Chapitre 10 : Une manière de véhiculer
des idées :
Comme l'évoque Henri-Jean Martin à propos de
Richelieu, « l'imprimé est un excellent moyen pour véhiculer
des idées, des opinions, de la propagande, ...
»443. La révolution ne résulte pas de
l'imprimé, mais c'est le développement exponentiel de ce dernier
qui la facilite : la communication des idées entre personnes
éclairées, puis entre celles qui souhaitent s'informer,
crée un intérêt commun, la res publica. Cette
chose publique existe si un certain nombre d'intellectuels décide de
s'informer sur les travaux institutionnels, considérant que l'Etat
appartient à tous et qu'il faut veiller à la bonne tenue de son
évolution. C'est aussi du maintien de cet état d'esprit que
dépend la survie de la République, car les libertés ne
443 MARTIN, Henri-Jean, Le livre français sous
l'Ancien Régime, 1987, Promodis, p. 143.
subsistent pas si on les délaisse. C'est pourquoi un
grand nombre de personnes a un intérêt marqué pour
l'actualité durant cette période propice aux changements, ce qui
explique le développement des périodiques, tant en
quantité qu'en contenu. C'est pourquoi ce chapitre doit cerner les
différentes utilités que peut revêtir l'imprimé, en
montrant d'abord que c'est un élément de pouvoir, en
l'envisageant ensuite comme moyen de diffuser de la propagande, puis en le
considérant comme un moyen de légitimer le pouvoir en place,
enfin en essayant de sonder l'étendue de la diffusion des
imprimés angevins.
I- Un élément de pouvoir.
Dans différents cas, la production imprimée peut
être envisagée comme un facteur de pouvoir. En effet, puisque
l'imprimé permet la communication et la diffusion d'opinions, il est
souvent utilisé par l'Etat et les intellectuels pour répandre des
points de vues. Il se révèle d'abord comme un témoin de
l'aptitude de l'Etat à contrôler les idées par la censure,
en dévoilant son niveau de puissance à travers la présence
ou l'absence d'interdictions d'imprimer. Il témoigne aussi de
l'influence que cherchent à acquérir les hommes politiques
à travers les textes qu'ils font publier pour répandre leurs
opinions personnelles, que ce soient des documents officiels ou des
publications de sociétés ou personnelles.
L'imprimé peut être considéré comme
un élément révélateur du pouvoir de l'Etat, si l'on
cherche à mesurer les libertés et restrictions qui
régissent le métier d'imprimeur. En effet, lorsque le pouvoir
royal est influent, il contrôle la production imprimée afin de ne
pas laisser diffuser des idées allant à l'encontre de son
autorité. A l'opposé, lorsqu'il est faible, il doit se
résigner à voir paraître toutes sortes de documents, dont
un grand nombre qui le critiquent. De ce fait, il est possible de remarquer que
le pouvoir royal est considérablement affaibli à la veille de la
Révolution par le document n° 70444 : celui-ci
présente le poids des charges qui pèsent sur les angevins et qui
restreint leurs dépenses liées à la vie quotidienne. C'est
pourquoi, selon Louis Viger, l'auteur de ce livre, il faut
considérablement alléger la charge de ces pauvres gens par une
réforme sociale. L'idée d'imposer la noblesse afin
d'améliorer la condition de l'ensemble de la population est donc
présentée dans ce livre récompensé par
l'académie d'Angers en 1787445, mais publié seulement
en 1789, lorsque la liberté d'imprimer le permet.
Cependant, il est aussi possible d'envisager l'étude du
pouvoir que les hommes politiques cherchent à acquérir en faisant
publier des textes. En effet, l'imprimé procure une
444 Discours sur cette question : quels sont les moyens d
'encourager le commerce à Angers ?, Mame, 1789.
445 Voir le chapitre 1 : Les cadres juridiques de la production
imprimée en France ; I- B.
autorité (relative) du fait qu'il permet de communiquer
des opinions et, ainsi, de les transmettre à d'autres personnes. Un
grand nombre d'opinions sont publiées à Angers durant la
période révolutionnaire, la plupart des auteurs affichant
clairement leur intention d'influencer les idées de leurs lecteurs.
Ainsi, la circulation des idées est importante à Angers, mais
essentiellement au début de la période. Ensuite, sous la Terreur,
la production est largement dominée par l'impression de textes
officiels. Néanmoins, l'utilisation qui est faite de ces derniers est
totalement différente et ne dissimule nullement les textes
d'opinions.
Les professionnels du livre ont donc une position
prépondérante dans la diffusion des idées nouvelles,
notamment auprès des cercles restreints qui appartiennent aux
sociétés politiques, auxquelles ils participent souvent, et qui
font de la propagation des innovations idéologiques une priorité.
<< Par les lectures qu'il propose dans le cadre de son cabinet politique,
on voit que Mame s'intéresse largement à l'évolution des
idées dès 1781 >>446. Sous l'Ancien
Régime, les clubs sont des lieux de sociabilité intellectuelle
où << lectures et débats sont consacrés aux
événements révolutionnaires. [...] Ces clubs se
transformeront parfois en sociétés populaires au moment de la
Révolution >>447.
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