Communication politique et séduction à travers la Déclaration de politique générale du Premier ministre Idrissa Seck à l'Assemblée nationale le 03 février 2003( Télécharger le fichier original )par Mamadou THIAM Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Dea Science du langage 2005 |
CHAPITRE 4 : L'ETHOS DISCURSIF OU IMAGE DE SOIDans le chapitre précédent, nous avons analysé quelques éléments de l'ethos prédiscursif. Dans le présent chapitre, nous nous efforcerons d'étudier l'ethos discursif ou l'image de soi, telle qu'elle se développe à travers la Déclaration de politique générale du Premier ministre Idrissa Seck. La pluralité des conceptions de l'ethos et les confusions qui peuvent en découler, nécessitent, d'une part, que nous fassions un rappel historique de la notion d'ethos. D'autre part, nous préciserons la conception de l'ethos que nous partageons et qui nous sert ici d'outil d'analyse. La notion d'ethos est, à la fois, très ancienne et très complexe. Elle a été mise en valeur par Aristote dans sa Rhétorique. Dans le système rhétorique d'Aristote, l'ethos constitue, avec le logos et le pathos, le triptyque autour duquel s'appuie et se déploie la persuasion. L'ethos renvoie à l'image du locuteur ; le logos représente l'appel à la raison par le moyen d'arguments rationnels ; tandis que le pathos réfère aux procédés rhétoriques qui ont pour objectif de toucher les passions de l'auditoire. Il s'agit là, comme l'a si bien compris Jean Michel Adam, de « trois pôles plus complémentaires que concurrents de tout mouvement argumentatif (...) ». Ainsi que le suggère le schéma (Adam 1999 : 102) suivant : LOGOS ETHOS PATHOS ARGU- MENTATION L'ethos est décrit par Aristote dans la Rhétorique (II, 1378a 6), comme étant ce par quoi les orateurs inspirent confiance. Ekkehard Eggs traduit ce passage de la manière suivante : Les orateurs inspirent confiance (a) si leurs arguments et leurs conseils sont compétents et raisonnables, (b) s'ils argumentent honnêtement et sincèrement, et (c) s'ils sont solidaires et aimables envers leurs auditeurs. (Eggs 1999 : 35-36) Ces trois éléments constitutifs de l'ethos qu'Aristote nomme phronésis (pensée, raison, intelligence), arèté (honneur, vertu, courage) et eunoia (bienveillance, complicité, sympathie), Roland Barthes les a résumés de fort belle manière : « Pendant qu'il parle et déroule le protocole des preuves logiques, l'orateur doit également dire sans cesse: suivez-moi (phronésis), estimez-moi (arèté) et aimez-moi (eunoia) » (Barthes 1985 : 125-126). Ce sont ces trois qualités de l'énonciateur ou du locuteur qui sous-tendent et bâtissent l'image que ses auditeurs ou co-énonciataires se font de lui. Cette image de soi a été, bien des fois, confondue avec l'image réelle du locuteur36(*). Il s'agit plutôt de l'image de soi telle qu'elle se constitue par et à travers le discours. En effet, nous convenons, avec Dominique Maingueneau, que « l'ethos se déploie sur le registre du « montré » et éventuellement, sur celui du « dit » ». Et que son efficacité est à chercher dans le fait « qu'il enveloppe en quelque sorte l'énoncé sans être explicité dans l'énonciation » (Maingueneau 1999 : 77). Dans cette même lancée, Ruth Amossy soutiendra qu' « (...) il n`est pas nécessaire que le locuteur trace son portrait, détaille ses qualités, ni même qu'il parle explicitement de lui. » En effet, poursuit Amossy, son « style, ses compétences langagières et encyclopédiques, ses croyances implicites suffisent à donner une représentation de sa personne » (Amossy 1999 : 9). De manière plus nette, Oswald Ducrot précise : Il ne s'agit pas des affirmations flatteuses que l'orateur peut faire sur sa propre personne dans le contenu de son discours, affirmation qui risque au contraire de heurter l'auditoire, mais de l'apparence que lui confèrent le débit, l'intonation, chaleureuse ou sévère, le choix des mots, des arguments... (Ducrot 1984 : 201) Cet éclairage historique et conceptuel de la notion d'ethos, nous permet de préciser l'orientation méthodologique de notre recherche. Il ne s'agit pas pour nous, ici, de dire, comment est le Premier ministre. Nous nous proposons simplement de voir quelle image de lui reflète son discours à l'occasion de la Déclaration de politique générale. 1. LA « PHRONESIS »Aristote (Rhétorique I, 1366 a 20) considère que la phronésis (raison pratique) est une bonne disposition intellectuelle qui rend capable de bien délibérer sur les biens et les maux [...] en vue du bonheur. Cette bonne disposition pratique renvoie au bon sens de la démarche et donc de sa cohérence et de sa pertinence. Nous étudierons donc la phronésis sous l'angle de la méthode et de la démarche adoptée par le Premier ministre Idrissa Seck. Dans sa Déclaration de politique générale, le Premier ministre fait preuve d'un esprit de méthode, autant dans la manière de gérer les affaires de la Cité, que dans la manière de décliner son programme. Nous avons donc là une double méthode aussi bien dans les propos que dans les actions. La méthode dans les propos renvoie à l'organisation et à la clarté du discours. C'est une méthode à la fois classique et novatrice qui permet à l'auditoire de bien s'imprégner du discours qu'on lui sert. La méthode est classique en ce sens que la Déclaration de politique générale obéit aux grands principes rhétoriques. En effet, elle comporte une introduction ou exorde, un développement et une conclusion. Dans l'exorde, le Premier ministre justifie d'abord son face-à-face avec les députés : Le Peuple, souverain dans ses décisions, vous a assigné la mission d'être le médium honoré par lequel je lui présente humblement, aujourd'hui, ma feuille de route devant conduire à la prise en charge efficace de ses attentes, donnant ainsi corps à la politique de la nation définie par le président de la République. (Seck 2003 : 5) Dès lors, le Premier ministre fait de la Déclaration de politique générale, un des temps forts de la démocratie, en ce sens qu'elle est le moment d'une rencontre avec le Peuple dont il est le serviteur. Mais à la suite de cette évocation générale, le Premier ministre contextualise sa Déclaration de politique générale. Pour ce faire, il l'inscrit comme la suite logique des actions qu'il a toujours menées au profit du peuple sénégalais. C'est donc une « nouvelle mission » (Seck 2003 : 5) qui vient à la suite d'une mission précédente consistant à faire accéder son parti au pouvoir. Une nouvelle mission d'autant plus difficile qu'elle intervient à la suite de « récentes épreuves » (op.cit. : 5) dont la plus actuelle est constituée par le naufrage du bateau le Joola. Le Premier ministre prend le soin de procéder à une présentation élogieuse du bilan, à mi-parcours, de l'Alternance, avant d'aborder la question du naufrage du bateau le Joola. Cet élan de bonheur des débuts de l'Alternance, momentanément interrompu par le drame du naufrage, permet au Premier ministre de donner à son discours-programme les contours d'une reprise en main de la situation difficile qu'il a trouvé sur place : « Au-delà des épreuves, Il nous faudra être forts pour reprendre notre marche » (Seck 2003 : 5). A la suite de l'exorde, le Premier ministre décline son programme. Une déclinaison qui sera axée autour de dix principaux points : le « monde rural » (Seck 2003 : 10-14), l' « éducation » (Seck 2003 : 14-16), la « santé » (Seck 2003 : 16-17), l' « emploi » (Seck 2003 : 17-19), l' « électricité » (Seck 2003 : 21-22), les « jeunes » (Seck 2003 : 22-23), les femmes (Seck 2003 : 23), les « anciens » (Seck 2003 : 23-24) , la « sécurité » (Seck 2003 : 24-26) et la « décentralisation » (Seck 2003 : 27). Le Premier ministre clôt son discours par un pari sur l'homme qui nécessite une plus grande responsabilité individuelle et collective. En plus de son côté classique, la Déclaration de politique générale innove à plus d'un titre. En effet, le Premier ministre refuse de se conformer à la tradition : A la place des traditionnelles formules qui nous donnent des taux et des indices, j'aurai recours à des oeuvres d'art comme paradigme de présentation du programme de mon Gouvernement. (Seck 2003 : 9) Cette préférence pour l'image, au détriment des chiffres, pourrait renvoyer à une volonté de se rapprocher de son auditoire, par la dimension affective et symbolique de l'image, opposée au caractère souvent abstrait des chiffres. D'où le recours à un support visuel à l'aide d'images et de cartes projetées sur des écrans placés aux quatre coins de l'hémicycle. De la sorte, le Premier ministre confère à sa Déclaration une dimension didactique et pédagogique. Ce souci didactique et pédagogique s'appuyant sur le symbole de l'image prend davantage corps avec l'utilisation de deux personnages allégoriques tirés du milieu artistique et social sénégalais, Goor et Ndioublang, qui symbolisent, le premier, l'axe du bien, le second, l'axe du mal. * 36 Les Romains, dans le sillage d'Isocrate, puis de Quintilien, considéraient l'ethos comme un élément plutôt social (lié au statut social et aux moeurs de l'orateur), que discursif. Cette conception connaîtra une évolution à l'âge classique avec l'introduction de la notion de moeurs oratoires pour désigner l'ethos que l'on oppose aux moeurs sociales. Une distinction ainsi expliquée par le rhétoricien Gibert Cité par Le Guern (1977 : 284) : « Nous distinguons les moeurs oratoires d'avec les moeurs réelles. Cela est aisé. Car qu'on soit effectivement honnête homme, que l'on ait de la pitié, de la religion, de la modestie, de la justice, de la facilité à vivre avec le monde, ou que, au contraire, on soit vicieux, [...] c'est là ce qu'on appelle moeurs réelles. Mais qu'un homme paraisse tel ou tel par le discours, cela s'appelle moeurs oratoires. |
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