3.2.2 La politesse
négative
La politesse négative est de nature abstentionniste ou
compensatoire: elle consiste à éviter de produire un FTA, ou
à en adoucir la réalisation.
Sachant parfaitement que leur douleur ne peut pas être
réparée par des moyens financiers, le Gouvernement tout entier
s'est néanmoins mobilisé pour que soit établie la liste
exhaustive des victimes et que soient identifiés les héritiers
des disparus par l'établissement de jugements
d'hérédité, afin que leur soit remis ce que la loi leur
octroie en matière d'indemnisation, au-delà des actes de
solidarité de tous les instants. (Seck 2003 : 6)
Dans cet exemple, la politesse négative est
compensatoire. En effet, le FTAS est constitué par la promesse
d'indemnisation qui semble la seule alternative offerte aux parents des
victimes du bateau le Joola dans une société ou la vie
humaine est sacrée et n'a pas de prix. Le groupe pronominal
« sachant parfaitement que leur douleur ne peut pas être
réparée par des moyens financiers » permet d'adoucir le
FTAS en prévenant sur son interprétation.
C'est le même procédé qui est
utilisé dans l'exemple ci-dessous : ayant projeté des cartes
illustrant la situation de la pauvreté au Sénégal, le PM
demande aux députés de regarder la carte. Pour éviter que
cette demande ne soit comprise comme un ordre, il exprime sa demande sous la
forme d'une invitation. L'invitation devient donc l'adoucisseur d'une demande
allures d'injonction : « Pour s'en convaincre, je vous invite
à regarder cette carte » (Seck 2003 : 6).
Ou encore,
Sur ce total, je suis profondément peiné de
constater que seules 78 victimes disparues ont pu faire l'objet d'un jugement
d'hérédité à ce jour. Je comprends qu'encore
meurtries par la douleur, les familles endeuillées n'aient pas fait de
ces démarches administratives une priorité...(Seck 2003 :
7)
De même, dans ce passage, après avoir
déploré le retard ou le peu de volonté de la part des
familles des victimes du naufrage, le Premier ministre atténue sa
critique en leur trouvant des circonstances atténuantes.
Dans cet autre exemple :
Mon ambition et mon devoir sont de modifier la physionomie de
cette carte, en répondant à la demande sociale (Seck 2003 :
8),
l'affichage de son ambition est atténué par le
fait qu'il demeure non seulement une simple volonté de sa part, mais un
impératif explicité par le substantif
« devoir ».
Dans le même ordre d'idée, le Premier ministre,
en sous-entendant lui-même la compétence des membres du
gouvernement qu'il s'est choisis déroge à la règle de
bienséance qui postule que l'individu ne vante pas ses propres
mérites. Ce non respect de la norme est cependant atténué
par l'implication des députés qui auraient eux-mêmes
constaté cette compétence :
Pour faire face à cette mission, un soin particulier a
été apporté à la composition du Gouvernement que je
dirige. Vous avez déjà eu l'occasion d'apprécier
l'engagement autant que la compétence des ministres qui le composent.
(Seck 2003 : 8)
Ce même procédé est utilisé
à propos des audits. L'idée répandue au sein de l'opinion
publique était que le Premier ministre pilotait directement les missions
d'audits et les utilisait à des fins politiques contre ses
éventuels adversaires. Mai le Premier ministre se décharge sur
son prédécesseur qui, selon lui était l'unique responsable
de la conduite des missions d'audits. Toutefois, pour évacuer toute
idée d'acharnement, il prend la précaution de louer d'abord son
mérite :
Mon prédécesseur Mame Madior Boye, à qui
je tiens à rendre hommage, ne m'a laissé en instance que 2
dossiers d'audit nécessitant des informations complémentaires.
Sur les 30 dossiers qui lui avaient été transférés,
l'ancien Premier ministre en a classé 10, et transmis 18 à la
justice. (Seck 2003 : 10)
Mais à côté de l'atténuation
simple, basée sur des formules de politesse ou de nuance, nous avons
d'autres formes d'atténuation, notamment l'atténuation par
modulation. La modulation est une diminution du degré d'auto implication
du locuteur dans son dire.
Selon Robert Vion, elle intègre
Tous les processus tendant à diminuer la part de
subjectivité, et donc de risque, que chacun peut investir dans
l'interaction [...] : le registre de l'euphémisme, de
l'atténuation (...) des discours précautionneux (...) des actes
indirects, des préliminaires, des justifications, des autocorrections,
etc. (Vion 1992 : 244)
Dans notre corpus, nous avons des exemples
d'atténuations par modulation. Ceux-ci concernent principalement le
recours à d'autres voix (discours rapporté, polyphonie) et
permettent d'aller vers l'autre, pour négocier cette co-construction du
sens sans trop exposer sa face ou celle d'autrui.
Réagissant au drame du bateau le Joola, le
Premier ministre n'a d'autre solution à proposer qu'un conseil en
même temps qu'une exigence : celui d'être fort. Or, il peut
paraître surprenant de ne pas l'entendre plutôt sur les
éventuelles mesures coercitives à infliger aux coupables.
Dès lors cet appel risque de constituer un auto-FTAs menaçant sa
face négative (crédibilité, pouvoir de sanction). Aussi,
afin d'adoucir cet acte menaçant, recourt-il à une autre voix qui
assure l'énonciation de l'acte de langage suspect.
Puis: Froid du Nord, déficit pluviométrique, et
Naufrage du Joola.
Cette dernière épreuve nous a le plus
profondément marqués.
J'ai assisté au concert des enfants de l'école
franco-sénégalaise Dial Diop, le quinze décembre dernier.
Ils ont chanté leur douleur en ces termes :
« C'était un bateau blanc.
Qui naviguait dans le vent.
Il s'appelait le Joola.
Aujourd'hui, il n'est plus là.
Il y'avait nos parents.
Il y avait nos enfants.
Il y avait nos amis.
La mer nous les a pris.
Quand le bateau a coulé,
Tout le monde a pleuré.
Il y a eu trop de morts.
Il faudra être fort. »
Oui chers compatriotes, il faudra être fort. (Seck
2003 : 6)
L'injonction est d'autant moins suspecte qu'elle proviendrait
d'enfants dont l`innocence exclue tout calcul.
Un deuxième exemple de politesse par modulation nous
est fourni par ce passage :
Si l'argument de son oncle était les bons
impayés, Goor pourra se faire l'écho de l'interpellation
pathétique que Mamadou Moctar Ndiaye, leader politique et compagnon de
combat du Président de la République, m'a adressée
à l'occasion de mon écoute de la CAP 21 :
« Tranquillisez le pays, Monsieur le Premier ministre. Payez les bons
des paysans. Même si nous savons que ces bons n'émanent pas
du Gouvernement ». (Seck 2003 : 11)
Qu'elle soit positive ou négative, la politesse rend
possible la préservation mutuelle des faces menacées par la
plupart des actes de langage. Elle participe de la gestion des faces dans la
mesure où elle permet au locuteur de se concilier son auditoire.
Cependant, la gestion des faces est rendue complexe par le fait qu'elle n'est
pas uniquement constituée par les actes de politesse. Elle
intègre aussi les actes menaçants.
La stratégie de gestion des faces est basée sur
de normes sociale et communicationnelle. Sur le plan social, elle
procède d'une volonté de ménager la face d'autrui afin de
ne pas choquer son auditoire. Sur le plan communicationnel, elle participe au
principe de coopération entre actants de la communication.
De manière spécifique, la stratégie de
gestion des faces mise en oeuvre ici est inséparable du genre auquel
appartient ce texte, à savoir le discours politique. En effet, dans le
discours politique, la gestion des faces est révélatrice des deux
principales logiques qui le caractérisent à savoir la logique de
domination et la logique de séduction. La logique de domination justifie
les actes menaçants tandis que la visée séductrice
sous-tend les éléments de politesse.
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