III-1 Historique du marché obligataire
international.
L'obligation est l'un des instruments les plus anciens du
système financier international. De tout temps, et grâce à
des émissions étrangères, des non-résidents ont
emprunté des sommes importantes sur certains marchés nationaux en
se conformant à la réglementation du pays où se
réalisait l'émission. Une émission obligataire
effectuée par une entreprise française sur le marché de
Zurich et un emprunt réalisé par une entreprise allemande sur le
marché obligataire de New York sont deux exemples d'opérations
qui présentent les caractéristiques d'une émission
étrangère. Souscrite par un syndicat de banques et d'institutions
financières du pays où s'effectue l'émission, cette
dernière est généralement libellée dans la devise
du pays.
Le terme « euro-obligation » est le nom qui fut
donné en 1963 aux émissions réalisées à
Londres par des emprunteurs européens à partir de ressources en
dollar. Par la suite, cette dénomination s'est étendue aux
emprunteurs de toute nationalité, opérant sur d'autres places
financières à partir de devises diverses.
Une euro-obligation est un titre de créance doté
d'un statut fiscal privilégié, émis par un syndicat de
banques internationales et placé dans des pays différents de
celui dont la monnaie est utilisée pour libeller l'emprunt. Cette
dernière caractéristique est toutefois théorique, car de
nombreux titres sont finalement placés auprès d'investisseurs
dont la nationalité correspond à celle de la devise
utilisée par l'emprunteur.
La présence d'un syndicat d'émission
constitué de banques internationales et l'exemption de la retenue
à la source de la part du pays où se fait l'émission sont
deux éléments essentiels pour définir une émission
euro-obligataire et la distinguer d'une émission nationale. Le syndicat
permet d'assurer une diffusion internationale des titres. Le statut fiscal
dérogatoire est une condition nécessaire à l'existence
d'euro-obligations, car dans tous les pays du monde le fisc retient à la
source une partie des intérêts contractuels.
À l'époque où les autorités
américaines mettaient en place la taxe de péréquation, les
filiales européennes des entreprises américaines étaient
conduites à se tourner vers le marché international pour financer
leurs investissements. L'ampleur de leurs besoins de financement,
l'étroitesse de la plupart des marchés de capitaux
européens et les entraves érigées par certains
gouvernements locaux étaient trois raisons qui les contraignaient
à se tourner vers ce nouveau marché.
L'instauration de la taxe de péréquation des
taux d'intérêt a sans aucun doute favorisé le
développement du marché euro-obligataire sur lequel les
émissions sont effectuées en dehors de toute
réglementation édictée par les pouvoirs publics. Cette
taxe, qui devait être une mesure temporaire, ne fut supprimée
qu'au 1er janvier 1974. Pendant ces dix ans, plus de 30 milliards de
dollars furent empruntés sur le marché euro-obligataire et le
volume des émissions dépassa celui des émissions
étrangères réalisées à New York.
Beaucoup d'observateurs crurent que la suppression des mesures
restreignant l'accès des non-résidents au marché de New
York allait être une menace immédiate pour le marché
euro-obligataire, et plus spécialement pour sa composante dollar. Ils
pensaient que ce marché ne pourrait pas survivre à la suppression
de la taxe de péréquation. En fait, la levée de cette taxe
n'a pas freiné son dynamisme. Le marché des euro-obligations a
poursuivi, bien au contraire, un développement parallèle au
renouveau des émissions étrangères à New York et
à leur essor sur les places de Zurich, de Francfort et de Tokyo.
La suppression en juin 1984 de la retenue à la source
sur les titres émis sur le marché obligataire américain
aurait pu freiner le développement du marché euro-obligataire. En
fait, tel ne fut pas le cas, puisque le volume des émissions a
littéralement explosé, passant de 50 milliards de dollars en 1983
à 735 milliards en 1997. Ces chiffres prouvent que le marché
euro-obligataire avait acquis en quelques années une réelle
autonomie et qu'il apportait des services spécifiques aux
emprunteurs.
De 1980 à 1997, plus de 85 % des émissions
étrangères furent effectuées sur les marchés de
Zurich, de New York et de Tokyo. Les émissions en franc suisse
représentaient à elles seules plus de 45 % des émissions
étrangères entre 1980 et 1991. Le pourcentage a fléchi
depuis 1992, même si le montant global des emprunts libellés en
franc suisse s'est légèrement accru. Cette importance s'explique
par l'interdiction notifiée par les autorités monétaires
suisses aux banques helvétiques d'utiliser le franc suisse comme monnaie
de libellé d'éventuelles euro-émissions. Ne pouvant
obtenir des francs suisses sur les marchés internationaux, il ne restait
aux emprunteurs que la possibilité de se présenter sur le
marché national en respectant les procédures locales. Comme le
note Hubert de La Bruslerie (1997, p 956), « Le caractère national
des émissions n'est cependant qu'une apparence. Le marché suisse
ne fait que prêter sa structure à des émissions qui sont en
réalité placées auprès d'investisseurs
étrangers. La grande majorité des souscriptions ne provient pas
des résidents suisses mais de capitaux internationaux
gérés par les banques suisses ». Ce qui est vrai du franc
suisse l'est également, dans une large mesure, des autres devises.
Les euro-obligations ne doivent pas être confondues avec
les obligations étrangères, mais elles en sont le prolongement.
La distinction entre les deux instruments est particulièrement floue. Il
arrive en effet que des non-résidents souscrivent, parfois massivement
à un emprunt étranger. La proportion des titres placés en
dehors du pays d'émission peut dépasser 20 %. Par ailleurs, une
fois émis, ces titres ont des caractéristiques très
proches de celles des euro-obligations. Pour bien les distinguer des
émissions nationales et euro-obligataires, les émissions
étrangères effectuées sur le marché
américain sont dénommées yankee bonds ; celles
effectuées sur le marché japonais sont cataloguées en tant
que samurai bonds. En Grande-Bretagne, on les appelle des bulldog
bonds et en Suisse des chocolate bonds.
Avec la relative uniformisation des procédures
d'émission et l'homogénéisation croissante des
emprunteurs, des titres émis et des investisseurs, distinguer une
émission étrangère d'une euro-émission devient une
véritable gageure. De la même façon, distinguer une
émission internationale d'une émission nationale de grande
ampleur souscrite par des investisseurs internationaux ou des
non-résidents (nous pensons aux émissions de titres publics
à Paris et à New York) est un exercice aussi difficile. À
l'exception des conditions réglementaires qui sont
(légèrement) plus contraignantes pour les emprunts
réalisés dans un cadre national, il n'y a plus de réelles
différences entre les émissions étrangères, les
euro-émissions et les émissions nationales souscrites par des non
résidents. Ces trois catégories de titres émis par les
mêmes émetteurs, souscrits par les mêmes investisseurs,
syndiqués par les mêmes banques, remplissent les mêmes
fonctions économiques et financières. Ce sont des
émissions obligataires internationales.
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