2.2.2.2 Mécanismes
de conditionnement
Nous assistons, par le biais du discours
télévisuel, à une tentative de conditionnement du public
au profit du Premier ministre Idrissa Seck. Plusieurs séquences en
attestent.
D`abord, le passage consacré à l'enfance du
Premier ministre avec, notamment, les témoignages à son endroit
lors desquels on insiste sur son apprentissage coranique couronnée de
succès. Le choix des mots met l'accent sur la performance ainsi
accomplie. Car en lieu et place d'une « maîtrise du
coran », le journaliste parle de « sa parfaite
maîtrise des 6666 versets coraniques sans faillir ». Le
syntagme nominal « parfaite maîtrise »
s'avère une construction pléonastique. En outre,
l'antéposition de l'adjectif qualificatif
« parfaite » véhicule l'idée d'une
intelligence hors pair. Cette idée est renforcée par le souci de
la précision, avec le choix remarqué et remarquable de l'adjectif
numéral cardinal « 6666 ».
Dans une société laïque et pourtant
fortement encrée dans le religieux, cette séquence est un clin
d'oeil lancé aux sénégalais qui sont majoritairement
musulmans. Elle pose les jalons d'un contrat moral entre un Premier ministre au
fait de la morale religieuse et un peuple majoritairement croyant.
Une deuxième séquence viendra compléter
ce tableau. Elle tente de mettre l'accent sur l'équilibre de l'homme
qui, certes, peut compter sur ses connaissances religieuses pour s'astreindre
à une gestion orthodoxe juste et équitable des affaires de la
Cité, mais saura surtout s'appuyer sur son savoir et son savoir-faire
d`éternel premier de la classe. Pour ce faire, rien de tel que
d'interviewer ses anciens professeurs, à l'image d'un responsable du
Collège Saint Gabriel, où le Premier ministre à fait une
partie de son cursus scolaire, qui dira : « il tenait toujours
à être le 1er de sa classe ». Cette phrase
est en elle-même remplie de sens. Elle renseigne sur l'intelligence du
concerné, mais met surtout l'accent sur sa volonté, pour ne pas
dire sa soif, de leadership. Et comme si le discours à lui seul ne
suffisait pas, on fait appel à la preuve, en exhibant le registre
scolaire dans lequel sont consignées les notes de
l'élève.
Ainsi se profile, déjà, quelques uns des
éléments structurants sur lesquels va jouer le Premier
ministre : le savoir et la vertu. Or ces deux composantes ne sont-elles
pas les attributs principaux du philosophe-roi ?
Un troisième axe sera exploré, celui des hauts
faits d'armes du premier ministre que le commentateur rappellera en partant de
son statut de « jeune directeur de campagne » en 1988
à celle d' « éminence grise du
PDS ».
Mais le travail de légitimation ne se résume
pas uniquement à la mise en valeur des côtés
« positifs » du concerné. Il est aussi
déconstruction et réfutation des représentations
négatives dont souffrirait l'image du Premier ministre et dont la plus
récurrente est celle d'un homme suffisant, trop imbu de sa personne.
Pour détruire cette image, un des reporters rappellera la
démarche participative du Premier ministre qui a pris le soin de
rencontrer l'ensemble des composantes de la société. Une
façon de démontrer son ouverture d`esprit, son sens de
l'écoute et sa disponibilité.
Cette nécessité d'être à
l'écoute du peuple est légitimée par le reportage, sous
forme de micro-trottoir, par lequel la parole est donnée aux citoyens
par la télévision, afin qu'ils expriment leurs besoins.
Une quatrième séquence, plus intime, se
déroule au domicile même du Premier ministre. Le
téléspectateur peut ainsi avoir une idée de la maison, de
son goût etc. Le reporter décide d'interviewer un jeune
garçon, fils du Premier ministre. Au journaliste lui demandant s'il
savait ce à quoi va se livrer son père, il répond :
« oui, il va prononcer son discours à l'Assemblée
Nationale ; je l'ai félicité et
encouragé ».
Cette immixtion dans le cercle intime du Premier ministre met
à nu l'effacement des frontières entre sphère publique et
sphère privée. Elle participe d'une volonté manifeste
d`actionner la fibre familiale, donc sentimentale, par l'intermédiaire
d'un fils proche et complice de son père.
Un autre axe de légitimation est celui tendant
à justifier la place de choix occupée par le Premier ministre
auprès du Chef de l'Etat. Les commentaires des journalistes à
ce propos sont fort évocateurs : « un Premier ministre en
phase avec le Chef de l'Etat » ; « un chef d'orchestre
d'une musique dirigée par le Chef de l'Etat » etc.
Le processus de légitimation de la part de la
télévision va s'accompagner d'une mise en scène de
l'événement à travers le choix dans le cadrage, la
sélection de certaines séquences particulières au
détriment d'autres. L'entrée du Premier ministre offre un
aperçu pertinent de cette mise en scène
télévisuelle. Ainsi, peu avant le début de la
déclaration, la télévision nous a fait vivre
l'entrée en scène du Chef du Gouvernement. Les images de la
télévision insistent particulièrement sur l'animation
folklorique, les chants et cris à la gloire du Premier ministre de la
part de militants présents, pour certains, depuis la veille. L'accent
est mis sur les pancartes portant des slogans favorables au parti au pouvoir et
au Premier ministre. De même, les images s'attardent sur le port
vestimentaire des militants présents. Certains d'entre eux portent des
tee-shirts à l'effigie du Premier ministre Idrissa Seck et aux couleurs
du PDS (le bleu et le jaune), couleurs que l'on retrouve, en partie, dans le
port vestimentaire du Premier ministre. En effet, il est habillé d'un
costume sombre à cheval entre le noir et le bleu de nuit, qui n'est pas
sans faire penser à la couleur principale du Pds, le bleu. Ainsi,
l'impression d'une fusion totale entre les trois entités que sont le
Premier ministre, le parti et les militants est donnée. Cette impression
de fusion est renforcée par l'image, en gros plan, du Premier ministre
sacrifiant au rituel consistant à saluer les militants en levant de
temps à autres les bras et en leur gratifiant d'un sourire en signe de
satisfaction et de sérénité. A cela, répond
simultanément l'image d'une foule aux anges. La restitution de cette
entrée « fracassante » de Idrissa Seck est en phase
avec l'événement qui consacre, d'une part, le triomphe du Parti
démocratique sénégalais, par la présence de ses
responsables à toutes les stations de pouvoir, et d'autre part
l'ascension d'un homme présenté comme providentiel.
L'entrée en scène est capitale dans une
entreprise de séduction. Elle permet à l'acteur politique de
donner la première impression à son auditoire. C'est pourquoi
tout est mis à contribution : sourires, bras levés,
remerciements, démarche etc. En outre, c'est tout le sens de la
mobilisation des militants dont le rôle est de « chauffer la
salle », d'encourager leur leader, d`intimider éventuellement
ses détracteurs et d'influencer l'opinion publique.
Toutes choses qui confirment l'affirmation selon
laquelle :
La matière première d'une information
......n'est jamais, malgré une idée reçue, une
réalité quelconque, mais des mots, toujours, une matière
langagière, des représentations que les acteurs sociaux ont
préalablement élaborées, ce qui permet de voir dans
l'information le miroir, la scène ou l'écran (selon les variables
des chercheurs) où s'élabore le sens, négocié sans
cesse par lesdits agents sociaux. (Tétu 1993 : 715)
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