IV / - Essai d'évaluation des
conséquences à long terme de l'épisode El Niño
de 1982-83 sur le territoire équatorien
(étude de faisabilité)
A / Premiers éléments de
réponse
L'Equateur a retenu mon attention pour plusieurs raisons qui ont
été évoquées tout au
long du texte et que je résume ici. Tout d'abord,
rappelons que les mécanismes pluviogènes,
plus particulièrement sur sa marge littorale,
dépendent directement des conditions océaniques
et du positionnement de l'Equateur Météorologique,
les deux paramètres étant liés. Or, lors
des événements ENOA, l'Equateur est le premier pays
à être atteint par le courant
anormalement chaud et ses phénomènes induits
(modifications de la dynamique érosive
littorale, perturbation des écosystèmes marins) et
ce, nous l'avons vu, sur la plus longue
période. Par ailleurs, les épisodes El Niño
étant associés à une migration de l'EM en direction
du sud, les régimes pluviométriques
équatoriens apparaissent profondément bouleversés en
phase ENOA. Des précipitations fortement
excédentaires généralisées (sauf dans l'Oriente)
et
très supérieures aux moyennes saisonnières
s'étalent pendant plusieurs mois et sont à l'origine
de toute une série d'aléas physiques tels que des
inondations, des glissements de terrain, des
translations du lit des rivières, etc.,... Ces
phénomènes inopinés d'origine naturelle
entraînent
à leur tour des conséquences notoires sur les
enjeux humains, ce qui place l'Equateur comme
l'un des pays andins le plus durement touché, en valeur
relative, puisque 15% de sa
population a été directement ou indirectement
concernée par les préjudices attribuables à
l'épisode de 1982-83. En résumé, il
apparaît que, même si tous les phénomènes
associés ne
sont pas systématiquement négatifs sur son
territoire (Cf. III/C), l'Equateur s'avère malgré
tout être un pays profondément affecté par
les événements El Niño récurrents d'autant que
les
aléas à l'origine des catastrophes interviennent
majoritairement dans la région côtière, zone
économiquement prépondérante. Ces
perturbations bouleversent fortement son organisation
générale parfois plusieurs décennies
durant.
Je propose donc dans ce dernier paragraphe de soulever des
interrogations et de
formuler des pistes de recherche au sujet des conséquences
à plus long terme des phénomènes
physiques induits par l'avènement des épisodes El
Niño sur les enjeux humains. Une réflexion
initiale est à développer en vue de savoir si
l'analyse des effets à terme est réalisable sur le
territoire équatorien. Je suggère d'établir
une première évaluation qui constituera un canevas à
étayer ultérieurement au cours d'une thèse
de doctorat. L'événement de 1982-83, considéré
comme l'un des El Niño les plus intenses du siècle,
a été retenu comme point de départ pour
cette étude.
Est-on en mesure aujourd'hui de discerner en Equateur des
dysfonctionnements ou à
l'opposé des améliorations dans l'organisation des
structures sociétales attribuables au
phénomène survenu il y a 17 ans ? Dans quelle
mesure les effets de l'épisode El Niño de
1982-83 influencent-ils encore la situation
socio-économique actuelle de l'Equateur ? A-t-il
contribué à la péjoration d'une situation de
crise qui existait avant son avènement ou alors l'at-
il déclenché ? La difficulté majeure de ce
genre d'analyse relève de la nature extrêmement
variée de tous ces indices qui rend leur identification
fort complexe.
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A-t-on observé des changements dans les pratiques
sociales, des perturbations des
réseaux de communication, des formations où des
relocalisations de quartiers, des
modifications dans l'aménagement et la gestion des
territoires suite à l'épisode El Niño de
1982-83 qui soient encore perceptibles aujourd'hui ? Y a-t-il eu
une prise de conscience
nationale du danger encouru lors de l'événement de
1982-83 et a-t-elle débouchée sur des
mesures au niveau international, national, régional ? Des
mesures ont-elles été entreprises
pour réduire les impacts des catastrophes et ou pour
prévenir l'occurrence des aléas ? Des
erreurs ont-elles été commises ou au contraire
constate-t-on des progrès ? La population a-telle
mieux été préparée pour faire face au
dernier événement à la lumière des enseignements
de l'événement 82-83 ? A-t-on constaté un
manque d'efficacité de certains organismes ou de
certaines administrations ? Si oui, quelles leçons a-t-on
tiré de ces lacunes dans la gestion des
crises imputables à El Niño ? Mais surtout,
observe-t-on aujourd'hui une gestion plus
efficace, plus optimale, plus performante des crises ? A-t-on
amorcé des réformes dans
certaines structures impliquées dans la gestion des crises
? A-t-on voté des lois, adopté de
nouvelles normes, établi de nouveaux plans d'occupation
des sols (interdiction de construire
en zone inondable ou dans les secteurs littoraux en
régression...) ?
Ces questions auxquelles il n'est pas évident de
répondre dès à présent de manière
précise constituent une des trames essentielles de mes
investigations futures. Je propose de
formuler dans les lignes qui suivent un début de
réponse.
Il est certain que l'épisode El Niño de 1982-83 a
profondément marqué à l'époque la
communauté internationale et l'Equateur et qu'il continue
d'influencer dans bien des aspects
les structures socio-économiques actuelles du pays.
Tout d'abord dans le domaine de la prévision de
l'occurrence des phénomènes,
plusieurs mesures ont été prises favorisant ainsi
la mise en garde des populations afin de
minimiser l'impact des aléas induits.
J.F Nouvelot et P. Pourrut93 écrivaient en 1984-85 :
«Etant donné ses conséquences
parfois catastrophiques, il était normal (...) que El
Niño donne lieu à des études plus
spécifiques. C'est ainsi que le Chili, la Colombie,
l'Equateur et le Pérou ont formé le groupe
ERFEN94 qui, principalement sur la base d'échanges
d'informations météorologiques et de
croisières océanographiques, essaie de comprendre
et de prévoir l'apparition du phénomène.
Par ailleurs, à l'échelle internationale, il existe
un groupe de travail mixte COI-OMMCPPS95
qui réalise des études détaillées sur
les conditions physiques, météorologiques et
biologiques de l'océan, en utilisant les données
recueillies et transmises par des stations
météorologiques fixes, des bateaux
océanographiques ou marchands, des bouées dérivantes,
des satellites, etc.»
93 NOUVELOT J.-F., POURRUT P., 1985, El Nino,
phénomène océanique et atmosphérique - Importance
en
1982-83 et impact sur le littoral équatorien, Cahiers
Orstom, série Hydrologie, vol. XXI, No 1, pp. 39-65.
94 Estudio Regional del Fenómeno El Niño,
aujourd'hui COPEFEN (Unidad Coordinadora del Programa de
Emergencia para Afrontar el Fenómeno El Niño).
95 COI : Commission Océanographique Internationale ; OMM :
Organisation Météorologique Mondiale ; CPPS :
Commission Permanente du Pacifique Sud) à l'origine du
programme TOGA (Tropical Oceanic and Global
Atmosphere)
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En ce sens, les organismes chargés de l'observation et de
la surveillance des variations
des dynamiques de l'Océan Pacifique et de
l'atmosphère ont annoncé au cours de l'année
1997 l'apparition d'une nouvelle phase ENOA. Aussi, les pouvoirs
politiques, en
collaboration avec des organismes scientifiques nationaux et
étrangers, ont-ils décidé
d'organiser une conférence internationale à Quito
en novembre 1997 au sujet des
«conséquences climatiques et hydrologiques des
événements El Niño à l'échelle
régionale et
locale»96 afin d'informer, de prévenir et de mettre
en garde les institutions nationales contre
les risques encourus.
Cette sensibilisation devait s'accompagner d'une meilleure
préparation des
populations face aux dangers. Dans ce domaine, les médias
ont largement contribué à
véhiculer l'information mais encore faut-il que tout un
chacun ait accès à un téléviseur, à une
radio ou à des journaux qu'il soit en mesure de lire.
Les graves inondations qui ont touché en 1982-83
l'ensemble du bassin inférieur du
Río Guayas ont impulsé la construction d'ouvrage de
contention des crues. Un bilan sur cette
thématique a été établi en 1993 par
F. Rossel, E. Cadier et G. Gómez97. «Esta marcada
influencia del fenómeno ENSO en el litoral ecuatoriano ha
obligado al gobierno a tomar
medidas precautelatorias ante posibles eventos
hidrometeorológicos que provocan
inundaciones en esta importante zona de desarrollo
económico del país, mediante la
planificación, diseño y construcción de
obras de infraestructura para la protección contra las
inundaciones».
C'est ainsi que la ville de Babahoyo située dans la partie
inférieure de ce bassin
versant et qui avait subi des inondations catastrophiques en
1982-83, a été épargnée lors du
dernier événement grâce à la
construction d'un endiguement et de retenues d'eau en amont.
Il semble que de nombreux efforts aient été
menés aussi bien au niveau national que
supranational dans la perspective d'améliorer les
prévisions météorologiques d'une part et de
minimiser les répercussions des aléas d'origine
naturelle qui accompagnent les épisodes El
Niño d'autre part. Mais, compte tenu de l'ampleur des
dégâts estimés à plus de 2800 millions
de dollars pour l'Equateur lors du dernier
événement, on est en droit de se demander si ces
mesures n'ont pas été en définitive
insuffisantes et si les structures d'intervention d'urgence
n'ont pas été inefficaces et victimes de
dysfonctionnements.
Par ailleurs, comme le souligne F. Rossel et al., le manque de
travaux de régulation
des débits et leur trop faible capacité n'ont pas
permis non plus de juguler les inondations :
«Sin embargo es claro que en caso de surgimiento de
períodos lluviosos de frecuencia mayor,
como fue el caso del invierno catastrófico de 1983, la
presa Daule-Peripa se llenará en las
primeras crecidas, no pudiendo almacenar las crecidas posteriores
y su papel se limitará a la
reducción provocada por la liminación del pico en
el lago».
96 INAMHI, ORSTOM, 1997, Seminario Internacional, Consecuencias
climáticas e hidrológicas del evento El
Niño a escala regional y local, Incidencia en
América del Sur, Memorias Técnicas, Edición preliminar,
26-29 de
noviembre de 1997, Quito-Ecuador, 230p.
97 ROSSEL F., CADIER E., GOMEZ G., 1993, Las inundaciones en la
zona costera ecuatoriana: causas ; obras
de proteccion existentes y previstas, in Bull. Inst. Fr. Et.
And., Tome 22, No 1, pp. 399-420.
63
Parmi les causes contribuant à expliquer cette
inefficacité, on distingue en Equateur un
facteur politique de vulnérabilité
caractéristique, symbolisé par la très nette
dualité
économique et politique qui existe entre les villes de
Quito et de Guayaquil. La majorité des
fonds publics sont investis dans la province du Pichincha dont la
capitale est Quito aux
dépens du reste du pays.
Guayaquil, bien que plus peuplée, ne
bénéficie quant à elle que d'un pourcentage
réduit des ressources de l'Etat, ce qui n'autorise pas la
mise en place de campagnes
d'information et la réalisation d'ouvrages de mitigation
des aléas générateurs de dommages
dans les provinces du Guayas et d'une manière
générale dans les provinces rurales (la
province du Manabí en particulier). La corruption et les
détournements d'argent s'ajoutent
encore aux problèmes liés à l'inégale
répartition du budget national.
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