3 / - Les changements du tracé des cours d'eau
Les débits colossaux des cours d'eau résultant des
excédents pluviométriques qui
s'abattent sur certains endroits du monde lors des
événements El Niño, vont également influer
très distinctement la dynamique morphologique du lit des
rivières. Une étude a été entreprise
par N. Teves5 à propos de cette thématique sur un
cours d'eau nord-péruvien, le río Piura
(figure n°18). Il apparaît de manière
schématique que les crues entraînent le sapement des
berges et le remaniement d'une partie de la charge
déposée sur le fond du lit aboutissant à son
surcreusement compte tenu de la compétence
exceptionnellement élevée de la rivière.
Figure n°19 - Evolution latérale et
verticale du tracé du Río Piura au nord du Pérou
suite à l'occurrence de l'épisode El Niño de
1982-83, d'après N. Teves, 1993.
37
Jusqu'à présent, dans ce deuxième chapitre,
il a été uniquement question des
répercussions des aléas extrêmes
associés aux phases ENOA sur le plan physique abiotique
(anomalies hydrologiques, incidences sur le milieu
environnemental non vivant). Mais, il est
évident que la faune et la flore vont également
être concernées par ces effets induits
puisqu'elles font partie intégrante du système
écologique global.
4 / - Impacts sur le monde animal et
végétal
Il s'agit dans ce paragraphe d'aborder quelques
répercussions ayant trait au monde
zoo- et phyto-biologique car nous le verrons par la suite,
certaines d'entre elles auront un rôle
capital pour les activités humaines (ressources
potentielles).
Les ENOA comportent, nous l'avons décrit au
préalable, une composante aérologique
et une composante océanique qui se singularisent des
conditions habituelles. Les courants
maritimes connaissent une modification de leur circulation
normale (cf. I/B/1/c) qui va influer
directement la vie biologique marine. Ces bouleversements des
écosystèmes marins sont à la
mesure de l'immensité de cet océan et de
l'implication profonde qu'ont les événements El
Niño dans cette variabilité. Cette envergure motive
d'ailleurs la réalisation de cette partie.
Le Pacifique équatorial central et oriental
présente la particularité de concentrer un
upwelling côtier et un upwelling équatorial. Cette
prédisposition fait de cet écosystème marin
un espace extrêmement riche sur le plan de la
biodiversité.
«L'upwelling équatorial de pleine mer et l'upwelling
côtier, le long du littoral chilénopéruvien
se repèrent par la turbidité et la couleur des eaux
qui sont significatives de
l'abondance de plancton. Les processus d'upwelling assure la
remontée d'éléments nutritifs,
premier maillon de la chaîne alimentaire» (Moreau67,
1995). Lors des phases négatives de
l'IOA, le courant marin anormalement chaud migre davantage vers
le sud le long de la côte
péruvienne inhibant ainsi la remontée des eaux
froides. Or ces eaux plus chaudes contiennent
des éléments nutritifs en quantité bien
moindre. Cette carence introduit une rupture dans la
chaîne écologique et commence par provoquer la mort
du zooplancton et du phytoplancton.
Par voie de conséquence, les populations pélagiques
côtières en premier lieu et l'avifaune en
second lieu pâtissent à leur tour de ce manque de
nourriture et l'on observe la disparition ou la
migration de la plupart des espèces animales le long de la
côte péruvienne.
«The nearshore marine fauna shows different kinds of reponse
when exposed to
environmental changes associated with El Niño phenomenon.
In function of their ability to
adapt themselves to variations of sea-water temperature,
salinity, dissolved oxygene, currents,
sediment influx, food availability, etc., the distinct species
may survive, migrate or die (J.
Macharé et L. Ortlieb68, 1992).
67 MOREAU E., 1995, Synthèse du phénomène El
Niño/Oscillation Australe, Mémoire de DEA.
68 MACHARÉ J., ORTLIEB L., 1992, Recent research on
records of former El Niño events in Perú, in « Paleo
ENSO Records » - International Symposium, Extended
Abstracts, L. Ortlieb et J. Macharé Ed., Orstom-
Concytec, Lima, March 1992, pp. 177-183.
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Les coraux subissent également des perturbations comme
l'explique J. Merle69. «Thus
it is possible to associate the bleaching syndrome and death of
coral with the general warming
of surface waters in tropical ocean which occurs during an El
Niño phenomenon».
Sur les continents, les anomalies
hydro-météorologiques vont sans controverse avoir
des incidences sur la flore et la faune naturelles mais aussi sur
l'élevage et les cultures... En
effet, qu'il s'agisse d'un déficit ou d'un excédent
hydrique, dans les deux cas, ces
manifestations inhabituelles vont entraîner des effets plus
ou moins néfaste sur la végétation
et sur le développement des espèces animales. La
sécheresse, observée par exemple au sud du
Pérou et sur l'Altiplano bolivien engendre des
problèmes de croissance végétale et provoque
même la mort de certaines espèces sensibles. Les
inondations, là encore mettent à mal de
nombreuses plantes qui, submergées par les eaux,
dépérissent rapidement70.
Les écosystèmes océaniques et continentaux
subissent donc un certain nombre de
dysfonctionnements qui vont dès lors se répercuter
sans conteste sur les activités
anthropiques.
Les deux premières parties ont traité
essentiellement de thématiques relevant de
la géographie physique. Dans le premier chapitre,
je me suis appliqué à introduire le
système naturel complexe d'interrelations qui
couple une composante océanique et une
composante aérologique déterminant le
phénomène El Niño. Nous avons vu que son
avènement s'accompagne d'une modification
très nette des circulations atmosphérique
et marine moyennes du domaine Pacifique étendu,
conduisant notamment au
déplacement de l'EM, structure pluviogène,
en direction du sud. Nous avons également
analysé l'augmentation de l'intensité et de
la récurrence des phénomènes amorcée
dans
les années 1970. En continuité, dans le
deuxième chapitre, nous avons étudié le fait
que
ces changements de circulations aérologiques et
océaniques entraînent de multiples
perturbations des régimes
hydro-météorologiques habituels, notamment par le biais
de
l'EM, dans les régions intertropicales. Ces
bouleversements sont à l'origine d'une
première série d'aléas
«naturels» que sont d'une part les inondations et d'autre part
les
sécheresses. L'Amérique Latine a
été retenue comme lieu d'étude car c'est une
région
du monde où le phénomène est connu
depuis plusieurs siècles et où ses incidences sont
particulièrement bien identifiées. Cette
première série de manifestations climatiques et
marines extrêmes joue à son tour un
rôle capital sur l'évolution des milieux
morphodynamiques
et sur les écosystèmes océaniques et
terrestres qui enregistrent de profondes
ruptures dans leur fonctionnement ordinaire, le tout
formant un enchaînement
complexe d'aléas. A titre d'exemple, il a
été mis en évidence la corrélation qui
existe
entre l'occurrence des glissements de terrain et
l'avènement des épisodes El Niño.
En tant que géographe, ces modifications de
l'environnement physique et
biologique permettent de faire la transition en
intégrant désormais l'homme, dans la
mesure où ce dernier occupe et aménage le
cadre physique sujet à des mutations
périodiques au cours des années à
Niño mais aussi dans la mesure où il exploite les
ressources (là encore fluctuantes) de cet
environnement. Cette thématique s'inscrit de
manière explicite dans la problématique de
l'interface Nature/Sociétés.
69 MERLE J., 1997, South Pacific climate variability and its
impact on low-lying islands, Tema 2b, Art. 14
Pag.1, in Seminario Internacional, Consecuencias
climáticas e hidrológicas del evento El Niño a escala
regional
y local, Incidencia en América del Sur, Memorias
Técnicas, Orstom-INAMHI, noviembre de 1997, Quito.
70 Cette thématique sera détaillée dans le
chapitre III
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