DEUXIÈME PARTIE :
LES RESSOURCES DE LA SÉDUCTION : L'ETHOS
INTRODUCTION :
L'univers de la séduction est des plus complexes.
Souvent il nous arrive de trouver quelqu'un séduisant sans pour autant
être capable de comprendre le pourquoi de cet attrait exercé sur
nous. De même, le mannequin qui reçoit des hourras, l'acteur ou le
chanteur dont la prestation suscite transes et émerveillements ne saisit
pas toujours ce qui, dans sa démarche ou prestation, a ravi son
auditoire. C'est dire que la séduction, en tant qu'action sur autrui,
est un tout. Un tout composite, mélange savant, dont l'entrelacement
équilibré de diverses composantes peut, seul, permettre la
réalisation.
Pour Aristote, tout discours s'organise autour d'un triptyque
constitué par l'ethos, le logos et le pathos. Et la séduction,
qui participe de la volonté du locuteur de conquérir son
auditoire, relèverait d'une rhétorique psychologique. Celle qui
s'appuient sur l'ethos et le pathos.
Sans pour autant évacuer la force de l'argumentation
rationnelle, renvoyant au logos, encore moins la charge émotionnelle
véhiculée par le pathos, nous analyserons principalement les
visées séductrices du Premier ministre Idrissa Seck, à
travers le concept d'ethos. L'ethos, selon Barthes, est constitué par
(...) les traits de caractère que l'orateur doit
montrer à l'auditoire (peu importe sa sincérité) pour
faire bonne impression (...) L'orateur énonce une information et en
même temps il dit : je suis ceci, je ne suis pas cela. (Barthes 1966 :
212)
Ainsi, l'ethos se révèle comme une construction
de l'identité d'un acteur par lui-même et par des
« adjuvants ». Une construction identitaire qui s'appuie,
sur la doxa, c'est-à-dire le vraisemblable, qui n'est
rien d'autre que l'idée que se font les autres sur nous-mêmes.
Dès lors, l'ethos s'avère des plus complexes. Il intègre,
d'une part, des éléments discursifs et non discursifs. Les
éléments discursifs de l'ethos renvoient au fait que le locuteur
construit une image de soi à travers son discours. Il s'agit là
d'une image discursive projetée, qui n'est pas forcement conforme
à son moi réel. D'autre part, l'image représentée
de soi peut relever de pratiques autres que discursives.
En effet, elle intègre tout ce qui
(...) contribue à émettre une image de l'orateur
à destination de l'auditoire. Ton de voix, débit de la parole,
choix des mots et arguments, gestes, mimiques, regard, posture, parure, etc.,
sont autant de signes, élocutoires et oratoires, vestimentaires et
symboliques, par lesquels l'orateur donne de lui-même une image
psychologique et sociologique ». (Declercq 1992 : 48)
Par ailleurs, les modalités de représentation de
l'image d'un acteur peuvent être directes ou indirectes. Elles sont
directes lorsqu'elles proviennent du personnage concerné, et indirectes
lorsqu'elles sont portées par un autre actant que nous nommerons ici
adjuvant.
Enfin, dans la sphère publique, tout individu qui prend
la parole, ou qui intervient, est, bien avant même sa prise de parole, ou
son intervention, investi d'un certain nombre de qualités et de
défauts, d'attributs spécifiques, réels ou imaginaires.
Nous sommes là en face de représentations que
l'opinion se fait de chaque acteur de la sphère publique. Cette image
que l'opinion retient de l'acteur social, bien avant sa prise de parole, est ce
qu'on nomme ethos préalable ou ethos prédiscursif. Dès
lors, étudier l'ethos discursif d'un locuteur, revient d'abord à
décrire son ethos prédiscursif qui renvoie à la
doxa, c'est-à-dire la connaissance préalable que le
public a du locuteur.
Ce faisant, dans cette deuxième partie consacrée
aux ressources de la séduction, nous étudierons, dans le premier
chapitre, l'ethos préalable de Monsieur Idrissa Seck afin de mieux voir
comment cet ethos préalable subit une tentative de reconstruction, avant
même la Déclaration de politique générale. D'abord,
par le Premier ministre lui-même, à travers sa
« démarche participative », et par
l'intermédiaire de la Télévision nationale.
Dans le deuxième chapitre, nous verrons comment
l'entreprise de séduction s'élabore à travers un ethos
discursif, ou représentation discursive d'une image de soi attrayante,
voire idéale. Une représentation de soi qui emprunte au triptyque
aristotélicien repris et actualisé par la Pragmatique et les
spécialistes de l'énonciation : la
« pronésis » ou le bon sens,
l' « areté » ou la vertu et
l' « eounoïa » ou la bienveillance.
|