b) Les témoignages
Les témoignages font souvent l'objet d'un compte-rendu
dans le supplément « Livres » du quotidien. Ils n'ont pas la
même prétention historique que les précédents
articles : le
témoignage revendique une approche subjective des
faits.
Parmi ces témoignages, on remarque une
prépondérance de livres écrits par des nostalgiques soit
de l'Algérie française, soit de l'Algérie tout court. Tout
particulièrement, les anciens de l'O.A.S. sont très
présents sur ce terrain de l'édition, suite à l'amnistie
(cf.infra). Sergent publie le deuxième tome de ses souvenirs en
196827, Jouhaud28 et Salan29 le font en 1969.
Les comptes-rendus qui en sont faits, restent modérés ; sans
qu'il y ait adhésion aux thèses des auteurs, leur opinion est
respectée et y est souligné l'apport qui est fait sur la
connaissance du fonctionnement de l'O.A.S.30 Mais ce n'est pas tant
le contenu qui est apprécié qu'« une vivacité, une
chaleur et une franchise que l'on cherche vainement dans d'autres
mémoires »31.
Autre catégorie de nostalgiques, les «
nostalgiques modérés » dont Pierre Laffont, en tant
qu'ancien maire d'Oran, est le meilleur représentant. M. Laffont est un
habitué des tribunes du journal, sa signature revient souvent durant la
période 1968-1972. Le compterendu sur son livre L
'Expiation32, paru dans le numéro daté
du 9 juillet 1968, signale essentiellement le sentiment de rancoeur qui domine
à la lecture du témoignage. Même si les prises de position
de M. Laffont étaient hostiles à l'O.A.S., on peut le rapprocher
des anciens de l'O.A. S. par la teneur générale de leurs
souvenirs : ils révèlent une mémoire commune se
caractérisant par la déception et la nostalgie.
Un autre type de témoignage est constitué par
les livres de généraux « républicains », par
opposition aux « généraux félons » : le
général Massu, le général Dulac et le
général Ely33. Ce sont des ouvrages moins
exaltés mais qui se distinguent par leur apport historique. Ayant
côtoyé les principaux acteurs du conflit, ils donnent leur
vérité sur les grandes interrogations liées à la
guerre d'Algérie : la torture34 (cf. p.46) ou le rôle
de de Gaulle dans
27 P. Sergent, La Bataille, La Table Ronde, Paris,
1968
28 E. Jouhaud, Ô mon pays perdu, Fayard, Paris,
1969
29 R. Salan, Lettres de prison, La Table Ronde, Paris,
1969
30 surtout pour le livre de Sergent dans un compte-rendu paru le
7 novembre 1968
31 compte-rendu de Jean Planchais sur le livre de Jouhaud, 26-27
octobre 1969
32 P. Laffont, L 'Expiation, Plon, Paris, 1968
33 J. Massu, La Vraie bataille d'Alger, Plon, Paris,
1971 ; P. Ely, Suez..., le 13 mai, Mémoires, Plon, Paris, 1969
et A. Dulac, Nos guerres perdues, Fayard, Paris, 1969
34 Compte-rendu de Jean Planchais « Les Arguments de Massu
» 10 novembre 1971
l'opération « Résurrection » (cf.
p.40) prévoyant le débarquement de troupes en
métropole35.
Un autre type de témoignage, plus singulier, est celui
du militant F.L.N. C'est en 1970 que sort le livre de souvenirs de Mohamed
Lebjaoui36, premier responsable de la fédération de
France du F.L.N. jusqu'en 1957. La critique de Philippe Herreman37
est plus argumentée que les comptes-rendus de Jean Planchais sur les
témoignages français. S'agissant de l'histoire côté
algérien, la distanciation est sans doute plus évidente.
Témoignage d'autant plus intéressant qu'il est le premier
écrit par un Algérien, permettant de mieux comprendre les
motivations du militant F.L.N. et de mieux saisir les luttes de clan à
l'intérieur du parti, mais le livre passe inaperçu à sa
sortie en France tant la légitimité du combat nationaliste reste
ignorée.
A travers ces différents comptes-rendus de
témoignages, on s'aperçoit du clivage marqué entre les
différents groupes porteurs de mémoire. Chacun cherche à
justifier son combat : l'histoire n'est plus une discipline scientifique mais
un enjeu, alors on triche un peu avec elle, avec la vérité. Or,
témoigner, c'est aussi livrer ses blessures à la thérapie
de l'écriture : l'agressivité est généralement
absente de ces livres et quand adversaire il y a, c'est rarement
l'Algérien mais bien plus souvent le Français ; que ce soit le
métropolitain, le général de Gaulle ou la presse. Ces
ouvrages forment un patchwork de souvenirs, parfois contradictoires. Mais c'est
dans cette diversité et cette contradiction de souvenirs que le lecteur
se forge sa propre mémoire sur la guerre d'Algérie. Peut-on alors
dire comme Benjamin Stora que le livre « fait dériver les solitudes
des groupes porteurs de la mémoire de guerre, transfère les
conflits, cristallise les agressivités, se transforme en arme
»38 ? On peut rester sceptique : où voit-il tant
d'agressivité ?
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