Chapitre 9 : Les moyens de la concurrence :
Dans le contexte révolutionnaire, avec la suppression
des corporations et la libéralisation des métiers, n'importe qui
peut désormais exercer celui d'imprimeur, comme tout autre. Le
métier d'imprimeur devient alors extrêmement attractif par sa
proximité avec la culture et l'information, d'une part pour compter
parmi les premières personnes informées, d'autre part pour
côtoyer les personnes cultivées. Les premiers à être
tentés par cette profession sont les libraires qui, souvent, tentent
depuis longtemps d'y accéder mais n'y parviennent pas en raison de la
forte concurrence pour accéder à un poste. A Angers, par
opposition à de plus grandes villes, il ne semble pas y avoir
d'imprimeur qui arrive avant 1797, excepté Jahyer et Geslin qui prennent
la succession d'André-Jacques Jahyer. Cela peut signifier que le nombre
d'imprimeurs présents à Angers suffit à la production
locale. Il faut donc vérifier quelle est la
nature de la concurrence dans cette ville. Celle-ci s'effectue
à travers la course aux titres, l'implication politique et la
publicité.
I- La course aux titres :
Si les imprimeurs ont montré une farouche opposition au
système des privilèges avant la Révolution, ils semblent
néanmoins en apprécier les conséquences et vouloir la
survie de ce système sous d'autres formes. En effet, ils ont
lutté contre ce système qui centralisait la majeure partie de la
production imprimée française entre les mains des imprimeurs
parisiens. Mais, maintenant que la production est plus équilibrée
avec la province, ils veulent à leur tour profiter de ce système
qui leur assure des commandes régulières, donc la
sécurité financière. Ainsi, chacun veut pouvoir se vanter
d'être l'imprimeur d'une organisation, association, administration, ...
(le Roi, l'évêque, l'administration du département,
...)411 . Néanmoins, si ce fait augmente la
notoriété de certains imprimeur dans leur ville d'exercice et
dans les alentours, cela ne favorise pas tous les imprimeurs et il peut sembler
étrange de ne trouver aucune protestation de ceux qui ont le moins de
<< privilèges >>. C'est pourquoi il est étonnant que
les imprimeurs s'empressent de recréer un système si proche du
précédent qu'ils critiquaient avant la Révolution.
A la fin des textes n° 1412, 4413 , 27414
et 78415, la note suivante est inscrite par
l'imprimeur : << A Angers, de l'Imprimerie de Jahyer, seul Imprimeur du
Roi, rue Saint-Michel >>. En fait, à la mort de François
Hernault, un autre imprimeur angevin, en 1762, André-Jacques Jahyer
devient le seul imprimeur officiel du Roi dans toute la
généralité de Tours. Désormais, il affiche sur une
large majorité de ses imprimés la mention << à
Angers, chez Jahyer, seul imprimeur du Roi >>. Cependant, le Roi nomme
Mame comme << imprimeur du Roi en survivance >> le 20 août
1787416. Par cette nomination, Mame devient à son tour
<< Imprimeur du Roi >>, tandis qu'André-Jacques Jahyer perd
sa place, au moment décisif auquel la production imprimée va
exploser. Il peut aussi paraître curieux que Jahyer affiche toujours ce
titre sur les textes n° 27, qui date de 1789, et 78, datant de 1790.
Charles-Pierre Mame détient une place
privilégiée : comme le montrent les titres qu'il inscrit sur les
documents qu'il publie, il est simultanément (ou successivement, selon
les cas) << garde de la librairie de l'université >> (1778),
<< imprimeur de la ville >> (1781), << imprimeur
411 A ce sujet, voyez le chapitre 3- Les principaux clients des
imprimeurs.
412 Almanach ou calendrier d'A nj ou, pour l'année
commune 1787, Jahyer, 1787.
413 Edit du Roi, portant création d'assemblées
provinciales (...), Jahyer, 1787.
414 Calendrier ou almanach d'A nj ou, pour l'année
1789, Jahyer, 1789.
415 Calendrier ou almanach d'A nj ou, pour l'année
1790, Jahyer, 1790.
416 DAUDIER, Matthieu, Op. Cit., p. 83.
de Monseigneur l'évêque >> (1781), <<
de Monsieur, frère du Roi >> (juin 1781), << du Roi >>
(1787), << du collège >>, << du chapitre >>,
<< de la municipalité >> (1790), << du
département de Mayenne et Loire >>, puis << du
département de Maine-et-Loire >> (1790-1797). Cette position,
largement favorisée par la municipalité, provoque la convoitise
des autres imprimeurs qui tentent de pondérer cette situation en
profitant de certains marchés que Mame ne peut pas développer, du
fait de la charge de travail fournie par l'administration. En 1792, il imprime
le document n° 221417 et inscrit à la fin du texte
<< Imp. du tribunal criminel >>. En fait, il est imprimeur de
l'administration centrale du département de Maine-et-Loire en
général, mais, afin d'augmenter sa notoriété, se
déclare imprimeur de chaque organe de l'administration
départementale en particulier.
Généralement, au début de la
période, tout à la fin des Affiches d'Angers, Mame signe
: << A Angers, de l'imprimerie de Monsieur, Chez Mame, Imprimeur de Mgr
l'Evêque, au bas de la rue Saint-Laud. 1787. >> Cependant, à
partir de sa nomination comme imprimeur du Roi en 1787, il ne se dit plus
imprimeur de l'évêque : le titre d'imprimeur du Roi est beaucoup
plus prestigieux que le précédent. Il reste néanmoins le
seul imprimeur de l'évêque, mais ne dégage plus sa
principale activité des impressions pour l'Eglise. En 1789, Mame profite
de sa situation privilégiée dans l'imprimerie angevine pour
multiplier les titres : dans le document n° 51418,
il se déclare << Imprimeur des volontaires de la garde
nationale de cette ville >>, et, dans le texte n°
70419, il se dit << Imprimeur de l'Académie
>>.
La recherche de ces titres montre bien que chacun des
différents imprimeurs veut travailler pour des personnes dont il sait,
grâce à ces monopoles, qu'il est le seul imprimeur. En fait, il
semblerait qu'ils veulent garder le système des privilèges qui
était si ardemment critiqué sous l'Ancien Régime,
désirant seulement éliminer certaines entraves à leur
production et à leur commerce : ce n'est pas proprement la monarchie, ni
la rigueur de la royauté, qui les dérangent, mais seulement le
monopole parisien qui empêche l'imprimerie provinciale de
prospérer et les entraves provoquées par le régime de la
censure à l'exercice de leur profession. C'est pourquoi, la censure
ayant mal été supprimée, elle est rétablie aussi
aisément par le pouvoir lorsqu'il le désire.
417 Jugement du tribunal criminel du département de
Mayenne et Loire, du 15 février 1792, Mame, 1792.
418 Règlement des volontaires de la garde nationale
d'Angers, du 3 décembre 1789, Mame, 1789.
419 Discours sur cette question : quels sont les moyens
d'encourager le commerce à Angers ?, Mame, 1789.
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