
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